Archive for novembre, 2014

Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le chemin parcouru ces dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

Voir introduction de ce dossier.

On estime qu’entre 1875 et 1914, les années formatives du football britannique, une vingtaine de joueurs noirs ou métis/non-blancs évoluèrent dans des clubs de Football League anglaise et écossaise (D1 et D2). Parmi eux, Andrew Watson, Arthur Wharton et Walter Tull sont, de loin, les plus connus. L’histoire du football britannique antérieure à la Première Guerre mondiale n’a malheureusement gardé aucune ou peu de trace des autres (hormis John Walker, les Frères Cother à Watford, Fred Corbett et Hassan Hegazi), simplement quelques noms (et encore) dans les listes de joueurs.

Aujourd’hui, la star incontestée parmi ces pionniers : l’extraordinaire Arthur Wharton.

[Comme d’hab’, cliquez sur les photos pour les agrandir]

# 2. Arthur Wharton (1865-1930)

Arthur Wharton est le premier professionnel noir « avéré » du football britannique (il est toutefois probable qu’Andrew Watson le devança – à Bootle FC -, voir volet précédent) et, à ce titre, il est considéré comme le pionnier du football noir au plan international.

Wharton « Le bronzé »

Né en Côte-de-l’Or en 1865 (pas l’ancêtre du 21 mais l’ancien nom du Ghana, Gold Coast) dans une famille de la bourgeoisie locale. En 1882, ce fils d’une Ghanéenne-Ecossaise et d’un pasteur grenadien-écossais est envoyé faire des études religieuses en Angleterre (il avait déjà été scolarisé dans une école de Londres de 1875 à 1879), d’abord près de Birmingham puis, en 1884, à Darlington (60 kms au sud de Newcastle). Au grand dam de son père, Wharton ne deviendra pas missionnaire méthodiste comme lui mais sportif professionnel.

Sitôt arrivé à « Darlo » (surnom de Darlington), il envoie valser ses bouquins pour se mettre au sport et au football en particulier, jouant dans plusieurs clubs de la région du North East, y compris à Newcastle East End (aujourd’hui NUFC), parfois en même temps. Ce butinage peut étonner aujourd’hui mais avant l’officialisation du professionnalisme en 1885, les contrats n’existant pas, un joueur pouvait être licencié dans un club et lui faire des infidélités [1] (comme dans le cas d’Andrew Watson). Une flexibilité extrême adaptée à ce football sans championnat fait de coupes locales et de matchs amicaux, ce qui permettait au joueur d’aller voir ailleurs si son club se faisait éliminer tôt dans une compétition.

En 1885, il signe à Darlington FC (les Quakers) où il joue gardien. Facétieux et extraordinaire showman – il déconne souvent avec le public en plein match ou fait des acrobaties sur la barre transversale -, « Darkie Wharton » (Wharton Le bronzé, son surnom), est adoré de tous et décrit comme « magnifique » ou « invincible » par la presse.

Darlington FC (1883-2012), ex club de Football League, aujourd’hui réincarné en Darlington 1883 (D8). Les derbys Darlington-Bury en D4 (jusqu’aux années 2000) avaient acquis une petite notoriété car ils opposaient les Quakers de Darlo (To quake = trembler) aux Shakers de Bury (les Secoueurs). Une confrontation où la fébrilité était forcément de mise (le trait d’esprit favori des commentateurs du match). Notez la loco à vapeur sur l’écusson de feu Darlington FC : et ouais, c’est chez eux que tout a démarré (première ligne ouverte au transport de passagers au monde en 1825, entre Darlo et Stockton. Loco fabriquée à Newcastle car… Bon j’arrête, j’ai promis dans le dernier article que TK ne se transformerait pas en La Vie du Rail).

Un sportif d’une polyvalence époustouflante

D’une vélocité exceptionnelle, Wharton bat le record du monde du 100 yards (91,5 mètres) au championnat national de l’Amateur Athletics Association à Stamford Bridge en juillet 1886, 10 secondes pile, chrono réalisé deux fois d’affilée de surcroît (qualif et finale). Un record qui tiendra 24 ans. Le football commençant à attirer du public (c’est l’époque ou le foot devient un spectator sport) et donc brasser de l’argent (même en amateur, la période du shamateurism – amateurisme marron – n’étant pas révolue), il se dirige naturellement vers ce sport en plein essor et délaisse temporairement le cricket, la gymnastique, la boxe et le cyclisme où il se distingue également. Wharton excelle d’ailleurs dans tous les sports !

Aperçu de ses talents : en 1887, il bat le record du contre-la-montre entre Preston et Blackburn en vélo ; en 1888, il gagne sa vie comme coureur à pied ; de 1889 à 1895, il sera cricketeur professionnel pendant six étés, le football faisait relâche d’avril à septembre (cette pratique se développera et des dizaines de footballeurs joueront professionnellement au cricket – de fin avril à août – jusqu’aux années 1970-80 [2]).

Malgré sa vélocité exceptionnelle, on conseilla à Wharton de jouer gardien. Les préjugés d’alors voulaient qu’un Noir manquait de « panache » pour évoluer comme joueur de champ.

En août 1886, un an après la légalisation du professionnalisme, Wharton est recruté par Preston North End en tant que semi-pro. Il y joue d’abord ailier puis rapidement, comme à Darlington, on lui conseille d’être gardien, malgré sa fulgurante pointe de vitesse (les préjugés d’alors voulaient qu’un Noir manquait de « panache » pour évoluer comme joueur de champ [3]). Avec Preston, il dispute la demi-finale de FA Cup 1887 contre West Bromwich Albion. PNE est donné largement favori mais s’incline 3-1.

Fantasque, il aime faire des coups pendables, comme baisser la corde ou tout autre matériau qui sert parfois de barre transversale au moment où un adversaire arme son tir… (il fallut attendre le milieu des années 1880 pour que la barre en bois se généralise).

C’est à cette époque que plusieurs journalistes du nord de l’Angleterre militent pour la sélection de Wharton en équipe d’Angleterre et nombre de supporters de Preston partagent leur avis. Toutefois, Wharton a un détracteur influent, un certain Bosh Whispers, journaliste à The Athletic Journal, un quotidien de l’époque. Le 29 octobre 1887, Whispers y publie cette diatribe raciste :

« Les spécialistes s’accordent à dire que si Wharton garde les buts de Preston North End en FA Cup, PNE n’aura que peu de chance de passer. C’est aussi mon avis. Mais ce basané est-il suffisamment intelligent pour comprendre que le poste de gardien n’est pas fait pour les clowns ? »

Mais le racisme, dans toute son abjection, Wharton l’avait déjà rencontré. Il se l’était pris en pleine face deux ans auparavant. En 1885, il remporte largement le 100 yards d’un meeting d’athlétisme à Middlesbrough mais les juges attribuent la première place – et une belle prime – au sprinteur arrivé deuxième. De rage, Wharton se saisit de son prix, un saladier, et le fracasse aux pieds des organisateurs. Quelques mois plus tard, à un autre meeting, Wharton entend deux compétiteurs brailler : « Mais bon sang, pourquoi doit-on courir avec un nègre ? Bah, d’ toute manière, pas d’ soucis, on va battre ce foutu nègre sans problèmes. » Wharton leur propose alors une alternative pour régler ça : un match de boxe, lui contre eux deux, là, maintenant, au bord de la piste. Les deux racistes baissent la tête et tournent les talons.

Un héros invisible

Malheureusement pour la trajectoire de sa carrière, Wharton quitte Preston North End en 1888, au moment même où la Football League démarre (premier championnat professionnel créé au monde, 125 ans fêtés l’an dernier). L’édition inaugurale sera remportée haut la main par PNE, surnommé The Invincibles à partir de 1889 car ils termineront la saison invaincus avec 18 victoires et 4 nuls.

C’est Rotherham Town qui offre à Wharton son premier contrat professionnel en 1889, mais ce club n’évolue qu’en Midland League, l’un des nouveaux championnats régionaux de l’époque qui tenteront vaguement de concurrencer la Football League avant de lui servir d’antichambre (feeder league). C’est à cette époque que Wharton se met sérieusement à boire, ce qui lui est très aisé : il tient un pub tout en continuant à jouer.

En 1894, il est recruté par Sheffield United (D1) comme doublure de l’extraordinaire gardien William “Fatty” Foulke (ci-dessous), 1,90m pour 125 kilos (150 en fin de carrière, il cassa la barre en bois en s’y pendant lors d’un match en 1896 – on le voit en action quelques secondes dans cet extraordinaire clip de 1902 d’excellente qualité, à 2’04). Wharton évolue aussi ailier à l’occasion.


Ne cherchez plus l’origine du mal qui touche les gardiens anglais : ça remonte à l’ex international (!) William « Fatty » Foulke.

Le 23 février 1895, contre Sunderland, Wharton devient le premier professionnel noir à disputer un match de D1. Toutefois, la cote de Foulke grimpe et Wharton ne disputera que trois rencontres parmi l’élite. A 30 ans passés, il bifurque vers le football semi-pro et, en 1897, en tant qu’entraîneur-joueur de Stalybridge Rovers près de Manchester, il recrute… Herbert Chapman, le futur légendaire manager d’Huddersfield et Arsenal.

Entre-temps, sa vie dissolue va bon train : il engrosse sa belle-soeur et sombre dans l’alcoolisme. Il finira sa carrière sur l’aile à Stockport County (D2), disputant son dernier match contre Newton Heath le 1er février 1902, des Heathens qui deviendront Manchester United deux mois plus tard (voir article TK).
Au total, Wharton n’aura disputé qu’une quinzaine de matchs officiels dans 8 clubs en 17 ans mais il laissera une trace sans commune mesure avec ses modestes statistiques. Une trace demeurée longtemps invisible : malgré son extraordinaire polyvalence au plus haut niveau, son unique personnalité et son statut de cult hero dans tout le nord ouvrier du pays, Wharton ne figure dans aucun livre et revue sportives de l’époque (tels les almanachs et autres Who’s Who annuels des footballeurs et sportifs).

Wharton, victime du « racisme scientifique » ?

Son après-football sera tragique. En 1902, Wharton postule pour un emploi dans l’administration coloniale du Ghana mais la Gold Coast Colonial Administration considère sa carrière sportive professionnelle comme une régression sociale et rejette sa candidature. Pour eux, Wharton « s’est vendu » (la GCCA est un monolithe rongé par le népotisme, peut-être aussi la raison du rejet).

Selon moi, une autre théorie envisageable pour expliquer ce singulier refus est à rechercher du côté de l’idéologie impérialiste et ségrégationniste de l’époque. Il est possible que les formidables qualités physiques d’Arthur Wharton dans tant de domaines irritèrent, voire inquiétèrent, les expatriés britanniques du Ghana, purs produits de la pensée victorienne pour lesquels la suprématie de la race blanche était une évidence (en parfaite adéquation avec les théories fumeuses du « racisme scientifique », très en vogue à l’époque, surtout dans les colonies, car elles servaient de justification à l’impérialisme européen, cf la taxonomie raciale).
L’empire britannique est alors au faîte de sa puissance commerciale et démographique (englobant un quart de la population mondiale – « L’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais », selon la formule de l’époque) et Arthur Wharton, par son insolente réussite, obligeait les tenants d’une telle doctrine à reconsidérer leurs positions ; un repositionnement intellectuel radical qui aurait été de nature à remettre en cause l’ordre racial établi.


Cette étude hautement scientifique de l’armée US en 1917 confirme nos doutes sur les Belges

Devant ce revers, Wharton n’a d’autre choix que de rester dans le South Yorkshire (Sheffield et Rotherham) où il reprend successivement la direction de plusieurs pubs, ce qui n’arrange en rien sa santé. En 1915, il déménage à Doncaster où il travaillera une quinzaine d’années comme pousseur de chariot dans la mine de charbon d’Edlington, tout en continuant à noyer son blues dans l’alcool. Le 12 décembre 1930, à 65 ans, il meurt sans le sou dans un sanatorium de Doncaster (d’un combo syphilis-épithélioma, cancer de la peau).

Après l’oubli, la reconnaissance

Wharton sera enterré au cimetière d’Edlington dans une pauper’s grave, une sépulture anonyme réservée aux indigents. C’est là qu’il gît, oublié de tous, jusqu’en mai 1997 quand les organisateurs du projet Football Unites – Racism Divides créé en 1995 par des supporters de Sheffield United (ici, une initiative qui s’est récemment conclue ainsi) collectent suffisamment d’argent pour lui offrir une pierre tombale.

Lors d’une commémoration au cimetière d’Edlington où sont présents deux descendantes de Wharton, l’écrivain Phil Vasili [4] déclare :

« Grâce à cette pierre tombale, Arthur Wharton est de nouveau visible et a retrouvé une certaine dignité. Arthur connut une fin de vie attristante mais ce n’était pas un personnage triste. Il mena sa vie comme il l’entendait, malgré les obstables placés sur son chemin. »

Sur sa stèle est inscrit :

« A la mémoire d’Arthur Wharton
Recordman mondial en sprint et
premier footballeur noir professionnel.
Athlète, il courait aussi vite qu’un train
lancé à pleine vitesse, du début à la fin.
Gardien, il était capable avec ses poings
de dégager prodigieusement loin [5].
Il aimait s’accroupir dans un coin du but
et quand un tir arrivait, bondir pour
accomplir un arrêt formidable. »

En 2003, Wharton est intronisé à l’English Football Hall of Fame et, en 2010, la Fondation Arthur Wharton est créée. Avant l’Angleterre-Ghana du 29 mars 2011, la legacy d’Arthur Wharton est officiellement reconnue par la FA qui dévoile une statuette en son honneur. Brendan Batson (dont on reparlera dans cette série), l’ex défenseur de West Bromwich Albion et aujourd’hui employé par la FA comme consultant for equality, déclare (clip) :

« Le parcours d’Arthur Wharton marque le point de départ du voyage effectué par tous les joueurs noirs. »

Le mois dernier, une superbe statue en bronze de cinq mètres a été érigée devant le Centre National du Football à Burton-upon-Trent, voir clip.


La superbe statue d’Arthur Wharton au Memorial Garden du National Football Centre de Burton. Deux autres seraient prévues à Darlington (enfin, c’est dans les cartons depuis 2007 et vu l’état actuel du club c’est pas gagné…) et aussi à Rotherham (on attend avec impatience celle de William “Fatty” Foulke devant Bramall Lane à Sheffield !).

A voir, cette jolie animation en poème sur la carrière de Wharton et ce clip realisé par Phil Vasili et Shaka Hislop.

Kevin Quigagne.

Les volets précédents :
(1) Introduction. Les premiers Blacks du football britannique
(2) Andrew Watson. Les premiers Blacks du football britannique

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[1] On appelait ces joueurs des guest players (To guest for : offrir ses services à d’autres clubs). Pratique courante pendant la Seconde Guerre mondiale où, dans le cadre de la Wartime League, les joueurs s’alignaient fréquemment dans les clubs environnant leur lieu d’affectation. Bill Shankly par exemple, qui s’engagea dans la RAF en 1939 à 26 ans (il jouait alors à Preston North End), porta les couleurs d’Arsenal, de Luton, Norwich et Partick Thistle à Glasgow. Et même de Liverpool le temps d’un match !

[2] Il m’est arrivé de lire dans les médias de football français (et parfois anglais) que ces joueurs aimaient faire les deux – foot et cricket –, qu’ils ne pouvaient se passer ni de l’un ni de l’autre, etc. Oui, c’était sans doute des mordus mais la vraie raison de cette pratique était surtout financière. L’expression clé ici est « maximum wage/salary cap ». Ce plafond salarial qui sévit de 1901 à 1961 était peu élevé, à peine supérieur au salaire moyen anglais, et encore plus bas l’été. Les primes à la signature étaient interdites (officiellement tout du moins…), seul un loyalty bonus était versé (à partir de 1922) après cinq ans dans le même club. Les primes de match/victoire/nul étaient autorisées mais faibles. Nombre de footballeurs connus travaillaient en dehors des terrains, même des légendes du foot anglais, tel l’immense Tom Finney (76 capes anglaises, 30 buts) qui bossa un temps comme plombier tout en jouant professionnellement (d’où son surnom, The Preston Plumber). Et même après l’abolition en janvier 61, il fallut attendre une bonne quinzaine d’années pour que la majorité des footballeurs gagne bien leur vie. Par exemple, le salaire moyen des formidables Gunners qui réussirent le doublé Championnat-FA Cup en 1971 (les Pat Rice, Peter Storey, Frank McLintock, George Graham, Charlie George & co) n’était que de 55 £/semaine, soit seulement 30 % de plus que le salaire moyen britannique, et ce dix ans après l’abolition du wage cap ! (la moyenne des footballeurs anglais était alors d’environ 70 £, soit environ le double du salaire moyen britannique).

On comprend alors l’engouement pour le cricket pro l’été si on excellait dans ce sport. Une douzaine de footballeurs-cricketeurs réussirent à devenir international dans les deux sports (liste non exhaustive ici). Le dernier cricketeur-footballeur de renom fut Ian Botham (ou Sir Ian Botham plutôt), immense cricketeur anglais et brièvement footballeur pro en D3/D4 dans les années 1980, aujourd’hui personalité médiatique de type « grande gueule sympa ». Parmi les contemporains connus, citons également Andy Goram, gardien international écossais de 1985 à 1998, Glasgow Rangers legend et personnage haut en couleur ; il décrocha aussi plusieurs capes écossaises au cricket. Les frères Neville avaient aussi le potentiel pour être cricketters de haut niveau mais choisirent le foot (bien malheureusement diront certains beaucoup).

[3] Le rôle et les prérogatives du gardien était très différents d’aujourd’hui. Jusqu’en 1891, l’absence totale de marquage sur le terrain (voir ici, milieu d’article) autorisait le gardien à faire usage de ses mains n’importe où. En 1891, il fut limité à sa moitié de terrain puis à sa surface à partir de 1912.

[4] Phil Vasili est un ancien footballeur semi-pro et le plus éminent spécialiste anglais du football noir britannique. Il est l’auteur de Colouring Over the White Line: The History of Black Footballers in Britain, de The First Black Footballer: Arthur Wharton, 1865-1930 et de Walter Tull, 1888-1918, Officer, Footballer.

[5] Hormis son exceptionnelle vitesse, Wharton était réputé pour ses interventions musclées aux poings, emportant tout sur son passage, autant pour envoyer le ballon très loin que pour se protéger (les gardiens étaient alors exposés à une grande brutalité, en toute « légalité »).

Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le chemin parcouru ces dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

Voir introduction du dossier.

On estime qu’entre 1875 et 1914, les années formatives du football britannique, une vingtaine de joueurs noirs ou métis/non-blancs évoluèrent dans des clubs de Football League anglaise et écossaise (D1 et D2). Parmi eux, Andrew Watson, Arthur Wharton et Walter Tull sont, de loin, les plus connus. L’histoire du football britannique antérieure à la Première Guerre mondiale n’a malheureusement gardé aucune ou peu de trace des autres (hormis John Walker, les Frères Cother à Watford, Fred Corbett et Hassan Hegazi), simplement quelques noms (et encore) dans les listes de joueurs.

Aujourd’hui, le daddy de tous les pionniers : Andrew Watson.

# 1. Andrew  Watson (1856-1921)

Né le 24 mai 1856 à Georgetown, Guyane britannique (aujourd’hui Guyana), fils d’un riche planteur écossais de sucre à canne et d’une Guyanienne.

Premier football joueur métis au monde à décrocher une sélection internationale, pour l’Ecosse en 1881, Watson, principalement arrière, était considéré à son apogée comme l’un des tous meilleurs footballeurs de l’époque. Il est également le premier métis à avoir joué en FA Cup, en 1882, avec le club de London Swifts FC. Et contrairement à ce qui est communément admis, il est probable que ce fut Andrew Watson et non Arthur Wharton qui devint le premier footballeur professionnel noir du football britannique.

Élémentaire mon cher : Watson était un vrai crack

Scolarisé à Londres où il pratique assidûment le football, à 19 ans, Andrew Watson démarre des études combinées de mathématiques, ingénierie et philosophie naturelle [sciences] à l’université de Glasgow mais abandonne rapidement son cursus pour se spécialiser dans la mécanique navale.
Arrière central, latéral ou milieu de terrain (généralement dans un dispositif 2-3-5 en Ecosse et 2-2-6 en Angleterre où il partit jouer à partir de 1882 – grosse évolution par rapport au 1-1-8 des années 1860-70 !), il entame en 1874 un parcours ascendant dans les principaux clubs de Glasgow. Après un bref passage au Maxwell FC, il est recruté par l’ambitieux Parkgrove FC où il restera jusqu’en 1880. Le Scottish Football Association annual de 1878-79 classe Watson parmi les meilleurs joueurs en activité.


QPFC et leur belle devise : « Jouer pour le plaisir de jouer » (voir article “Les plus insolites écussons du foot british”).

En avril 1880, Watson est logiquement recruté par le plus grand : les Glasvégiens du Queen’s Park FC [1]. QPFC, déjà quadruple vainqueur de la Scottish Cup, est alors le plus important club du pays et même du Royaume-Uni, un club au rayonnement extraordinaire (« l’équivalent de Man United, Juventus et Real Madrid réunis », nous précise cet intervenant – de 50 secondes à 1’55 – dans ce fascinant clip qui retrace la vie d’Andrew Watson).

En tant que factotum et match secretary, Watson s’occupe également activement de la gestion du club, notamment de l’organisation des matchs à l’extérieur – y compris en Angleterre –, tâche ô combien compliquée à l’époque ! (il n’était pas rare que la moitié des joueurs s’égare en route ou arrive le soir pour un coup d’envoi prévu en début d’après-midi. Sans parler des risques et accidents en tout genre ; selon une blague de l’époque, il était fortement conseillé de souscrire une assurance-vie avant tout déplacement en train ! Rien que pour l’année 1872 par exemple, 1 100 personnes décédèrent dans des accidents ferroviaires – principale raison de ce carnage : les sociétés de chemin de fer traînaient les pieds pour investir dans la sécurité – e.g, dans des systèmes de frein efficaces ! – et la signalisation indiquant la présence de deux trains sur la même voie ne fut rendue obligatoire qu’à partir de 1888. Sujet passionnant mais rassurez-vous, TK ne s’est pas associé à La Vie du Rail alors passons).

Départ pour l’Angleterre

Le 12 mars 1881, Watson décroche sa première sélection pour un Angleterre-Ecosse à Londres (1-6, devant 8 500 spectateurs) où il est d’ailleurs nommé capitaine. Il ne sera capé que trois fois par l’Ecosse (re-victoires fleuves 5-1 sur l’Angleterre et le Pays de Galles) car il partira jouer – et travailler – en Angleterre en 1882 et le réglement de la fédération écossaise interdisait la sélection de joueurs non résidents en Ecosse.


A. Watson, 1880, premier debout en partant de la gauche

S’il est impossible d’établir avec certitude les raisons de son départ d’Ecosse, on peut supposer que l’aspect financier fut étranger à cette décision car Watson était déjà fortuné [2] et épousait vraisemblablement les principes prônés par Queen’s Park FC, le club qui le fit connaître, ainsi que son pendant anglais, le fameux Corinthian FC où il évoluera plus tard [3] (club dont la réincarnation moderne, Corinthian-Casuals – D8 – affrontera les Corinthians de São Paulo dans deux mois au Brésil, ici).

Toutefois, l’argent commençait à irriguer le football et la question financière ne saurait être éludée. En effet, au moment où Watson émergea en tant que joueur de haut niveau, il pouvait être lucratif d’évoluer en Angleterre, bien que le professionnalisme n’y soit pas encore établi… officiellement du moins. Dans la pratique, les paiements se généralisèrent dès la fin des années 1870 (quelques billets étaient glissés dans les chaussures après le match – c’est l’ère du shamateurism, l’amateurisme marron), avec souvent, pour les meilleurs, une offre d’emploi en sus. Il arrivait même que des joueurs écossais, lors de ces fréquentes tournées de matchs amicaux dans le Nord de l’Angleterre [4], disparaissent en plein tour et signent pour un club anglais qui leur faisait miroiter une vie facile ! (un travail peu contraignant, ou même parfois fictif, avec de belles primes de match à la clé, comme ce fut le cas en 1879 pour deux joueurs du club glasvégien de Partick Thistle FC qui signèrent sur le champ à Darwen FC, un club de Blackburn qui leur offrait un job reposant dans le textile et de généreux émoluments – c’est l’un des tous premiers cas avérés de défection).

Fortement poussée par une trentaine de clubs influents de l’époque (Preston North End, Accrington FC et Aston Villa en tête) qui menaçaient de créer leur propre fédération et championnat professionnel, la Football Association anglaise officialisa le professionnalisme en 1885. Mais ce dernier n’arriva en Ecosse qu’en 1893, ce qui explique la prolifération de joueurs écossais à l’époque en Angleterre, surtout dans le Nord (ils étaient aussi recherchés pour leurs qualités de passeur, ayant développé le jeu de passe, principalement grâce à Queen’s Park FC – voir ici et la footnote [1] plus bas).

Sa position sociale le préserve du racisme

Alors qu’il évolue depuis deux saisons aux London Swifts (1882-1885), Watson fait un crochet par le Corinthian FC de Londres. Avec lui, en décembre 1884, Corinthian étrille Blackburn Rovers 8-1, alors tenant de la FA Cup et considéré comme le meilleur club anglais.

Après un retour aux Queen’s Park de Glasgow saisons 1885-87 (où il en profite pour décrocher sa troisième Coupe d’Ecosse), Watson est recruté par feu Bootle FC en 1887, club ambitieux de la banlieue de Liverpool et grand rival d’Everton (LFC n’avait pas encore été créé). Un club qui offrait salaires et primes aux meilleurs joueurs de l’époque, dont Watson faisait partie. S’il n’a jamais été établi qu’il toucha de l’argent de Bootle, on peut légitimement le penser. A Liverpool, il reprend ses études en mécanique navale et obtient son diplôme en 1892. Il raccroche alors les crampons pour parcourir les mers du globe.

Aucun fait de racisme ne semble avoir été relevé à son encontre pendant sa carrière, même si les préjugés de l’époque en matière raciale étaient virulents – thème que nous aborderons dans le prochain volet, sur Arthur Wharton (il convient aussi de souligner la rareté ou brièveté des comptes-rendus de match entre 1880 et 1890, surtout dans les clubs où Watson évolua. La presse foot ne se développera réellement qu’à l’avénement du professionnalisme à partir de 1885 et à la création de la Football League en 1888).
A ce sujet, une thèse intéressante est développée dans le clip sus-cité (à 2’00) : c’est très probablement l’effet de nouveauté (l’un des rares Noirs de Glasgow) ainsi que son standing social élevé qui préservèrent Watson du racisme, au contraire des milliers d’Irlandais paupérisés dont l’ostracisme était le lot quotidien.

On sait peu de choses sur sa vie après le football. Jusqu’à la mi 2013, nombre d’historiens du football (dont ceux du Scottish Football Museum d’Hampden Park) pensaient que Watson avait émigré en Inde puis en Australie où il aurait disparu vers 1900. Toutefois, de récentes découvertes montrent qu’il est mort d’une pneumonie à Londres en 1921. Il est enterré au cimetière de Richmond, sud-ouest de la capitale. Il a été intronisé au Scottish Football Hall of Fame en 2012.

Kevin Quigagne.

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[1] J’ai pas mal écrit dans TK sur Queen’s Park FC et le passing game révolutionnaire qu’ils développèrent, en particulier dans cet article de 2013 (footnote [5]) et ici. Leur surnom, The Spiders, a probablement été inspiré par leur jeu de passe caractéristique « en toile d’araignée », cette toile qu’ils tissaient pour étouffer leurs adversaires (il existe une autre version, voir footnote [5]).

Watson mit un point d’honneur à porter les couleurs de Queen’s Park FC, club de Glasgow originellement « élitiste » (pour l’élite). Les Spiders, éternels tenants d’un amateurisme pur et dur, ont toujours obstinément refusé de passer professionnel. QPFC, aujourd’hui en D4 écossaise, a la particularité d’évoluer à Hampden Park à Glasgow (53 000 places) devant… 600 spectateurs en moyenne. Jusqu’à l’ouverture du Maracana en 1950, Hampden Park était le plus grand stade au monde, pouvant accueillir 150 000 personnes. QPFC, dix fois vainqueur de la Scottish Cup, est le seul club ayant atteint à la fois une finale de Scottish Cup et de FA Cup.

[2] Très jeune, à 13 ans, Watson hérita de son père d’une vaste fortune tirée de l’actionnariat dans les nombreuses compagnies florissantes de chemin de fer (35 000 £, l’équivalent d’environ 20m £ aujourd’hui)

[3] Belle et noble histoire que celle du Corinthian FC, extraordinaire club multisport fondé en 1882 (dissous et amalgamé avec les Casuals en 1939), partiellement en réaction à l’insolente santé du foot écossais national et de club, surtout le Queen’s Park FC. Corinthian était composé d’amateurs aisés, et tout comme leur modèle des Queen’s Park FC, ces gentlemen prônaient un amateurisme absolu et un degré de fair-play sans doute unique dans l’histoire du football. Malgré leur supériorité durable sur des clubs pros et huppés qu’ils affrontaient en amical (en 1904, ils fessèrent même Manchester United – D2 – 11-3 !), ils rejetaient toute idée de compétition, sauf à partir de 1923, où ils acceptèrent à contrecoeur de disputer la FA Cup. Dans cette coupe, ils attirèrent des affluences considérables, jusqu’à 60 000 spectateurs, e.g contre Chelsea en 1930 (voir ce court historique).

Les joueurs du Corinthian FC refusaient également de tirer ou marquer les pénaltys (et leur gardien quittait son but quand ils concédaient un pénalty) et, chose extraordinaire, si un adversaire s’était blessé ou fait expulser, ils renvoyaient l’un des leurs au vestiaire pour équilibrer les débats ! (pas de remplacement à l’époque bien sûr, c’est venu bien plus tard, années 1960). Ils s’interdisaient aussi de protester auprès de l’arbitre. La première guerre mondiale eut largement raison de leur existence (ils perdirent 22 joueurs) et le club périclita même si une version moderne existe toujours (Corinthian-Casuals, sud de Londres, évoqués dans l’article. Evidemment, eux tirent les pénos et jubilent quand un adversaire est expulsé).

En 1910, une tournée du Corinthian FC au Brésil donna l’idée à des cheminots de São Paulo de fonder leur propre club, le Sport Club Corinthians Paulista. Cet article traite en partie de ces tournées des clubs britanniques, d’une importance essentielle pour le développement du football à travers le monde.

[4] En l’absence de tout championnat organisé (jusqu’en 1888 en Angleterre, 1890 en Ecosse), les clubs disputaient des coupes locales/régionales, la FA Cup ou la Scottish Cup, de nombreux matchs amicaux ainsi que des matchs internationaux pour les meilleurs, contre les autres « nations » britanniques (l’Irlande avait alors une équipe unifiée, jusqu’en 1924), notamment lors du British Home Championship – 1884-1984 – premier tournoi international de football au monde. Les championnats structurés n’avaient pas encore vu le jour – le premier fut la Football League, en 1888 – et les clubs s’affrontaient dans les nombreuses coupes (parfois 4 ou 5 coupes coexistaient par ville/région) ou en amical, particulièrement s’ils étaient éliminés de toutes les coupes.

Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le chemin parcouru ces deux dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

Aujourd’hui considéré comme le plus grand melting-pot footballistique de la planète (une centaine de nationalités sont représentées dans le football professionnel britannique cette saison), une certaine Grande-Bretagne du football a longtemps été hostile aux non-Whites, tout au long du XXè siècle.

On pense parfois (erronément) que le racisme en G-B ne surgit qu’avec l’émergence de joueurs noirs ou métisses [1] au sortir des Sixties. Pourtant, ce poison commença réellement à se manifester il y a plus de cent ans, puis procéda par petites touches hideuses jusqu’aux années 60, avant de se généraliser à partir des années 70, largement porté par la montée du hooliganisme et l’infiltration du National Front dans le football. Dans son livre Colouring over the white line (publié en 2000), Phil Vasili, le plus éminent spécialiste anglais en la matière, écrit ceci (sur la période 1920-1970) : « Depuis les années 20, le racisme ordinaire a confiné des générations de joueurs noirs à la périphérie du football. »

Depuis peu, un indispensable travail mémoriel et d’information, malheureusement insuffisamment relayé, est entrepris pour que les premiers joueurs noirs, ceux qui « paved the way » (ont ouvert la voie), ne soient plus oubliés ou consignés aux zones d’ombre de l’histoire. Car des premières manifestations du racisme à la création de Kick it out et un travail collectif de sensibilisation sur le sujet, le chemin fut long et tortueux.

Ce volumineux dossier, sur lequel je travaille depuis plus de quatre ans [2], s’attachera à présenter chronologiquement et contextuellement une sélection de joueurs qui ont jalonné l’histoire du football noir britannique. En ce sens, il faut comprendre le « premiers » du titre non comme un strict historique des pionniers du genre mais comme un panorama des joueurs qui ont compté dans la trame du football noir/métis britannique (premier footballeur noir professionnel, premier Africain à évoluer au Royaume-Uni, etc.). Ces hommes durent souvent subir le racisme et les préjugés les plus abjects, un ostracisme qui affecta non seulement leur carrière mais aussi leur vie, surtout entre 1960 et 1990. Tous, à leur manière, apportèrent leur pierre à l’édifice du changement.

« Les joueurs noirs dans ce club [Crystal Palace] apportent leur grosse technique et leur talent à l’équipe. Mais le collectif a aussi besoin de joueurs blancs pour équilibrer les choses et injecter de l’intelligence et du bon sens dans le jeu. »

Ron Noades, propriétaire de Crystal Palace, en 1991 dans un documentaire de Channel 4 intitulé GB United [3]. Ce genre de propos, exprimé librement, publiquement et en toute impunité, n’était pas rare il y a peu.

Depuis 2010, après une décennie de relative accalmie [4], de nombreuses « affaires » d’ampleur diverse ont ravivé le spectre du racisme dans le football britannique. Si beaucoup sont ou semblent légitimes (celle-ci, sortie par le Daily Mail, est particulièrement édifiante), certaines résultent purement de l’emballement médiatique et/ou de l’hystérie collective, cf cette pseudo polémique ridicule. Parallèlement, le débat autour de la très faible proportion de managers (et membres du staff) noirs dans le foot british a été relancé [5].

Face à ce tourbillon de controverse et d’agitation permanentes, il m’a semblé opportun de tranquillement remonter le cours de l’histoire jusqu’à sa source. Bien connaître le passé, c’est aussi se donner la chance de mieux interpréter le présent. Une banalité doublée d’une évidence sans doute, mais qu’il convient plus que jamais de marteler.

A venir bientôt.

Kevin Quigagne.

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[1] Certains des footballeurs choisis dans ce dossier (surtout pré-1950) ne sont pas noirs au sens contemporain du terme (de peau noire) mais métis*. Toutefois, ces métis, alors souvent affublés de l’injurieux darkie/dark(e)y (basané, bronzé), étaient considérés comme noirs par la population et la presse. Dans les documents historiques sur le football britannique, c’est l’adjectif black (parfois le substantif Negro) qui est utilisé à propos de ces pionniers, et ce sans doute afin de marquer la différence de perception avec notre époque. Comme l’observait si justement l’écrivain américain Ralph Emerson, « Language is the archives of history ».

[*parenthèse socio-lexicale : métis = of mixed race/heritage ou dual heritage disent les Britanniques, bien que mixed race soit parfois controversé. Le terme half-caste, encore fréquemment utilisé il y a quinze ans par tous, tend à disparaître publiquement car au mieux considéré comme désuet, au pire comme péjoratif, à cause de son origine étymologique – castus = « pur » en latin -, son passé colonial et son sens en Inde ainsi que dans d’autres sociétés].

[2] Ce dossier très volumineux (il devrait dépasser les 200 000 signes) est toujours en cours d’écriture et pourrait ne pas être achevé à temps si j’arrêtais d’écrire pour TK en fin de saison comme c’est probable. Pour faciliter la digestion, je l’ai organisé en volets indépendants et il pourra donc s’accommoder d’une publication partielle le cas échéant. Sa publication s’étalera sur plusieurs mois.

[3] Il peut sembler ironique qu’un personnage connu, investi de responsabilités importantes et larges – professionnelles, morales, humaines – tienne de tels propos (« manque d’intelligence ») d’une manière aussi exposée : publiquement, devant des caméras télés, dans le cadre d’une émission programmée sur laquelle il avait probablement un droit de regard en amont et aval (rendant difficilement crédible l’argument usuel de la « maladresse sémantique »). Manque d’intelligence vous disiez ?

[4] Ou de sous-médiatisation/moindre mise en lumière, tant l’utilisation exponentielle d’Internet et des réseaux sociaux depuis dix ans a profondément modifié les paramètres et circuits traditionnels du traitement de l’information. Simultanément, la multiplication des émissions de type phone-in a amplifié l’effet « caisse de résonance » créé par Internet.

Toutefois, même si notre perception a pu s’en trouver altérée, il n’en demeure pas moins que la question de la discrimination, dans sa globalité, – racisme, xénophobie, homophobie, propagation de stéréotypes raciaux ou nationaux/préjugés douteux/prénotions fortement connotées (ensemble de préconceptions dont le milieu du football en général ne semble guère chercher à s’affranchir), etc. – se pose toujours avec acuité dans le football, cf cet extrait d’une étude de 2011 publiée dans le Journal of Ethnic and Racial Studies : 56 % des 1 000 personnes interrogées (supporters, joueurs, ex joueurs) pensent que le racisme est présent au niveau des directoires de club. Pour la plupart de ces sondés, ce racisme s’exprime surtout insidieusement, sous des formes voilées : « […] most suspect a form of unwitting or institutional racism in which assumptions about black people’s capacities are not analysed and challenged and so continue to circulate. » Sur ce sujet, lire cette brillante analyse de Jérôme Latta.

[5] Seulement 3 managers BME (Black and Ethnic Minority) sur les 92 clubs professionnels de League Football (Premier League + Football League – aucun sur la vingtaine de clubs pros de Conference National, D5) et seulement 19 employés BME dans des senior coaching positions sur les 552 répertoriés par cette étude (page 7). Sans forcément évoquer la Rooney Rule à tout bout de phrase, on peut légitimement s’interroger sur ces chiffres et les raisons de cette sous-représentation. Rappelons que, selon la PFA (l’équivalent anglais de l’UNFP), la proportion de joueurs professionnels BME est de 25-30 % et qu’elle atteint 18 % dans les formations d’entraîneur ou liées au terrain (coaching courses).

Si le football anglais a dominé la scène européenne des Seventies aux Nineties, on ne peut pas en dire autant de ses maillots.

Le consensus est unanime : le pire maillot de football jamais créé est le Rodeo Fringe. Instantanément reconnaissable grâce à ses lanières en cuir, il fut porté par les éphémères Colorado Caribous en 1978 (ci-dessous). In-dé-trô-na-ble.

Mais ne nous gaussons pas trop. Des horreurs, il en eut aussi des wagons dans le football anglais, surtout au cours des Nineties, la décennie de tous les massacres. Les 12 premiers de la Dirty Dozen qui salopèrent le plus la tunique sacrée sont ici et les 13-22 ici.

Aujourd’hui, troisième partie de notre plongée dans ce Hall of Shame du maillot anglais : présentation des classés 23è à 33è. Et pour lire moins bête, voir dossier TK en trois volets sur l’historique du maillot anglais (1, 2, 3).

# 23. Notts County 1994-95 (D2), maillot extérieur

Design très pique-nique écossais pour les (premiers) Magpies, cornemuse, kilt et sporran livrés en sus. Mal leur en prit, ils finirent bon dernier cette saison-là et furent relégués en D3 après 4 saisons en D1/D2. Bien fait pour leur gueule.

Verdict TK : franchement, qu’attendre d’un club surnommé les Magpies, hein ?

# 24. Newcastle United 1990-93 (D2), domicile

Le design utilisant des rayures fines fit fureur à la fin des Eighties. Les designers pensaient que ça faisait plus raffiné, tout en lorgnant sur le marché streetwear et leisurewear (adaptation des maillots en vêtements portables en toutes circonstances).

A l’évidence, Umbro, le designer de ce spécimen Magpie, ne savait plus sur quel pied rayé sautiller. Rayures fines ou moyennes, ou larges ? Espacées ou rapprochées ? Et les manches, on les raye comment ? A force d’atermoiements et tâtonnements, l’imagination des gars d’Umbro s’enraya et ils produisirent cette version textile d’une réponse de Normand bourré, une hésitation officiellement nommée le « Torino » et rapidement surnommée le « Bar code shirt ». Une aberration asymétrique que les joueurs ne portèrent pas en exhibant fièrement le trophée D2 en mai 1993, le club refilant à tout le monde le maillot de la saison suivante, designé par Asics. Et dire que Kevin Keegan était le manager à l’époque…

Verdict TK : on a ce qu’on mérite et généralement moins si on supporte les Magpies.

# 25. Newcastle United 2009-10 (D2 – une nouvelle fois), extérieur

Pour qu’on ne m’accuse pas injustement de m’acharner sur ces pauvres Mags, je vais laisser un neutre s’exprimer, en l’occurrence Ian Holloway. Ce bon Ollie, alors manager de Blackpool, écrivait ceci dans le programme du match Blackpool-Newcastle du 16 septembre 2009 (Blackpool joue en orange, d’où leur surnom, les Tangerines – mandarines) : « Je suis ravi que Newcastle ait décidé ne pas jouer avec leur tenue extérieure jaune, sinon je crois que les spectateurs auraient eu l’impression d’assister à un match entre salades de fruits. »

Verdict TK : un autre grand comique aurait adoré ce maillot : Bourvil.

# 26. Newcastle United 1997-98 (PL, enfin atteinte), extérieur

[Que voulez-vous que je vous dise hein, je m’acharne pas, je constate, c’est tout]

Encore un coup d’Adidas, qui innove avec une incrustation sérigraphique voilée de l’écusson du club sur le maillot en deuxième rideau. Effet hallucinogène garanti, on aurait cru voir une apparition divine (Poséidon ?) dans une grotte. Cette abomination inspirée du maillot de 1885 (ici) de Newcastle East End (le club qui fusionna avec Newcastle West End pour donner NUFC en 1892) couperait presque l’envie de s’enfiler des Newcastle Brown, le nectar local (le sponsor à l’étoile bleue). Porté trois matchs seulement, trois défaites.

Verdict TK : Immonde, immonde, immonde. On devrait réinstaurer la peine capitale pour des monstruosités pareilles.

[bon, c’est pas qu’on s’ennuie mais va p’êt’ falloir penser à passer à des vrais clubs]

# 27. Sunderland 1997-99 (D2/PL), extérieur et third 1998-99

Effet or brillant particulièrement repoussant. Guère étonnant que ce chiffon peine à atteindre 15 £ sur ebay. Le maillot exter 1998-99 est presque aussi répugnant :

La direction du club manquait vraiment d’inspiration à l’époque. Pour fêter le déménagement au Stadium of Light en 1997, l’écusson fut aussi totalement changé. On passa de ce crest original et évocateur :

à cet insipide truc corporate :

Verdict TK : Indigne d’un grand club.

# 28. Workington AFC 1995-96 (D7), domicile

Non, vous ne rêvez pas, il s’agit bien d’un oeuf frit sur le maillot. Yes, un putain de fried egg avec la mention « The Big Breakfast » plastronnée bien en évidence.

Comme l’explique ce site ici, The Big Breakfast, une émission de la chaîne Channel Four (C4 pour les intimes, créée en 1982 et censée initialement être intello-décalée-hipstérisante), voulut absolument sponsoriser un petit club amateur, comme un couple de bobos adopterait un chat errant de Birmanie ou un hérisson accidenté de Madagascar. Et pas n’importe quel club amateur : les bons Samaritains de C4 insistèrent pour parrainer le pire club de la Northern Premier League Division Two (à l’époque, D7).

Ça tomba malencontreusement sur Workington AFC, là où Bill Shankly fit ses gammes d’entraîneur et aussi premier club de Grant Holt qui bossa comme docker localement tout en s’alignant pour les Reds. Sur le papier, ces Reds n’étaient pas les plus mauvais (les pires qu’eux au classement déclinèrent cette invitation à l’humiliation publique) mais, vu qu’ils avaient fini antépénultième du championnat, ils firent largement l’affaire. Et comme la spécialité culinaire de ce superbe coin d’Angleterre (Cumbria) est la fameuse Cumberland Sausage, niveau English breakfast, ça collait parfaitement. Manquait plus que le bacon et les baked beans pour que le carnage soit complet.

Workington bénéficia d’une forte exposition médiatique mais, malgré les coups de pub de Robbie Williams, Richard Branson, Chris Evans et d’autres poids lourds de la scène people british, ils ne touchèrent pas un centime de quiconque. Ils devinrent juste la risée de l’Angleterre, pour que dalle. La lose totale quoi. Enfin, ils se consolèrent en terminant 16è, contre 20è la saison précédente. Ce maillot est devenu un collector’s et se vend 50-60 £ sur les sites vintage.

Verdict TK : pitresque mais un oeuf est un oeuf (enough is enough) comme disent les Anglais à Pâques.

# 29. Liverpool 1994-96, third

Encore une bavure signée Adidas. Avec ses écussons de toute taille et ses effets péteux similaires au # 26 (en encore moins « subtil »), ce Third ressemble à un mauvais papier peint d’une salle d’attente de cirque (si y’avait une salle d’attente et du papier peint dans un cirque).

Verdict TK : le port de ce spécimen est fortement déconseillé aux cueilleurs de champignons (trop psychédélique, mauvais trip assuré).

# 30. Liverpool 2014-15, third

Je vous épargne la prose boursouflée du designer, Warrior (extrait : « Elégant, stylé et qui améliore la performance grâce à ses innovations technologiques »), ce truc est infâme. Après les horreurs Candy de 1988-1991 (voir le volet # 2), le # 29 et le maillot « Space Invaders » de l’an dernier, les incorrigibles Reds persistent, signent et s’enfoncent.

Verdict TK : et après, on s’étonne qu’ils galèrent domestiquement depuis 1990.

# 31. Manchester United 1990-92 (D1), extérieur

Oui, oui, c’est bien Ryan Giggs, en pyjama. Au début des Nineties, les designers cherchèrent par tous les moyens à torpiller la tradition. Ici, Adidas choisit de mettre au placard le classique blanc du maillot exter et le bleu foncé du third pour introduire cette singulière synthèse qui irrita fortement les supps de Man United. Et pour cause : le bleu ciel rappelait furieusement le look du rival City, ainsi que l’horrible Candy de Liverpool.

Verdict TK : espérons que Van Gaal n’insiste pas pour resusciter ce maillot vintage, ça les assoupirait encore plus.

# 32. Watford 1993-95 (D2), extérieur

Surtout, ne réglez pas votre écran : ce maillot est vraiment flou. Il est aussi affublé d’un motif papier peint lowcost années 70. Vu le sponsor, Blaupunkt, il fut vite surnommé « The TV interference kit ». Où ont voulu en venir les designers de Hummel ? Nul ne le sait mais on peut penser qu’ils taquinaient la bouteille ou étaient atteints d’une diplopie incurable.

Verdict TK : on n’ose pas imaginer dans quel état Elton John était pour avoir laissé passer ça.

# 33. Wigan 1993-94 (D4), extérieur

Comme si végéter en bas de classement de D4 dans l’un des pires stades d’Europe de l’Ouest (voir # 2) n’était pas assez douloureux, le club infligea cette infamie à ses pauvres supporters. Résultat : Wigan enregistra le pire classement de son histoire en Football League cette saison-là, 19è de D4.

Le designer, le mal nommé Matchwinner, trop fier de sa trouvaille, jugea bon de décliner son design à la noix en x exemplaires et l’étala sur les tuniques de Preston (ci-dessous), Oxford et Bristol Rovers. On ne s’éternisera pas sur le classieux sponsor, Heinz, la coupe est déjà assez pleine comme ça (de Ketchup évidemment).

Verdict TK : ma théorie « Plus un maillot est hideux, plus le club rame » n’est peut-être pas si fumeuse que ça.

Kevin Quigagne.

Dans la même série :

Les pires maillots du foot anglais (1)

Les pires maillots du foot anglais (2)

Il y a dix-huit ans cette semaine, le 9 novembre 1996, Ali Dia faisait ses débuts anglais, en D6. Deux semaines plus tard, ce parfait inconnu sera aligné en Premier League. La légende du plus grand magicien du football britannique était née.

Ali Dia, un braqueur de génie plus qu’un magicien diraient certains. Un Spaggiari qui aurait réussi son magistral bluff au culot pur, sans haine ni violence, mais surtout sans talent et dans l’improvisation quasi totale. Retour sur le plus extraordinaire tour de passe-passe de l’histoire du football.

De remplaçant en D6 à l’élite en quelques jours

Mi novembre 1996, Graeme Souness, manager de Southampton, reçoit un appel enthousiaste de George Weah (voir clip). Le Libérien lui recommande chaudement un vrai crack, son cousin, un certain Ali Dia. La carte de visite de l’attaquant en jette un max : récemment titulaire au Paris Saint-Germain et international sénégalais, 13 capes. Et mieux ajoute Weah, le cousin est en confiance et chaud comme la braise, il vient de marquer deux buts en sélection nationale. Cerise sur le pudding, il est gratos. Seule légère anomalie dans ce tableau idyllique, Dia est licencié dans un club de D6 (près de Newcastle) où il n’a disputé qu’un bout de match. Un poil étrange a priori pour un international sénégalais chevronné mais si on commence à s’arrêter sur ce genre de détail, hein…

Aussi excité qu’un dirigeant Magpie encaissant le chèque de Liverpool pour Andy Carroll, « Souey » (surnom de Souness) oublie les fondamentaux au vestiaire. Il ne vérifie rien et ne se demande ni ce que fait un tel joueur dans un obscur club de non-League ni pourquoi ce Sénégalais est le cousin d’un Libérien… Non, rien de rien, zilch de zilch. Le bourru Ecossais convoque illico le présumé prodige pour un essai.

En fait de crack, le sosie de Tom Selleck récupère une pipe d’une trentaine d’années, qui n’a pas plus évolué pour le PSG qu’il n’est de la famille de Weah, et encore moins bien sûr Lion de la Téranga. Et, évidemment, ce n’était pas Weah au bout du fil…

A son arrivée, le jeudi 21 novembre, des reporters locaux interrogent Souey sur ce petit nouveau à la dégaine singulière (il court vraiment bizarrement). L’ex Red leur en met plein la vue : « Dia est un international sénégalais qui a joué avec Weah au Paris Saint-Germain et qui évoluait en D2 allemande l’an dernier. Il est à l’essai quelque temps, on va voir ce qu’il vaut. »

La veille, Dia aurait dû être aligné dans un match de réserve contre Arsenal mais la rencontre fut reportée pour cause de terrain inondé. Au grand dam du canard local, le Daily Southern Echo : « Ali Dia, ex vedette du Paris Saint-Germain est actuellement à l’essai chez les Saints. Ce rapide attaquant sénégalais a été recommandé par George Weah, FIFA World Footballer of the Year 1995. Las, un terrain impraticable l’a privé de cette occasion d’impressionner le public. »

Enregistré d’urgence, sorti en catastrophe

Pressé par la cascade de blessures qui décime les rangs Saints, le club lui fait signer un contrat d’un mois et l’enregistre d’urgence auprès de la Premier League (Premiership à l’époque). Et zou, c’est parti, Souey lui confirme qu’il sera remplaçant dès le lendemain contre Leeds. A peine 48 heures après son arrivée, Dia est déjà officiellement joueur de PL et s’apprête à affronter le Leeds de Lucas Radebe, Ian Harte, Lee Bowyer, Tony Yeboah et Ian Rush.

Matt Le Tissier : « Hallucinant. On aurait dit Bambi sur glace quand il courait. »

A la 32è minute, Matt Le Tissier doit sortir, claquage. Entrée de Dia. Il disputera une cinquantaine de minutes et aura même une occasion de but (mi vendangée) avant que Souey ne le sorte en fin de match. Soton perd 2-0 et l’Ecossais se pique la honte de sa vie. Verdict de Matt le Tissier dans le FourFourTwo # 214 d’avril 2012 (ainsi que – un peu – dans ce court article):

« Je n’ai rien compris au sketch Dia, hallucinant. On aurait dit Bambi sur glace quand il courait. J’ai été hyper surpris qu’il me remplace contre Leeds. La veille à l’entraînement, il avait été mauvais. On pensait en fait que c’était un anonyme qui avait gagné un concours avec comme premier prix le droit de s’entraîner dans un club pro, un truc comme ça. Le samedi, on le voit dans notre vestiaire et on se dit : « Ah ben c’est sympa comme cadeau, le gars a aussi gagné le droit d’assister à notre préparation de match. » Mais non, le mec faisait partie de notre effectif !

Quand je suis sorti sur blessure contre Leeds, il était censé me remplacer poste pour poste mais il se baladait sur le terrain sans discernement aucun. Le plus étrange c’est qu’il courait partout comme un poulet sans tête mais n’allait jamais où le ballon se trouvait… Il n’a quasiment pas touché un ballon du match, c’était presque comique. Je crois qu’il essayait d’éviter le cuir en pensant que s’il ne touchait jamais la balle, au moins on ne pourrait pas lui reprocher d’avoir été mauvais. »

Sujet tabou à Southampton, dindon de la farce

L’idole de Xavi continue :

[…] Le lundi, il était censé être à l’entraînement mais on ne l’a plus jamais revu. C’est là qu’on a appris qu’il avait été recommandé par George Weah, enfin quelqu’un se faisant passer pour lui. C’était franchement très embarrassant pour le manager et c’est vite devenu un sujet tabou dans le vestiaire. Au final, Dia a débarqué le vendredi, s’est blessé le samedi en étant nul, s’est fait soigner le dimanche par le kiné et s’est barré le lundi, en nous laissant une belle note d’hôtel et d’autres frais. »

Le 3 décembre 1996, le Daily Southern Echo publie l’entrefilet suivant : « Suite à l’essai non concluant d’Ali Dia et sa piètre performance contre Leeds, le joueur sénégalais a été libéré par Southampton FC. »

On apprend alors que juste avant Southampton, Dia avait réussi à décrocher un essai dans plusieurs clubs professionnels, dont Port Vale, Gillingham, Bournemouth et Coventry City (alors en Premier League). Les Sky Blues s’étaient vite rendus compte qu’il n’avait aucune chance de devenir pro et encore moins d’évoluer en PL (« Vraiment médiocre » fut en substance le retour des entraîneurs à la hiérarchie du club). Harry Redknapp à West Ham reçut également un coup de fil de « l’agent de Dia » mais le madré ‘Arry renifla l’entourloupe (et puis il venait de se faire avoir avec Marco Boogers – qu’il avait acheté 1 million £ sans le voir jouer –, alors chat échaudé etc.).

Souey n’a jamais voulu trop élaborer sur le sujet. Interrogé là-dessus par FourFourTwo en 2004, il a simplement déclaré qu’il n’était pas responsable de son inclusion dans le groupe des 16. Propos contredit par l’un de ses adjoints d’alors, Terry Cooper, qui lui affirme avoir essayé de dissuader Souey de l’aligner mais que ce dernier l’ignora et justifia sa décision par une pénurie de joueurs opérationnels.

PSG, Ginola, grosse Mercedes et Coupe d’Afrique des Nations

Après Southampton, Dia retourna dans le North-East où il disputa huit matchs sous les couleurs de Gateshead FC, petit club de D5 situé en banlieue de Newcastle. L’incroyable Dia réussit même à toucher une prime à la signature de 1 500 £, payée par les supporters Heed ! (surnom du club). Paul Thompson, l’un des joueurs Heed de l’époque se souvient (dans le même FourFourTwo) :

« C’est sûr qu’il était unique… A son arrivée, il n’arrêtait pas de nous parler de sa super Mercedes, mais sans nous préciser que c’était un modèle tout pourri vieux de 15 ans. Et pis un jour, il s’est pointé à l’entraînement au volant de cette fameuse Merc et là, on était tous pliés de rire. Une autre fois aussi,  il nous a tous invités royalement à venir le voir jouer en Coupe d’Afrique des Nations ! Il nous racontait avoir joué au Paris Saint-Germain avec David Ginola et nous avait montrés une photo de lui et Ginola apparemment ensemble dans une boîte de Newcastle. Notre entraîneur fréquentait un peu Ginola [alors à Newcastle United] et lui a parlé de Dia mais le Français ne le connaissait absolument pas. Les supps ont un peu regretté de s’être cotisé pour payer sa prime à la signature mais Dia est vite devenu un brin culte, il a même eu un chant à son honneur, peu élogieux* certes mais dès qu’il l’entendait, il se sentait fier et souriait. Pis un nouveau manager est arrivé et l’a viré, après l’avoir aligné à peine dix minutes, sur un match : il l’a fait rentrer à la 78è pour le sortir à la 86è ! Dia a quitté le club en février 1997 et on n’a plus jamais entendu reparler de lui. »

[*« Ali Dia, is a liar, is a liar » Contrairement aux apparences, ça rime. Faut prononcer Dia à l’anglaise et avec une pointe de malice : « Daï-a (comme l’adjectif dire = médiocre dans ce contexte, comme dans Dire Straits – mais là, il s’agit de l’expression in dire straits = dans une situation très difficile/désespérée. En fait, un chant des supps de Soton récupéré par les ceux de Gateshead. Petite astuce mnémotechnique innocente : pensez à Kieron Dyer, même prononciation…]

Un aigle royal dans un monde de buses

Il y a quelques années, un mini « culte Dia » est né et nombreux sont ceux aujourd’hui qui aimeraient retrouver le phénomène, histoire d’actualiser cet extraordinaire chapitre du football anglais, trop brutalement clos. Un autre motif plus nostalgique se cache aussi sans doute derrière cette traque soft :  l’envie de donner une suite à ce fabuleux épisode du folklore footeux, devenu entre-temps bien immatériel du patrimoine footballistique mondial. Un épisode que l’on sait aujourd’hui, ère Internet oblige, à jamais inédit.
En 2001, précise FourFourTwo, Dia obtient un diplôme en commerce à la Northumbria University de Newcastle puis on perd sa trace. Natalie Heath, la Responsable des Anciens Etudiants de l’université, a elle aussi joué les détectives mais sans succès : « Tout comme vous [FourFourTwo], on a aussi essayé de le localiser mais en vain. Aucune idée d’où il se trouve. » Même constat d’échec côté médias britanniques. Toutes les pistes ont été explorées, de la fédération sénégalaise aux ambassades du Senégal et Libéria à Londres en passant par les journalistes sportifs de Dakar (« Ali Dia ? Désolé, inconnu au bataillon »), chou blanc sur toute la ligne. Une lueur d’espoir est apparue en 2008 quand FourFourTwo a réussi à lui parler un bref instant au téléphone mais Dia ne s’est pas livré et a illico changé de numéro.

La presse british, du Guardian au Daily Mail en passant par le Sun ou le Times, catalogue aujourd’hui systématiquement Ali Dia dans le pigeonhole (case) « Pires footballeurs ayant foulé les pelouses du pays » (voir Legacy & References). Mais ces journaux font gravement fausse route, Dia ne saurait être réduit à je ne sais quel classement déshonorant censé se prononcer doctement sur le vertigineux manque de talent de tel ou tel flop. Et puis, on sait tous ce qui sort des pigeon holes… Le pigeon dans l’histoire, ce n’est sûrement pas ce bon Ali.

L’affabulateur hors pair qu’était Ali Dia plane bien au-dessus de cette obstination malsaine à vouloir l’enfermer dans une médiocrité éternelle. Céleste, insaisissable, inclassable, Dia est un artiste de l’imposture dont l’étoile brille de mille feux dans la galaxie des sublimes orfèvres de la mystification. Et en filant à la vitesse de la lumière, sa bonne étoile adresse un magistral bras d’honneur à tous, à commencer par les journalistes qui n’ont rien pigé au film. Dia, c’est le canular du siècle, un putain de hoax qui restera à jamais inégalé. Ali Dia est le plus grand génie de l’histoire du football. Point barre.

Kevin Quigagne.