Aujourd’hui, suite de l’historique du maillot anglais commencé vendredi en page d’accueil des Cahiers.

Le consensus est unanime : le pire maillot de football jamais créé est le Rodeo Fringe. Instantanément identifiable à ses immondes lanières en cuir, il fut porté par les éphémères Colorado Caribous en 1978 (club de NASL formé et déformé cette même saison). In-dé-trô-na-ble.

Néanmoins, ne nous gaussons pas trop. Des horreurs, le football anglais en produisit aussi des wagons, surtout dans les années 90, la décennie de tous les massacres. Au cours de cette longue série qui promet d’être fertile, nous présenterons et analyserons des dizaines de spécimens tous plus affligeants les uns que les autres. Mais avant de plonger dans le Hall of Shame du maillot anglais, un peu de culture. Aujourd’hui, deuxième partie de l’historique du maillot anglais : des années 30 au milieu des Seventies (pour le premier volet, c’est ici).

 

Les Thirties, numérotation et tactique

Le 29 avril 1933, lors de la finale de FA Cup entre Everton et Manchester City, les numéros réapparaissent pour la première fois depuis 1928. Les Toffees sont numérotés de 1 (gardien) à 11 (ailier gauche), les Citizens de 12 (latéral gauche) à 22 (gardien).

L’idée fait son chemin mais, intraitable, le comité exécutif de la Football League rejettera catégoriquement la numérotation pendant six ans, principalement pour des raisons économiques (plusieurs clubs se plaignant du surcoût qu’entraînerait cet ajout). L’esthétisme est également motif d’inquiétude, certains dirigeants pensant que le numéro dénaturerait la pureté du maillot…

Toutefois, les considérations tactiques devenant en vogue (le fameux WM du grand Herbert Chapman) et la télévision commençant timidement à retransmettre du football (1937), les numéros seront finalement autorisés le 5 juin 1939. On garde alors le strict système de numérotation 1 à 11 expérimenté en 1928, selon le poste (ici).

Cette rigidité donnera parfois lieu à une confusion dans le football anglais lors de certains matchs internationaux… et servira un peu de prétexte à la célèbre déroute anglaise de novembre 1953 (3-6) à Wembley contre le Onze d’or hongrois (l’une des plus improbables excuses jamais trouvées ?). Les Anglais pensent alors machinalement que le 11 est forcément un ailier gauche et le 9 un avant-centre. Quand on demande à l’arrière central Harry Johnson de marquer le numéro 9 (Hidegkuti), que Johnson prend naturellement pour un attaquant pur et dur, ce bon Harry y perd ses repères et automatismes. Et pour cause, le Magyar opère au milieu ou en neuf et demi…

Dans les années 30, plusieurs autres innovations mineures se font jour. Le fameux col rond ras-du-cou avec lacet tend à disparaître, pour laisser place à un col avec une petite fermeture éclair.

En 1933, le manager d’Arsenal Herbert Chapman (encore lui) crée un nouveau style de tenue. Outre l’introduction du blanc et rouge sur la tunique des Gunners, il fait contraster les manches avec le reste, rend la chaussette attrayante (bandes fines) et élargit le col. Si ce design n’est pas révolutionnaire en soi, l’effet marquant de l’ensemble (classieux) frappe les esprits et constitue un jalon notable dans l’évolution dans la tenue (voir photos des maillots domicile Arsenal depuis 1895 – ci-dessous le maillot avec écusson « art déco » porté lors des finales FA Cup 1932 et 1936).

 

Le 3 septembre 1939, l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne et tous les championnats anglais sont suspendus. Pas de chance pour Blackpool, les Seasiders sont premiers de la D1… Il y aura bien du football pendant la guerre (une forme de résistance morale encouragée par le gouvernement Churchill et les instances) mais les divisions seront chamboulées et le ballon rond tournera au ralenti. La Football League reprendra ses droits en août 1946 (voir le wiki Wartime League).

 

De l’après-guerre à 1953

Au sortir de la guerre, la seule touche d’exotisme sur le maillot est le numéro, rendu obligatoire par la Football League en 1939. Certes, plusieurs clubs affichent l’écusson du club depuis longtemps (de manière intermittente) mais jusqu’au milieu des années cinquante, les maillots feront dans le conservatisme forcené, ni de glorification du badge, ni de logo designer et encore moins de sponsor.

Au moment où la Football League reprend (août 1946) après sept ans d’absence, la société anglaise tourne au rationnement draconien, y compris pour le tissu. Les clubs sont alors obligés d’obtenir des coupons pour acheter de nouveaux maillots et certaines équipes doivent parfois évoluer dans des couleurs qui leur sont totalement étrangères.

Jusqu’à la fin des années 50, on enregistrera des affluences records dans le football anglais : 41 millions de spectateurs pour les quatre divisions de la Football League saison 1948-49 ! (elles déclineront ensuite, pour toucher le fond en 1985-86, le nadir du football anglais, 16 millions ; pour comparaison, malgré des prix billets multipliés par onze depuis 25 ans, elles étaient de presque 30 millions saison 2010-2011 – Premier League et Football League confondues).

Tout comme soixante ans auparavant, l’absence d’éclairage et l’éloignement des spectateurs de l’action incitent encore plus les fabricants à faire ressortir exagérément les couleurs et les rayures ou bandes (très larges), d’où des tenues simples et aux couleurs vives. Le matériau utilisé (coton) rend également l’impression difficile. Des évolutions technologiques et sociétales majeures vont venir bouleverser la donne. Le pays s’ouvre au monde extérieur (première participation à la Coupe du Monde en 1950) et ce sont les Hongrois qui vont aider l’Angleterre du football à franchir un cap.

 

Evolutions majeures à partir de 1953

Le matériel d’abord. Pour la première fois, en 1953 (lors de la mythique finale de FA Cup Blackpool-Bolton), une équipe (Bolton) porte un maillot fabriqué avec un tissu artificiel. Le maillot est brillant et tranche avec le coton utilisé jusqu’alors. Plusieurs clubs l’adoptent aussitôt.

Le style va aussi subir un sacré lifting. Quand les Magyars Magiques débarquent à Wembley en novembre 1953, ils portent une tenue profilée : maillots serrés, légers et short court. Au contraire des anglais dont les tenues sont larges, lourdes et mal coupées (sans parler de leurs shorts parachutes !). Le score est sans appel, niveau esthétique comme sur le terrain, ces Hongrois ont la classe.

Umbro, devenu le designer majeur de l’époque, en prend de la graine. En novembre 1954, influence européenne aidant, l’équipementier mancunien sort le premier maillot de type « continental » lors d’un England-Wales, avec col en V et manches courtes (ainsi qu’un short court et serré), voir ici. En 1955, sous l’impulsion du visionnaire Matt Busby, Manchester United adopte le même style (logique, Umbro compte désormais Man United dans son écurie, voir ici). Le maillot est plus léger et moderne, le short considérablement raccourci et exit les grosses chaussettes en laine.

Autre innovation (ou réinvention) de ce début des années 50 : l’écusson du club réapparaît en force sur le maillot (notamment en 1955 à Liverpool, alors en D2). Ce crest figurait déjà sur les maillots de quelques clubs au tout début du professionnalisme et plus tard au fil des décennies (citons Leeds, Preston et Tottenham). Toutefois, la renaissance du blason est froidement accueillie. Wolves et Manchester United par exemple, clubs dominants de l’époque fin années 50, ne copieront les Reds qu’en 1970 et 1972 respectivement (Chelsea en 1960, Arsenal 1967, Everton 1972).

Si une tendance moderne se dessine donc, elle sera toutefois longue à prendre son envol, les fabricants restant campés sur leurs traditions pendant une vingtaine d’années. Il est toujours bien sûr alors impossible d’acheter le maillot de son équipe favorite (il faudra attendre 1973 pour cela). Seuls quelques obscurs mordus s’intéressent à ce chiffon, jusqu’à se concocter eux-mêmes la tenue du club ! Il faut dire que la technologie est encore loin de permettre la fabrication de masse du maillot (ainsi que l’impression de qualité), et ce sont ces innovations qui mettront à mal les conservatismes à la fin des Eighties.

L’éclairage, qui apparaît en 1953, aura aussi une influence immédiate sur le design des maillots, qui se feront plus discrets – temporairement (jusqu’au déferlement criard du début des Nineties).

 

Les Swinging Sixties

Au début des années 60 un frémissement d’intérêt pour le maillot se fait sentir. Ce début d’engouement reflète l’appétit grandissant de la société et des médias pour le football.

Oubliés les sacrifices et rationnements de l’après-guerre, place à la société de consommation et à la musique pop. Le salaire minimum est aboli pour les footballeurs (en 1961, voir article TK). Les magazines foot se multiplient avec, élément important, une profusion de photos en couleur et une forte ouverture vers l’international (plus avancé dans le domaine du maillot).

Les grands joueurs de l’époque deviennent des vedettes et squattent les revues people (citons Johnny Haynes, George Best, Bobby Moore). Match of the Day, l’émission fétiche de la BBC, naît en 1964. Le football devient visible, glamour et colorisé (télévision, 1969). La starisation s’installe, bien aidée en cela par le triomphe anglais à la Coupe du monde 1966.

La modernisation de la tenue, amorcée par Umbro en 1954, continue de plus belle. Les designs simples et épurés sont privilégiés par les clubs. Le short est assorti au maillot et on note un retour du style crew neck, ras-le-cou et rond (et sans lacet cette fois !). C’est Liverpool et Coventry qui sont à l’origine de ce renouveau design au début de la décennie.

Les années 70, tiraillements entre tradition et modernisme

Au début des Seventies, certains designers s’intéressent de près au matériel, et les évolutions dans ce domaine permettent d’améliorer la qualité d’impression et de détail sur les maillots.

Saison 1973-1974, le vénérable designer anglais Admiral révolutionne le secteur avec un joli doublé : apparition de son logo sur le maillot (et short) de Leeds et surtout fabrication de masse des maillots (replica shirts). Dans la foulée, Admiral conclut un marché avec la FA pour 15 000 £ l’an. L’emblème du designer trône désormais fièrement sur le maillot anglais (arrangement facilité par le passage du manager Don Revie de Leeds à l’équipe d’Angleterre).

Cependant, le grand public adulte, attaché à la tradition, n’est pas mûr pour ce merchandising forcené et coûteux. Il fait de la résistance et seuls les enfants consomment du maillot (les supporters préférant en général les écharpes et objets – fanions, porte-clés, etc.). De fait, il faudra attendre une bonne quinzaine d’années avant de voir le maillot se porter en masse (le Mondial 1990 et la création de la Premier League en 1992 servant de catalyseurs).

C’est aussi à partir du début des années 70 que nombre de clubs introduisent le Third, pratique qui se généralisera à toute la Football League sur les quinze années suivantes et se développera en flèche après le Mondial italien de 1990 (il faut cependant relever que l’utilisation – exceptionnelle, dictée par les circonstances – d’un troisième maillot remonte aux années 50). La fin des Seventies sera annonciatrice d’une mini révolution.

A suivre…

Kevin Quigagne.

2 commentaires

  1. magnus dit :

    Salut!

    Ce n’est pas le coeur de l’article, mais concernant le match Angleterre-Hongrie, j’ai souvent lu que Hidegkuti avait permis de brouiller les cartes, positionné à l’origine comme 9 dans le WM il recula pour se retrouver derrière Puskas et Kocsis, un WW quoi. Je peux me tromper car j’ai lu ça y a très longtemps, désolé!

  2. Kevin Quigagne dit :

    Tu te rappelles bien, je l’écris d’ailleurs dans l’article (« Et pour cause, le Magyar opère au milieu ou en neuf et demi… »).

    Ce pauvre Harry (l’arrière central anglais) mit longtemps à comprendre. Enfin, c’est la légende qui dit ça (que les Anglais se firent bouffer à cause de cette numérotation), la vérité est sûrement tout autre.

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