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Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le  chemin parcouru ces dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

La lecture de l’introduction de ce dossier est vivement recommandée.

Nous continuons notre exploration chronologique de l’histoire du football noir britannique débutée en novembre dernier (liens des volets précédents en bas d’article) avec quatre pionniers de l’entre-deux-guerres et l’après-guerre immédiat.

# 7. Alfred Charles (1909-1977)

Premier Noir non métissé à évoluer en Football League anglaise.

Attaquant/ailier arrivé en Angleterre de Trinidad & Tobago en 1932 pour travailler comme domestique d’un célèbre compatriote, le cricketeur Learie Constantine (ce dernier combattra ensuite le racisme en Grande-Bretagne – on lui avait notamment refusé une chambre d’hôtel à Londres en 1943 pour un motif racial – et deviendra en 1962 le premier Noir à être anobli. En 1969, il sera fait life peer et siègera à la Chambre des Lords du parlement britannique).

Dans un premier temps, Charles décide de rester dans le nord de l’Angleterre pour tenter sa chance dans le cricket. Puis, il se remet au foot et signe pour Burnley (D2) en 1933 mais ne dispute aucun match de championnat. Tout en exerçant la profession de… magicien, celui que la presse décrit comme un « technicien à la lourde frappe » joue ensuite dans des petits clubs de ce comté du Lancashire avant de signer à Southampton (D2) en janvier 1937. Il ne disputera qu’un seul match avec l’équipe première mais sera aligné en amical et avec la réserve. En 1938, il signe dans le club semi-pro de Stalybridge près de Manchester (là où Arthur Wharton, # 2, fut entraîneur-joueur en fin de carrière). Il restera vivre dans le nord de l’Angleterre jusqu’à sa mort.

Il faudra attendre 40 ans avant de revoir un joueur noir (Tony Sealy) dans l’effectif de Southampton. A l’époque, nous précise Don John (organisateur du Southampton’s Black History Month en 2006) dans cet article, c’est sans doute l’effet de nouveauté qui préserva Charles du racisme ouvert, à l’instar d’autres Noirs avant lui, notamment Andrew Watson, # 1 (« Il y avait si peu de Noirs à Southampton en 1937 que les gens considéraient probablement Alf Charles comme un objet de curiosité »).

# 8. Gil Heron (1922-2008)

Premier Noir à porter les couleurs du Celtic, même s’il est possible que d’autres précédèrent ce Jamaïcain, voir ici.

Si Heron n’a pas laissé une trace footballistique marquante outre-Manche (une douzaine de matchs en Ecosse – surtout en League Cup – et un bref passage à Kidderminster en non-League anglaise), il fut, comme l’écrit Brian Wilson dans le Guardian, « the first black player to capture the imagination of Scottish football fans », le premier Noir à avoir exercé une certaine fascination sur les supporters écossais et du Celtic [1]. Trois décennies plus tard, certains d’entre eux porteront le maillot des Hoops aux concerts britanniques de son fils, le légendaire musicien-poète américain Gil Scott-Heron, surnommé « The Godfather of rap » et considéré comme le père du rap engagé, notamment pour l’iconique et puissant The Revolution Will Not Be Televised (clip dans le lien ci-dessus).

En 1946, avec les Detroit Wolverines, il est sacré meilleur buteur (15 buts en 8 matchs !) de la minimaliste et très éphémère North American Soccer Football League (détails). Classieux, fin technicien et rapide [2], il impressionne les scouts du Celtic lors d’une tournée nord-américaine et est recruté à l’été 1951. Il marque dès son premier match (de League Cup) devant 40 000 spectateurs mais est jugé physiquement trop tendre pour le haut niveau et se retrouve cantonné à la Coupe de la Ligue et la réserve (avec laquelle il claquera 15 buts en 15 matchs).

La saison suivante, il est transféré à feu Third Lanark en D1 écossaise (voir ce superbe clip sur les vestiges de son mythique stade, Cathkin Park) où il claque 5 buts en 7 matchs de Scottish League Cup, puis dans le club semi-pro anglais de Kidderminster Harriers où il enquille 16 pions en une demi-saison. Début 1954, il retourne dans le club de ses débuts, le Detroit Corinthians, et restera vivre aux Etats-Unis.


La nature a repris ses droits : Cathkin Park et son jardin public avec Populaires

Ce récent article nous offre un éclairage nouveau sur la carrière de Gil Heron, en particulier sur sa période états-unienne (marquée par le racisme) et sa personnalité. Le passage sur sa soi-disante aversion au froid et son supposé manque d’engagement physique (« trait » relevé également ici) est un grand classique de l’histoire des stéréotypes du football britannique. Ces deux idées reçues, solidement ancrées dans l’inconscient collectif et les mentalités de l’époque, faisaient partie de la panoplie de clichés – nourris par la peur, la bêtise et l’ignorance – qui collèrent aux footballeurs noirs pendant un siècle au Royaume-Uni, de l’avènement du football professionnel (voir Arthur Wharton, # 2) aux années 1990. Développé in extenso, c’est le mythe du footballeur noir flambeur, inconstant, peu fiable, nonchalant, intellectuellement limité, mentalement fragile, qui craignait l’hiver, redoutait le jeu rugueux et manquait globalement de bottle (assurance/cran/gnaque) et de fighting spirit pour s’acclimater au football britannique.

Un gargouillou de préjugés sans fondement (ou plutôt si, cf la matrice idéologique du racisme scientifique, voir ici) et d’une absurdité d’autant plus consternante que les prouesses des athlètes et boxeurs noirs de l’époque (ou les footballeurs-boxeurs, tels Arthur Wharton ou même Gil Heron) contredisaient avec panache cette image « chiffe molle » que les propagateurs de ces aberrations cherchaient à véhiculer. Quant au lieu commun du Noir incapable de composer avec le froid et les terrains boueux, la réalité le faisait voler en éclat : la majorité des Noirs du football anglais post années 1960 étaient nés ou avaient grandi en Angleterre et savaient donc parfaitement ce qu’était un hiver rigoureux ! Idem pour Gil Heron, qui passa son adolescence au Canada et vivait à Détroit avant son expérience britannique (il est par ailleurs intéressant de noter qu’une version 2.0 de ce cliché climatique visera une certaine catégorie de footballeurs étrangers dans les années 1990, essentiellement celle des « artistes provenant de pays chauds ou considérés comme tels », e.g David Ginola ; un poncif symbolisé par le fameux « He is decent/good but can he do it on a cold December night in Stoke? »).

# 9. Roy Brown (1923-1989)

Premier grand joueur noir de l’après-guerre.

Né en 1923 à Stoke-on-Trent, ce fils d’un Nigérian et d’une Anglaise rejoint Stoke City (bonne cylindrée de D1) à 14 ans, d’abord comme petite main chez les Potters (notamment chargé d’allumer les braséros qui réchauffe la pelouse les jours de match en hiver) puis comme stagiaire (on disait apprentice à l’époque, scholar aujourd’hui).

Pour cause de Seconde guerre mondiale, il ne débute en équipe première qu’à 23 ans (il jouera cependant en Wartime League). Très rapide et doué de la tête, il évolue à Stoke City (D1) de 1946 à 1953, le plus souvent comme arrière-central, mais aussi avant-centre. Pour sa première saison à Stoke, il a comme coéquipier l’immense Stanley Matthews, premier Ballon d’or (1956). Auteur de 14 buts en 74 matchs.

Quand Stoke descend en D2 en 1953, Brown file à Watford en D3 où il affichera une plus grande polyvalence encore (arrière-central/ailier/avant-centre). Il fera le bonheur des Frelons pendant cinq saisons (40 buts en 142 matchs) et finira sa carrière avec les semi-pros de Chelmsford City.

# 10. Lindy Delapenha (1927-     )

Né le 25 mai 1927 à Kingston dans un milieu aisé, Delapenha fut le premier Jamaïcain à jouer professionnellement en Football League anglaise et le premier Noir à devenir Champion d’Angleterre avec son club (Portsmouth), pays où il connut un succès retentissant pendant quatorze ans de professionnalisme, dont dix au plus haut niveau.

En novembre 1945, ce sportif extrêmement talentueux dans une dizaine de disciplines (dont boxe, cricket, tennis, golf, natation, et surtout athlétisme, il refusera même une sélection britannique en sprint aux J.O de 1948, pour se concentrer sur le football) part en Angleterre pour servir dans l’armée de terre britannique, avec l’ambition de devenir footballeur pro par la suite. Il est affecté dans le régiment réservé aux jeunes sportifs de haut niveau.

Alors qu’il est posté en Palestine, un scout le repère et lui trouve un club de D1, Portsmouth (il n’y avait pas de football en Angleterre début 1946 et, en préparation de la reprise de la Football League fin août 1946 après une interruption de six saisons, des scouts furent chargés de parcourir le monde pour dénicher des joueurs talentueux, les effectifs professionnels ayant été décimés par la guerre).
En avril 1948, après un essai concluant à Portsmouth, cet ailier droit/deuxième attaquant très rapide (10,1 aux 100 yards) et doté d’une grosse frappe signe un contrat professionnel. Pour un premier club, c’est un coup de maître car c’est l’âge d’or de Portsmouth qui cartonne en championnat et évolue régulièrement à domicile devant presque 40 000 spectateurs. En 1949 et 1950, il devient double champion d’Angleterre avec Pompey (il n’était toutefois pas titulaire).

En 1950, il est transféré pour 12 000 £ à Middlesbrough, honnête cylindrée de D1, où il évoluera jusqu’à 1958 (D2 à partir de 1954). C’est chez les Smoggies que sa carrière anglaise va s’épanouir, ainsi que sa vie sentimentale. Dans le North East, il épousera une institutrice du coin, avec qui il aura trois enfants. Pour ne pas la « déraciner » dans le North West, il déclinera une offre de 26 000 £ faite par Manchester City en 1954 – somme proche des records britanniques de l’époque, autour de 35 000 £.

Rapidement, il devient la coqueluche du public d’Ayresome Park qui se délecte de son tandem avec la Boro legend Wilf Mannion, dont la statue trône aujourd’hui devant le Riverside Stadium. Très prolifique malgré sa position excentrée, Delapenha est sacré meilleur buteur du club à trois reprises. A partir de 1955, il sera associé à un autre canonnier hors pair : Brian Clough (197 buts/213 matchs pour Boro – en D2), avec lequel il se liera d’amitié. Son bilan comptable est impressionnant pour un ailier : 93 buts en 270 matchs.

Malheureusement, à 31 ans, une série de blessures l’oblige à rétrograder en D3, à Mansfield Town, où il finit sa carrière professionnelle en 1962 en régalant toujours le public sur son aile (27 buts en 115 matchs). Après un peu de rab en semi-pro et en amateur, à 37 ans il repart en Jamaïque où il deviendra commentateur radio & TV, directeur des sports de la chaîne principale et présentateur, jusqu’en 1997. En 1998, il est intronisé au Jamaica Sports Hall of Fame.

Delapenha a dit avoir été relativement épargné par le racisme (il en parle à la fin de cette interview) mais alors qu’il vit en Angleterre, les premiers bateaux de migrants jamaïcains et des Antilles Britanniques arrivent au Royaume-Uni, dont le célèbre Empire Windrush, symbole métonymique – la « Windrush Generation » – des vagues d’immigration à venir et des débuts du multiculturalisme outre-Manche. Les effets de cette mutation profonde [3] de la société britannique révolutionneraient bientôt son football.

Kevin Quigagne.

Les volets précédents :

(1) Introduction. Les premiers Blacks du football britannique
(2) Andrew Watson. Les premiers Blacks du football britannique
(3) Arthur Wharton. Les premiers Blacks du football britannique
(4) John Walker et Walter Tull. Les premiers Blacks du football britannique
(5) Jack Leslie et Eddie Parris. Les premiers Blacks du football britannique

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[1] Même s’il convient de souligner que John Walker, # 3 dans cette série, fut culte bien avant Gil Heron, au point d’avoir son fan club à Hearts… en 1899 !

[2] Il sera surnommé « The Black Arrow » (la Flèche Noire) ou « The Black Flash » (l’Eclair Noir) par la presse écossaise. Ce dernier surnom sera également donné au Sud-Africain Albert Johanneson (Leeds United, 1961-1970), le premier Noir à avoir disputé une finale de FA Cup – en 1965 – et celui qui subira jusque là le plus violemment le racisme et les préjugés, triste résultante du contexte changeant de l’époque. Johanneson, c’est aussi l’un des destins les plus tragiques du football britannique, raconté dans le superbe livre The Black Flash dont j’ai parlé plusieurs fois dans Teenage Kicks, notamment ici et ici.

[3] Des mutations profondes que j’évoquais ici en parlant d’Albert Johanneson et d’autres. Portraits de tous ces pionniers à suivre, puisqu’on arrive doucement aux années 1950-1960.

Il y a trente ans aujourd’hui, s’achevait la plus longue grève de l’histoire du Royaume-Uni, celle des mineurs (5 mars 84 – 3 mars 85). Un long et violent combat contre le gouvernement Thatcher où le football fut parfois de la partie.

On a coutume de dire, en forçant parfois un peu le trait, que le football s’immisce volontiers dans les évènements historiques au Royaume-Uni. Exagération ou pas, il est indéniable que les liens entre le football et la grève des mineurs de 1984-1985 sont riches et variés. Logique me direz-vous, tant les passerelles entre football et industrie minière sont, ou plutôt étaient, foisonnantes.

L’histoire que j’ai choisie de vous raconter, celle d’une communauté déchirée par la grève et en partie réconciliée par le football, est puisée dans le vécu de la ville minière d’Easington, située au sud de Newcastle (North East), un environnement que je connais pour y vivre et travailler depuis plus de vingt ans, d’abord dans le South Yorkshire (Sheffield) puis dans le North East. Mais avant tout, plantons le décor.

A.S : Teenage Kicks n’a pas soudain décidé de concurrencer les Échos ou le Diplo. Ce premier volet est avant tout une mise en contexte pour la deuxième partie qui traitera essentiellement de football. Le tout était trop long pour le publier d’un seul jet.

A voir : cette superbe galerie de photos sur la grève.

L’adversité comme source de motivation suprême

Tout d’abord, un rappel pas forcément inutile : une quantité phénoménale de footballeurs/managers britanniques furent mineurs de fond, tâtèrent de la mine ou évitèrent in extremis cette voie. Parmi les plus illustres, citons Billy Meredith, Herbert Chapman, les frères Bobby & Jack Charlton, Jackie Milburn, Matt Busby, Bobby Robson, Gerry Hitchens, Jock Stein, Bob Paisley et Bill Shankly. Rien que le club du village minier où Shanks grandit forma cinquante professionnels !

Une plaisanterie des années trente, déclinée ensuite en de multiples versions, disait que pour dégoter de bons footballeurs dans les bassins miniers, il suffisait au président du club professionnel local de se rendre à la houillère du coin, se positionner en haut d’une fosse et gueuler : « J’ai besoin d’un défenseur et d’un avant-centre » pour qu’un tas de têtes casquées remontent à la surface.
Dans plusieurs régions britanniques [1], le public fut longtemps constitué d’une forte proportion d’hommes associés de près ou de loin à la mine. Sans bien sûr exagérer la portée actuelle, forcément limitée, de ce riche héritage, la connection football-mine se manifeste parfois encore plus charnellement, comme dans le cas du Stadium of Light de Sunderland bâti sur les galeries de Monkwearmouth Colliery (ici). Ce qui donne à des remarques du style « Danny Graham est vraiment au fond du trou » ou « Jozy Altidore va au charbon mais que dalle » une profondeur qui rendrait ce duo pied-nickelesque presque touchant.


Lampe de mineur géante et roue minière aux abords du Stadium of Light de Sunderland

D’une manière plus générale, les liens entre ballon rond et industrie sont à l’origine même du football britannique. Parallèlement aux conditions indispensables à son essor à partir des années 1860 (entre autres : harmonisation des lois du jeu, repos le samedi après-midi, développement du chemin de fer – voir dossiers TK ici et ici), pour que le football prenne véritablement son envol, il fallut qu’il soit porté par les grands acteurs de la révolution industrielle –  les capitaines d’industrie victoriens, les ouvriers, les syndicats. De fait, si on analyse la genèse du football à travers le prisme socio-économique, ce sport peut légitimement être considéré comme un pur produit des grandes conquêtes sociales de l’époque.

Des débuts du football professionnel au Royaume-Uni (1885 en Angleterre, 1893 en Ecosse) aux Seventies, des générations de jeunes mineurs chercheront coûte que coûte à devenir footballeur pro et notamment durant les années de marasme de l’entre-deux-guerres. L’extrême dangerosité et la dureté du métier poussaient ces Gueules noires à tout faire pour échapper à leurs conditions ; bouffer de la vache enragée est le meilleur des moteurs pour réussir, dit l’adage populaire, et le football représentait alors le seul « ascenseur social » pour ces jeunes-là.

Cette longue association entre football et mine a souvent été marquée par des gestes forts et/ou médiatisés, exprimés surtout pendant les grandes grèves (1912-1926-1972-1974-1984). Comme ces innombrables collectes d’argent autour des stades, ou Brian Clough [2] défilant au côté des mineurs en 1984 en appelant à la solidarité dans les médias (« Tous les supporters de football issus de la classe ouvrière devraient faire une donation au fond des mineurs »). L’historique football-mine est parsemé d’anecdotes croustillantes. Par exemple quand Jock Stein, ex mineur et le mythique manager du Celtic de 1965 à 1978, glissa un billet de 5 £ dans un seau de collecte alors qu’Alex Ferguson, qui l’accompagnait ce jour-là (et lui-même ouvrier syndicaliste des chantiers navals glasvégiens jusqu’à 23 ans), « oublia » de verser son obole… Le jeune Fergie fut alors dûment sermonné par Stein et s’empressa de s’exécuter ! Pendant la grève de 1984-85, Stein apostospha même durement les camions conduits par des « scabs » (non grévistes) chargés de transporter le charbon.


Brian Clough, vers 1994, défilant contre la fermeture de l’un des derniers puits du North Nottinghamshire

Le contexte général, côté mineurs

Le 5 mars 1984, la grève des mineurs démarre officiellement, à la suite d’une fermeture de puits dans le Yorkshire ordonnée par le gouvernement Thatcher via le National Coal Board, l’équivalent britannique des Charbonnages de France. La moitié des mineurs du Yorkshire arrête immédiatement le travail. Environ 200 000 mineurs sont concernés dans 180 sites miniers disséminés en Grande-Bretagne, même si tous ne seront pas grévistes. Officiellement, « seuls » 20 000 emplois sont menacés dans les années à venir (Thatcher dit vouloir fermer une vingtaine de puits considérés non rentables par son gouvernement – les mines étaient alors fortement subventionnées, à hauteur de 900 millions £ pour l’année 1983).

Toutefois, le seul syndicat de la branche, le puissant NUM – National Union Mineworkers –, est convaincu que l’objectif dépasse les 100 000 d’ici 1990 et qu’à court terme, l’objectif de Thatcher est de privatiser entièrement le secteur. L’avenir donnera raison au NUM (ainsi que des archives ministérielles de 1984 autorisées à la parution l’an dernier : 64 000 suppressions d’emploi étaient programmées d’ici 1987).

Mais pour l’heure, il s’agit de rassembler. Tâche délicate puisque cette grève est illégale, une majorité de mineurs adhérents y seraient opposés. Nul ne sait précisément quelle proportion, les dirigeants du NUM ayant refusé de faire voter la base. La démarche controversée et antagoniste du NUM annonce la couleur : cette grève risque d’être sanglante. Des heurts triangulaires police > mineurs grévistes > mineurs non-grévistes éclatent d’ailleurs dès les premiers jours, après que la police a profité de l’illégimité de la grève pour confisquer du matériel syndical et forcer les piquets de grève à laisser les non-grévistes travailler. Le 15 mars, un premier mineur décède, dans des circonstances tragiques. Malheureusement, ces affrontements ne sont que les trois coups qui annoncent le triste spectacle. Les tensions iront crescendo et les violences graves seront routinières.

Le contexte général, côté Thatcher

Non que tout cela perturbe terriblement Margaret Thatcher. Cette dernière a été plus habile que son prédécesseur conservateur, Edward Heath, en 1974 (les mineurs, unis, avaient fait plier les Conservateurs) et elle a tiré les enseignements des revers du passé. Euphémisme : la Dame de Fer fait de cette lutte une affaire personnelle et a le mors aux dents. Elle a même orchestré le clash, pour venger les siens : « Le dernier gouvernement Conservateur a été annihilé par les grèves des mineurs de 1972 et 1974, avait-elle confié à son ministre de l’Intérieur dès sa prise de pouvoir en 1979, et bien nous provoquerons une autre grève et nous sortirons vainqueur. »

Les mineurs jouissent alors d’une bonne image dans la société, admirative de leur immense courage. Thatcher a jaugé la robustesse de leur capital sympathie et sait qu’elle ne peut pas foncer tête baissée. D’autant plus qu’elle a déjà essuyé une avanie, en 1981, quand elle dut annuler un programme de fermetures de puits sous la pression du NUM. Mais elle sait aussi que les temps changent et que le zeitgeist joue en sa faveur.

Autant le Royaume-Uni avait émergé des Seventies sur les rotules (chienlit généralisée, inflation et taxation records, etc.), autant il donne l’impression d’avoir démarré les Eighties la confiance en bandoulière, même si certains indicateurs économiques ont viré au rouge vif (e.g le nombre de sans-emplois qui a doublé depuis 1979, dépassant les 3 millions en 1982). Le contraste avec la décennie passée est saisissant, notamment dans les mentalités.
L’époque est désormais au capitalisme décomplexé, ostentatoire. L’argent n’est plus sale et les devises provocantes des Yuppies, ces nouveaux démiurges de la pensée ultra-libérale, telle If you’ve got it, flaunt it » (allez-y, exhibez ce que vous possédez), s’imposeront comme les slogans tendances des Eighties. Quand la France marche au « Touche pas à mon pote », le Royaume-Uni carbure au “Greed is good” (la cupidité, c’est bien). La société britannique est en pleine mutation – la middle-class émascule progressivement la classe ouvrière – et Thatcher compte bien exploiter sa cote de popularité au zénith pour mater toute rébellion en s’octroyant le beau rôle.

Son objectif ultime va bien au-delà d’un simple combat personnel anti-mineurs : il faut envoyer un message fort aux syndicats, très militants, réduire leur influence et avoir ainsi les coudées franches pour réformer des pans entiers du droit du travail, à commencer par la législation sur les modalités et préavis de grève. In fine, il s’agit de mener à bien, le plus en douceur possible, le programme de démantèlement et privatisations-dérégulations des secteurs publics et entreprises d’état – British Gas, British Rail, British Telecom, etc. (les mines et tout le secteur de l’énergie avaient été nationalisés au sortir de la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement travailliste de Clement Attlee et sont considérés par les Conservateurs comme des bastions gauchisants – « Je détestais ces programmes collectivistes de nationalisation de l’après-guerre. Il fallait redonner la liberté aux citoyens », fulminera Thatcher plus tard).

De l’art du conflit

La cuisante défaite des Travaillistes aux General Elections de juin 1983 (meilleurs résultats des Conservateurs depuis 1959) avait annoncé de fortes turbulences sociales et une radicalisation de certains secteurs. Du coup, Thatcher a anticipé : elle a fait stocker des réserves de charbon équivalentes à cinq mois de consommation, a demandé aux centrales thermiques de se tenir prêtes à utiliser des combustibles fossiles autres que le charbon (gaz, fioul, huiles) et a fait embaucher des routiers non syndiqués pour le transport entre dépôts. L’armée de terre est même en stand-by, au cas où. C’est la face visible de l’avant-combat.

En coulisses, Thatcher fourbit ses armes. Elle réunit régulièrement son état-major pour aiguiser au mieux sa deuxième lame, celle de la division. Elle sait que le moyen le plus efficace pour fragmenter ce bloc pour de bon est d’appliquer énergiquement la recette éprouvée du “Divide and rule”. Telle sera sa feuille de route, dresser les uns contre les autres. Thatcher a donc échaffaudé une série de stratagèmes visant à morceler le mouvement et le faire imploser de l’intérieur ; les négociations se feront puits par puits, les propositions de reclassement seront sélectives, les promesses faites à certains groupes ou puits seulement. Avec dans son arsenal clivant, quelques mesures particulièrement mesquines, des coups bas « ad hominen » lui reprocheront certains, telle la réduction des aides sociales aux familles grévistes.

La fille d’épicier réservera aux syndicalistes, et par extension à tous les mineurs grévistes, le même surnom qu’elle donnera aux hooligans : the enemy within, l’ennemi de l’intérieur.


A. Scargill s’amuse du masque porté par une manifestante

C’est loin d’être la première grève des mineurs mais celle-ci s’annonce particulièrement longue et âpre. Elle le sera : 362 jours, 11 morts, 20 000 blessés, 11 500 arrestations, 8 500 grévistes assignés en justice. Et au-delà des chiffres, des communautés entières décimées.
A la tête du mouvement, Arthur Scargill, l’ennemi juré de Thatcher, un syndicaliste marxiste jusqu’au-boutiste et président du NUM qui dirigera les opérations et organisera la résistance depuis son fief de Barnsley (20 kilomètres au nord de Sheffield), gros bassin minier et épicentre de la lutte.

C’est dans ce contexte bien particulier, « toxique » dirait-on aujourd’hui, que se déroulent les évènements ci-dessous.

Easington : 10 000 habitants, 2 700 mineurs de fond

Printemps 1984, Easington & Easington Colliery, East Durham, 30 kilomètres au sud-est de Newcastle et 15 de Sunderland, l’un des bassins houillers alors parmi les plus productifs au monde. On appelle ces vastes zones des coalfields, littéralement « champs de charbon ». Les deux Easington forment une petite ville d’à peine 10 000 habitants où la plupart des hommes sont employés dans l’activité minière. On extrait tellement de charbon dans toute la région depuis le XVIIè siècle que la langue anglaise s’est dotée de l’expression suivante : To carry/take coals to Newcastle, approximativement « vendre de la glace aux Esquimaux ». Au sortir de la Grande Guerre, 275 000 hommes trimaient dans les mines autour de Newcastle, un actif sur trois et un quart du total britannique sur ce secteur.

Le North East (2 600 000 habitants) dut sa croissance spectaculaire au XIXè siècle à l’exploitation et l’exportation du charbon, directement ou indirectement. Ce minerai fut l’un des principaux symboles et vecteurs de développement de la révolution industrielle.
C’est grâce au charbon par exemple que les premières
locomotives au monde furent exploitées commercialement au sud de Newcastle, au départ purement pour des raisons pratiques d’acheminement du charbon (le rendement exponentiel des mines, étroitement liés aux besoins gargantuesques générés par l’industrialisation effrénée, exigeait des moyens autres que quelques chevaux tirant des wagonnets). Toute la richesse de la région découle de l’activité minière. Cette prospérité favorisera grandement l’essor de la construction navale (transport du charbon) et de l’industrie lourde. Elle permettra aussi à de géniaux inventeurs locaux d’émerger, tels George Stephenson (considéré comme l’inventeur du chemin de fer moderne), Joseph Swan (pionnier de l’électricité) ou l’ingénieur et industriel George Armstrong (hydroélectricité).

Malgré sa faible population, le canton d’Easington est aussi un mini hotbed du football, l’une de ces mini places fortes qui transpire le ballon par tous les pores. L’international anglais Adam Johnson (Sunderland) y a grandi ainsi que Paul Kitson (ex Leicester, Newcastle, Derby, West Ham), Alan Tate (ex Swansea), Kevin Scott (ex Newcastle) et Steve Harper, gardien de Newcastle de 1993 à 2013 ; le père d’Harper était mineur de fond et son oncle, Barry Harper, est une figure locale, arbitre et dirigeant de club (nous le retrouverons dans la seconde partie). Le film Billy Elliott a été tourné ici même [3].

Une communauté, deux ennemis

Comme un peu partout ailleurs pendant la grève, la communauté minière d’Easington (Easington Colliery) est divisée en deux groupes distincts : les grévistes et les « scabs », les jaunes. Comme partout ailleurs, les jaunes y sont haïs. Ils doivent se rendre à la mine escortés et franchir les piquets de grève en bus grillagé, sous la protection de la police. Le scab est bien plus qu’un jaune : c’est l’ennemi, le traître, le suppôt de Thatcher. On tague scab en gros sur les murs de sa maison, on vandalise sa voiture et insulte sa famille. A l’école,

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Principalement le South Yorkshire (Sheffield-Barnsley-Rotherham-Doncaster), le North East (Newcastle-Sunderland-Durham), le sud du Pays de Galles (Cardiff-Swansea-Newport), la ceinture centrale des Lowlands écossais (Ayshire-Midlothian-Lanarkshire) et le centre de l’Angleterre (Staffordshire-Derbyshire-Nottinghamshire).

[2] Brian Clough était un socialiste convaincu (au moins « de coeur » comme il disait*) qui, au cours de la grève de 1984-85, n’hésita pas à rendre visite plusieurs fois à des piquets de grève postés devant les mines. Un matin pendant la grève de 1972, il fit même conduire ses joueurs de Derby County (qui sera champion d’Angleterre deux mois plus tard) devant un puits et les força à se joindre aux piquets à l’entrée de la mine en leur disant : « Les gars, restez ici et discutez avec ces mineurs, vous verrez comme ils en bavent. Je veux que vous compreniez la chance que vous avez par rapport à ces gars qui doivent descendre dans les entrailles de la terre pour gagner leur croûte. Je vous laisse et quand je l’aurai jugé nécessaire, je demanderai au bus de venir vous chercher. » Et il était remonté dans l’autocar qui avait filé… Les joueurs s’étaient mêlés aux mineurs une bonne partie de la journée. Peu après, Clough avait fait envoyer aux grévistes une trentaine de billets d’un match de Derby County.

[*« Pour moi, le socialisme vient surtout du coeur. Je ne vois pas pourquoi seule une partie de la société pourrait boire du Champagne et habiter de belles propriétés. » De fait, Clough entretint avec l’argent une relation complexe et ambivalente]

[3] Billy Elliott, the Musical a été créé à Londres et diffusé live sur écrans (cinémas, salles de spectacles) à travers le Royaume-Uni il y a six mois. Elton John, qui a composé la musique, a subventionné le prix des billets dans la région d’Easington (fixés à 1 £) pour permettre au plus grand nombre de voir le show.

Ils ont été tournés ailleurs mais citons-les puisqu’ils ont la mine pour thème central : Pride (bande-annonce) et le sublime Brassed off (bande-annonce), un chef d’oeuvre du cinéma social tourné entre Barnsley et Doncaster (South Yorkshire).

Série sans trop de bla bla, juste quelques photos cultes et leurs légendes. Avec en gros bonus, un collector : le duel télé Brian Clough vs Don Revie. Because ça fait dix ans que Cloughie nous a quittés.

Ouais enfin, un peu de bla bla quand même, surtout la # 10, mais juste ce qu’il faut (ami lecteur supp de Newcastle United, un conseil : zappe le # 5). Ces perles sont tirées directement du Net ainsi que de plusieurs livres-photos style coffee-table books.

# 1. Canto

Roh qu’il est mignon tout plein en rose.

# 2. Arsène et son zip maléfique

Un grand classique de ces dernières saisons : la fermeture éclair de la doudoune d’Arsène. Que ce zip a perturbé notre Arsène national, paraît qu’il n’en dormait plus… Et après on se demande pourquoi Arsenal en bave pour gratter des trophées. Talksport a fait son historique vestimentaire et Puma a monté une cellule de crise pour le sortir enfin de cet enfer. Mission accomplie : l’équipementier teuton lui a concocté du sur-mesure, ci-dessous.

# 3. Glory Glory Tottenham

Les Spurs avaient sorti le matos Castorama pour cette originale photo d’équipe. Pas super hi-tech mais sur le terrain, c’était nettement plus avant-gardiste (voir article TK sur l’innovant Bill Nicholson, manager Spurs de 1958 à 1974 et digne héritier du push and run du révolutionnaire Arthur Rowe).

C’est l’ère du grand Tottenham : doublé championnat-FA Cup en 1961, vainqueur de la FA Cup en 1962, vice-champion d’Angleterre en 1963 et premier club britannique à décrocher une coupe d’Europe, la C2 en 1963.

En haut à gauche, l’immense Danny Blanchflower et à quatre pattes sous l’escabeau, le non moins immense Dave Mackay. J’ai mis une tartine sur tous ces glorieux anciens dans le Hall of Fame Spurs de TK.

# 4. Allardyce, porte-étendard de la culture française

Depuis qu’il recrute pas mal de Frenchies (Y. Djorkaeff fut parmi les tous premiers), Sam Allardyce essaie par tous les moyens de faire découvrir Bourvil et Louis de Funès aux British, même pendant les matchs. Ici, lors du West Ham-Southampton, Big Sam nous rejoue une scène du Corniaud devant le quatrième arbitre qui s’empresse de noter le nom du film.

# 5. A la recherche du temps pardew

Out today, demain ou après-demain.

Out today, demain ou après-demain.

Alan Pardew, plongé dans une rêverie proustienne pendant le Southampton-Newcastle du 13 septembre dernier, 4-0 (se remémore-t-il les délicieux puddings de la tante Margaret ?). En cadrant habilement son cliché, ce photographe de la Press Association a bien saisi l’avenir du Londonien chez les Mags.

Pendant ce temps-là, dans la tribune exter, les supps Magpies sortaient une micro-banderole anti-Pardew conçue par le dernier site à la mode sur Tyneside, sackpardew.com. Un site qui nous abreuve de stats sympas dans sa section Pardew – The Facts, e.g 5 maigres victoires de tout 2014 et autant de défaites dans les derbys contre Sunderland que les 22 précédents managers Magpies réunis (certes, peu sont restés 4 ans en poste comme Pardew).


Même leurs bâches font pitié à Newcastle.

Pardew est hilare sur la banderolette Mag, normal : il touchera un joli pactole s’il est remercié et abrégera sa longue souffrance. Et donc, se dit le supp lambda qui ne lit pas Teenage Kicks : Pardew va palper 15-18 millions £ vu que son contrat court jusqu’en 2020 et qu’il l’a forcément renégocié à la hausse en 2012 après avoir hissé NUFC dans le top 5. Because, si on sort la calculette, eh ben c’est simple comme hello : 6 ans de contrat x le tarif en vigueur, soit mettons 3m £/an = eine groß paket.

Un raisonnement qui pourrait largement tenir la route. Mais ailleurs, pas chez les Mags. Car le payout ne serait « que » de 5 millions £. Ça paraît léger mais c’est oublier que le proprio de NUFC est Mike Ashley, boss de la chaîne Sports Direct (SD), où les contrats salariaux sont highly incentivised, fortement conditionnés aux résultats : en 2013, plus de 2 000 salariés SD, payés en moyenne 1 600 £/mois, avaient touché une prime de 75 000 £ chacun (!) après une hausse de 40 % des bénéfices l’année précédente (chiffre d’affaires boosté par les Jeux Olympiques et l’expansion du groupe). Mais cela ne concernait que les 10 ou 15 % de chanceux à temps plein ayant intégré la boîte avant 2010. L’envers du décor est moins reluisant : 90 % des employés SD sont à temps partiel avec des contrats zéro heure. Et donc pour eux, pas un penny. Un collectif d’employés SD a porté l’affaire devant les tribunaux.

Pour Mike Ashley, pas question donc en 2012 de payer le going rate (tarif en vigueur) pour un manager d’un club aspirant alors à la Ligue des Champions. Au lieu de 3m £/an, Pardew dut donc se contenter d’un salaire de base + une grosse part variable, en l’occurrence une tapée de primes liées à des objectifs bien précis. Le rédac chef d’un des fanzines du club me confiait l’an dernier que son fixe n’était que d’environ 750 000 £/an. Pas fou, Pardew a donc fait inclure une clause fixant une compensation de 5m £ en cas de licenciement, mais cela reste largement inférieur à ce qu’Ashley aurait dû sortir dans un contrat standard à ce niveau. Même les milliardaires sont près de leurs sous : il est de notoriété publique sur Tyneside qu’Ashley fait le forcing depuis quelque temps pour pousser Pardew à la démission et s’éviter de mettre la main à la poche, qu’il a profonde.

Au passage, puisque j’évoque les fanzines NUFC, une bien triste nouvelle : leurs trois excellents zines ne sortent plus en version papier depuis le printemps dernier, malgré un tirage collectif fort respectable, qui serait d’environ 10 000 exemplaires mensuels (les deux « historiques » – The Mag et True Faith, 41 ans d’existence à eux deux – ont viré au numérique, j’expliquerai pourquoi bientôt).
Un nouveau zine NUFC papier vient toutefois de naître, The Popular Side, longue vie à lui. Tirage réduit et difficile à trouver pour l’instant, 2 numéros parus, vite épuisés (vendu par courrier, dans quelques pubs autour de Saint James’ Park et les jours de match, s’il en reste).

Oh pis alors, je veux pas avoir l’air de m’acharner hein mais les Mags viennent de sortir leur maillot third, popopopopo… Matez-moi plutôt ça :

# 6. Nonos Future

Devant le Stadium of Light avant le Sunderland-Man United du 23 août dernier.

# 7. Alex Ferguson

Fergie en 1967, tout fier d’exhiber le dernier 33 tours de Petula Clark.

Fergie en 1967, tout fier d’exhiber le dernier 33 tours de Petula Clark.

Sévère culture shock en 1976 : les Sex Pistols éjectent les Wombles de la TV

Et ci-dessus, il joue les nettoyeurs de surface avec les Wombles, mascottes de Wimbledon FC, dans le centre-ville de Manchester avant un 32è de FA Cup de janvier 1997 (perdu). Bref, un peu comme si Gerets ou Tapie étaient allés clowner avec Casimir de l’Ile aux Enfants en plein triomphe européen. Les Wombles étaient des personnages d’un dessin animé très regardé de la première moitié des Seventies, des sortes de taupes moralisatrices qui recyclaient les déchets ménagers tout en creusant leurs galeries sous le Wimbledon Common, immense parc local où évolua le Wimbledon FC à sa création et où furent organisés les essais de 250 joueurs au démarrage de l’AFC Wimbledon en juin 2002 (en D9, aujourd’hui en D4).

Léger changement de braquet un an après l’arrêt télévisuel des Wombles : exit les peluches écolos contemplatives, place aux Sex Pistols qui feront imploser la télé des teenagers anglais dès leur premier plateau TV lors d’une interview qui choqua l’Angleterre (article du Daily Mirror ci-dessus et mieux : ce clip, à partir de 3’43).

# 8. Paul Gascoigne

Pas d’album photos british sans Gazza, évidemment.

# 9. Ça c’est de l’animation d’avant match

3 mai 1976, Duncan McKenzie, attaquant de Leeds (1974-76), fait le show à Elland Road en franchissant une mini, juste avant d’être aligné pour le jubilé de Paul Reaney contre Newcastle United ! Il arrivait aussi à ce showman de lancer une balle de golf d’un but à l’autre du terrain, voir clip.

McKenzie, recruté par Brian Clough au début de son fameux passage éclair chez les Whites, était l’un des transferts les plus chers du Royaume-Uni à l’époque, 267 000 £ (le record était à 350 000). McKenzie sévit aujourd’hui sur le circuit de l’after-dinner speech où il saute par-dessus les tables des convives (je déconne, il se contente d’envoyer quelques anecdotes, pour 1 500 £/soirée).

# 10. Duel TV Brian Clough vs Don Revie

Clough et Revie, un temps surnommés les « Richard Nixon et John Kennedy du Yorkshire »

Clough et Revie, un temps surnommés les « Richard Nixon et John Kennedy du Yorkshire »

La même scène, dans le film The Damned United :

Pour clore ce panorama photos, il fallait évidemment Brian Clough, décédé il y a tout juste dix ans (le 20.09.2004 à 69 ans, cancer de l’estomac) mais loin d’être disparu. Oh que non, le bougre est plus présent que jamais : une quinzaine de livres lui ont été consacrés en Angleterre depuis sa mort (en plus des centaines d’articles de presse et Internet, des documentaires et, bien sûr, du film The Damned United). Sans parler des trois statues érigées en l’honneur de « Old Big ‘Ead » (son surnom), cas unique dans le football britannique.

Nous sommes le 12 septembre 1974 et, à la stupéfaction générale, Leeds United limoge Brian Clough, après seulement 44 jours désastreux, surtout en coulisses (en fait, 54 jours depuis la date de sa nomination). Un choc aussi grand que la consternation qui avait accompagné l’annonce de son arrivée dans ce Leeds qu’il détestait ouvertement de tout son être. Un mariage contre nature justifié par l’ambition ultime de Clough : conquérir l’Europe (ce qu’il avait raté – d’assez peu – à Derby County), et ainsi supplanter Don Revie dans la hiérarchie historique des Whites.

Jonathan Wilson, dans sa biographie sur Clough – le livre le plus exhaustif jamais publié sur le sujet – revient sur cette haine tenace qu’il vouait à Leeds United, ses joueurs et son manager. L’inimitié était intensément réciproque : Don Revie déclara un jour que Clough était vraiment la dernière personne avec qui il aimerait être naufragé sur une île déserte. Parmi les passages savoureux de la bio, celui du gala télévisé de janvier 1973 est particulièrement exquis… Pendant son court discours (vite noyé sous les huées et injures),  Clough attaqua verbalement nombre de Whites, présents dans la salle, devant 500 personnes et le leader Travailliste Harold Wilson, ancien et futur Premier Ministre !

Quelques heures après son limogeage, Yorkshire Television attire Brian Clough dans ses studios de Leeds… sans lui dire que Don Revie sera également présent. C’est un coup magistral pour cette chaîne régionale :  Clough et Revie n’avaient cessé de s’allumer par médias interposés depuis des années mais sans jamais en découdre sur un même plateau. Ce face à face (ici en clip) deviendra un monument télévisuel de l’histoire du football britannique.
Une joute a priori inégale, entre un Clough fragilisé, déchu, humilié (et alcoolisé, diront certains), et un Revie solide comme une citadelle imprenable, fraîchement nommé sélectionneur anglais et ex très successful manager de Leeds.

Don Revie et le phénoménal Billy Bremner, « 63 kilos de fil barbelé » comme le surnommait le Sunday Times (c’est lui que je voulais le plus dans mes Panini des années 70, section Joueurs étrangers. J’aurais échangé 50 Duguépéroux + 25 Triantafyllos pour l’avoir).

Don Revie n’a pas seulement ressuscité Leeds, à la manière de Shankly à Liverpool ou Matt Busby à Man United : de mars 1961 à juin 1974, il a bâti ce Leeds United qui vivotait avant lui et attirait péniblement 10 000 spectateurs à Elland Road à son arrivée. Il a fait surgir ex nihilo un grand club de football au coeur de cette ville jusque là acquise au rugby, à XIII, celui des prolos du Nord. Revie, avec son allure de Parrain new-yorkais (il ne fut pas surnommé « The Don » pour rien), a en outre fait de Leeds United une famille indivisible, un clan, une meute, conditionnée pour affronter ensemble toutes les épreuves (dont le fameux label « Dirty Leeds »).

Clough, au contraire, vient de vivre un calvaire à Leeds United. Hormis les piètres résultats (en partie imputables à une cascade de blessures et la suspension de 11 matchs de Billy Bremner, pour s’être battu avec Kevin Keegan au Charity Shield le 10.08.1974, à 25’10 dans ce clip), Cloughie s’est mis la moitié du directoire et toute l’équipe à dos. Hier invulnérable et arrogant au possible, il semble soudain avoir perdu son aura messianique et ses galons de formidable stratège, acquis de haute lutte chez les minots de Derby County de mai 1967 à octobre 1973. Ce qui pousse Austin Mitchell, le présentateur un brin provocateur, à lui lancer (à 24’07 dans le clip) : « Brian, ne vous retrouvez-vous pas aujourd’hui dans une situation très difficile, car après votre dispute avec Derby County, votre départ de Brighton dans des circonstances troubles et maintenant Leeds, quel club voudra-t-il encore vous employer ? »

En septembre 74, Revie est donc au faîte de sa gloire tandis que Clough moisit au fond du trou (même si sa forte indemnité de licenciement – 98 000 £, après impôts et prélèvements – atténue le choc, pactole obtenu par Clough et son avocat en faisant picoler le président de Leeds !). Don Revie l’intouchable vs Clough le paria. Peu après, lors d’un nouvel échange musclé, Revie, profitant de sa position infiniment supérieure à ce moment précis, lui assènera un cinglant : « Brian, on verra dans cinq ans ce que chacun d’entre nous sera devenu. »

Cinq ans plus tard, le contraste entre ces deux ennemis jurés sera en effet saisissant. Mais pas dans le sens imaginé par Don Revie. En mai 1979, Clough est champion d’Angleterre et champion d’Europe avec les sans-grades de Nottingham Forest. De fin novembre 1977 à début décembre 1978 – soit 42 matchs de championnat –, Forest a même réussi l’exploit de rester invaincu, malgré les 76 matchs disputés pendant cette période ! Avec seulement 16 joueurs utilisés. Du jamais vu en Angleterre : même les Invincibles de Preston North End n’avaient pas fait aussi fort dans les années 1888-1890. Le tout au nez et à la barbe du grand Liverpool, double champion d’Europe et champion d’Angleterre sortant, relégué à 7 unités au classement final comme un vulgaire faire-valoir (avec une victoire à deux points de surcroît) et sorti sêchement en C1 par… Forest. L’un des deux buteurs du 2-0 de l’aller est l’attaquant Garry Birtles : deux ans plus tôt, Birtles posait des moquettes avant que Clough ne l’achète 2 000 £ à un club amateur du coin, ne le persuade qu’il était un Pelé en puissance et n’en fasse l’un de ses joueurs clés. En 1980, Clough décroche une deuxième C1 au Bernabéu.

Old Big ‘Ead plane insolemment sur le toit du monde. « J’ai gagné deux C1, fanfaronne-t-il, Leeds United aucune. » Leeds, Leeds, Leeds, encore et toujours. L’obsession Whites ne l’a donc jamais quitté, même dans les moments d’extrême euphorie. Ou aurait-il fallu comprendre « Don Revie » à la place de Leeds United ?

Clough, en pleine déconne à Majorque, juste avant la finale de C1 1980 contre Hambourg (1-0). Pour préparer cette rencontre, il emmena ses joueurs une semaine au soleil, interdit quasiment les entraînements et organisa des séances picole entre joueurs. Les Hambourgeois, eux, optèrent pour une opération commando de 8 jours…

Revie, quant à lui, est enlisé dans les scandales. Début juillet 1977, brouillé avec la direction de la fédération et sentant son poste de sélectionneur anglais menacé (et disent certains, pour d’autres raisons plus inavouables), il accepte un très lucratif poste de manager des Emirats Arabes Unis en pleine campagne des éliminatoires du Mondial 1978… sans avertir immédiatement la FA de sa démission. Pire : Revie monnaie la primeur de sa défection avec le Daily Mail. L’ex grand timonier de Leeds United est accusé par beaucoup de « trahison » envers son pays.  Verdict massue de la fédé anglaise dix-huit mois plus tard : dix ans d’interdiction d’exercice du football en Angleterre (son avocat réussira cependant à faire casser cette décision par la Haute Cour de Justice).

Rebelote en septembre 1977 quand le tabloïd The Daily Mirror publie le témoignage de trois joueurs (dont Gary Sprake, l’ex légendaire gardien de Leeds, aujourd’hui le paria de la famille) et d’un manager (Bob Stokoe, alors à Bury au moment des faits) l’accusant d’avoir arrangé et voulu truquer plusieurs matchs dans les années 60 – accusations déjà portées en 1972 par un autre tabloïd –, classées sans suite par la police et la fédération anglaise. D’autres joueurs, dont Jim Barron, le Gunner Franck McLintock et le champion du monde 1966 Alan Ball, incrimineront Don Revie pour le même genre de faits (il sera aussi soupçonné d’avoir acheté, ou tenté d’acheter, des arbitres – voir article de l’Independent) mais rien ne sera jamais prouvé. Revie poursuivra le Daily Mirror en diffamation mais ne donnera pas suite, trop accaparé qu’il était par sa longue procédure contre la FA dans l’affaire des EAU (Billy Bremner, impliqué dans une affaire similaire, poursuivra un autre tabloïd, le Sunday People, et gagnera son procès). Revie ne reviendra jamais travailler au bercail et s’éteindra le 26 mai 1989 en Ecosse, à 61 ans, atteint de la maladie de Charcot.

Destins inverses qui ajoutent à la mystique développée autour de ces deux monstres sacrés, issus de la même communauté, du même quartier de Middlesbrough et produits de la même époque, l’entre-deux-guerres, celle que l’historien britannique Richard Overy appelle le The Morbid Age (pauvreté, dépression économique, habitat insalubre, chômage de masse, montée du fascisme).

« Don Revie et moi, dit Brian Clough (alias Michael Sheen) à son inséparable adjoint Peter Taylor dans le film The Damned United, avant un 32è de FA Cup Derby v Leeds* de janvier 1968, on a grandi dans le même quartier de Middlesbrough, à l’ombre d’Ayresome Park [l’ancien stade de Boro]. Don et moi, on est comme deux petits pois dans une cosse, identiques. On a sûrement mangé les mêmes bonbons, ceux fabriqués dans l’usine Garnett où bossait mon père. Don, c’est le meilleur manager du pays. On a tous deux été avant-centre de Sunderland et de l’équipe d’Angleterre. Don et moi, c’est deux petits pois dans une cosse. Deux petits pois dans une foutue cosse. »

[*Leeds v Derby en réalité mais inversé pour les besoins du film]

Kevin Quigagne.

Dans la même série : Photos insolites du foot british (1)

Invité[1] : khwezi
L’histoire de Don Revie, le quatrième membre du trio de génies formé par Matt Busby, Bill Shankly et Brian Clough. Le mec que tout le monde fait mine d’oublier. Sauf à Leeds. Et pour cause. Les grandes heures de ce club, sa notorieté même, la raison pour laquelle ils ont pu avoir des mecs comme Cantona et Strachan, c’est lui. La légende du « Dirty Leeds ».

Je m’appelle Don Revie. Sir Donald Georges Revie en fait, mais appelez-moi Don. J’ai un des plus beaux palmarès du football anglais au XXe siècle, et pourtant peu de gens en dehors de Leeds, quasiment personne en fait, ne se rappelle vraiment de moi. J’aurais dû être LA foutue légende de ce 20e siècle. Et ben non. Tout le monde se souvient de cet ignare de Shankly ou de ce salopard de Clough ou de ce bouddha en plâtre de Busby. Mais personne se souvient de moi. Fichu Karma, foutue vie injuste. Oh, si, pardon. Les gens se souviennent parfois de moi. Enfin, surtout de mon équipe. Ouais, MON équipe. Le « Dirty Leeds ». Attendez que je vous cause de moi et de mon équipe.

Dickens, arrivisme et mauvaise étoile

Je suis né à Middlesbrough. Le premier qui dit « Comme Brian Clough » je lui colle une balle dans le genou. En 1927, moi. Ma mère meurt quand j’ai 12 ans. A quelques décennies près, Dickens aurait écrit « Don Revie » au lieu de « Oliver Twist ». Mon père n’est pas très présent, et l’entraîneur de foot du quartier me fait m’entraîner avec des ballots de fringues usagées en guise de balle. Working Class Hero je vous dis.

En 1949, je suis à Leicester. Pour en arriver là, j’ai ramé. J’ai galéré pour devenir footballeur. Vraiment. J’avais la classe pourtant. La grande classe. Milieu offensif avant l’heure – à l’époque on est attaquant, ailier ou milieu. Pas les trois en même temps – on disait de moi que si l’équipe voulait bien jouer comme je l’entendais, j’avais tout d’un match winner, un golden kid. Et le premier qui dit « oh comme Brian Clough » je lui colle une prune dans le foie. j’ai été un temps le joueur le plus cher de l’histoire en cumul de transferts ! Et toi Brian Clough ? Ah ben non. Toi t’as pas joué assez longtemps.

Le problème au fond, c’est que l’équipe le voulait rarement. Et comme je suis têtu, j’ai passé pas mal de temps sur un terrain, à parler, râler, réclamer, ordonner, intimer, supplier et demander. Assez peu à tacler.
« Il savait pas tacler. Même si sa vie en avait dépendu… » dixit Jack Charlton (frère de, champion du monde 66 et défenseur central de Leeds United).

Que ce soient mes coéquipiers, mes anciens coachs ou les commentateurs de l’époque tout le monde semble d’accord sur moi : le foot, chez moi, c’était cérébral. Et le problème en tant que joueur c’est que les dix autres n’avaient pas le même cerveau que moi. En toute modestie. Pour dire : j’ai fait partie de ces rares Anglais heureux de l’historique leçon de football total reçue par la sélection contre les Hongrois de Puskas, parce que bon sang: la tactique, la tactique, la tactique ! L’intelligence dans le jeu. J’ai aimé ça. Et le premier qui dit « oh, comme Brian Clough » je lui colle une balle dans le rein.

A Leicester, en 1949 donc, j’épouse la fille du manager, et le capitaine Septimus Smith est mon mentor. Leicester atteint la finale de F.A. Cup. La gloire est devant moi. Et elle le restera : pour une hémorragie nasale qui a failli me coûter la vie – Dickens, je vous dis – j’ai loupé cette foutue finale et on a perdu. Karma est une traînée.

Stale bread, French toast

Bref, Leicester, club de nuls. Le manager ne veut pas vraiment faire de moi son dépositaire de jeu. C’est trop lent, pas assez vertical, je défends pas, je râle. Et alors ? Je le vaux bien. Je me suis barré écœuré, à Hull, en D2 pour rebondir. A Hull, ça a marché. Parfois. Moyennement. Pas si mal. Et surtout pas longtemps. Les McDowall, récent manager à City, me veut, en souvenir de mes promesses entrevues à Leicester. Le club a besoin d’argent. J’ai fini par atterrir à Manchester City. On est en 1951. J’arrive dans une équipe promue en première division, et huée dans tout le pays pour son gardien allemand, un ancien prisonnier de guerre qui combattait en face même pas dix ans avant. Cela m’a appris des choses…

Et les choses démarraient mal. Pour faire court, l’équipe avait recruté une flèche devant, un certain Broadis, jouait bas, et vite vers l’avant en défendant beaucoup. Tout ce que je ne sais pas faire. Mais comme les choses marchent mal, le boss teste plusieurs formules. Il m’a même fait jouer half back – demi défensif – alors que je veux jouer meneur, inside forward. Broadis est sélectionné en équipe nationale, et moi je finis ma première saison blessé. Karma’s a bitch.

Les choses commencent à tourner à partir de 53, et le 6-3 subi à Wembley par la sélection face au major Puskas et le football total des Hongrois. Pendant que McDowall refuse de changer le jeu de l’équipe première, la réserve, sous l’impulsion de Johnny Williamson, expérimente un jeu avec un inside forward, et enchaîne 26 matchs sans défaite. McDowall commence à réfléchir. Et décide de me tester dans ce rôle. Avec l’expérimentation du jeu en mouvement.

Là, il a bien fallu que le monde reconnaisse mon talent : j’ai été sélectionné en 1954 pour la première fois en équipe d’Angleterre, puis élu joueur de l’année par la F.A. en Juin 1955. J’ai même publié une autobiographie à ce moment là, Soccer’s Happy Wanderer. Je m’y croyais un peu, oui.

Las, deux mois plus tard, City me fichait au placard – tout ça parce que ce foutu manager trouvait qu’avec moi sur le terrain, l’équipe était moins bien organisée qu’avec les singes savants qui me servaient de coéquipiers. Tous des ânes bâtés. On m’a ressorti du placard une seule fois en fin de saison pour participer à la victoire en F.A. Cup. Et j’ai été le foutu homme du match. Ouais ma pomme. Moi.

Down the hill, to the top.

Du coup, je pars à Sunderland. Ouais ma gueule. T’es pas content ? Je vais voir ailleurs, tiens, et je suis même sélectionné en équipe nationale pour la sixième fois. Et accessoirement la dernière. Moi, un des plus brillants milieux offensifs de l’après-guerre.

En 1958, devenu obscur parmi les obscurs, je quitte Sunderland pour l’obscure et morne ville de Leeds, Yorkshire, décidé à y descendre la colline dans l’anonymat. Sauf qu’en 1961, le coach est viré, l’équipe n’a pas un rond et traîne en fond de D2. Et comme y’a pas des masses de mecs ayant un passé d’international dans une équipe fauchée de fond de D2, on me propose le poste. Entraîneur-joueur de Leeds. Ce coup-ci, l’équipe ne va plus trop avoir le choix : ils vont devoir jouer comme je le veux. Pour moi.

Mais ça marche pas. Le club continue de s’enfoncer.

En Mars 62, un an après ma prise de poste, les choses empirent et le club se retrouve quasi-relégable en 3e division. C’est alors que je dégaine une arme fatale: le chéquier du club. Bobby Collins, Ecossais, quasi-nain, milieu de terrain, chausse du 37, mais tassé comme un buffet Victorien. Avec en prime la particularité d’avoir inventé le free fight, les combats de pitbulls, voire même une douzaine de techniques d’étranglement. Et accessoirement, j’arrête de jouer. Et le premier qui dit « en même temps que Brian Clough » je lui mets une balle dans le coude.

Bobby jouera 5 saisons à Leeds. Lorsqu’il quittera l’équipe, un peu avant sa fin de carrière, Leeds sera l’équipe la plus crainte et la plus sanctionnée de toute l’Angleterre. Ouais. C’est comme ça que tout a démarré. Bobby Collins, le mangeur d’enfants.

Et pendant que Bobby favorisait la vente d’anxiolytiques chez les joueurs, j’ai ajouté par petites touches mon football, ma façon. Et surtout mes âmes damnées : Bremner et Giles. William « Billy » Bremner, mon milieu de terrain, mon métronome, mon régulateur, mon organisateur. Et Johnny Giles, mon provocateur, mon emmerdeur, mon tombeur mon truqueur, mon buteur. Mon fils rêvé et désigné comme tel : mon successeur, un jour. Ouais, ces deux là, y’a deux choses qu’ils détestent dans la vie : les voleurs de chevaux et les décisions d’arbitre.

A ce Leeds, mon Leeds, je vais inculquer quelques principes: mises au vert systématiques. Jeu de cartes et loto obligatoires; ça développe le cerveau, la réflexion et l’instinct de compétition, de contestation, de protestation, mais aussi les liens, l’amitié, l’habitude. La discipline aussi. Et la condition physique. Pour ça, j’avais mon adjudant, Les Cocker. La répétition, la tactique, la technique, c’était moi. Et Owen. Syd Owen. Owen, c’était mon assistant. Ma banque de données.

Ah oui. Un dernier point : Karma est une trainée, le hasard est son maquereau. Le hasard, c’est un truc de loser. Alors j’ai noté, consigné, espionné, discuté. Emmagasiné. Sur tous les coachs. Tous les arbitres. Les principaux joueurs. Les failles et forces de chaque équipe. Les tactiques, toutes les tactiques. Les adresses, les noms, les lieux de naissance, les histoires troubles et les fils cachés. Tout. Chaque détail. Sur mon équipe, ça c’était moi. Et surtout sur tous les autres. Et ça c’était Syd.

Et j’ai gagné. Bordel, j’ai tout gagné. Ou presque. League 2 (1964), League 1 (1969 et 1974), League Cup (1968) et FA Cup (1972), et deux Coupes d’Europe: deux Coupes des Villes de Foires (1968 et 1971). Et je te parle pas des deux Community Shield. Ouais mon gars. Cream of the crop.

The half empty glass

Mais le souci, c’est que j’ai été deuxième. Plus souvent. Finaliste malheureux. La place du con. Je la connais. Je la connais tellement bien qu’on m’en a même érigé comme symbole. Ben ouais. J’ai deux fois le palmarès de Shankly quasiment, et j’ai tout fait avant lui. Et lui, il a une statue, c’est un dieu dans son royaume, et une star dans l’inconscient collectif. Et moi ? Je suis le deuxième. Vice Champion d’Angleterre à cinq reprises (65, 66, 70, 71 et 72), perdant malheureux de pas moins de six finales, et même d’une septième alors que j’avais quitté Leeds ! Foutu Clough qui a refusé d’être sur le banc pour le Community Shield 74… J’ai raté une Coupe d’Europe, une League Cup, 3 coupes d’Angleterre et un Community Shield.

Et mon équipe râlait. Elle frappait aussi. Dans le dos, car c’est beaucoup plus efficace, et l’efficacité prime. Et les enveloppes de Syd circulaient. Vers des joueurs. Vers des arbitres. Rien n’a jamais pu être prouvé. Pas de hasard, je vous dis. Dirty Leeds. C’est comme ça qu’on nous a surnommés. Nobody ever liked us. And we never cared. Petit à petit, j’ai appris à respecter Shankly. Le mec m’a trop battu. Je l’ai trop battu. On s’est trop regardé dans les yeux. Il a lu dans les miens. Par contre, j’ai jamais appris à respecter Clough. Petit con. Ce mec m’a chié dans les bottes jusqu’à mon dernier souffle. Salopard. Tout ça parce qu’un jour je ne lui ai pas serré la main.

Faut me comprendre: alors même que je suis au top du football anglais, pendant toutes les années soixante, et même après, quand vous demandiez aux gens: « C’est qui le mec né à Middlesbrough, joueur prometteur super classe devenu international puis coach à succès, entraîneur de génie, charismatique et destiné à devenir sélectionneur ? », 99% de la planète répondait « Brian Clough ». Putain de Brian Clough. Alcoolique fourbu et fragile, irrationnel et insolent. Moi j’ai toujours porté le blazer. Et on me donne du Sir maintenant.

En 1974, je suis au top. Et vu le fiasco en sélection, la place est libre depuis le printemps. Clough est pressenti pour le poste. En tout cas il le croit. Le Pays le croit. Mais c’est moi qui aurai le poste. Je quitte Leeds en laissant des instructions pour ma succession, mon testament. Et ils m’ont chié dans les bottes. Clough, putain, Clough ! Le mec qui crachait sur mes titres en les appelant « sales ». C’est lui qu’ils ont recruté pour me succéder au lieu de Johnny, mon fils ma bataille. Tout ça pour 44 putains de jours, et un fiasco historique.

Et ouaip. L’a dû en faire une tronche Clough en l’apprenant par la radio.

Sans doute la même que celle des patrons de la fédé, trois ans plus tard, quand ils ont appris que j’avais quitté le poste. Ouais. J’ai quitté le poste. Comme ça. Depuis la défaite contre l’Italie fin 76, je le sentais venir. Le vidage. Et on vide pas Don Revie. Don Revie part, il quitte le poste. Il donne une interview pour s’expliquer au Daily Mail. Ensuite ses anciens employeurs apprennent la nouvelle. Et c’est seulement APRES, qu’ils reçoivent la lettre de dem’. Ils en ont fait un de ces foins : ils ont d’abord voulu me bannir à vie du foot anglais, puis pour dix ans. Je les ai traînés devant la haute cour de justice qui a cassé leur sanction. Foutez-la vous ou je pense. Et ouais.

La classe selon Don. A partir de là, que dire ? Je signe un nouveau contrat aux Emirats Arabes Unis (ouais, j’ai VRAIMENT été un précurseur dans beaucoup de domaines). Mais c’est la fin. Je ne dure guère. Je diminue. Et je m’éteins, en 1989. J’ai même pas vu tomber le mur. Je l’ai raté. A rien. Comme plein de choses dans ma vie, apparemment.

Et le prochain qui me parle de Brian Clough, je lui introduis cette bouteille dans le fondement.

[1] L’auteur de cet article est un de nos lecteurs[2] de la première heure, mais aussi une figure emblématique des Cahiers du Football. Il est l’une des 37 personnes dans le monde à avoir cru à un titre de Liverpool dès le début de la saison.

[2] Comment ça ? Toi aussi, fidèle lecteur, tu veux écrire pour TK ? Rien de plus simple, envoie-nous un mail à teenagekickscdf(at)gmail(dot)com, et découvre la gloire, l’argent sale et les filles faciles.

Les demi-finales de FA Cup disputées il y a 8 jours à Wembley sont l’occasion idéale de parler du plus beau parcours de toute l’histoire de la FA Cup : Sunderland, en 1973. Le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) éliminait Arsenal en demi-finale et remportait la finale face au grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park.

Si vous prenez cette série en cours, la lecture de l’intro est recommandée (et du reste aussi d’ailleurs).

Suite et fin de l’interview avec une Sunderland legend de l’époque, Cecil Irwin, latéral droit aux 351 matchs sous le maillot rouge et blanc entre 1958 et 1972 (6 saisons en D1 et 7 en D2).

Interview vintage – suite et fin

Ce qui est dingue aussi Cecil, c’est qu’à peu près la même tragédie s’était déroulée à Roker Park trente ans auparavant, le 8 mars 1933, dans un Sunderland-Derby. Pareil, replay de FA Cup, 75 118 spectateurs officiellement, au minimum 100 000 en fait, et des bousculades qui firent 2 morts et beaucoup de blessés.

Effectivement, aucune leçon ne fut retenue de toutes ces tragédies depuis Ibrox Park en 1902 jusqu’à Hillsborough. Mais tu connais le plus insensé de l’histoire sur ce match contre Man United à Roker Park ?

Non…

Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans payer ce soir-là envoyèrent de l’argent au club par la suite tellement ils avaient adoré le match ! [1 – réponse au jeu concours]

Incroyable ! Vraiment un match totalement dingue du début à la fin. Sur le terrain, vous faites 2-2 contre Man United, des regrets ?

Oui, car on menait 2-1 jusqu’à la 118è minute des prolongations où Bobby Charlton claque… Moi, je marquais George Best en alternance avec notre arrière central, je pense l’avoir bien muselé car il fut discret ce soir-là. Il était très jeune alors, même pas 18 ans, il avait l’air nerveux. D’ailleurs, on a su plus tard qu’il ne voulait pas disputer ce match.

Ah bon, pourquoi ?

Juste avant le match, en voyant cette foule déchaînée et cette ferveur incroyable, Best avait paniqué et pris peur. Il avait alors demandé à Matt Busby de ne pas l’aligner !

[propos confirmés ici par le Black Cat Nicky Sharkey qui tient l’anecdote de Nobby Stiles, le combatif milieu défensif de Man United et international anglais :

« George Best était terrifié, assis dans un coin avec une serviette sur la tête pendant une bonne heure avant le coup d’envoi. »

3-3 à Old Trafford, puis 2-2 à Roker Park lors du replay, il fallut donc un troisième match d’appui disputé 5 jours plus tard. Ça se passa mal je crois…

Effectivement, re-replay à Huddersfield devant 55 000 spectateurs, terrain pourri. Best s’était bien remis de sa grosse frayeur et nous, ben on se prend 5-1, hat-trick de Denis Law…

Hormis Brian Clough, qui étaient les grands joueurs (internationaux) de Sunderland à ton époque ?

Comme internationaux anglais, on avait Dave Watson, capé 65 fois, de 1974 à 1982. Colin Todd aussi, 27 fois capé (1972-77) et quelques autres, comme Dennis Tueart. Pas mal d’internationaux écossais, comme George Mulhall et George Herd mais surtout le grand Jim Baxter (34 capes), un personnage ce Jim ! Décédé, malheureusement. Et l’Irlandais Charlie Hurley bien sûr, une vraie vedette, 40 capes en 12 ans de sélection nationale. En 1964, il fut élu 2è meilleur joueur du championnat derrière Bobby Moore [prix Football Writers’ Player of the Year – les célèbres récompenses décernées par la PFA ne commencèrent qu’en 1974].

Ni Jim Montgomery, ni toi ni aucun Black Cats d’alors [Watson et Tueart seront capés une fois partis de SAFC] ne furent sélectionné en équipe d’Angleterre. Penses-tu que le sélectionneur d’alors, Alf Ramsey, favorisait les clubs du Sud, londoniens plus précisément ?

J’ignore s’il avait un parti pris, je crois que, tout simplement, ça les emmerdait de venir nous observer tout là haut, au nord (est) du pays ! Aucun match n’était retransmis nationalement et il fallait donc se déplacer. A moins d’être une valeur sûre ou un crack, comme Brian Clough, on avait moins de chance d’être sélectionné en jouant à Sunderland. Jim Montgomery fut pris comme suppléant de Gordon Banks, une fois je crois. Mais soyons honnête, Sunderland occupait la deuxième moitié de tableau de D1 le plus souvent. La concurrence était très féroce, les ¾ des joueurs de club étaient anglais, pas comme aujourd’hui.

Revenons à Brian Clough, 3 ans à Sunderland (1961-64, 63 buts en 74 matchs, D2). Personnalité complexe, souvent décrit comme une peste sur et en dehors du terrain (arrogant, parfois imbuvable, provocateur, etc.). Ses coéquipiers de Middlesbrough n’en pouvaient plus et avaient fait une pétition pour s’en débarrasser ! Il était comment avec vous ?

Avec nous, ça allait. Bon, il lui arrivait d’avoir la grosse tête et d’agacer à force de chambrer mais il était sympa, on s’entendait bien tous les deux. Et quel joueur alors, on lui passait le ballon et il claquait ! C’était vital pour lui de marquer, il adorait ça plus que tout.

Il avait 26 ans à son arrivée à Sunderland et on voyait qu’il pouvait devenir un grand manager s’il choisissait cette voie, il avait une grande assurance, une arrogance naturelle. Ce qu’il réussit par la suite ne m’étonna guère. Mais tu sais, Alan Brown, notre manager [de 1957 à 1964 puis 1968-72], était très strict et tenait les joueurs d’une main de fer, gare à celui qui désobéissait ! D’ailleurs, Brian a dit bien plus tard avoir été influencé par Brown dans son parcours de manager. A mon avis, il s’en inspira même largement.

T’as une p’tite anecdote sur les rapports entre Alan Brown et Brian Clough ?

Oui, et une sympa… Un jour, alors que Brian Clough venait d’arriver au club, Brown faisait une causerie au centre d’entraînement qui était ouvert au public. On l’écoutait tous religieusement en cercle et là, un type appelle Cloughie pour avoir son autographe. Brian était connu, surtout dans la région, il avait été sélectionné en équipe d’Angleterre et claqué 197 buts en 213 matchs à Middlesbrough (D2) ! Assez fièrement, Cloughie se met à trottiner pour aller signer cet autographe et là, Brown l’interpelle et d’un ton très officiel lui envoie : « Monsieur Clough, si vous signez cet autographe, vous ne jouerez pas samedi. » Brian avait rappliqué aussi sec, sans broncher ! Ce pauvre supporter était resté le bras tendu avec son stylo et son bout de papier… [rires]

C’est vrai l’histoire qui circule sur la première chose qu’Alan Brown dit à Brian Clough quand ce dernier débarqua à Sunderland ?

Ah, oui, il lui avait dit :

« Brian, tu as souvent dû entendre ce que les gens disent de moi, que je suis un beau salaud, un enfoiré, etc. Et bien c’est parfaitement exact. »

Brown était très direct, ce qui n’avait pas plu à Don Revie d’ailleurs !

[Revie porta le maillot de Sunderland de 1956 à 1958 – ailier/joueur de couloir dans le système WM (inside forward) ou avant-centre, 66 matchs/15 buts – avant de devenir peu après le mythique manager de Leeds United, 1961-74 et le nettement moins mythique sélectionneur anglais, 1974-77. Brian Clough et Don Revie se détestaient. Le 30 juillet 1974, Cloughie remplaça Revie à la tête de Leeds United… Voir plus bas The Damned United]

Quel terrible dommage que Brian Clough ait dû arrêter sa carrière si tôt…

Effectivement, je me rappelle de ce jour, Boxing Day 1962, quand le gardien adverse faucha Brian, son genou se déboîta… Les conditions météos étaient dantesques et le terrain gelé [2]. Verdict : rupture des ligaments croisés du genou (ci-dessous).

A l’époque, on ne soignait pas ça comme maintenant et ce genre de blessure ne pardonnait pas. Cloughie avait 27 ans et il ne rejoua plus [A la mi-saison 1962-63, il en était déjà à 24 buts en championnat]. Il tenta de revenir 20 mois plus tard, dont un match avec la réserve devant 10 000 personnes, rien que pour le revoir !  Il marqua un hat-trick ce jour-là puis, dans la foulée, disputa 3 matchs de D1 en septembre 1964. Mais il dut se rendre à l’évidence et raccrocha les crampons quelques semaines plus tard. Le club le nomma alors entraîneur des jeunes ; puis, en 1965, il partit manager Hartlepool en D4 et on connaît la suite [si ce n’est pas déjà fait : livre et film ci-dessous, bande-annonce]

Alan Brown était réputé pour son style autoritaire et ses soufflantes. Est-il vrai qu’il envoyait les contestataires faire ramasseur de balle dans les matchs de jeunes ?

A ma connaissance, non, il n’a jamais fait ça. Par contre, ceux qui l’ouvraient trop ou autre, il les envoyait s’entraîner avec les jeunes, et il ne les alignait qu’une fois par mois.

Pourquoi une fois par mois ?

C’était le règlement, la PFA [syndicat des joueurs] avait obtenu ce minimum pour tout joueur sanctionné. Brownie était très strict mais juste et il savait parler aux joueurs. C’était un excellent man-motivator, il te prenait un joueur moyen et, à la tchache, le motivait au point que le gars se sentait invincible. Il savait aussi te faire te sentir tout petit !

Tiens, tiens, ça me rappelle quelqu’un, un certain Brian Clough…

Exactement, Cloughie a largement pris modèle sur Alan Brown (ci-dessous) tout au long de sa formidable carrière. Il a calqué sa façon de pensée sur la personnalité de Brown, sans l’ombre d’un doute.

Alan Brown vous organisait parfois des séances d’entraînement étonnantes, c’était quoi ce fameux « shadow play » que les joueurs détestaient tant ?

Ah oui, ça c’était spécial en effet. Brown aimait expérimenter et avait souvent d’excellentes idées mais celle-là laissait à désirer ! Lors de ces séances shadow play, on jouait contre une équipe invisible… Sans adversaire, on devait faire comme s’il s’agissait d’un vrai match, pour travailler le positionnement, la tactique, le mouvement, ce genre de chose. La finalité de l’exercice était d’établir des dispositifs au moyen de phases séquentielles bien précises. Après quelques séances, on trouva ça inutile et, franchement, ça ne marchait pas en match. Mais il ne voulait rien savoir et personne n’osait trop lui dire ! On a fait ça cinq fois par semaine pendant plus d’une saison, on marquait dans des buts vides, c’était surréaliste. Puis il dut se rendre compte de l’inutilité de l’exercice car on arrêta net. C’était au tout début de son manageriat, quand on jouait encore parfois avec le WM de Chapman, toujours en vogue à la fin des Fifties.

Alan Brown quitte Sunderland au moment où vous montez en D1 en 64, pourquoi ?

Une sombre histoire d’argent… Pour notre remontée en D1, on avait reçu 1 500 £ chacun [moins 50 % de prélèvements, ndlr], une somme énorme, suffisante pour s’acheter un appartement ou une terraced house. Sauf que le club ne la versa pas à Brownie ou il reçut beaucoup moins je crois. Y’avait aussi une embrouille sur sa maison. Le club nous aidait financièrement pour acheter notre maison, lui avait une belle propriété à Cleadon [coin aisé près de Sunderland] qu’il louait mais comptait acheter. Apparemment, Brownie jugea cette aide financière trop modeste par rapport au prix de la maison. Pas mal de clubs le voulaient et il partit entraîner Sheffield Wednesday été 1964, Wednesday était alors dans le Top 6 anglais depuis la fin des Fifties.

Et puis Brown revient à Sunderland en 1968…

Et ouais ! Entre-temps, on avait eu deux managers totalement différents de Brown, un intérimaire et ensuite John McColl pendant 3 ans, un Ecossais, pas désagréable mais beaucoup trop coulant. Quelques gars commencèrent à  se relâcher. En 1966, on frisa la descente et 1967 ne fut pas glorieux non plus, dommage car on avait une bonne équipe.

Un relâchement du style à picoler la semaine et sortir ?

Quelques-uns ouais, c’était pas toute l’équipe, loin de là, mais, par exemple, certains se pointaient régulièrement en retard à l’entraînement, ou ne venaient carrément pas, impunément. Le pire, c’était l’international écossais [et Rangers legend] Jim Baxter [3], qu’est-ce qu’il descendait ! Et il aimait la bringue, les femmes, les paris, bref la totale. Un sacré joueur ce Jimmy. Il détestait les entraînements plus que tout ! Milieu de terrain, condition physique incroyable, j’ai jamais compris comment il faisait… Il n’a jamais évolué sous Brown, sinon Brownie n’aurait pas toléré un centième de ce que McColl laissait passer. Il a quitté Sunderland avant que Brown ne revienne en 1968.

Y’avait donc un salary cap quand tu as commencé en 1958, et jusqu’en janvier 1961, 20 £ maximum / semaine. Tu gagnais combien toi ? Tu touchais des primes ?

Mon tout premier contrat pro, je touchais 5 £ / semaine, pendant une bonne année, moins que notre groundsman (jardinier) ! Ensuite, à partir de 18 ans, j’ai touché le maximum autorisé pour un footballeur, 20 £ [salaire moyen anglais en 1960 : 15 £ / semaine]. On avait une prime d’1 £ par point pris, 2 £ en cas de victoire donc. Puis, à l’abolition du salary cap, c’est monté progressivement, le maximum que j’ai touché était 50 £ par semaine.

Si, en D2, tu touchais le salaire maximum autorisé, y’avait donc pas de différence salariale entre le meilleur joueur de D1 et un joueur de D2 ?

Aucune en effet ou alors faible, même si je dois dire qu’on n’était pas vraiment au courant des salaires pratiqués ailleurs, pas du tout comme aujourd’hui disons. Même en D3 ou D4, un bon joueur pouvait toucher le maximum. Ensuite, quand ce plafond salarial sauta, tout le monde touchait la même chose à Sunderland vers 1965, 50 £ hebdo, sauf les 2 ou 3 vedettes comme Charlie Hurley, qui touchaient 70 £. Avec les primes, on pouvait gagner 4 fois le salaire moyen de l’époque.

Les primes et les avantages en nature, justement, ça aidait bien non ?

Ah oui, il n’y avait pas ou peu de primes à la signature mais, après la fin du salary cap, la prime par point gagné passa à 20 £ [2 pts maximum]. On recevait des primes de montée aussi, comme je te disais. Côté avantages, le club nous aidait bien pour acheter notre maison, ce genre de chose.

Tu as joué quinze fois contre le Dirty Leeds de Don Revie, avec les Bremner, les Johnny Giles, les Norman Hunter, Jackie Charlton et j’en passe. De sacrés joueurs mais pas des poètes. Giles minimise aujourd’hui en disant que les autres [équipes] n’étaient pas des anges non plus. Ton avis ?

Peut-être, mais Leeds, c’était de loin les pires ! Ils te pourrissaient, pas verbalement, hormis quelques insultes. Non, eux, ils cassaient, c’était toujours risqué de les affronter. Leur devise semblait être : « Si tu rates le ballon, ne rate surtout pas le joueur ». Les arbitres étaient très coulants à l’époque, les matchs n’étaient pas retransmis, etc. et Leeds en profitait.

Justement, sur tes 351 matchs avec SAFC, tu n’as jamais été remplacé en cours de match ! [les remplacements ne sont cependant arrivés qu’en 1965, et seulement sur blessure les deux premières saisons]. Quelle était ta recette pour ne jamais être blessé ?

J’avais la forme effectivement, on s’entraînait tous les jours, le vendredi était très léger cependant, un peu de foncier. Je n’ai été blessé qu’une seule fois dans ma carrière, indisponible 3 mois, fracture du scaphoïde (articulation du pouce) en retombant mal lors d’un amical contre Standard de Liège. D’ailleurs, je ne peux toujours pas bouger mon pouce. A l’époque, même si t’avais mal, tu restais sur le terrain ! On a parfois dû jouer avec la moitié de l’équipe sous infiltration de cortisone ou avec des joueurs qui avaient des cotes cassées, ou même à 9 !

La mythique équipe de 73 vainqueur de la FA Cup a fait toute la saison, 52 matchs, avec 15 joueurs. Vous étiez combien vous dans les années 60 ?

Pareil, 20 maximum. On fait toute la saison 1963-64 avec 13 ou 14 joueurs au total et les autres avec entre 15 et 20, jamais plus. Y’avait 22 clubs en D1, alors avec les coupes (FA Cup et League Cup) et les replays, on dépassait les 50 matchs par saison. Et sans tous les kinés, les traitements, etc. disponibles aujourd’hui dans un club.

En 1972, Brown, qui t’avait fait démarrer, te « libère », tu pars manager Yeovil, en non-league.

Ouais, j’avais 30 ans et j’aurais évidemment aimé rester à Sunderland mais Brown aimait les jeunes joueurs, il en faisait souvent venir. Il m’avait repositionné à gauche mais je ne m’étais pas du tout adapté et avait perdu de ma confiance. J’avais des propositions intéressantes pour aller jouer à l’étranger mais avec une famille, pas facile, on ne t’aidait pas financièrement pour la relocalisation et tout ça coûtait cher. Je suis donc resté en Angleterre. Ensuite, j’ai racheté un bureau de tabac-presse près de Newcastle. J’ai fait une bonne petite carrière…

Kevin Quigagne.

Teenage Kicks sur Facebook et sur Twitter.

Et à voir ou revoir, ce formidable clip.

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[1] C’était donc la solution du jeu concours. Bravo à Torben Pfannkuch – le plus près de la réalité – qui gagne notre formidable cadeau, une chaussette dédicacée et trouée que porta Francis Jeffers lors de ses mythiques immanquables*.

[2] Le fameux hiver 1962-63 est resté gelé dans la légende, le pire hiver britannique depuis 1740. Seuls 3 clubs (tels Everton, depuis 1958) avaient une pelouse chauffée et on ne joua quasiment pas de Noël à début mars. Certains clubs, tel Norwich, étaient tellement à cran – car financièrement à sec -, qu’ils attaquèrent la pelouse au chalumeau ! En vain. La stratégie de Dundee United fut intéressante aussi : utiliser un brûleur industriel de goudron. Résultat : ils cramèrent la pelouse et durent la recouvrir de sable. Ils purent disputer quelques matchs et même les gagner. Ces succès sur sable incitèrent les supporters à adopter le surnom The Arabs (Wrexham recrouvrit également le terrain de 80 tonnes de sable et put disputer quelques matchs).

Plusieurs matchs de coupe furent reportés une quinzaine de fois, et bien plus en Ecosse (Airdrie-Stranraer, 33 fois). Rien que pour boucler le third round (32è) de FA Cup – toujours disputé le premier week-end de janvier – il fallut 66 jours ! (261 reports).

[3] Son wiki confirme les propos de Cecil… Les cendres de l’épicurien Jim Baxter furent dispersées à Ibrox Park à sa mort, en 2001.

[*finalement, je la garde pour moi sa chaussette et à la place j’enverrai 3 programmes de match du club britannique préféré de Torben, un prog. récent, un des années 90 et un trentenaire. Si Torben ne supporte aucun club british, il aura sa chaussette. Si c’est Newcastle United, il repartira avec le trou de la chaussette et un gros 0-3 cousu autour]

Les demi-finales de FA Cup disputées ce week-end à Wembley sont l’occasion idéale de parler du plus beau parcours de toute l’histoire de la FA Cup : Sunderland, en 1973. Le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) éliminait Arsenal en demi-finale et remportait la finale face au grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park.

Si vous prenez cette série en cours, la lecture de l’intro est recommandée (et du reste aussi d’ailleurs).

Troisième partie : interview avec une Sunderland legend de l’époque, Cecil Irwin, latéral droit aux 351 matchs sous le maillot rouge et blanc entre 1958 et 1972. Cecil fit ses débuts le même jour que les défenseurs Len Ashurst et Jimmy Mc Nab, tous lancés dans le grand bain par Alan Brown, le légendaire manager Black Cat (1957-64 et 1968-72). Ce fut l’ossature de l’équipe bâtie par Brown dans les années soixante qui remporta la FA Cup 1973.

Avec les légendaires Jim Montgomery (gardien) et Charlie Hurley, le quintet formera le socle de l’infatigable défense Black Cat durant les Sixties (D2 et D1) : 2 152 matchs à eux cinq !

Et pour la première fois dans Teenage Kicks, un jeu-concours avec un joli cadeau- souvenir à la clé vous est proposé. Nul besoin de s’y connaître en foot british, un peu d’imagination suffit… Détails en bas de page.

Interview vintage

Cecil, tu es le deuxième plus jeune joueur à avoir porté le maillot de Sunderland (16 ans et 5 mois). Vous étiez en quelle division quand tu as débuté en 1958 ?

On venait de descendre en D2, la première relégation du club depuis sa création en 1879 [1] ! La saison précédente, Sunderland avait encaissé 97 buts faut dire… La descente s’était jouée au goal-average entre nous, Portsmouth et Newcastle, – 43 pour SAFC…. C’était la fin d’un cycle pour Sunderland, la fin de la fameuse « Bank of England side* » du début des Fifties, l’équipe était vieillissante [*Sunderland était considéré comme fortuné car financé par des industriels des chantiers navals]. J’étais très jeune, je n’avais joué qu’un seul match cette saison-là, en septembre 58, contre l’Ipswich d’Alf Ramsey. On avait perdu 2-0 chez nous, devant 27 000 spectateurs.

Alf Ramsey et son 4-3-3, puis son glissement vers le 4-2-4 et ensuite le 4-4-2 [2] qui donnerait la Coupe du monde à l’Angleterre huit ans plus tard (les fameux Wingless Wonders, les Merveilles sans ailes). Ça avait dû te faire drôle de n’avoir aucun vrai ailier à marquer*, non ?

Ah ça oui, notre jeune défense fut déboussolée face à Ipswich Town, et encore plus les latéraux ! Beaucoup d’équipes jouaient encore avec le vieux WM d’Herbert Chapman, puis, au cours des Sixties, en 4-2-4 et 4-4-2 un peu plus tard. La fin des Fifties et début des Sixties furent une période de transition et d’expérimentation tactiques, les défenses étaient trop poreuses et il fallait trouver de nouveaux systèmes. Ce jour-là, quand j’ai disputé mon premier match contre Ipswich, personne ne pouvait se douter que Ramsey [3] deviendrait ensuite sélectionneur anglais [1963-74] et encore moins qu’il remporterait la Coupe du monde 1966. Ma première saison pleine fut 1961-62, toujours en D2.

[*ce point est examiné page 145 de l’indispensable Inverting the pyramid de Jonathan Wilson ; un must-read depuis que, pour paraphraser le magazine When Saturday Comes, savoir parler tactique est devenu bien plus vital qu’assurer au lit – surtout à nos âges serais-je tenté d’ajouter… mais revenons au terrain]

Et Newcastle United, ça donnait quoi à cette époque ?

Après le départ de Jackie Milburn [200 buts Magpies], ils végétèrent en bas de tableau de D1, pour finalement descendre en D2 en 1961. Ils remontèrent en D1 en 1965, un an après nous.

Cecil Irwin, 4è en partant de la gauche (photo: remontée en D1, 18.04.64 v Charlton, 51 000 spectateurs)

Te souviens-tu de ton premier derby contre Newcastle, décembre 1961 à Saint James’ Park, devant 54 000 spectateurs ?

Un peu, pas plus que ça en fait…

[Je montre à Cecil quelques documents d’archives et le match lui revient en mémoire]

Ah oui, on fait 2-2 à SJP, doublé de Brian Clough pour nous. Y’avait bien sûr une rivalité entre les deux clubs mais rien de comparable à maintenant, à cette haine souvent irrationnelle. Y’avait ni animosité entre joueurs ni violence à l’extérieur. Pour te dire, les supporters des 2 clubs étaient mélangés dans les tribunes, inimaginable aujourd’hui.

A l’époque, c’était presque un match comme les autres, le manager ne nous disait rien de spécial. De toute manière, il n’avait pas besoin de nous motiver, on l’était assez comme ça. C’est dans la rue qu’on ressentait plus la rivalité, les gens nous arrêtaient en agitant le poing et nous disaient : « Vous les battez hein !« . Je me souviens mieux du match phase retour à Roker Park, on leur met 3-0 devant 58 000 spectateurs ! [décidément, ce 3-0 revient souvent, ndlr]

Je reviendrai sur ce personnage fascinant qu’était Brian Clough si tu le veux bien. Vous faisiez combien en moyenne les saisons de D2 ?

Environ 35 000 mais ça fluctuait beaucoup. Contre les petits clubs on faisait 15 ou 20 000 et jusqu’à 60 000 contre Newcastle ou Middlesbrough, aussi en D2.

Tu avais connu Roker Park étant jeune ?

Oh oui ! C’était mon club, je vivais à 40 kilomètres de Sunderland et le club organisait un ramassage de supporters en bus. J’ai pas raté beaucoup de matchs dans les années 50 quand Sunderland tournait bien en D1, y’avait le grand Len Shackleton, entre autres.

Peux-tu nous parler de l’ambiance de Roker Park en tant que joueur ?

C’était très spécial, rien que le Roker End [le Kop] pouvait accueillir plus de 20 000 personnes et le public te portait d’une manière phénoménale, c’était un véritable chaudron parfois. Le Fulwell [couvert, à l’opposé du Roker End, ici] était chaud aussi. Ça ne chantait pas énormément mais c’était très vocal, ça vociférait, des encouragements, des cris, les gens agitaient beaucoup d’écharpes, quelques drapeaux et banderoles au début des Seventies. Le merchandising commençait et ça devenait plus coloré même si personne ne portait le maillot du club [phénomène apparu au milieu des Seventies mais qui ne se développa qu’à partir des Nineties, voir dossier TK ici et ici].

D’ailleurs dans le Roker End, y’avait souvent des fanatiques qui grimpaient sur les pylônes d’éclairage aussi, non ?

Ouais [rires], c’était fou, effectivement pas mal de gens escaladaient les pylônes ou restaient massés au pied de ces immenses pylônes, les plus hauts d’Europe paraît-il, on les avait eus dès 1952, on était le deuxième club anglais à en bénéficier. Quand le stade était plein, y’avait des gens partout, parfois même à 1 mètre de la ligne de touche, c’etait pas franchement autorisé mais la billetterie étant le seul revenu du club, ceux-ci avaient parfois tendance à charger la mule.

Tu as joué dans des dizaines de stades anglais, quelles étaient les plus belles ambiances ?

Anfield et Old Trafford à mon avis. Après, t’avais Stamford Bridge, Saint James’ Park… Tous ces stades avaient quelque chose de spécial. Mais rien ne valait Roker Park !

Ça va de soi. Quel est ton plus beau souvenir de Roker Park ?

Le quart de finale FA Cup contre Man United en mars 1964 devant 62 000 spectateurs, un match incroyable, c’était un replay, on avait fait 3-3 à Old Trafford après avoir mené 3-1… Donc, replay chez nous à Roker Park. Je n’ai jamais vu la ville de Sunderland dans cet état, c’était de la pure folie. A l’époque, les gens prenaient leur billet le jour du match bien souvent et ça se passait bien, mais là l’engouement fut incroyable, le club avait mal calculé son coup.

Les reporters des journaux locaux estimèrent qu’il y avait 130 ou 140 000 personnes dans et autour du stade ce soir-là, dans les étroites rues avoisinantes. D’ailleurs, il y a quelques années, Bobby Charlton déclara lors d’une interview que l’ambiance de ce Sunderland-Man United fut la plus démente de toute sa carrière, dans et en dehors du stade ! Et, plus tard, Nobby Stiles [milieu défensif de Man United et international anglais] nous raconta des trucs assez dingues sur George Best ce soir-là…

Ah oui, je crois savoir mais nous en parlerons plus tard. Sunderland-United est ce match incroyable avec 60 000 personnes restées dehors et cette tragédie où deux supporters moururent écrasés.

Horrible en effet, les gens devinrent fou, y’avait ni sécurité ni rien, le club avait été pris de court tout simplement car personne n’imaginait que nous, club de D2, ferions 3-3 à Old Trafford contre le grand Manchester United 4 jours avant, même si c’était les débuts du grand Man United de l’ère Matt Busby [deuxième mouture], ils étaient incroyablement populaires, où qu’ils aillent.

Les médias avaient demandé au club pourquoi il n’avait pas vendu les billets bien avant le match et le président s’était contenté de dire : « On n’a pas eu le temps de les imprimer, pour cause de week-end entre le match à Old Trafford et le replay, et les gens ne bossent pas le week-end ».

Oui, le club fut totalement dépassé et l’organisation avec.

Charly Hurley et Denis Law

Les deux capitaines, Charlie Hurley et Denis Law

Officiellement, 47 000 spectateurs mais jusqu’à 80 000 en fait et 60 000 personnes refusées, dehors à essayer de pénétrer coûte que coûte dans le stade…

Oui, facilement… Le Sunderland Echo et le Northern Chronicle estimèrent qu’il y avait au moins 80 000 personnes ce soir-là dans Roker Park, avec comme tu dis, 60 000 refoulées dont une bonne moitié restées dehors pour voir si elles pouvaient rentrer d’une manière ou d’une autre. Les bouchons pour atteindre Roker Park faisaient des kilomètres, il s’écrivit même qu’une file allait presque jusqu’à Newcastle ! Le lendemain, on sut que deux personnes étaient mortes asphyxiées ou piétinées dans les bousculades, l’une d’une crise cardiaque je crois, avec des dizaines de blessés. Beaucoup de gens se blessèrent en escaladant les grilles et murs, chutes, coupures, etc. Certains murs avaient des tessons de bouteilles pour empêcher la resquille. Des grilles de sortie fut forcées et des dizaines de milliers de personnes s’engouffrèrent dans Roker Park. Et malheureusement, au niveau du Roker End, ce fut le carnage.

Vous les joueurs, vous saviez ce qui se passait à l’extérieur ?

Non, absolument pas. On savait qu’il y avait un monde fou car avant le match (à 20 heures), on avait pris notre collation au Roker Hotel sur le bord de mer, pas très diététique d’ailleurs, et…

Vous aviez mangé quoi, un bon vieux fish and chips ?

Non, un gros steak, du pain de mie grillé et on avait bu du thé… C’était censé nous donner de l’énergie. Vers 18 h, on s’était rendu au stade à pied, à 500 mètres de là. Mais impossible d’atteindre le stade tellement la foule était nombreuse et dense ! Il avait fallu que la police nous fraye un chemin pour accéder à l’entrée des joueurs, les gens nous agrippaient, nous retenaient, insensé, je n’avais jamais vu ça. Idem pour les joueurs de Man United, les gens étaient devenus comme dingues.

Ce qui est dingue aussi, c’est qu’à peu près la même chose s’était passée à Roker Park trente ans avant, le 8 mars 1933, lors d’un Sunderland-Derby. Pareil, replay de FA Cup, 75 118 spectateurs officiellement, au minimum 100 000 en fait, et des bousculades qui firent 2 morts et beaucoup de blessés.

Et ouais, aucune leçon ne fut retenue de toutes ces tragédies depuis Ibrox Park en 1902 jusqu’à Hillsborough. Mais tu connais le plus insensé de l’histoire sur ce match contre Man United ?

Non…

Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans…

A suivre.

Kevin Quigagne.

Jeu concours

Dear readers,

Le temps est venu de récompenser votre fidélité et bravitude. Vous vous tapez mes pavés depuis fort longtemps avec une bienveillance et résilience admirables et cela mérite eine groß gratification.

Par conséquent, celui ou celle d’entre vous qui complétera la phrase ci-dessus (Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans…) au plus près de la réalité recevra un joli cadeau-surprise qui a nécessité un raid dans le compte suisse des Cahiers. Autant vous dire que c’est du lourd donc.

Alors faites chauffer vos neurones et tentez votre chance ci-dessous dans les commentaires. N’hésitez pas, sur un malentendu ça peut le faire. Un gros indice : ce qui se passa avec ces gens entrés sans… est assez insolite.

Vous avez 5 jours.

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[1] Sunderland fut créé en 1879, et intégra la Football League en 1890, deux ans après sa création. Le club évolua en D1 de 1890 à 1958.

[2] L’Angleterre du manager Alf Ramsey devint championne du monde grâce à un système innovateur développé par le Russe Viktor Maslov : le 4-4-2. Un dispositif qui donnait la part belle à l’assise défensive, au pressing et aux milieux polyvalents, au détriment des ailiers, trop souvent jugés inaptes aux taches défensives. Tout le contraire du jeu long favorisé par tant d’équipes britanniques (façon kick and rush) où l’entrejeu était zappé et les ailiers érigés au rang de demi-dieux (même si Ramsey aimer recourir au principe du « jeu direct » – le moins de passes possibles – si prisé des clubs à l’époque, sauf Tottenham. Sans trop entrer dans les détails, Ramsey aimait alterner passes courtes et longues, mais il changea souvent, 4-3-3, puis 4-2-4 et 4-4-2 & ses variantes, de manière non linéaire chronologiquement).

[3] Ramsay était alors un jeune manager qui avait repris Ipswich en D3 en 1955. Sept ans plus tard, il leur fit remporter le titre de D1 (1962) devant Burnley et surtout le grand Tottenham de Bill Nicholson (manager) et l’immense Jimmy Greaves, qui coûtait à lui seul 3 fois plus que tout l’effectif d’Ipswich (acheté au Milan AC pour la somme astronomique de 99 999 £… raisons expliquées ici). Une telle prouesse (de D3 au titre D1 en quelques saisons, sans moyens) fut facilitée par l’absence totale de couverture télévisée et la rareté de l’observation de matchs (Ipswich joua sur l’effet de surprise – qui cessa une fois les adversaires habitués aux dispositifs mis en place par Ramsey. Ipswich, sans Ramsey, redescendit en D2 en 1964, deux ans après le titre national).