Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le  chemin parcouru cer dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

La lecture de l’introduction de ce dossier est vivement recommandée.

Nous continuons notre exploration chronologique de l’histoire du football noir britannique débutée fin novembre dernier (liens des volets précédents en bas d’article) avec Eddie Parris et Jack Leslie, le premier Noir sélectionné en équipe d’Angleterre… avant d’être « désélectionné » pour raisons raciales.

# 5. Jack Leslie (1901-1988)

Jack Leslie est le premier Noir sélectionné en équipe d’Angleterre… avant d’être promptement « désélectionné ». Sans une décision raciste de la fédération anglaise, il aurait précédé Viv Anderson de 46 ans [1] ! Accessoirement, il fut aussi le premier Noir à réussir une longue carrière en Football League.

Né en 1901 à Londres de père jamaïcain et de mère anglaise, Leslie joue pour son petit club local avant que Plymouth (D3) ne le recrute en 1921. Ce talentueux inside-left (« inter » gauche, dans ce dispositif) ou avant-centre est aussi diablement prolifique et fait de Plymouth une grosse cylindrée de D3, régulièrement 2è de D3 South dans les années 20 (montée difficile car un seul club promu par poule de 22, Nord et Sud). A la fin des années 20, Leslie tourne à 15-20 buts par saison et, en tandem avec Sammy Black, il fait monter les Pilgrims en D2 en 1930.

Un jour de novembre 1932, l’impensable arrive : son manager lui annonce sa convocation en équipe d’Angleterre ! La joie de Leslie sera cependant de courte durée. En effet, le surlendemain, les journaux publient la sélection qui doit affronter l’Autriche le 7 décembre et pas de Jack Leslie dans la liste. Dans cet article de la BBC rapportant une interview accordée en 1978 au Daily Mail, Leslie explique comment les choses se déroulèrent :

« Pour un petit club comme Plymouth, c’était quelque chose d’avoir un joueur appelé en équipe d’Angleterre ! Puis un ou deux jours après, on découvre la sélection dans les journaux et mon nom n’y figurait pas. A ma place, on avait mis Billy Walker d’Aston Villa [35 ans, et plus sélectionné depuis cinq ans, nda]. Apparemment, entre ma lettre de sélection et leur décision de ne pas m’inclure, ils s’étaient apercus que j’étais un « darkie » [bronzé]. Alors pour eux évidemment, j’imagine que c’était comme si j’avais été un étranger. »

Il transpirera plus tard, effectivement, que le comité de sélection ne s’était pas rendu compte que Jack Leslie, dixit la fédération, « était un joueur de couleur ».  Sur la couleur justement, Leslie poursuit (même interview) :

« On m’insultait beaucoup des tribunes pendant les matchs, du style « Et le négro, j’vais te casser les jambes« . Il n’y avait rien de bien sinistre là-dedans en fait, ces spectateurs essayaient juste de me déstabiliser. »

En 1935, il raccroche les crampons et retourne à Londres où il intégrera plus tard l’intendance du staff de West Ham. En treize saisons à Plymouth, Jack Leslie inscrira 137 buts en 383 matchs et en fera marquer aumoins le double (ah, si seulement les stats avaient existé…).

A la même époque (1931), le Guyano-Sénégalais Raoul Diagne, surnommé « L’araignée noire » et fils du sous-secrétaire d’État aux Colonies, était sélectionné en équipe de France A. Une dizaine d’autres Noirs français suivront avant que l’Angleterre ne connaisse son premier sélectionné noir, Viv Anderson, en 1978. Quelques pistes explicatives pour analyser ce décalage seront examinées plus en aval dans ce dossier.

# 6. Eddie Parris (1911-1971)

Le premier Noir de l’ère professionnelle (post-1885) à être sélectionné (une cape) par l’une des quatre nations britanniques, le Pays de Galles, en décembre 1931 (Andrew Watson – volet # 2 – le précède de cinq décennies, pour l’Ecosse, mais ère amateur).

De père jamaïcain et mère galloise, Parris évolue d’abord à Bradford Park Avenue, une grosse cylindrée de D2, comme ailier gauche de 1928 à 1934 (142 matchs/39 buts). Parry est vif, prolifique et on le surnomme vite The Welsh Wizard, Le Sorcier gallois, un surnom également donné au grand Billy Meredith (ici) et à d’autres fameux Gallois.

Parris se blesse vers 1933 et perd son mojo. Il s’en va alors porter les couleurs de Bournemouth à l’étage inférieur, de 1934 à 1937. Suivront Luton (D2), brièvement, et Northampton (D3) en novembre 1937.
Pendant la Seconde guerre mondiale, il continuera à jouer pour les Cobblers ainsi que pour deux autres clubs amateurs. Les crampons raccrochés, il fera carrière dans l’industrie aéronautique.

Comme nous l’étudierons dans les prochains volets de ce dossier, l’entre-deux-guerres, période politiquement sombre et socialement tourmentée [2], ainsi que l’après-guerre, virent les questions raciales et identitaires s’immiscer progressivement dans le débat public britannique, pour finalement occuper le devant de la scène à partir des Sixties.

Cet article sur Parris souligne l’intelligence de la fédération galloise de football, qui contraste avec la cynique posture de son homologue anglaise dans l’affaire Jack Leslie.

Kevin Quigagne.



Les volets précédents :

(1) Introduction. Les premiers Blacks du football britannique
(2) Andrew Watson. Les premiers Blacks du football britannique
(3) Arthur Wharton. Les premiers Blacks du football britannique
(4) John Walker et Walter Tull. Les premiers Blacks du football britannique

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[1] Si Viv Anderson fut le premier Noir à représenter l’Angleterre A en match amical, le 29 novembre 1978 contre la Tchécoslovaquie, Laurie Cunningham sera lui le premier à enfiler la tunique des Three Lions en match de compétition, six mois plus tard. Tous deux feront bien sûr l’objet d’un portrait dans ce dossier.

A noter que Hong Y Soo (plus connu sous le nom de Frank Soo) et né à Liverpool de parents anglais et chinois, fut le premier non-Blanc du football britannique à être sélectionné en équipe d’Angleterre, pendant la seconde guerre mondiale. Sélections non homologuées cependant car beaucoup de footballeurs furent mobilisés entre 1939 et 1945, et donc non sélectionnables. Ces matchs internationaux ne figurent pas dans la liste officielle des rencontres des Three Lions.

[2] L’historien britannique Richard Overy l’appellera The Morbid Age : pauvreté, dépression économique, habitat insalubre, chômage de masse, montée du fascisme – y compris au Royaume-Uni.

Un commentaire

  1. Three Lions dit :

    Superbe boulot, as usual ! 🙂

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