Posts tagged ‘Don Revie’

Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le  chemin parcouru ces dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

La lecture de l’introduction de ce dossier est vivement recommandée.

Nous continuons notre exploration chronologique de l’histoire du football noir britannique (liens des volets précédents en bas d’article) avec le formidable trio sud-africain composé de Steve Mokone (# 13), Gerry Francis (# 14) et Albert Johanneson.

Aujourd’hui : fin du volet sur Albert Johanneson.

1965, année charnière

C’est autour de 1965-66 que les choses commencent à se gâter pour Johanneson. Derrière la belle façade triomphale – montée en D1 en 1964 (il est meilleur buteur du club) et vice-champion d’Angleterre en 1965 – d’inquiétantes fissures psychologiques fragilisent son mental et lézardent son être.


Leeds United, 1964-65. Debout, de gauche à droite : Billy Bremner, Paul Madeley, Willie Bell, Gary Sprake, Paul Reaney, Norman Hunter, Jimmy Greenhoff, Don Weston. Assis : Jim Storrie, Johnny Giles, Terry Cooper, Bobby Collins, Alan Peacock, Jack Charlton, Albert Johanneson, Rod Johnson.

La finale de FA Cup 1965 contre Liverpool marquera un tournant pour le Sud-Africain, un pivotal point ambivalent, car si cette finale lui confère l’immense honneur d’être le premier Noir à la disputer, elle amorce aussi le début de son déclin et de ses rapports conflictuels avec Don Revie. Excédé par le racisme qu’il subit en silence depuis des années et le battage médiatique fait autour de ses origines avant la rencontre (une effervescence qu’il perçoit comme mâtinée de curiosité malsaine et d’ignorance), Johanneson refuse de jouer cette finale, à une heure du coup d’envoi. Comme il l’écrit dans sa biographie (voir première partie), il tient à « protester et prendre position contre le traitement qu’il m’est réservé. »

Don Revie, dont l’empathie n’était guère le point fort, menace de se séparer de lui. Dans les vestiaires, Johanneson est soudain pris d’une crise d’anxiété ; il vomit et une diarrhée passagère le cloue aux toilettes. Finalement il cède et accepte de jouer. Dans le tunnel, écrit-il, « des joueurs de Liverpool lui disent des choses horribles. D’ordinaire, je n’y aurais pas prêté attention mais ce jour-là, leurs insultes firent mouche. » Le Sudaf passera totalement à côté de son match, perdu 2-1 par Leeds, probablement davantage miné par le doute et une confiance en berne que tétanisé par le trac ou handicapé par le terrain lourd (les explications officielles fournies).


La finale FA Cup 1965 Liverpool-Leeds (2-1) : la première FA Cup des Reds et un tournant pour Albert Johanneson.

Mais peut-être les évènements de cette finale étaient-ils un mélange de tous ces sentiments, un condensé d’émotions tirées de son passé et exacerbées par le présent qui resurgit ce jour-là, devant les 100 000 spectateurs de Wembley. Un moment historique excessivement lourd à vivre pour un homme quasi esclavagisé et invisible quelques années auparavant et qui, soudain, se retrouva propulsé au devant d’une scène trop exaltée et lumineuse pour lui.

Trois semaines plus tard, Leeds sera coiffé sur le poteau par Manchester United dans la course au titre, au goal-average…

Une vie en déliquescence

Ses dernières années à Elland Road sont chaotiques. En froid avec Revie qui ne lui accorde plus sa confiance, il ne dispute qu’une huitaine de matchs par saison en moyenne, la faute aussi à quelques blessures delicates, au talon d’achille notamment, à la concurrence (Mike O’Grady puis Eddie Gray) et à la rudesse du football anglais que son style félin encaisse de moins en moins bien. Leeds est devenue l’équipe à (a)battre et leurs adversaires savent rendre aux Whites, étiquetés « Dirty Leeds », la monnaie de leur pièce.

Fragilisé, Johanneson déprime et se met à boire. Son successeur est tout trouvé, c’est un jeune tueur de 18 ans déjà au club, l’Ecossais Eddie Gray, un ailier pur qui poussera Albert vers la sortie. L’Eclair Noir ne sera pas des glorieuses campagnes européennes en Coupe des villes de foires 1967 (finaliste) et 1968 (vainqueur), ni de la saison 1968-69 qui accouchera du titre national, le premier du club. Eddie Gray, si. Albert ne s’est cependant pas fait voler sa place par le premier venu : Gray restera 19 saisons au club (577 matchs, 68 buts) et sera élu troisième Leeds United’s Greatest Player Ever en 2006. Ce splendide but à la Messi contre Burnley en 1970 où il élimine cinq joueurs avant de marquer est encore dans toutes les mémoires Whites (fait rare, Johanneson jouait, on le voit longuement au sol dans la surface, visiblement blessé, observant Gray slalomer victorieusement dans la défense des Clarets. Comme un symbole… Le premier but de Gray n’est pas mal non plus).

Hors des terrains, la vie de Johanneson part en lambeaux. Son mariage se délite et la bouteille remplace progressivement son épouse. Malgré ses relations exécrables avec Revie, Johanneson fait le forcing pour rester à Leeds, quitte à s’humilier. Quand Revie le convoque pour lui annoncer brutalement son départ (« Je ne veux plus de toi Albert. Bury FC [D3] veut te recruter et j’ai accepté leur offre. »), le Sudaf s’agenouille et le supplie de le garder. Pour toute réponse, Revie lui gueule : « Sors de mon bureau Albert, tu es une putain de honte. »

Finalement, ça ne sera pas Bury mais York City (D4) qui le fait signer en juin 1970. L’alcool l’a empaté et il a définitivement perdu son coup de rein magique. A Bootham Crescent, l’antre des Minstermen, les injures racistes continuent de plus belle, amplifiées par l’aspect champêtre du stade. « A York, on entendait tout, confia-t-il à Paul Harrison, contrairement aux stades de D1 où les chants couvraient les insultes. Un jour, un spectateur m’a appelé “espèce de gros nègre”. Je dois dire que le “gros » m’a autant vexé que le reste ! » ajouta-t-il avec un de ces rires qui fait mal.

Johanneson raccroche les crampons en 1972, à 32 ans, après une année blanche pour cause de blessures à répétition. En 1974, sa femme le quitte définitivement pour vivre aux Etats-Unis en emmenant les deux filles du couple. Cette rupture le précipite dans la dépression ; il sombre dans un alcoolisme chronique et devient un gros consommateur de marijuana. Dans l’impossibilité de voir ses enfants et malgré l’aide de quelques ex coéquipiers via l’association des anciens joueurs de Leeds, il s’isole.

De héros admiré par Pelé à pestiféré tabassé par la police

Au début des années 80, Johanneson rencontre Paul Harrison, un journaliste supporter de Leeds. Peu à peu, il se livre à lui dans une série d’interviews cash et poignantes qui deviendront la biographie The Black Flash, sortie en 2012 (voir première partie) et dont voici quelques extraits, des morceaux choisis tirés des pages 32 & 33. Nous sommes en 1982 quand il relate ces faits :

« Je ne compte pas pour les gens, personne ne voudra lire ton livre Paul. Les gens me voient comme différent, je suis noir et ils me montrent du doigt en criant des horreurs. Parfois ils me félicitent. […] Pour la majorité, je suis un emmerdeur, un Noir qui agace, un bon à rien qui devrait être en prison.

La police me prend pour cible également, me considère comme un mendiant, pas comme un être humain. Parfois, ils me courent après pour s’amuser et se moquent de moi car je suis devenu lent ; ils me mettent des coups d’épaule et se foutent de moi, me disent que je cours aussi vite qu’un escargot. Les flics me harcèlent, se comportent avec moi comme d’horribles racistes et me traitent comme un délinquant. Si je me promène dans le centre-ville de Leeds et discute avec des personnes qui me reconnaissent, ils me disent de dégager et d’arrêter d’embêter les gens. […]

La police me frappe aussi, comme y’a pas si longtemps [1981] dans Albion Street, j’étais tranquillement assis sur un trottoir, je ne dérangeais personne, je ne faisais ni la manche ni rien d’illégal, j’étais assis car mes genoux me font terriblement mal. Un flic arrive, me prend violemment par le col, me jette au sol et me frappe dans les cotes en me disant que des bronzés comme moi devraient retourner en Afrique ou aller en prison ou au zoo. J’étais choqué et suis allé porter plainte au commissariat de Millgarth mais là-bas, on m’a ri au nez et envoyé balader. C’est régulier, la police me cherche des noises une ou deux fois par semaine. […] Tu sais Paul, ce dont j’ai souffert et vu en Afrique du Sud dans ma jeunesse n’était aucunement différent de ce que je souffre ici aujourd’hui. »

A la fin des années 80, Johanneson se retrouve un temps sans-abri. Devant l’urgence, les services sociaux lui dégotent un studio dans une tour HLM de la ville. Mais il est déjà trop tard. L’ex terreur des défenses, le Black Flash autrefois admiré par Pelé et Eusebio, vit en reclus, attendant une fin qu’il sait proche.

Le 28 septembre 1995, à 55 ans, Albert Johanneson meurt d’une méningite et d’un arrêt cardiaque dans la détresse la plus totale. Son corps ne sera découvert que plusieurs jours après sa mort. Tout comme Arthur Wharton soixante-cinq ans avant lui, il est enterré dans une pauper’s grave, une sépulture anonyme réservée aux indigents, au Lawnswood Cemetery de Leeds.

Son neveu, le boxeur anglais Carl Johanneson, 17 ans au moment de sa disparition, déclarera quelques années plus tard : « Ce n’est pas la boisson qui a tué Albert, mais le départ de sa femme aux USA avec leurs deux enfants. » D’autres pointeront du doigt l’ostracisme et l’indifférence.

Une source d’inspiration

Dans l’introduction de ce dossier et tout au long des volets et de mes commentaires sous articles, j’ai souligné l’oubli dont ont été objet, voire victime, nombre de joueurs noirs ainsi que la difficulté éprouvée par la société britannique à faire face à son passé. Johanneson n’échappe pas à ce constat. Malgré le racisme et le traitement de « citoyen de troisième classe » qu’Albert Johanneson subit toute sa vie en Angleterre, certains auteurs anglais de renom occultent, sciemment ou non, cette réalité qui le détruisit à petit feu. Ivan Ponting, écrivain anglais auteur de plus de cinquante livres sur le football et journaliste à The Independent, écrivait ceci dans sa nécrologie du 2 octobre 1995 (texte ensuite publié, sans retouche, dans des livres de nécros jusqu’à aujourd’hui – dont The Book of Football Obituaries du même I. Ponting sorti en août 2012) :

« Ensuite [vers 1961-64] Johanneson s’acclimata bien, sur le terrain comme dans la vie. […] Les incidents à caractère raciste étaient extrêmement rares. […] C’etait comme si sa confiance, aspect toujours fragile chez lui, avait été sévèrement ébranlée. »

Ces quelques phrases dénotent une méconnaissance de la carrière et vie d’Albert Johanneson qui confine au mépris. Non, Johanneson ne s’acclimata jamais à sa vie anglaise. Non les incidents à caractère raciste n’étaient pas « extrêmement rares », ils étaient incessants, sur le terrain comme dans son quotidien. Et non la confiance d’Albert Johanneson n’était pas fragile, elle avait une limite, comme tout un chacun. Johanneson fut le premier Noir à subir de plein fouet un racisme institutionnalisé et quasi permanent, dans les stades, dans la rue ou les magasins. Peu de monde l’écouta, on préféra ignorer ses souffrances et évoquer un « mental fragile » pour expliquer ses mauvaises performances et son déclin, comme le fit son manager Don Revie avec sa dureté légendaire.

A ses grands contemporains le mot de la fin.

George Best :

« Albert était un homme très courageux, ne serait-ce que pour fouler la pelouse et jouer au football dans ces conditions-là. Il n’avait pas peur, il fonçait et avait une technique folle. Il était gentil aussi, ce qui est à mon sens la chose la plus importante. Plus importante que tout le reste. »

Pelé :

« Albert ouvrit la voie et servit d’inspiration aux footballeurs noirs à travers le monde. »

Eusébio :

« Des générations de footballeurs noirs devraient s’inspirer d’Albert Johanneson et le remercier pour ce qu’il a accompli. »

Billy Bremner :

« Albert était incroyable. En un clin d’oeil, il pouvait pivoter, crocheter et mettre dans le vent ses adversaires. »

Kevin Quigagne.

Des vacances loin du foot dans l’immédiat puis des raisons professionnelles et familiales vont me tenir éloigné des terrains TK quelque temps. Je vous retrouverai fin mai en principe pour notre traditionnel Bilan PL club par club. Bonne fin de saison à tous et toutes.

Les volets précédents :

(1) Introduction. Les premiers Blacks du football britannique
(2) Andrew Watson. Les premiers Blacks du football britannique
(3) Arthur Wharton. Les premiers Blacks du football britannique
(4) John Walker et Walter Tull. Les premiers Blacks du football britannique
(5) Jack Leslie et Eddie Parris. Les premiers Blacks du football britannique
(6) Alfred Charles, Gil Heron, Roy Brown et Lindy Delapenha. Les premiers Blacks du football britannique
(7) Charlie Williams. Les premiers Blacks du football britannique
(8) Tesilimi Balogun et Steve Mokone. Les premiers Blacks du football britannique
(9) Gerry Francis. Les premiers Blacks du football britannique
(10) Albert Johanneson 1/2. Les premiers Blacks du football britannique

Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le chemin parcouru ces dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

La lecture de l’introduction de ce dossier est vivement recommandée.

Nous continuons notre exploration chronologique de l’histoire du football noir britannique (liens des volets précédents en bas d’article) avec le formidable trio sud-africain composé de Steve Mokone (# 13), Gerry Francis (# 14) et d’Albert Johanneson.

Aujourd’hui : Albert Johanneson, première partie.

# 15. Albert Johanneson (1940-1995)

Ce Sud-Africain est le premier Noir à avoir disputé une finale de FA Cup – en 1965 – et celui qui subira le plus violemment racisme jusqu’ici, triste résultante du contexte changeant de l’époque. Johanneson, c’est aussi l’un des destins les plus tragiques du football britannique.

Insultes racistes dès l’atterrissage

Quand Albert Johanneson arrive à Leeds début 1961 pour un essai de trois mois, la plus glorieuse ère de l’histoire du club est encore loin de débuter. Leeds est un mal classé de D2 qui évitera de peu la descente en fin de saison, un maintien en partie imputable à la nomination du jeune Don Revie comme entraîneur-joueur le 17 mars 1961. A peine le Sud-Africain a-t-il débarqué à Heathrow le 5 janvier 1961 qu’un voyageur pressé le bouscule sèchement, au point de presque le faire tomber, en lui balançant un « Get out of my way, nigger ».
Johanneson comprend alors que s’il a quitté l’un des régimes les plus ignobles de la planète, il n’a pas non plus atterri au paradis. Mais nul doute que Gerry Francis (# 14) lui en avait touché deux mots, car c’est son compatriote qui est chargé de le prendre sous son aile. Malheureusement, Francis quittera Leeds six mois plus tard et le jeune Albert perdra ainsi son précieux allié.


Johanneson signe son contrat le 5 avril 1961, sous les yeux du fraîchement nommé Don Revie, entraîneur-joueur (centre) et de son compatriote Gerry Francis (gauche)

Dès ses premiers matchs, cet ailier gauche virevoltant (à une époque où les wingers sont rois – cf Stanley Matthews et Tom Finney) qui deviendra un joueur clé des Whites, est pris pour cible. Les insultes racistes et autres cris de singe ou de « zoulou » sont monnaie courante. Un jour, un joueur d’Everton lui envoie un « Black bastard ». Lui qui avait quitté l’Afrique du Sud pour échapper à l’apartheid est choqué. Il s’en plaint à Don Revie mais ce dernier lui conseille simplement de répondre « White bastard » si cela se reproduit. Quand Albert lui raconte qu’un adversaire n’a cessé de lui balancer des « nig-nog » (noiraud) et « gollywog » (voir # 11), personnages blancs grimés en Noirs dans le très populaire mais controversé Black & White Minstrel Show (ici), Revie trouve l’insulte spirituelle et se marre. Parfois, le bourru manager lui demande sur un ton cassant de « faire abstraction de tout ça, se durcir mentalement et se concentrer uniquement sur le jeu ».

Adaptation difficile dans un contexte délétère

Hors du terrain, malgré sa liaison avec une Anglo-Jamaïcaine du coin suivi d’un mariage en 1963 (ci-contre), Johanneson peine à s’acclimater à la vie anglaise et son racisme omniprésent. Nombreux sont les commerces, restaurants, cafétérias et même bureaux de tabac de Leeds (cf pages 173, 182 & 183 de l’excellent The Black Flash [1]) qui lui font comprendre que sa présence est indésirable, refusent de le servir ou même l’éjectent manu militari des lieux.

Quelques-uns de ses coéquipiers, comme Billy Bremner (qui avait déjà aidé Gerry Francis à s’intégrer), Jack Charlton, Bobby Collins, Grenville Hair ou le jeune Peter Lorimer plus tard, veillent sur lui et n’hésitent pas à le défendre physiquement. Toutefois, la majorité ne sait comment réagir, à une époque où le racisme, ordinaire ou virulent, se banalise. L’Angleterre avance cahin-caha vers le multiculturalisme et cette mutation expose le sinistre underbelly de la société anglaise, cette face sombre que des partis politiques et mouvements divers exploiteront bientôt, notamment le National Front et le parti Conservateur (voir volets précédents).

L’empire britannique a éclaté et l’immigration issue des pays du Commonweath a bondi de quelques milliers par an au début des Fifties à 136 000 entrants en 1961. Le recensement de 1961 fait apparaître que 100 000 personnes d’origine afro-carribéenne vivent sur Londres. En 1962, le parlement fait voter le Commonwealth Immigrants Act qui restreint considérablement la liberté de mouvement des citoyens de l’ex empire britannique votée en 1948 (British Nationality Act). En 1968, le député conservateur Enoch Powell prononce son discours haineux des « Fleuves de sang » qui trouvera un écho certain auprès de la population (voir # 11). A l’intérieur et aux abords des stades, ainsi que lors des déplacements de supporters, le hooliganisme commence à s’organiser et inquiéter.

Le George Best de Leeds United

L’époque n’est plus aux bras ouverts, même si intéressés, des années d’après-guerre [2]. Les vagues successives et régulières de « Paki-bashing » (terme argotique : ratonnade) dans les villes ouvrières du Lancashire dans les années 60 et 70 – mais aussi sur Londres et ailleurs, on en recensa parfois des dizaines par mois, des actes perpétrés principalement par des Skins, Mods, groupes fascistes ou hooligans – sont là pour rappeler l’extrême violence qui pouvait caractériser les relations interraciales de l’époque.

Durant ses neuf saisons à Leeds (200 matchs et 68 buts, dont 2 hat-tricks en coupe d’Europe, exceptionnel ratio pour un ailier), le vif Albert « Hurry, Hurry » Johanneson (Albert le bolide, son surnom d’enfance) forcera souvent l’admiration de ses pairs – efficaces mais souvent empruntés balle au pied – grâce à son élégance, sa pointe de vitesse et son style « brésilien » comme aime l’écrire la presse. Johanneson est doté d’une technique aussi pure qu’innée (son coéquipier Johnny Giles le compare souvent à George Best), acquise pieds nus avec des ballons de fortune dans les rues poussièreuses des townships : Johanneson n’a touché son premier vrai ballon qu’à l’âge de 18 ans.

Toutefois, si pour beaucoup il est ce héros exotique « venu de Tombouctou » (cf le chant Leeds Calypso), pour d’autres, il incarne les stéréotypes classiques que le racisme institutionalisé aimait véhiculer au Royaume-Uni, à savoir l’image du Noir paresseux, inconstant et à l’intellect limité. Des clichés apparus dans le football britannique dès les années 1890 et qu’on retrouvera par exemple dans les propos racistes de Ron Atkinson [3] à l’encontre de Roger Milla à l’occasion de la coupe du monde 1990 et de Marcel Desailly en 2004.

1965, année charnière

C’est autour de 1965-66 que les choses commencent à se gâter pour Johanneson. Derrière la façade triomphale – montée en D1 en 1964 (il est meilleur buteur du club) et vice-champion d’Angleterre en 1965 – d’inquiétantes fissures psychologiques fragilisent son mental et lézardent son être.


Leeds United, 1964-65. Debout, de gauche à droite : Billy Bremner, Paul Madeley, Willie Bell, Gary Sprake, Paul Reaney, Norman Hunter, Jimmy Greenhoff, Don Weston. Assis : Jim Storrie, Johnny Giles, Terry Cooper, Bobby Collins, Alan Peacock, Jack Charlton, Albert Johanneson, Rod Johnson.

La finale de FA Cup 1965 contre Liverpool marquera un tournant pour Johanneson, un pivotal point ambivalent, car si cette finale lui confère l’immense honneur d’être le premier Noir à la disputer, elle amorce aussi le début de son déclin et de ses rapports conflictuels avec Don Revie. Excédé par le racisme qu’il subit en silence depuis des années et le battage médiatique fait autour de ses origines avant la rencontre (une effervescence qu’il perçoit comme mâtinée de curiosité malsaine et d’ignorance), Johanneson refuse soudain de jouer cette finale, à une heure du coup d’envoi. Comme il…

A suivre.

Kevin Quigagne.

Les volets précédents :

(1) Introduction. Les premiers Blacks du football britannique
(2) Andrew Watson. Les premiers Blacks du football britannique
(3) Arthur Wharton. Les premiers Blacks du football britannique
(4) John Walker et Walter Tull. Les premiers Blacks du football britannique
(5) Jack Leslie et Eddie Parris. Les premiers Blacks du football britannique
(6) Alfred Charles, Gil Heron, Roy Brown et Lindy Delapenha. Les premiers Blacks du football britannique
(7) Charlie Williams. Les premiers Blacks du football britannique
(8) Tesilimi Balogun et Steve Mokone. Les premiers Blacks du football britannique
(9) Gerry Francis. Les premiers Blacks du football britannique

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[1] Biographie sur Albert Johanneson publiée en 2012 et écrite par Paul Harrison, un supporter des Whites qui rencontra Johanneson par hasard dans un pub de Leeds en 1982. De cette amitié est née The Black Flash (L’Éclair Noir, surnommé ainsi pour sa pointe de vitesse), une bio consistant en une série d’interviews réalisées sur dix ans. Avant le Sudaf, ce surnom fut aussi donné à Gil Heron, le premier Noir à porter les couleurs du Celtic, voir # 8.

[2] En référence à la liberté de mouvement des citoyens de l’ex empire britannique votée en 1948, ici.

[3] Ron Atkinson, commentateur vedette de ITV à la Coupe du monde 1990, lors d’Angleterre-Cameroun en ¼ : « Milla n’a vraiment rien dans le crâne. » Son collègue Brian Moore lui fit alors remarquer que ses propos pourraient lui attirer des ennuis. Se croyant hors antenne (alors que les auditeurs de l’étranger l’entendaient), Atkinson en remit une couche : « Oh mais non, la seule personne qui pourrait me causer des ennuis c’est sa mère, et seulement si elle regarde le match du haut de son arbre. »

La chaîne reçut quelques plaintes de téléspectateurs mais les ignora. Signe des temps où le racisme ordinaire était acceptable publiquement, ces commentaires passèrent inaperçus. Quatorze ans plus tard, ITV licenciera Atkinson pour des propos sur Marcel Desailly qui se passent de traduction (tout comme en 1990, il pensait être hors antenne) : « Desailly is what is known in some schools as a fucking lazy thick nigger. »

Atkinson perdit également tous ses contrats publicitaires et fut congédié du Guardian où il tenait une rubrique d’analyse tactique. Deux ans après, il tenta un comeback via une série TV à forte audience où, en compagnie d’autres célébrités, il fut envoyé en Provence apprendre le français et découvrir une autre culture (ce qui lui fit sans doute le plus grand bien). Il commenta notamment un match live du PSG, en français, avec Jean-Charles Bahnoun (moment assez drôle je dois dire). Entreprise de réhabilitation médiatique qui se solda par un échec : Atkinson était définitivement grillé. Enfin, pas si grillé que ça car ce dinosaure réapparut sur Channel 5 en 2013 dans l’émission Celebrity Big Brother où il refit parler de lui. Le plus navrant n’est pas tant qu’il se trouve encore des chaînes prêtes à lui filer 100 000 £ (ce n’est malheureusement pas de sitôt qu’on verra la fin de ce genre de média) mais que Ron Atkinson ait toujours aujourd’hui autant d’admirateurs et d’apologists, une évidence à la lecture des commentaires sous cet article annonçant sa participation à l’émission.

En 2012, quand le Guardian voulut l’interviewer en lien avec un papier sur le racisme dans le football, Atkinson leur répondit : « Pas question, tout ça [la thématique du racisme] c’est un tas de conneries. Ce que je voudrais savoir, c’est pourquoi aucun journaliste ne m’interroge sur les trophées que j’ai gagnés. »

Ironiquement, ce même Ron Atkinson joua un rôle clé dans le long et douloureux processus d’acceptation et reconnaissance des joueurs Noirs dans le football britannique, ce que nous verrons dans les volets suivants.

Série sans trop de bla bla, juste quelques photos cultes et leurs légendes. Avec en gros bonus, un collector : le duel télé Brian Clough vs Don Revie. Because ça fait dix ans que Cloughie nous a quittés.

Ouais enfin, un peu de bla bla quand même, surtout la # 10, mais juste ce qu’il faut (ami lecteur supp de Newcastle United, un conseil : zappe le # 5). Ces perles sont tirées directement du Net ainsi que de plusieurs livres-photos style coffee-table books.

# 1. Canto

Roh qu’il est mignon tout plein en rose.

# 2. Arsène et son zip maléfique

Un grand classique de ces dernières saisons : la fermeture éclair de la doudoune d’Arsène. Que ce zip a perturbé notre Arsène national, paraît qu’il n’en dormait plus… Et après on se demande pourquoi Arsenal en bave pour gratter des trophées. Talksport a fait son historique vestimentaire et Puma a monté une cellule de crise pour le sortir enfin de cet enfer. Mission accomplie : l’équipementier teuton lui a concocté du sur-mesure, ci-dessous.

# 3. Glory Glory Tottenham

Les Spurs avaient sorti le matos Castorama pour cette originale photo d’équipe. Pas super hi-tech mais sur le terrain, c’était nettement plus avant-gardiste (voir article TK sur l’innovant Bill Nicholson, manager Spurs de 1958 à 1974 et digne héritier du push and run du révolutionnaire Arthur Rowe).

C’est l’ère du grand Tottenham : doublé championnat-FA Cup en 1961, vainqueur de la FA Cup en 1962, vice-champion d’Angleterre en 1963 et premier club britannique à décrocher une coupe d’Europe, la C2 en 1963.

En haut à gauche, l’immense Danny Blanchflower et à quatre pattes sous l’escabeau, le non moins immense Dave Mackay. J’ai mis une tartine sur tous ces glorieux anciens dans le Hall of Fame Spurs de TK.

# 4. Allardyce, porte-étendard de la culture française

Depuis qu’il recrute pas mal de Frenchies (Y. Djorkaeff fut parmi les tous premiers), Sam Allardyce essaie par tous les moyens de faire découvrir Bourvil et Louis de Funès aux British, même pendant les matchs. Ici, lors du West Ham-Southampton, Big Sam nous rejoue une scène du Corniaud devant le quatrième arbitre qui s’empresse de noter le nom du film.

# 5. A la recherche du temps pardew

Out today, demain ou après-demain.

Out today, demain ou après-demain.

Alan Pardew, plongé dans une rêverie proustienne pendant le Southampton-Newcastle du 13 septembre dernier, 4-0 (se remémore-t-il les délicieux puddings de la tante Margaret ?). En cadrant habilement son cliché, ce photographe de la Press Association a bien saisi l’avenir du Londonien chez les Mags.

Pendant ce temps-là, dans la tribune exter, les supps Magpies sortaient une micro-banderole anti-Pardew conçue par le dernier site à la mode sur Tyneside, sackpardew.com. Un site qui nous abreuve de stats sympas dans sa section Pardew – The Facts, e.g 5 maigres victoires de tout 2014 et autant de défaites dans les derbys contre Sunderland que les 22 précédents managers Magpies réunis (certes, peu sont restés 4 ans en poste comme Pardew).


Même leurs bâches font pitié à Newcastle.

Pardew est hilare sur la banderolette Mag, normal : il touchera un joli pactole s’il est remercié et abrégera sa longue souffrance. Et donc, se dit le supp lambda qui ne lit pas Teenage Kicks : Pardew va palper 15-18 millions £ vu que son contrat court jusqu’en 2020 et qu’il l’a forcément renégocié à la hausse en 2012 après avoir hissé NUFC dans le top 5. Because, si on sort la calculette, eh ben c’est simple comme hello : 6 ans de contrat x le tarif en vigueur, soit mettons 3m £/an = eine groß paket.

Un raisonnement qui pourrait largement tenir la route. Mais ailleurs, pas chez les Mags. Car le payout ne serait « que » de 5 millions £. Ça paraît léger mais c’est oublier que le proprio de NUFC est Mike Ashley, boss de la chaîne Sports Direct (SD), où les contrats salariaux sont highly incentivised, fortement conditionnés aux résultats : en 2013, plus de 2 000 salariés SD, payés en moyenne 1 600 £/mois, avaient touché une prime de 75 000 £ chacun (!) après une hausse de 40 % des bénéfices l’année précédente (chiffre d’affaires boosté par les Jeux Olympiques et l’expansion du groupe). Mais cela ne concernait que les 10 ou 15 % de chanceux à temps plein ayant intégré la boîte avant 2010. L’envers du décor est moins reluisant : 90 % des employés SD sont à temps partiel avec des contrats zéro heure. Et donc pour eux, pas un penny. Un collectif d’employés SD a porté l’affaire devant les tribunaux.

Pour Mike Ashley, pas question donc en 2012 de payer le going rate (tarif en vigueur) pour un manager d’un club aspirant alors à la Ligue des Champions. Au lieu de 3m £/an, Pardew dut donc se contenter d’un salaire de base + une grosse part variable, en l’occurrence une tapée de primes liées à des objectifs bien précis. Le rédac chef d’un des fanzines du club me confiait l’an dernier que son fixe n’était que d’environ 750 000 £/an. Pas fou, Pardew a donc fait inclure une clause fixant une compensation de 5m £ en cas de licenciement, mais cela reste largement inférieur à ce qu’Ashley aurait dû sortir dans un contrat standard à ce niveau. Même les milliardaires sont près de leurs sous : il est de notoriété publique sur Tyneside qu’Ashley fait le forcing depuis quelque temps pour pousser Pardew à la démission et s’éviter de mettre la main à la poche, qu’il a profonde.

Au passage, puisque j’évoque les fanzines NUFC, une bien triste nouvelle : leurs trois excellents zines ne sortent plus en version papier depuis le printemps dernier, malgré un tirage collectif fort respectable, qui serait d’environ 10 000 exemplaires mensuels (les deux « historiques » – The Mag et True Faith, 41 ans d’existence à eux deux – ont viré au numérique, j’expliquerai pourquoi bientôt).
Un nouveau zine NUFC papier vient toutefois de naître, The Popular Side, longue vie à lui. Tirage réduit et difficile à trouver pour l’instant, 2 numéros parus, vite épuisés (vendu par courrier, dans quelques pubs autour de Saint James’ Park et les jours de match, s’il en reste).

Oh pis alors, je veux pas avoir l’air de m’acharner hein mais les Mags viennent de sortir leur maillot third, popopopopo… Matez-moi plutôt ça :

# 6. Nonos Future

Devant le Stadium of Light avant le Sunderland-Man United du 23 août dernier.

# 7. Alex Ferguson

Fergie en 1967, tout fier d’exhiber le dernier 33 tours de Petula Clark.

Fergie en 1967, tout fier d’exhiber le dernier 33 tours de Petula Clark.

Sévère culture shock en 1976 : les Sex Pistols éjectent les Wombles de la TV

Et ci-dessus, il joue les nettoyeurs de surface avec les Wombles, mascottes de Wimbledon FC, dans le centre-ville de Manchester avant un 32è de FA Cup de janvier 1997 (perdu). Bref, un peu comme si Gerets ou Tapie étaient allés clowner avec Casimir de l’Ile aux Enfants en plein triomphe européen. Les Wombles étaient des personnages d’un dessin animé très regardé de la première moitié des Seventies, des sortes de taupes moralisatrices qui recyclaient les déchets ménagers tout en creusant leurs galeries sous le Wimbledon Common, immense parc local où évolua le Wimbledon FC à sa création et où furent organisés les essais de 250 joueurs au démarrage de l’AFC Wimbledon en juin 2002 (en D9, aujourd’hui en D4).

Léger changement de braquet un an après l’arrêt télévisuel des Wombles : exit les peluches écolos contemplatives, place aux Sex Pistols qui feront imploser la télé des teenagers anglais dès leur premier plateau TV lors d’une interview qui choqua l’Angleterre (article du Daily Mirror ci-dessus et mieux : ce clip, à partir de 3’43).

# 8. Paul Gascoigne

Pas d’album photos british sans Gazza, évidemment.

# 9. Ça c’est de l’animation d’avant match

3 mai 1976, Duncan McKenzie, attaquant de Leeds (1974-76), fait le show à Elland Road en franchissant une mini, juste avant d’être aligné pour le jubilé de Paul Reaney contre Newcastle United ! Il arrivait aussi à ce showman de lancer une balle de golf d’un but à l’autre du terrain, voir clip.

McKenzie, recruté par Brian Clough au début de son fameux passage éclair chez les Whites, était l’un des transferts les plus chers du Royaume-Uni à l’époque, 267 000 £ (le record était à 350 000). McKenzie sévit aujourd’hui sur le circuit de l’after-dinner speech où il saute par-dessus les tables des convives (je déconne, il se contente d’envoyer quelques anecdotes, pour 1 500 £/soirée).

# 10. Duel TV Brian Clough vs Don Revie

Clough et Revie, un temps surnommés les « Richard Nixon et John Kennedy du Yorkshire »

Clough et Revie, un temps surnommés les « Richard Nixon et John Kennedy du Yorkshire »

La même scène, dans le film The Damned United :

Pour clore ce panorama photos, il fallait évidemment Brian Clough, décédé il y a tout juste dix ans (le 20.09.2004 à 69 ans, cancer de l’estomac) mais loin d’être disparu. Oh que non, le bougre est plus présent que jamais : une quinzaine de livres lui ont été consacrés en Angleterre depuis sa mort (en plus des centaines d’articles de presse et Internet, des documentaires et, bien sûr, du film The Damned United). Sans parler des trois statues érigées en l’honneur de « Old Big ‘Ead » (son surnom), cas unique dans le football britannique.

Nous sommes le 12 septembre 1974 et, à la stupéfaction générale, Leeds United limoge Brian Clough, après seulement 44 jours désastreux, surtout en coulisses (en fait, 54 jours depuis la date de sa nomination). Un choc aussi grand que la consternation qui avait accompagné l’annonce de son arrivée dans ce Leeds qu’il détestait ouvertement de tout son être. Un mariage contre nature justifié par l’ambition ultime de Clough : conquérir l’Europe (ce qu’il avait raté – d’assez peu – à Derby County), et ainsi supplanter Don Revie dans la hiérarchie historique des Whites.

Jonathan Wilson, dans sa biographie sur Clough – le livre le plus exhaustif jamais publié sur le sujet – revient sur cette haine tenace qu’il vouait à Leeds United, ses joueurs et son manager. L’inimitié était intensément réciproque : Don Revie déclara un jour que Clough était vraiment la dernière personne avec qui il aimerait être naufragé sur une île déserte. Parmi les passages savoureux de la bio, celui du gala télévisé de janvier 1973 est particulièrement exquis… Pendant son court discours (vite noyé sous les huées et injures),  Clough attaqua verbalement nombre de Whites, présents dans la salle, devant 500 personnes et le leader Travailliste Harold Wilson, ancien et futur Premier Ministre !

Quelques heures après son limogeage, Yorkshire Television attire Brian Clough dans ses studios de Leeds… sans lui dire que Don Revie sera également présent. C’est un coup magistral pour cette chaîne régionale :  Clough et Revie n’avaient cessé de s’allumer par médias interposés depuis des années mais sans jamais en découdre sur un même plateau. Ce face à face (ici en clip) deviendra un monument télévisuel de l’histoire du football britannique.
Une joute a priori inégale, entre un Clough fragilisé, déchu, humilié (et alcoolisé, diront certains), et un Revie solide comme une citadelle imprenable, fraîchement nommé sélectionneur anglais et ex très successful manager de Leeds.

Don Revie et le phénoménal Billy Bremner, « 63 kilos de fil barbelé » comme le surnommait le Sunday Times (c’est lui que je voulais le plus dans mes Panini des années 70, section Joueurs étrangers. J’aurais échangé 50 Duguépéroux + 25 Triantafyllos pour l’avoir).

Don Revie n’a pas seulement ressuscité Leeds, à la manière de Shankly à Liverpool ou Matt Busby à Man United : de mars 1961 à juin 1974, il a bâti ce Leeds United qui vivotait avant lui et attirait péniblement 10 000 spectateurs à Elland Road à son arrivée. Il a fait surgir ex nihilo un grand club de football au coeur de cette ville jusque là acquise au rugby, à XIII, celui des prolos du Nord. Revie, avec son allure de Parrain new-yorkais (il ne fut pas surnommé « The Don » pour rien), a en outre fait de Leeds United une famille indivisible, un clan, une meute, conditionnée pour affronter ensemble toutes les épreuves (dont le fameux label « Dirty Leeds »).

Clough, au contraire, vient de vivre un calvaire à Leeds United. Hormis les piètres résultats (en partie imputables à une cascade de blessures et la suspension de 11 matchs de Billy Bremner, pour s’être battu avec Kevin Keegan au Charity Shield le 10.08.1974, à 25’10 dans ce clip), Cloughie s’est mis la moitié du directoire et toute l’équipe à dos. Hier invulnérable et arrogant au possible, il semble soudain avoir perdu son aura messianique et ses galons de formidable stratège, acquis de haute lutte chez les minots de Derby County de mai 1967 à octobre 1973. Ce qui pousse Austin Mitchell, le présentateur un brin provocateur, à lui lancer (à 24’07 dans le clip) : « Brian, ne vous retrouvez-vous pas aujourd’hui dans une situation très difficile, car après votre dispute avec Derby County, votre départ de Brighton dans des circonstances troubles et maintenant Leeds, quel club voudra-t-il encore vous employer ? »

En septembre 74, Revie est donc au faîte de sa gloire tandis que Clough moisit au fond du trou (même si sa forte indemnité de licenciement – 98 000 £, après impôts et prélèvements – atténue le choc, pactole obtenu par Clough et son avocat en faisant picoler le président de Leeds !). Don Revie l’intouchable vs Clough le paria. Peu après, lors d’un nouvel échange musclé, Revie, profitant de sa position infiniment supérieure à ce moment précis, lui assènera un cinglant : « Brian, on verra dans cinq ans ce que chacun d’entre nous sera devenu. »

Cinq ans plus tard, le contraste entre ces deux ennemis jurés sera en effet saisissant. Mais pas dans le sens imaginé par Don Revie. En mai 1979, Clough est champion d’Angleterre et champion d’Europe avec les sans-grades de Nottingham Forest. De fin novembre 1977 à début décembre 1978 – soit 42 matchs de championnat –, Forest a même réussi l’exploit de rester invaincu, malgré les 76 matchs disputés pendant cette période ! Avec seulement 16 joueurs utilisés. Du jamais vu en Angleterre : même les Invincibles de Preston North End n’avaient pas fait aussi fort dans les années 1888-1890. Le tout au nez et à la barbe du grand Liverpool, double champion d’Europe et champion d’Angleterre sortant, relégué à 7 unités au classement final comme un vulgaire faire-valoir (avec une victoire à deux points de surcroît) et sorti sêchement en C1 par… Forest. L’un des deux buteurs du 2-0 de l’aller est l’attaquant Garry Birtles : deux ans plus tôt, Birtles posait des moquettes avant que Clough ne l’achète 2 000 £ à un club amateur du coin, ne le persuade qu’il était un Pelé en puissance et n’en fasse l’un de ses joueurs clés. En 1980, Clough décroche une deuxième C1 au Bernabéu.

Old Big ‘Ead plane insolemment sur le toit du monde. « J’ai gagné deux C1, fanfaronne-t-il, Leeds United aucune. » Leeds, Leeds, Leeds, encore et toujours. L’obsession Whites ne l’a donc jamais quitté, même dans les moments d’extrême euphorie. Ou aurait-il fallu comprendre « Don Revie » à la place de Leeds United ?

Clough, en pleine déconne à Majorque, juste avant la finale de C1 1980 contre Hambourg (1-0). Pour préparer cette rencontre, il emmena ses joueurs une semaine au soleil, interdit quasiment les entraînements et organisa des séances picole entre joueurs. Les Hambourgeois, eux, optèrent pour une opération commando de 8 jours…

Revie, quant à lui, est enlisé dans les scandales. Début juillet 1977, brouillé avec la direction de la fédération et sentant son poste de sélectionneur anglais menacé (et disent certains, pour d’autres raisons plus inavouables), il accepte un très lucratif poste de manager des Emirats Arabes Unis en pleine campagne des éliminatoires du Mondial 1978… sans avertir immédiatement la FA de sa démission. Pire : Revie monnaie la primeur de sa défection avec le Daily Mail. L’ex grand timonier de Leeds United est accusé par beaucoup de « trahison » envers son pays.  Verdict massue de la fédé anglaise dix-huit mois plus tard : dix ans d’interdiction d’exercice du football en Angleterre (son avocat réussira cependant à faire casser cette décision par la Haute Cour de Justice).

Rebelote en septembre 1977 quand le tabloïd The Daily Mirror publie le témoignage de trois joueurs (dont Gary Sprake, l’ex légendaire gardien de Leeds, aujourd’hui le paria de la famille) et d’un manager (Bob Stokoe, alors à Bury au moment des faits) l’accusant d’avoir arrangé et voulu truquer plusieurs matchs dans les années 60 – accusations déjà portées en 1972 par un autre tabloïd –, classées sans suite par la police et la fédération anglaise. D’autres joueurs, dont Jim Barron, le Gunner Franck McLintock et le champion du monde 1966 Alan Ball, incrimineront Don Revie pour le même genre de faits (il sera aussi soupçonné d’avoir acheté, ou tenté d’acheter, des arbitres – voir article de l’Independent) mais rien ne sera jamais prouvé. Revie poursuivra le Daily Mirror en diffamation mais ne donnera pas suite, trop accaparé qu’il était par sa longue procédure contre la FA dans l’affaire des EAU (Billy Bremner, impliqué dans une affaire similaire, poursuivra un autre tabloïd, le Sunday People, et gagnera son procès). Revie ne reviendra jamais travailler au bercail et s’éteindra le 26 mai 1989 en Ecosse, à 61 ans, atteint de la maladie de Charcot.

Destins inverses qui ajoutent à la mystique développée autour de ces deux monstres sacrés, issus de la même communauté, du même quartier de Middlesbrough et produits de la même époque, l’entre-deux-guerres, celle que l’historien britannique Richard Overy appelle le The Morbid Age (pauvreté, dépression économique, habitat insalubre, chômage de masse, montée du fascisme).

« Don Revie et moi, dit Brian Clough (alias Michael Sheen) à son inséparable adjoint Peter Taylor dans le film The Damned United, avant un 32è de FA Cup Derby v Leeds* de janvier 1968, on a grandi dans le même quartier de Middlesbrough, à l’ombre d’Ayresome Park [l’ancien stade de Boro]. Don et moi, on est comme deux petits pois dans une cosse, identiques. On a sûrement mangé les mêmes bonbons, ceux fabriqués dans l’usine Garnett où bossait mon père. Don, c’est le meilleur manager du pays. On a tous deux été avant-centre de Sunderland et de l’équipe d’Angleterre. Don et moi, c’est deux petits pois dans une cosse. Deux petits pois dans une foutue cosse. »

[*Leeds v Derby en réalité mais inversé pour les besoins du film]

Kevin Quigagne.

Dans la même série : Photos insolites du foot british (1)

Invité[1] : khwezi
L’histoire de Don Revie, le quatrième membre du trio de génies formé par Matt Busby, Bill Shankly et Brian Clough. Le mec que tout le monde fait mine d’oublier. Sauf à Leeds. Et pour cause. Les grandes heures de ce club, sa notorieté même, la raison pour laquelle ils ont pu avoir des mecs comme Cantona et Strachan, c’est lui. La légende du « Dirty Leeds ».

Je m’appelle Don Revie. Sir Donald Georges Revie en fait, mais appelez-moi Don. J’ai un des plus beaux palmarès du football anglais au XXe siècle, et pourtant peu de gens en dehors de Leeds, quasiment personne en fait, ne se rappelle vraiment de moi. J’aurais dû être LA foutue légende de ce 20e siècle. Et ben non. Tout le monde se souvient de cet ignare de Shankly ou de ce salopard de Clough ou de ce bouddha en plâtre de Busby. Mais personne se souvient de moi. Fichu Karma, foutue vie injuste. Oh, si, pardon. Les gens se souviennent parfois de moi. Enfin, surtout de mon équipe. Ouais, MON équipe. Le « Dirty Leeds ». Attendez que je vous cause de moi et de mon équipe.

Dickens, arrivisme et mauvaise étoile

Je suis né à Middlesbrough. Le premier qui dit « Comme Brian Clough » je lui colle une balle dans le genou. En 1927, moi. Ma mère meurt quand j’ai 12 ans. A quelques décennies près, Dickens aurait écrit « Don Revie » au lieu de « Oliver Twist ». Mon père n’est pas très présent, et l’entraîneur de foot du quartier me fait m’entraîner avec des ballots de fringues usagées en guise de balle. Working Class Hero je vous dis.

En 1949, je suis à Leicester. Pour en arriver là, j’ai ramé. J’ai galéré pour devenir footballeur. Vraiment. J’avais la classe pourtant. La grande classe. Milieu offensif avant l’heure – à l’époque on est attaquant, ailier ou milieu. Pas les trois en même temps – on disait de moi que si l’équipe voulait bien jouer comme je l’entendais, j’avais tout d’un match winner, un golden kid. Et le premier qui dit « oh comme Brian Clough » je lui colle une prune dans le foie. j’ai été un temps le joueur le plus cher de l’histoire en cumul de transferts ! Et toi Brian Clough ? Ah ben non. Toi t’as pas joué assez longtemps.

Le problème au fond, c’est que l’équipe le voulait rarement. Et comme je suis têtu, j’ai passé pas mal de temps sur un terrain, à parler, râler, réclamer, ordonner, intimer, supplier et demander. Assez peu à tacler.
« Il savait pas tacler. Même si sa vie en avait dépendu… » dixit Jack Charlton (frère de, champion du monde 66 et défenseur central de Leeds United).

Que ce soient mes coéquipiers, mes anciens coachs ou les commentateurs de l’époque tout le monde semble d’accord sur moi : le foot, chez moi, c’était cérébral. Et le problème en tant que joueur c’est que les dix autres n’avaient pas le même cerveau que moi. En toute modestie. Pour dire : j’ai fait partie de ces rares Anglais heureux de l’historique leçon de football total reçue par la sélection contre les Hongrois de Puskas, parce que bon sang: la tactique, la tactique, la tactique ! L’intelligence dans le jeu. J’ai aimé ça. Et le premier qui dit « oh, comme Brian Clough » je lui colle une balle dans le rein.

A Leicester, en 1949 donc, j’épouse la fille du manager, et le capitaine Septimus Smith est mon mentor. Leicester atteint la finale de F.A. Cup. La gloire est devant moi. Et elle le restera : pour une hémorragie nasale qui a failli me coûter la vie – Dickens, je vous dis – j’ai loupé cette foutue finale et on a perdu. Karma est une traînée.

Stale bread, French toast

Bref, Leicester, club de nuls. Le manager ne veut pas vraiment faire de moi son dépositaire de jeu. C’est trop lent, pas assez vertical, je défends pas, je râle. Et alors ? Je le vaux bien. Je me suis barré écœuré, à Hull, en D2 pour rebondir. A Hull, ça a marché. Parfois. Moyennement. Pas si mal. Et surtout pas longtemps. Les McDowall, récent manager à City, me veut, en souvenir de mes promesses entrevues à Leicester. Le club a besoin d’argent. J’ai fini par atterrir à Manchester City. On est en 1951. J’arrive dans une équipe promue en première division, et huée dans tout le pays pour son gardien allemand, un ancien prisonnier de guerre qui combattait en face même pas dix ans avant. Cela m’a appris des choses…

Et les choses démarraient mal. Pour faire court, l’équipe avait recruté une flèche devant, un certain Broadis, jouait bas, et vite vers l’avant en défendant beaucoup. Tout ce que je ne sais pas faire. Mais comme les choses marchent mal, le boss teste plusieurs formules. Il m’a même fait jouer half back – demi défensif – alors que je veux jouer meneur, inside forward. Broadis est sélectionné en équipe nationale, et moi je finis ma première saison blessé. Karma’s a bitch.

Les choses commencent à tourner à partir de 53, et le 6-3 subi à Wembley par la sélection face au major Puskas et le football total des Hongrois. Pendant que McDowall refuse de changer le jeu de l’équipe première, la réserve, sous l’impulsion de Johnny Williamson, expérimente un jeu avec un inside forward, et enchaîne 26 matchs sans défaite. McDowall commence à réfléchir. Et décide de me tester dans ce rôle. Avec l’expérimentation du jeu en mouvement.

Là, il a bien fallu que le monde reconnaisse mon talent : j’ai été sélectionné en 1954 pour la première fois en équipe d’Angleterre, puis élu joueur de l’année par la F.A. en Juin 1955. J’ai même publié une autobiographie à ce moment là, Soccer’s Happy Wanderer. Je m’y croyais un peu, oui.

Las, deux mois plus tard, City me fichait au placard – tout ça parce que ce foutu manager trouvait qu’avec moi sur le terrain, l’équipe était moins bien organisée qu’avec les singes savants qui me servaient de coéquipiers. Tous des ânes bâtés. On m’a ressorti du placard une seule fois en fin de saison pour participer à la victoire en F.A. Cup. Et j’ai été le foutu homme du match. Ouais ma pomme. Moi.

Down the hill, to the top.

Du coup, je pars à Sunderland. Ouais ma gueule. T’es pas content ? Je vais voir ailleurs, tiens, et je suis même sélectionné en équipe nationale pour la sixième fois. Et accessoirement la dernière. Moi, un des plus brillants milieux offensifs de l’après-guerre.

En 1958, devenu obscur parmi les obscurs, je quitte Sunderland pour l’obscure et morne ville de Leeds, Yorkshire, décidé à y descendre la colline dans l’anonymat. Sauf qu’en 1961, le coach est viré, l’équipe n’a pas un rond et traîne en fond de D2. Et comme y’a pas des masses de mecs ayant un passé d’international dans une équipe fauchée de fond de D2, on me propose le poste. Entraîneur-joueur de Leeds. Ce coup-ci, l’équipe ne va plus trop avoir le choix : ils vont devoir jouer comme je le veux. Pour moi.

Mais ça marche pas. Le club continue de s’enfoncer.

En Mars 62, un an après ma prise de poste, les choses empirent et le club se retrouve quasi-relégable en 3e division. C’est alors que je dégaine une arme fatale: le chéquier du club. Bobby Collins, Ecossais, quasi-nain, milieu de terrain, chausse du 37, mais tassé comme un buffet Victorien. Avec en prime la particularité d’avoir inventé le free fight, les combats de pitbulls, voire même une douzaine de techniques d’étranglement. Et accessoirement, j’arrête de jouer. Et le premier qui dit « en même temps que Brian Clough » je lui mets une balle dans le coude.

Bobby jouera 5 saisons à Leeds. Lorsqu’il quittera l’équipe, un peu avant sa fin de carrière, Leeds sera l’équipe la plus crainte et la plus sanctionnée de toute l’Angleterre. Ouais. C’est comme ça que tout a démarré. Bobby Collins, le mangeur d’enfants.

Et pendant que Bobby favorisait la vente d’anxiolytiques chez les joueurs, j’ai ajouté par petites touches mon football, ma façon. Et surtout mes âmes damnées : Bremner et Giles. William « Billy » Bremner, mon milieu de terrain, mon métronome, mon régulateur, mon organisateur. Et Johnny Giles, mon provocateur, mon emmerdeur, mon tombeur mon truqueur, mon buteur. Mon fils rêvé et désigné comme tel : mon successeur, un jour. Ouais, ces deux là, y’a deux choses qu’ils détestent dans la vie : les voleurs de chevaux et les décisions d’arbitre.

A ce Leeds, mon Leeds, je vais inculquer quelques principes: mises au vert systématiques. Jeu de cartes et loto obligatoires; ça développe le cerveau, la réflexion et l’instinct de compétition, de contestation, de protestation, mais aussi les liens, l’amitié, l’habitude. La discipline aussi. Et la condition physique. Pour ça, j’avais mon adjudant, Les Cocker. La répétition, la tactique, la technique, c’était moi. Et Owen. Syd Owen. Owen, c’était mon assistant. Ma banque de données.

Ah oui. Un dernier point : Karma est une trainée, le hasard est son maquereau. Le hasard, c’est un truc de loser. Alors j’ai noté, consigné, espionné, discuté. Emmagasiné. Sur tous les coachs. Tous les arbitres. Les principaux joueurs. Les failles et forces de chaque équipe. Les tactiques, toutes les tactiques. Les adresses, les noms, les lieux de naissance, les histoires troubles et les fils cachés. Tout. Chaque détail. Sur mon équipe, ça c’était moi. Et surtout sur tous les autres. Et ça c’était Syd.

Et j’ai gagné. Bordel, j’ai tout gagné. Ou presque. League 2 (1964), League 1 (1969 et 1974), League Cup (1968) et FA Cup (1972), et deux Coupes d’Europe: deux Coupes des Villes de Foires (1968 et 1971). Et je te parle pas des deux Community Shield. Ouais mon gars. Cream of the crop.

The half empty glass

Mais le souci, c’est que j’ai été deuxième. Plus souvent. Finaliste malheureux. La place du con. Je la connais. Je la connais tellement bien qu’on m’en a même érigé comme symbole. Ben ouais. J’ai deux fois le palmarès de Shankly quasiment, et j’ai tout fait avant lui. Et lui, il a une statue, c’est un dieu dans son royaume, et une star dans l’inconscient collectif. Et moi ? Je suis le deuxième. Vice Champion d’Angleterre à cinq reprises (65, 66, 70, 71 et 72), perdant malheureux de pas moins de six finales, et même d’une septième alors que j’avais quitté Leeds ! Foutu Clough qui a refusé d’être sur le banc pour le Community Shield 74… J’ai raté une Coupe d’Europe, une League Cup, 3 coupes d’Angleterre et un Community Shield.

Et mon équipe râlait. Elle frappait aussi. Dans le dos, car c’est beaucoup plus efficace, et l’efficacité prime. Et les enveloppes de Syd circulaient. Vers des joueurs. Vers des arbitres. Rien n’a jamais pu être prouvé. Pas de hasard, je vous dis. Dirty Leeds. C’est comme ça qu’on nous a surnommés. Nobody ever liked us. And we never cared. Petit à petit, j’ai appris à respecter Shankly. Le mec m’a trop battu. Je l’ai trop battu. On s’est trop regardé dans les yeux. Il a lu dans les miens. Par contre, j’ai jamais appris à respecter Clough. Petit con. Ce mec m’a chié dans les bottes jusqu’à mon dernier souffle. Salopard. Tout ça parce qu’un jour je ne lui ai pas serré la main.

Faut me comprendre: alors même que je suis au top du football anglais, pendant toutes les années soixante, et même après, quand vous demandiez aux gens: « C’est qui le mec né à Middlesbrough, joueur prometteur super classe devenu international puis coach à succès, entraîneur de génie, charismatique et destiné à devenir sélectionneur ? », 99% de la planète répondait « Brian Clough ». Putain de Brian Clough. Alcoolique fourbu et fragile, irrationnel et insolent. Moi j’ai toujours porté le blazer. Et on me donne du Sir maintenant.

En 1974, je suis au top. Et vu le fiasco en sélection, la place est libre depuis le printemps. Clough est pressenti pour le poste. En tout cas il le croit. Le Pays le croit. Mais c’est moi qui aurai le poste. Je quitte Leeds en laissant des instructions pour ma succession, mon testament. Et ils m’ont chié dans les bottes. Clough, putain, Clough ! Le mec qui crachait sur mes titres en les appelant « sales ». C’est lui qu’ils ont recruté pour me succéder au lieu de Johnny, mon fils ma bataille. Tout ça pour 44 putains de jours, et un fiasco historique.

Et ouaip. L’a dû en faire une tronche Clough en l’apprenant par la radio.

Sans doute la même que celle des patrons de la fédé, trois ans plus tard, quand ils ont appris que j’avais quitté le poste. Ouais. J’ai quitté le poste. Comme ça. Depuis la défaite contre l’Italie fin 76, je le sentais venir. Le vidage. Et on vide pas Don Revie. Don Revie part, il quitte le poste. Il donne une interview pour s’expliquer au Daily Mail. Ensuite ses anciens employeurs apprennent la nouvelle. Et c’est seulement APRES, qu’ils reçoivent la lettre de dem’. Ils en ont fait un de ces foins : ils ont d’abord voulu me bannir à vie du foot anglais, puis pour dix ans. Je les ai traînés devant la haute cour de justice qui a cassé leur sanction. Foutez-la vous ou je pense. Et ouais.

La classe selon Don. A partir de là, que dire ? Je signe un nouveau contrat aux Emirats Arabes Unis (ouais, j’ai VRAIMENT été un précurseur dans beaucoup de domaines). Mais c’est la fin. Je ne dure guère. Je diminue. Et je m’éteins, en 1989. J’ai même pas vu tomber le mur. Je l’ai raté. A rien. Comme plein de choses dans ma vie, apparemment.

Et le prochain qui me parle de Brian Clough, je lui introduis cette bouteille dans le fondement.

[1] L’auteur de cet article est un de nos lecteurs[2] de la première heure, mais aussi une figure emblématique des Cahiers du Football. Il est l’une des 37 personnes dans le monde à avoir cru à un titre de Liverpool dès le début de la saison.

[2] Comment ça ? Toi aussi, fidèle lecteur, tu veux écrire pour TK ? Rien de plus simple, envoie-nous un mail à teenagekickscdf(at)gmail(dot)com, et découvre la gloire, l’argent sale et les filles faciles.

Les demi-finales de FA Cup disputées il y a 8 jours à Wembley sont l’occasion idéale de parler du plus beau parcours de toute l’histoire de la FA Cup : Sunderland, en 1973. Le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) éliminait Arsenal en demi-finale et remportait la finale face au grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park.

Si vous prenez cette série en cours, la lecture de l’intro est recommandée (et du reste aussi d’ailleurs).

Suite et fin de l’interview avec une Sunderland legend de l’époque, Cecil Irwin, latéral droit aux 351 matchs sous le maillot rouge et blanc entre 1958 et 1972 (6 saisons en D1 et 7 en D2).

Interview vintage – suite et fin

Ce qui est dingue aussi Cecil, c’est qu’à peu près la même tragédie s’était déroulée à Roker Park trente ans auparavant, le 8 mars 1933, dans un Sunderland-Derby. Pareil, replay de FA Cup, 75 118 spectateurs officiellement, au minimum 100 000 en fait, et des bousculades qui firent 2 morts et beaucoup de blessés.

Effectivement, aucune leçon ne fut retenue de toutes ces tragédies depuis Ibrox Park en 1902 jusqu’à Hillsborough. Mais tu connais le plus insensé de l’histoire sur ce match contre Man United à Roker Park ?

Non…

Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans payer ce soir-là envoyèrent de l’argent au club par la suite tellement ils avaient adoré le match ! [1 – réponse au jeu concours]

Incroyable ! Vraiment un match totalement dingue du début à la fin. Sur le terrain, vous faites 2-2 contre Man United, des regrets ?

Oui, car on menait 2-1 jusqu’à la 118è minute des prolongations où Bobby Charlton claque… Moi, je marquais George Best en alternance avec notre arrière central, je pense l’avoir bien muselé car il fut discret ce soir-là. Il était très jeune alors, même pas 18 ans, il avait l’air nerveux. D’ailleurs, on a su plus tard qu’il ne voulait pas disputer ce match.

Ah bon, pourquoi ?

Juste avant le match, en voyant cette foule déchaînée et cette ferveur incroyable, Best avait paniqué et pris peur. Il avait alors demandé à Matt Busby de ne pas l’aligner !

[propos confirmés ici par le Black Cat Nicky Sharkey qui tient l’anecdote de Nobby Stiles, le combatif milieu défensif de Man United et international anglais :

« George Best était terrifié, assis dans un coin avec une serviette sur la tête pendant une bonne heure avant le coup d’envoi. »

3-3 à Old Trafford, puis 2-2 à Roker Park lors du replay, il fallut donc un troisième match d’appui disputé 5 jours plus tard. Ça se passa mal je crois…

Effectivement, re-replay à Huddersfield devant 55 000 spectateurs, terrain pourri. Best s’était bien remis de sa grosse frayeur et nous, ben on se prend 5-1, hat-trick de Denis Law…

Hormis Brian Clough, qui étaient les grands joueurs (internationaux) de Sunderland à ton époque ?

Comme internationaux anglais, on avait Dave Watson, capé 65 fois, de 1974 à 1982. Colin Todd aussi, 27 fois capé (1972-77) et quelques autres, comme Dennis Tueart. Pas mal d’internationaux écossais, comme George Mulhall et George Herd mais surtout le grand Jim Baxter (34 capes), un personnage ce Jim ! Décédé, malheureusement. Et l’Irlandais Charlie Hurley bien sûr, une vraie vedette, 40 capes en 12 ans de sélection nationale. En 1964, il fut élu 2è meilleur joueur du championnat derrière Bobby Moore [prix Football Writers’ Player of the Year – les célèbres récompenses décernées par la PFA ne commencèrent qu’en 1974].

Ni Jim Montgomery, ni toi ni aucun Black Cats d’alors [Watson et Tueart seront capés une fois partis de SAFC] ne furent sélectionné en équipe d’Angleterre. Penses-tu que le sélectionneur d’alors, Alf Ramsey, favorisait les clubs du Sud, londoniens plus précisément ?

J’ignore s’il avait un parti pris, je crois que, tout simplement, ça les emmerdait de venir nous observer tout là haut, au nord (est) du pays ! Aucun match n’était retransmis nationalement et il fallait donc se déplacer. A moins d’être une valeur sûre ou un crack, comme Brian Clough, on avait moins de chance d’être sélectionné en jouant à Sunderland. Jim Montgomery fut pris comme suppléant de Gordon Banks, une fois je crois. Mais soyons honnête, Sunderland occupait la deuxième moitié de tableau de D1 le plus souvent. La concurrence était très féroce, les ¾ des joueurs de club étaient anglais, pas comme aujourd’hui.

Revenons à Brian Clough, 3 ans à Sunderland (1961-64, 63 buts en 74 matchs, D2). Personnalité complexe, souvent décrit comme une peste sur et en dehors du terrain (arrogant, parfois imbuvable, provocateur, etc.). Ses coéquipiers de Middlesbrough n’en pouvaient plus et avaient fait une pétition pour s’en débarrasser ! Il était comment avec vous ?

Avec nous, ça allait. Bon, il lui arrivait d’avoir la grosse tête et d’agacer à force de chambrer mais il était sympa, on s’entendait bien tous les deux. Et quel joueur alors, on lui passait le ballon et il claquait ! C’était vital pour lui de marquer, il adorait ça plus que tout.

Il avait 26 ans à son arrivée à Sunderland et on voyait qu’il pouvait devenir un grand manager s’il choisissait cette voie, il avait une grande assurance, une arrogance naturelle. Ce qu’il réussit par la suite ne m’étonna guère. Mais tu sais, Alan Brown, notre manager [de 1957 à 1964 puis 1968-72], était très strict et tenait les joueurs d’une main de fer, gare à celui qui désobéissait ! D’ailleurs, Brian a dit bien plus tard avoir été influencé par Brown dans son parcours de manager. A mon avis, il s’en inspira même largement.

T’as une p’tite anecdote sur les rapports entre Alan Brown et Brian Clough ?

Oui, et une sympa… Un jour, alors que Brian Clough venait d’arriver au club, Brown faisait une causerie au centre d’entraînement qui était ouvert au public. On l’écoutait tous religieusement en cercle et là, un type appelle Cloughie pour avoir son autographe. Brian était connu, surtout dans la région, il avait été sélectionné en équipe d’Angleterre et claqué 197 buts en 213 matchs à Middlesbrough (D2) ! Assez fièrement, Cloughie se met à trottiner pour aller signer cet autographe et là, Brown l’interpelle et d’un ton très officiel lui envoie : « Monsieur Clough, si vous signez cet autographe, vous ne jouerez pas samedi. » Brian avait rappliqué aussi sec, sans broncher ! Ce pauvre supporter était resté le bras tendu avec son stylo et son bout de papier… [rires]

C’est vrai l’histoire qui circule sur la première chose qu’Alan Brown dit à Brian Clough quand ce dernier débarqua à Sunderland ?

Ah, oui, il lui avait dit :

« Brian, tu as souvent dû entendre ce que les gens disent de moi, que je suis un beau salaud, un enfoiré, etc. Et bien c’est parfaitement exact. »

Brown était très direct, ce qui n’avait pas plu à Don Revie d’ailleurs !

[Revie porta le maillot de Sunderland de 1956 à 1958 – ailier/joueur de couloir dans le système WM (inside forward) ou avant-centre, 66 matchs/15 buts – avant de devenir peu après le mythique manager de Leeds United, 1961-74 et le nettement moins mythique sélectionneur anglais, 1974-77. Brian Clough et Don Revie se détestaient. Le 30 juillet 1974, Cloughie remplaça Revie à la tête de Leeds United… Voir plus bas The Damned United]

Quel terrible dommage que Brian Clough ait dû arrêter sa carrière si tôt…

Effectivement, je me rappelle de ce jour, Boxing Day 1962, quand le gardien adverse faucha Brian, son genou se déboîta… Les conditions météos étaient dantesques et le terrain gelé [2]. Verdict : rupture des ligaments croisés du genou (ci-dessous).

A l’époque, on ne soignait pas ça comme maintenant et ce genre de blessure ne pardonnait pas. Cloughie avait 27 ans et il ne rejoua plus [A la mi-saison 1962-63, il en était déjà à 24 buts en championnat]. Il tenta de revenir 20 mois plus tard, dont un match avec la réserve devant 10 000 personnes, rien que pour le revoir !  Il marqua un hat-trick ce jour-là puis, dans la foulée, disputa 3 matchs de D1 en septembre 1964. Mais il dut se rendre à l’évidence et raccrocha les crampons quelques semaines plus tard. Le club le nomma alors entraîneur des jeunes ; puis, en 1965, il partit manager Hartlepool en D4 et on connaît la suite [si ce n’est pas déjà fait : livre et film ci-dessous, bande-annonce]

Alan Brown était réputé pour son style autoritaire et ses soufflantes. Est-il vrai qu’il envoyait les contestataires faire ramasseur de balle dans les matchs de jeunes ?

A ma connaissance, non, il n’a jamais fait ça. Par contre, ceux qui l’ouvraient trop ou autre, il les envoyait s’entraîner avec les jeunes, et il ne les alignait qu’une fois par mois.

Pourquoi une fois par mois ?

C’était le règlement, la PFA [syndicat des joueurs] avait obtenu ce minimum pour tout joueur sanctionné. Brownie était très strict mais juste et il savait parler aux joueurs. C’était un excellent man-motivator, il te prenait un joueur moyen et, à la tchache, le motivait au point que le gars se sentait invincible. Il savait aussi te faire te sentir tout petit !

Tiens, tiens, ça me rappelle quelqu’un, un certain Brian Clough…

Exactement, Cloughie a largement pris modèle sur Alan Brown (ci-dessous) tout au long de sa formidable carrière. Il a calqué sa façon de pensée sur la personnalité de Brown, sans l’ombre d’un doute.

Alan Brown vous organisait parfois des séances d’entraînement étonnantes, c’était quoi ce fameux « shadow play » que les joueurs détestaient tant ?

Ah oui, ça c’était spécial en effet. Brown aimait expérimenter et avait souvent d’excellentes idées mais celle-là laissait à désirer ! Lors de ces séances shadow play, on jouait contre une équipe invisible… Sans adversaire, on devait faire comme s’il s’agissait d’un vrai match, pour travailler le positionnement, la tactique, le mouvement, ce genre de chose. La finalité de l’exercice était d’établir des dispositifs au moyen de phases séquentielles bien précises. Après quelques séances, on trouva ça inutile et, franchement, ça ne marchait pas en match. Mais il ne voulait rien savoir et personne n’osait trop lui dire ! On a fait ça cinq fois par semaine pendant plus d’une saison, on marquait dans des buts vides, c’était surréaliste. Puis il dut se rendre compte de l’inutilité de l’exercice car on arrêta net. C’était au tout début de son manageriat, quand on jouait encore parfois avec le WM de Chapman, toujours en vogue à la fin des Fifties.

Alan Brown quitte Sunderland au moment où vous montez en D1 en 64, pourquoi ?

Une sombre histoire d’argent… Pour notre remontée en D1, on avait reçu 1 500 £ chacun [moins 50 % de prélèvements, ndlr], une somme énorme, suffisante pour s’acheter un appartement ou une terraced house. Sauf que le club ne la versa pas à Brownie ou il reçut beaucoup moins je crois. Y’avait aussi une embrouille sur sa maison. Le club nous aidait financièrement pour acheter notre maison, lui avait une belle propriété à Cleadon [coin aisé près de Sunderland] qu’il louait mais comptait acheter. Apparemment, Brownie jugea cette aide financière trop modeste par rapport au prix de la maison. Pas mal de clubs le voulaient et il partit entraîner Sheffield Wednesday été 1964, Wednesday était alors dans le Top 6 anglais depuis la fin des Fifties.

Et puis Brown revient à Sunderland en 1968…

Et ouais ! Entre-temps, on avait eu deux managers totalement différents de Brown, un intérimaire et ensuite John McColl pendant 3 ans, un Ecossais, pas désagréable mais beaucoup trop coulant. Quelques gars commencèrent à  se relâcher. En 1966, on frisa la descente et 1967 ne fut pas glorieux non plus, dommage car on avait une bonne équipe.

Un relâchement du style à picoler la semaine et sortir ?

Quelques-uns ouais, c’était pas toute l’équipe, loin de là, mais, par exemple, certains se pointaient régulièrement en retard à l’entraînement, ou ne venaient carrément pas, impunément. Le pire, c’était l’international écossais [et Rangers legend] Jim Baxter [3], qu’est-ce qu’il descendait ! Et il aimait la bringue, les femmes, les paris, bref la totale. Un sacré joueur ce Jimmy. Il détestait les entraînements plus que tout ! Milieu de terrain, condition physique incroyable, j’ai jamais compris comment il faisait… Il n’a jamais évolué sous Brown, sinon Brownie n’aurait pas toléré un centième de ce que McColl laissait passer. Il a quitté Sunderland avant que Brown ne revienne en 1968.

Y’avait donc un salary cap quand tu as commencé en 1958, et jusqu’en janvier 1961, 20 £ maximum / semaine. Tu gagnais combien toi ? Tu touchais des primes ?

Mon tout premier contrat pro, je touchais 5 £ / semaine, pendant une bonne année, moins que notre groundsman (jardinier) ! Ensuite, à partir de 18 ans, j’ai touché le maximum autorisé pour un footballeur, 20 £ [salaire moyen anglais en 1960 : 15 £ / semaine]. On avait une prime d’1 £ par point pris, 2 £ en cas de victoire donc. Puis, à l’abolition du salary cap, c’est monté progressivement, le maximum que j’ai touché était 50 £ par semaine.

Si, en D2, tu touchais le salaire maximum autorisé, y’avait donc pas de différence salariale entre le meilleur joueur de D1 et un joueur de D2 ?

Aucune en effet ou alors faible, même si je dois dire qu’on n’était pas vraiment au courant des salaires pratiqués ailleurs, pas du tout comme aujourd’hui disons. Même en D3 ou D4, un bon joueur pouvait toucher le maximum. Ensuite, quand ce plafond salarial sauta, tout le monde touchait la même chose à Sunderland vers 1965, 50 £ hebdo, sauf les 2 ou 3 vedettes comme Charlie Hurley, qui touchaient 70 £. Avec les primes, on pouvait gagner 4 fois le salaire moyen de l’époque.

Les primes et les avantages en nature, justement, ça aidait bien non ?

Ah oui, il n’y avait pas ou peu de primes à la signature mais, après la fin du salary cap, la prime par point gagné passa à 20 £ [2 pts maximum]. On recevait des primes de montée aussi, comme je te disais. Côté avantages, le club nous aidait bien pour acheter notre maison, ce genre de chose.

Tu as joué quinze fois contre le Dirty Leeds de Don Revie, avec les Bremner, les Johnny Giles, les Norman Hunter, Jackie Charlton et j’en passe. De sacrés joueurs mais pas des poètes. Giles minimise aujourd’hui en disant que les autres [équipes] n’étaient pas des anges non plus. Ton avis ?

Peut-être, mais Leeds, c’était de loin les pires ! Ils te pourrissaient, pas verbalement, hormis quelques insultes. Non, eux, ils cassaient, c’était toujours risqué de les affronter. Leur devise semblait être : « Si tu rates le ballon, ne rate surtout pas le joueur ». Les arbitres étaient très coulants à l’époque, les matchs n’étaient pas retransmis, etc. et Leeds en profitait.

Justement, sur tes 351 matchs avec SAFC, tu n’as jamais été remplacé en cours de match ! [les remplacements ne sont cependant arrivés qu’en 1965, et seulement sur blessure les deux premières saisons]. Quelle était ta recette pour ne jamais être blessé ?

J’avais la forme effectivement, on s’entraînait tous les jours, le vendredi était très léger cependant, un peu de foncier. Je n’ai été blessé qu’une seule fois dans ma carrière, indisponible 3 mois, fracture du scaphoïde (articulation du pouce) en retombant mal lors d’un amical contre Standard de Liège. D’ailleurs, je ne peux toujours pas bouger mon pouce. A l’époque, même si t’avais mal, tu restais sur le terrain ! On a parfois dû jouer avec la moitié de l’équipe sous infiltration de cortisone ou avec des joueurs qui avaient des cotes cassées, ou même à 9 !

La mythique équipe de 73 vainqueur de la FA Cup a fait toute la saison, 52 matchs, avec 15 joueurs. Vous étiez combien vous dans les années 60 ?

Pareil, 20 maximum. On fait toute la saison 1963-64 avec 13 ou 14 joueurs au total et les autres avec entre 15 et 20, jamais plus. Y’avait 22 clubs en D1, alors avec les coupes (FA Cup et League Cup) et les replays, on dépassait les 50 matchs par saison. Et sans tous les kinés, les traitements, etc. disponibles aujourd’hui dans un club.

En 1972, Brown, qui t’avait fait démarrer, te « libère », tu pars manager Yeovil, en non-league.

Ouais, j’avais 30 ans et j’aurais évidemment aimé rester à Sunderland mais Brown aimait les jeunes joueurs, il en faisait souvent venir. Il m’avait repositionné à gauche mais je ne m’étais pas du tout adapté et avait perdu de ma confiance. J’avais des propositions intéressantes pour aller jouer à l’étranger mais avec une famille, pas facile, on ne t’aidait pas financièrement pour la relocalisation et tout ça coûtait cher. Je suis donc resté en Angleterre. Ensuite, j’ai racheté un bureau de tabac-presse près de Newcastle. J’ai fait une bonne petite carrière…

Kevin Quigagne.

Teenage Kicks sur Facebook et sur Twitter.

Et à voir ou revoir, ce formidable clip.

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[1] C’était donc la solution du jeu concours. Bravo à Torben Pfannkuch – le plus près de la réalité – qui gagne notre formidable cadeau, une chaussette dédicacée et trouée que porta Francis Jeffers lors de ses mythiques immanquables*.

[2] Le fameux hiver 1962-63 est resté gelé dans la légende, le pire hiver britannique depuis 1740. Seuls 3 clubs (tels Everton, depuis 1958) avaient une pelouse chauffée et on ne joua quasiment pas de Noël à début mars. Certains clubs, tel Norwich, étaient tellement à cran – car financièrement à sec -, qu’ils attaquèrent la pelouse au chalumeau ! En vain. La stratégie de Dundee United fut intéressante aussi : utiliser un brûleur industriel de goudron. Résultat : ils cramèrent la pelouse et durent la recouvrir de sable. Ils purent disputer quelques matchs et même les gagner. Ces succès sur sable incitèrent les supporters à adopter le surnom The Arabs (Wrexham recrouvrit également le terrain de 80 tonnes de sable et put disputer quelques matchs).

Plusieurs matchs de coupe furent reportés une quinzaine de fois, et bien plus en Ecosse (Airdrie-Stranraer, 33 fois). Rien que pour boucler le third round (32è) de FA Cup – toujours disputé le premier week-end de janvier – il fallut 66 jours ! (261 reports).

[3] Son wiki confirme les propos de Cecil… Les cendres de l’épicurien Jim Baxter furent dispersées à Ibrox Park à sa mort, en 2001.

[*finalement, je la garde pour moi sa chaussette et à la place j’enverrai 3 programmes de match du club britannique préféré de Torben, un prog. récent, un des années 90 et un trentenaire. Si Torben ne supporte aucun club british, il aura sa chaussette. Si c’est Newcastle United, il repartira avec le trou de la chaussette et un gros 0-3 cousu autour]