Archive for octobre, 2015

C’est depuis longtemps la fin du soleil et des bikinis mais chez TK, on a décidé d’égaler les plus grands médias en faisant une série d’été. Un premier article sur Michael Johnson a lancé nos récits sur ces footballeurs qui, comme l’été, ont vu leur carrière prendre fin prématurément alors qu’ils étaient plein de promesses. La série a pris un peu de retard, la faute à une investigation toujours plus rigoureuse, allant au fond des choses et notamment celui des pintes de pub british. Pour relancer cette série de fin d’été indien : Billy Kenny, une étoile filante qui se trompa de voie lactée.

Un tacle bien envoyé sur un genou. C’était le genre de truc qui faisait monter aux lèvres de Vinnie Jones un sourire carnassier. Alors, lorsque le petit jeunot d’Everton se pointa inconsciemment dans son pré carré, il n’hésita pas une seule seconde. Boum ! Le marmot à terre, Vinnie le toisa d’un coup d’oeil rapide. Il regarda ensuite rapidement le ref. Pas de carton. Le rictus du milieu de Wimbledon s’élargit un peu plus. « Encore un qui va pas la ramener du match », pensa-t-il presque à haute voix. Satisfait, il reprit sa place sur le terrain et recommença à harasser les Toffees à l’image des chiens de son quartier natal de Watford courant après les bagnoles. Sauf que lui arrivait à leur mordre les roues. Récupérant une nouvelle fois la balle pour les Don’s, il se senti pourtant trébucher et tomba violemment sur l’herbe de Goodison Park. « Bordel de m… Mais c’est quoi ce délire ! », hurla-t-il en se retournant.

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Jeu de mains, jeu de vilains

Jeu de mains, jeu de vilains

Le visage de Jones se liquéfia lorsqu’il vit le jeunot qu’il avait laissé au sol quelques minutes auparavant. Billy Kenny répondit seulement d’un signe de tête provocateur. Il se félicita intérieurement : « Tu l’as pas vu venir celle-là, hein l’enragé ? ». Il le prenait pour qui, ce satané gallois ? Billy, William de son vrai nom, n’était pas un artiste soft comme Gascoigne et n’allait pas se laissait empoigner les balls aussi facilement. À 19 ans, ce tour de League Cup n’était que son troisième match pro, mais son père William Senior était dans les tribunes et il n’allait pas se débiner. Lui, l’enfant de Liverpool. Il n’eut même pas à surveiller ses arrières, Vinnie ne s’approcha pas de lui durant tout le reste de la rencontre.

Aucune raison de prendre la grosse tête, Jones l’avait cherché et il avait répliqué. Ça s’arrêtait là. Les encouragements de ses coéquipiers à l’entraînement lui firent lâcher un sourire mais il reprit aussitôt le travail. À son arrivée dans l’équipe première en octobre, Everton venait d’enchaîner un mois de septembre catastrophique. Quatre défaites en cinq match. L’arrivée de Billy avait apporté de la fraicheur dans le milieu des Toffees pour compenser le manque de forme de Ian Snodin, qui n’avait presque pas joué la saison précédente. Son intégration n’était pas suffisante pour changer les pronostics du derby de la Mersey. Liverpool et ses milieux prometteurs, Steve McMananam et Jamie Redknapp, étaient clairement favoris. Et John Barnes ! S’il n’avait pas le maillot teinté de red, ce dernier aurait pu être un de ses joueurs fétiches… Le match était un lundi soir, le 7 décembre 1992. Billy avait trépigné tout le week-end. Son entraîneur, Howard Kendall, lui avait annoncé rapidement qu’il serait titulaire.

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Pensif, il enfila ses crampons machinalement. Les chants provenant des travées le sortirent de sa concentration. Martin Keown et Peter Beardsley l’entourait dans les vestiaires. L’attaquant lui donna une petite tape sur l’épaule agrémentée d’un clin d’oeil. Il se leva en même temps que ses coéquipiers et se dirigea vers l’entrée du terrain. L’hymne d’Everton commençait à résonner. Son père, ancien joueur des Blues, lui en avait montré l’origine. La musique provenait du générique de la série Z-Cars. Il s’était toujours demandé comment ce vieux show avait pu devenir la musique d’intro d’un match à Goodison Park, là où Liverpool électrisait la foule avec son « You’ll Never Walk Alone ». Il regarda tour à tour McManaman, Barnes et Don Hutchinson. « Ce soir pourtant, vous marchez seul. Seul face à moi », se dit-il intérieurement, gonflant une envie déjà exacerbée par l’enjeu.

Une heure de jeu avait déjà filé. Liverpool dominait mais Barnes ne voyait pas le jour, sevré de ballons. Billy les interceptait tous. Taclait. Se relevait. Balançait de droite à gauche des transversales limpides. Se jetait à nouveau dans les pieds de Jamie Redknapp et allait harasser McManaman. Plusieurs fois il surprit les regards entre les deux compères, incrédules. Mais ça n’empêchait pas les Scousers d’être de plus en plus oppressant. Un corner sur la droite des buts gardés par Neville Southall, la légende des cages à Goodison Park, le fit revenir dans sa surface. Il n’eut pas besoin de sauter. Mark Wright, le central des Reds, se hissa plus haut que tout le monde. « Et merde », pensa-t-il en regardant Southall récupérer la balle au fond des filets. Il n’eut pas le temps de gamberger. Dans la minute qui suivit, il contrôla la balle, l’envoya à l’autre bout du terrain pour Snodin. Son coéquipier passa directement à Mo Johnston. Un tour de rein, deux touches de balles et l’attaquant frappa. Poteau rentrant ! Vingt minutes plus tard, Beardsley portait le coup fatal d’une frappe sèche ! Billy n’entendit même pas le sifflet final du ref. Une victoire pour son premier derby de la Mersey !

Le lendemain, la photo des Toffees victorieux trônait en Une de tous les journaux de la région. Son principal plaisir n’était pas cette couv’ : il avait été élu « man of the match ». À 19 ans ! Beardsley avait même déclaré à des journalistes qu’il était le « Paul Gascoigne de Goodison Park : Goodison Gazza ». Une telle comparaison le rendait fier et l’inquiétait en même temps. La pression d’un tel statut le mettait mal à l’aise. Les supporters toffees l’arrêtait maintenant dans la rue, le comblant d’éloges. Pour eux, il représentait un nouvel espoir de rivaliser enfin avec les voisins honnis. Il était le successeur naturel de Peter Reid.

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La soirée de Noël tomba à point nommé pour décompresser. Chaque année, les joueurs d’Everton se rejoignaient tous au Moat House hotel pour boire dans l’après-midi avant d’aller faire la fête au Conty, la boîte de nuit attitrée des footballeurs de la ville. Chacun était déguisé et les nouveaux devaient chanter sur le dance-floor du club devant tout le monde. Le coéquipier de Billy, Mark Ward, l’avait prévenu avant l’événement. « Prends une chanson que tu connais parfaitement, lui avait-il confié. Moi, c’était Summertime de George Gershwin. Un classique ! ». À force d’enquiller les coups, il sombra totalement, ne reprenant ses esprits que le lendemain matin. Sans se souvenir quelle pauvre chanson il avait pu massacrer. Ses amis lui racontèrent comment il s’était déshabillé devant une strip-teaseuse, dansant devant elle, tous ses coéquipiers morts de rire à côté. « Merde…, souffla-t-il. Heureusement que le coach n’en a pas entendu parler ! ». Kendall était coulant mais pas à ce point. [1]

Cet écart l’avait perturbé. Ce n’était pas le moment de déconner alors que le board d’Everton misait tout sur lui. Les journaux parlaient même de sa future présence en équipe nationale espoir. Sa première cape arriva en mars 93 contre la Turquie. Si les performances d’Everton étaient irrégulières, le club était loin de la zone de relégation et Billy attendait avec impatience l’année suivante. Seule ombre au tableau : une légère douleur au tibia. « Alors doc ? C’est quoi le problème », demanda-t-il candidement au médecin du club après plusieurs radios. La réponse fut pire qu’un tacle de Vinnie Jones. « C’est une périostite tibiale Billy. T’en as pour 6 mois… Je suis désolé ».

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Cela faisait seulement quelques semaines que Billy était out des terrains. Il restait chez lui tous les jours. Déprimait. En colère contre tout le monde. Surtout son corps qui n’avait pas supporté l’effort comme il l’aurait voulu, à l’approche de sa première saison professionnelle. Pour passer le temps, il finit par sortir avec des potes alors que le staff lui avait conseillé de se reposer. Il commença à se rendre dans les clubs tous les week-end. S’éloigner de son quotidien, arrêter de penser au football, tout ça devenait une libération. Il gagnait 1000 livres à la semaine donc il n’hésitait pas à boire et faire profiter ses nouveaux amis. D’abord, il s’enchaînait trois ou quatre pintes. Au fil des semaines, le chiffre gonflait, devenant une dizaine.

Un soir, un de ces potes déposa quelque chose sur une table de la boite de nuit. Il lui cria presque dans l’oreille pour passer outre la musique assourdissante : « C’est quoi ? ». « De la coke mate !, Lui répondit l’autre. T’en veux ? ». Billy baissa la tête à hauteur de la poudre et sniffa. Il apprécia la sensation. Au fur et à mesure des soirées, il dépensa de plus en plus en cocaïne. Et en prenait partout. Dans les pubs, dans les clubs et même dans son lit. Se repoudrer le nez devenait une habitude. Une nécessité même. Il s’était promis d’arrêter lorsqu’il reprendrait l’entraînement. Mais Everton l’intéressait désormais à peine. Il ne savait pas si ses coéquipiers faisaient un bon début de saison. Il recevait parfois des appels du coach qu’il avait eu chez les jeunes : Colin Harvey. Harvey prenait de ses nouvelles et semblait s’inquiéter pour lui.

Mark Ward, qui était parfois associé au milieu de terrain avec Billy Kenny

Mark Ward, qui était parfois associé au milieu de terrain avec Billy Kenny

Il finit par revenir sur les terrains. Sans arrêter son train de vie. Certains lundi matin, Billy rentrait chez lui à quatre ou cinq heure. Le temps de prendre quelques lignes blanches, dormir environ une heure, il sautait ensuite dans un taxi pour Bellefield, là où les Toffees s’entraînaient. [2] Un matin, il se réveilla directement dans le vestiaire des joueurs. Nu et complètement désorienté. « Putain, il est quelle heure ?, maugréa-t-il. Et quel jour on est ? ». Comment était-il arrivé dans ce vestiaire ? Comment allait-il en sortir ? Il entendit des pas. La porte claqua. Il tourna la tête. C’était Mark Ward. Le milieu de terrain prenait son thé avec Neville Southall comme tous les matins. Une phrase seulement sorti de la bouche pâteuse de Billy : « Wardy, je suis complètement défoncé ». Ward ne pipa mot. Il alla chercher Southall. Les deux joueurs le tirèrent jusqu’à la baignoire où ils lui mirent la tête dans l’eau froide. Billy commençait à reprendre ses esprits. Mark et Neville l’aidèrent à se foutre dans la douche, le séchèrent et lui filèrent son maillot. [3]

C’était passé cette fois-ci. Mais le staff d’Everton commençait à se douter que quelque chose n’allait pas. À l’entraînement, Billy ne voyait pas bien la balle et n’arrivait pas à tirer droit. Colin Harvey essayait bien de lui parler, de venir jusqu’à chez lui pour l’emmener s’entraîner. Rien n’y faisait. Des échantillons d’urine et de sang montrèrent vite l’étendue des dégâts. Howard Kendall, dont les pommettes roses devenaient rouges quand il s’énervait, lui infligea une amende de deux semaines de salaire. Officiellement pour « absence à l’entraînement ». Les parents de Billy lui demandèrent des explications. Ils étaient dévastés. Acculé, Billy promit d’arrêter tous ses écarts. Il allait bientôt retrouver les terrains, se disait-il. « Ma chance va tourner. Je vais rejouer et tout ira mieux ». Kendall l’envoya en cure de désintox avec l’espoir que Billy retrouve ses qualités. Qu’il devienne le joueur qu’il était destiné à être. Il n’en fit rien. Au début du mois de décembre 93, Billy apprit que Kendall avait démissionné et était remplacé par un Gallois, Mike Walker. À son arrivée, le nouveau manager parla à Billy. Il était prêt à lui offrir une seconde chance. Mais la patience de Walker ne dura que quelques semaines.

Cela faisait un an que Billy avait connu sa première et seule sélection avec l’Angleterre espoir. Il avait récemment refusé d’être remplaçant pour un match avec la réserve des Toffees. Walker le convoqua dans son bureau. Il lui parlait de son train de vie, de son incapacité à se sortir de ses démons. Billy n’écoutait pas. Ce n’est que lorsque Walker lui indiqua que son contrat était rompu qu’il leva la tête.

Quoi ?

Tu m’as bien entendu, lui répondit l’entraîneur. C’est plus possible de te garder, tu as dépassé la ligne trop de fois ».

Billy était abasourdi et n’arrivait pas à croire ce qu’il se passait. Il implora Walker. Au lieu de lui donner l’aide dont il avait besoin, il lui fermait la porte au nez ! De retour chez lui, Billy ne se posa qu’une seule question : « Qu’est-ce qui va m’arriver ? ». Il avait 20 ans.

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19 octobre 2002. Billy regardait un résumé du match d’Everton sur Match of the Day. Il suivait toujours le club même après en avoir été viré. Un ancien coéquipier, Graeme Sharp, avait tenté de le relancer à Oldham où il officiait en tant qu’entraîneur. Mais son train de vie n’avait pas changé et il s’était fait dégager encore plus vite qu’à Everton. Il se souvenait du sentiment de dégoût qui l’avait animé. À 21 ans, il avait décidé de prendre sa retraite professionnelle. Il avait depuis joué des matchs en amateur. Croisé des gens qui l’avait reconnu, avait pris de ses nouvelles.

Il avait finit par arrêter la coke il y a quatre ans. Il avait une fille depuis deux ans. Avoir un enfant aurait pu changer sa vie à Everton se disait-il. Il chassa cette pensée et se concentra sur le résumé de match. Un jeune joueur, Wayne Rooney, pas encore 17 ans, venait de marquer un but splendide face à Arsenal. Laissant les commentateurs dithyrambiques. Les pensées de Billy le reprirent : « Pourvu qu’il ne finisse pas comme moi. ».

Christophe-Cécil Garnier. 

NB: Cet article est une version romancée de la vie de William Jr « Billy » Kenny, peu documentée. Il se base sur ses déclarations faites dans différentes interviews, un livre d’un de ces ex-coéquipiers et les vécus des supporters d’Everton glanés sur les forums.

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[1] Cette histoire a été narrée par Mark Ward (photo plus haut) dans son autobiographie « Hammered« . Il raconte d’ailleurs lors de cette même soirée comment il a tiré à blanc sur un coéquipier déguisé en pape, faisant prendre feu son costume.
[2] L’ensemble de ces passages sur l’addiction à la cocaïne se base sur une interview donnée au Daily Mail en 1998 et sur un article concernant l’explosion de Wayne Rooney dans le journal The People en octobre 2002.
[3] C’est une autre histoire racontée par Ward. Avec toutefois un problème de concordance temporelle. Il raconte que cet épisode du vestiaire s’est passé peu après la fête de Noël et peu avant qu’il soit viré d’Everton. Les deux événements sont pourtant espacés d’un an et « Not long after » peut dire deux semaines comme quatre mois. De plus, dans ses interviews, Billy Kenny déclare qu’il a commencé à se droguer et picoler après sa blessure. Devant ces deux versions, il a été choisi de privilégier celle du principal intéressé.