Archive for février, 2015

Quand la branche routarde du foot français se la péte avec Xavier Gravelaine et ses 16 clubs, son homologue anglaise se marre : outre-Manche, on a produit des wagons de joueurs qui feraient presque passer l’ancien Hornet pour un sédentaire. Vive le nomadisme.

L’anglais a un terme pour désigner un footballeur-voyageur : un journeyman [1]. Les joueurs à plus de 15 clubs en Angleterre sont légion, surtout en Football League (D2 à D4) où les prêts sont monnaie courante et les contrats souvent courts et précaires, surtout en D3-D4. Au cours de la saison 2012-13, on a enregistré presque 3 200 mouvements de joueurs parmi les 72 clubs de Football League ! (en comptant les prolongations de contrat).

Le gros problème d’un article sur ce sujet et que si l’on s’attarde un minimum sur la carrière de chacun des intéressés, le lecteur devra poser une RTT pour tout ingurgiter. Car ça envoie du pâté, ou plutôt du corned beef en ration XXL : les 18 joueurs sélectionnés ci-dessous cumulent 366 clubs. Yep, 366 (pour la liste, cliquez sur leur nom).

Contraint et forcé, j’ai donc dû me contenter de vous livrer l’essentiel sur ces phénomènes qui se sont forgés des carrières improbables, chacun dans un style bien à lui. Mais rassurez-vous, ça tartine quand même car, forcément, avec de tels personnages aux parcours chaotiques, les croustillades ne manquent pas. Ces hyperactifs sont souvent de grands originaux…

Allez zou, on the road.

[Nb : 1) le terme Football League dans cet article peut aussi englober la D1 s’il s’agit de la période pré-Premier League (avant 1992) puisque la FL regroupait alors D1 à D4. La Football League depuis le big bang de 1992 = D2 à D4. Voir dossier TK. 2) Non-League = les échelons inférieurs à la Football League, donc D5 et au-delà. Depuis une dizaine d’années, la D5 s’est largement professionnalisée. Environ deux tiers de ses clubs sont aujourd’hui entièrement pros – surtout ceux soutenus par des propriétaires aisés et les anciens de Football League, grosses affluences – et le tiers restant compte une majorité de pros dans l’effectif de base ou est semi-pro].

# 1. John Burridge – 29 clubs

Burridge, c’est une invraisemblable carrière qui s’étira de 1969 à 1997 dans 29 clubs (dont 20 de Football League anglaise et écossaise, un record) et qui fait de cet ancien portier d’Aston Villa le taulier british de l’écumage. Un personnage fantasque qui incarne à merveille l’image azimutée qui sied à ce poste à part ; You don’t have to be mad to be a goalkeeper but it helps, disent les Anglais.


Ce grand excentrique faisait aussi des saltos (sans doute pionnier en la matière). Il s’assit un jour sur la barre en plein match !

Connu en Angleterre pour être un original d’une grande honnêteté ou modestie, c’est selon (« A la vérité, je n’étais pas très bon » a-t-il parfois lâché), Burridge a raconté son parcours dans une fascinante autobiographie sortie en 2013. Budgie est le plus vieux pro à avoir gardé des cages de Premier League, à 43 ans passés avec Man City en mai 1995, et si on l’avait laissé il n’aurait jamais raccroché. Jamais. Et cette fameuse petite mort souvent évoquée par les anciens champions prit une résonance presque fatale pour lui. Ce monomaniaque qui aimait dormir avec la tenue complète en guise de pyjama – gants, short, maillot et ballon collé à l’oreiller – vécut si douloureusement l’après-football qu’il échoua à la Priory Clinic fin 1997, célèbre établissement psy londonien, où il resta cinq mois. Extrait-résumé tiré de son autobio :

« J’ai ressenti comme un vide énorme en arrêtant le foot pro, l’adrénaline de la compétition me manquait terriblement. Il m’arrivait de m’enfermer dans ma chambre des jours durant et pleurer. Je ne me rasais plus, je ne me lavais plus, je ne ressemblais plus à rien. Je suis devenu suicidaire. Ce sont ma femme et Kevin Keegan* qui m’ont sauvé. Je rejetais toute idée de soins alors ils ont employé les grands moyens : ils m’ont fait interner de force en unité psychiatrique. Ce fut violent. Un jour, une équipe médicale est venue me chercher chez moi et comme je refusais de sortir de ma chambre, trois gaillards ont défoncé la porte et m’ont maîtrisé. Je me suis débattu vigoureusement mais ils ont réussi à me planter planté une aiguille dans le cul et ça m’a endormi. Quand je me suis reveillé, j’étais au Priory.

Et là, gros choc : au premier étage, y’avait les dépressifs. Au deuxième, les alcooliques et au troisième, les adolescentes toxicos. On aurait dit des zombies pour certains. Tous se trouvaient dans des situations bien pires que la mienne, comme cette femme qui venait de perdre son mari et ses deux enfants dans un accident routier. Alors, mes petits problèmes de footballeur qui vivait mal sa retraite sportive m’ont paru soudain bien minables à côté des leurs. Tout ça m’a ouvert les yeux et fait relativiser. Cela dit, je savais qu’à ma sortie il me serait trop pénible d’aller voir de la Premier League sans pleurer alors j’ai décidé de quitter le pays pour me débarrasser de cette frustration. »

Budgie va beaucoup mieux aujourd’hui et a travaillé dans le Golfe Persique comme entraîneur de gardien et consultant TV ces dix dernières années. A notamment découvert, à Oman, le gardien Ali Al-Habsi (Bolton, Wigan) qu’il persuada de tenter sa chance en Angleterre.

[*Les deux hommes s’étaient connus en 1993 quand Keegan, alors manager de Newcastle, recruta Burridge (supporter Magpie depuis l’enfance) comme préparateur spécifique et troisième gardien à l’occasion (0 match, 3 fois remplaçant). Quatre ans plus tard, Burridge retourna à NUFC comme entraîneur à temps partiel des gardiens, tout en étant entraîneur-joueur à Blyth Spartans, club de non-League du coin. NUFC régla la facture du Priory].

# 2. Frank Worthington – 24 clubs

Ah, « Worthy », un autre grand fada du foot anglais… Inconnu en France et même relativement méconnu outre-Manche – surtout chez les jeunes, incultes les djeuns d’aujourd’hui. Et c’est déplorable. Il me fallait donc réparer cette scandaleuse lacune car cet attaquant, culte chez les quinquas +, mérite un focus francophone, tant pour ses prouesses que son lifestyle à la George Best, auquel il piquait les nanas, et inversement. Alors Padawans épicuriens de tous pays et quadras hipstérisants accrochés à votre lointaine jeunesse dissolue, lisez attentivement ce qui suit : je vous ai peut-être trouvés votre nouvel Héros.


Si t’aimais Adamo ou Engelbert Humperdinck, t’étais foutu : lors des déplacements, le DJ du bus c’était Worthington et le King squattait les hauts-parleurs. Un jour, lors d’une tournée en Allemagne avec Bolton, le manager des Trotters en eut tellement assez après 9 heures d’Elvis non-stop qu’il balança les cassettes par la fenêtre. Les deux hommes restèrent brouillés toute une semaine.

Après avoir largement contribué à la montée en D1 d’Huddersfield Town en 1970, la cote du surdoué Worthington flamba. A 23 ans, l’été 1972, le Liverpool de Bill Shankly le recruta pour 150 000 £, record du club (photo ci-dessous).

Par deux fois, Worthington fut recalé pour hypertension à sa visite médicale à Liverpool. Raison probable : il baisait trop. Comme motif de recalage, ça déchire un peu plus qu’un gros orteil en souffrance ou une dentition suspecte.

Problème : cet inconditionnel d’Elvis rata sa visite médicale pour cause de forte tension artérielle. Par deux fois. Non que Frankie ait souffert d’hypertension ou d’une anomalie cardiaque quelconque mais, conclurent les toubibs, sa vie débridée menée à toute zingue au volant de ses bolides (pas toujours sobre – retraits de permis, accidents) et son activité sexuelle démentielle, le mettaient dans des états pas possibles. A son tableau de chasse : Miss Grande-Bretagne et Miss Barbade, entre autres reines de beauté (et à l’époque, y’avait pas de Madame de Fontenay hein, une Miss, ça couchait). Certains tabloïds en chaleur attribuèrent son échec à un combo hypersexualité-MST. Loin de démentir, Worthington s’en amusera. Tout en monnayant grassement ces potins lubriques via des « exclusives ».

Dépité mais têtu, Shankly insista. Il voulait Worthington et lui recommanda le repos total pendant deux semaines avant de retenter le coup. Bah, après quinze jours de lecture-jardinage-Scrabble ça devrait le faire, raisonna Shankly.

Sauf que l’époque footeuse était au fun insouciant et à la jouissance débridée. Alors au lieu de rester sagement chez lui à contempler ses roses, Worthy partit teufer à Majorque entouré de potes soiffards et touristes peu farouches (anecdote sympa d’une petite triangulaire avec deux Suédoises, racontée dans son autobio One Hump or Two? Titre en référence à un petit déjeuner coquin avec deux autres Suédoises, mère et fille ; les anglicistes apprécieront le calembour, les autres regretteront d’avoir somnolé près du radiateur).

Au retour de sa « cure de repos » majorquine, notre serial queutard faillit faire exploser le tensiomètre. Quand Liverpool lâcha finalement le morceau, Leicester City sauta sur l’occasion. Et bingo : le chaud-lapin leur claquera 72 pions en 210 matchs. Pas dégueu pour un gus qui jouait souvent la gueule enfarinée et se tapait les femmes de chambre lors des mises au vert d’avant-match, jusqu’à quelques heures du coup d’envoi. Et sans embrouilles lui.

Worthington, ce n’est pas qu’un style nourri et forgé dans la glorieuse tradition sex, drugs & rock ‘n’ roll du foot britannique, qu’il se chargea d’alimenter copieusement. C’est aussi une longévité et des stats canons malgré les excès : 236 buts – dont 150 en D1 – en 757 matchs de Football League (record pour un attaquant), dont 22 saisons consécutives en FL. Et une sacrée technique, comme sur ce but d’anthologie où même l’arbitre applaudit ! (à 15 secondes).

Et pourtant, seulement huit capes en équipe d’Angleterre… Total misérable au vu de son immense classe. Manque de bol pour Frankie, alors qu’il cartonnait à Leicester (38 buts D1 sur les deux saisons 1973-75) et avait impressionné avec la sélection nationale de l’intérimaire Joe Mercer (l’ex architecte, avec Malcolm Allison, du football chatoyant du Man City de la fin des Sixties), le rigide Don Revie remplaça Mercer à la tête des Trois Lions en juillet 1974. Son sort était scellé. L’ex sorcier des Whites ne goûtait guère les artistes rebelles dans son genre et ne le convoqua qu’à deux reprises, au tout début de son règne fade. Sa réputation de cintré ingérable continua d’effrayer les dirigeants et sélectionneurs du foot anglais, tel Ron Greenwood, le frileux patron des Three Lions de 1977 à 82. Même sa superbe saison 1978-79, meilleur buteur de D1 avec Bolton (24 buts), laissa Greenwood de marbre, et ce malgré les échecs successifs de l’Angleterre.

Après un mariage houleux, avec une Suédoise bien sûr, suivi logiquement d’un divorce acrimonieux, Worthy se remaria à une ex Page Three girl du Sun. Evidemment. Sévit aujourd’hui sur le lucratif circuit de l’after-dinner speech où ses anecdotes salaces passent impeccablement entre la poire et le Stilton.

# 3. Trevor Benjamin – 31 clubs

Depuis peu retraité, « Benji » est la star britannique incontestée et le recordman des journeymen joueurs de champ. Un temps Espoir anglais, avec John Terry, Joe Cole et Jermain Defoe pour coéquipiers (mais aussi David Prutton et Francis Jeffers… Comme quoi la routourne tourne, vite parfois).

En 2000, Leicester (Premier League) l’acheta à Cambridge United (D3) pour 1,3m £ – toujours le transfert record de l’histoire des U’s. Il formera avec Ade Akinbiyi, # 4, un duo aussi mythique que mutique : une petite quinzaine de buts en plus de quatre-vingt matchs à eux deux. Prêté huit fois pendant son quinquennat chez les Foxes, il partit ensuite pour un interminable trek dans les divisions inférieures, pros et semi-pros.

Benjamin, c’est un genre particulier de journeyman, celui du « voyageur casanier », l’anti Pfannenstiel par excellence : avant sa retraite professionnelle en 2009, quasiment tous les clubs de cet ex international jamaïcain se concentraient dans un rayon de 150 kms autour d’Oxford.
Après un aller-retour express en Australie en 2010 dans un obscur club provincial, il s’établit dans le North East (Newcastle) avec sa famille, à l’âge de 31 ans, non sans un énième détour par le Norfolk, à 500 kms de là. Tout là-haut, il enfila la tunique de minots de D8 ou D9, pour à peine 1 000 £/mois, plus quand il managea aussi l’équipe. « J’y suis surtout allé pour l’expérience et me maintenir en condition, a-t-il expliqué dans les médias régionaux, j’ai toujours aimé les expériences nouvelles et être entraîneur-joueur procure cette sensation de nouveauté. »

Personnage attachant, il entraîne désormais l’équipe féminine de Newcastle United et soutient activement plusieurs assos antiracistes et oeuvres caritatives locales.

# 4. Ade Akinbiyi – 15 clubs

Associé à Trevor Benjamin au tout début des années 2000 à Leicester City et recruté de Wolves pour 5,5m £, le monocapé des Super Eagles était censé remplacer Emile Heskey, parti au Liverpool de Gérard Houllier pour le double. Son tandem avec Akinbiyi fera pschitt (voir # 3) et il sera rapidement surnommé « Akinbadbuyi », la mauvaise affaire.

Parmi les souvenirs mémorables, un grandiose moment de télévision repassé en boucle par Match Of The Day et Sky : quand Akinbiyi inscrivit son premier but de la saison le 3 novembre 2001 contre Sunderland. Une célébration de but explosive à la mesure de la délivrance, intense (photos ci-dessus et clip). Las, ce fut son dernier pion à Filbert Street. Trois mois plus tard, direction Crystal Palace, abandonnant Leicester à une inéluctable descente en D2. Hormis une réapparition en D1 à Sheffield United d’août 2006 à janvier 2007, on ne le revit plus parmi l’élite après Leicester.

# 5. Leon Knight – 16 clubs

Cousin de l’ex international anglais Zat Knight, ce touriste a déjà figuré plusieurs fois dans Teenage Kicks pour ses frasques badass qui lui valurent le surnom de « Neon Light ».

Tout commença pourtant idéalement pour ce roi de la nuit, à Chelsea, où Gianfranco Zola le prit sous son ailette. Knight intégra même les U20 anglais, furtivement cela va sans dire. Mais l’Italien n’étant pas trop calé en night-clubs ou en bagouzes bling bling et ayant la street cred d’un clochard des Pouilles, comme aurait balancé Pat Evra, leur amitié fit long feu.

Malgré des qualités évidentes (32 buts/106 matchs en D2 à Brighton, et 19/25 en D3 à Swansea), le p’tit teigneux ne perça jamais durablement, la faute à une hygiène de vie douteuse et de gros, gros problèmes d’attitude. A Brighton, un jour de janvier 2006, en route pour Southampton, il gonfla tellement le manager, Mark McGhee, que ce dernier l’éjecta manu militari du bus en pleine forêt par un froid glacial (j’avais raconté cet épisode en 2011, ici). Quatre jours plus tard, il sera transféré à Swansea, d’où il se fera éjecter neuf mois après, non sans avoir récolté l’équivalent de 5 mois de salaire en amendes !

L’explosion des réseaux sociaux provoquera chez notre caillera des cyber-orgasmes mais sonna surtout le glas de ses vagues espoirs de réhabilitation. Le self-control n’étant pas son fort, il y apparut souvent surexcité et éparpilla ses dernières miettes de respectabilité sur Twitter et Facebook, ou même directement dans des forums de supporters à régler ses comptes.

Devenu footballeur non grata en Angleterre et forcé à l’exil, il partit se faire voir chez les Grecs, puis chez les Ecossais, pour finir en D1 nord-irlandaise, tout en vivant la vida loca à Londres la semaine. Protégé par ses bonnes perfs et son statut de mégastar chez les minots d’Ulster, Knight ne mit pas longtemps à choper le boulard et, fatalement, à repartir en sucette. Viré de Coleraine pour « continual breach of contract », il continua son errance rebelle à Glentoran avant de se faire serrer par la patrouille pour cet énième dérapage d’un goût douteux.

Quand le bouquet final arriva, il ne déçut pas : notre Leon s’était improvisé pornographe, sans l’avis des intéressées, après avoir pourri Danielle Lloyd, l’ex über-Wag de l’ancien milieu Spur Jamie O’Hara (elle a dû le laisser sur les rotules, le pauvre galère désormais chez ces clowns de Blackpool – bientôt D3). Lloyd étant à la Wagitude ce que la gare de Perpignan est aux cheminots d’obédience dalíenne, à savoir le centre de l’univers, l‘affaire fit grand foin et dépassa largement le cadre Wago-ferroviaire.

Définitivement grillé sur tout le réseau après ce grandiose feu d’artifice nord-irlandais, l’irrépressible Knight a dû arrêter les frais l’été dernier, à 31 ans, après une dernière pigette en D9 du côté de Manchester. Son site Internet est mort depuis six mois et son nouveau compte Twitter, en sommeil, s’accompagne de ce profil aux allures d’épitaphe : Retired footballer. Once played for Chelsea in the UEFA cup. Une conclusion bien tristounette au regard de sa carrière si fertile en pitresqueries de toutes sortes.

# 6. Steve Claridge – 21 clubs

Claridge, c’est du lourd, du giga : 21 clubs en 25 ans de carrière (dont 22 en pro), plus de 300 buts en 1 017 matchs dans toutes les divisions professionnelles (et quelques semi-pros sur la fin).

Lui aussi connut son heure de gloire à Leicester City, véritable base arrière des journeymen anglais de la génération précédente. Peu après son arrivée, Claridge y claqua le but victorieux de la finale des play-offs de D2, à la dernière minute, celui qui fit monter Leicester en Premier League (alors Premiership) et révéla Neil Lennon et Emile Heskey. Autre temps fort chez les Foxes : ses 12 réalisations la saison suivante en championnat. Mais surtout le genre de fait d’armes qui vous propulse instantanément cult hero de club : il inscrivit le seul but du replay de la finale de League Cup 1997 contre Middlesbrough, en prolongations. Les supps Foxes chantaient encore “Super Stevie Claridge” devant Wembley deux heures après la fin du match.

Ce passage qui dura une éternité, deux saisons, arriva malheureusement un peu tard (la trentaine passée) pour le natif de Portsmouth et fut suivi d’un zigzag en profondeur à travers la Football League.

Dans le zig, quelques piges express : 2 jours à Crystal Palace avant d’être transféré à Aldershot ; à Millwall, il signa pour deux ans mais resta un mois – zéro match. Dans le zag, des moments virils. A Cambridge United par exemple où, remplacé après seulement 12 minutes de jeu contre Ipswich en mars 1992, Claridge se frita avec son manager, John Beck, et son adjoint dans les vestiaires à la mi-temps. Baston générale. La raison : il ne supportait plus le kick and rush forcené prôné par Beck et ce dernier l’addiction au jeu de Claridge, accro aux bookmakers. Le board soutint Beck, qui avait fait monter les U’s consécutivement de D4 à D2 et fonçait vers la Premier League. Sanction immédiate pour Claridge : transféré à Luton dans la semaine en compagnie d’une autre forte tête, John Taylor, refourgué à Bristol Rovers. Cambridge, alors 2è du championnat, venait de se tirer une belle bastos dans le pied vu que Claridge et Taylor étaient les cracks du club – avec Dion Dublin. Bilan des courses : les U’s ratèrent la montée de peu en PL en mai 1992. A l’intersaison, Luton, fauché, revendit Claridge à… Cambridge. Mais pas de clash avec Beck cette fois, le manager sera rapidement limogé après un mauvais début de saison. Trois ans plus tard, ils étaient redescendus en D4, puis en D5 où il végéteraient neuf longues saisons.

Paradoxalement, c’est à John Beck et ses méthodes que Claridge attribue sa longévité, comme il l’expliquait en 2009 dans le magazine FourFourTwo : « Niveau suivi alimentaire et préparation physique, Beck était fort. Si j’ai pu jouer aussi longtemps, c’est beaucoup grâce à lui. »

Claridge se lança ensuite dans le management, sans succès. Qu’à cela ne tienne, à 39 ans, il rechaussa les crampons et repartit fouler les terrains pros et semi-pros pendant encore sept saisons. Sévit aujourd’hui sur la BBC TV & Radio, notamment comme consultant au Football League Show.

# 7. Fred Eyre – 20 clubs

Peut-être le plus original des journeymen du foot british : en vingt ans de vadrouille débutée à Manchester City, cet ex latéral-ailier a changé vingt fois de crémerie, la plupart de non-League, souvent comme entraîneur-joueur.

Mais sa singularité est ailleurs : Eyre n’a disputé qu’un seul match officiel en six saisons professionnelles !  (« J’étais souvent blessé ou envoyé en réserve, a-t-il expliqué, et bon, je ne jouais pas super bien non plus. »).

Après une carrière pro pas trop fatiguante sur laquelle n’aurait pas craché Winston Bogarde, Eyre resta dans le football (manager-adjoint, scout) et les médias foot tout en montant une petite chaîne de papeteries et une boîte de fournitures pour entreprises. Reconversion réussie puisqu’il fit fortune (la Rolls Royce sur la jaquette, c’est la sienne).

Lui aussi est très actif sur le circuit de l’after speech dinner depuis 1978 et commente sur BBC Manchester. Il a raconté son parcours atypique dans l’amusante autobio Kicked into touch, sortie en 1981, rééditée en 1991 et ressortie en Kindle récemment. Avec une telle carrière (29 managers, 82 entraîneurs), les tranches de rigolade ne manquent pas, comme dans ce petit club amateur où il eut un manager… totalement bègue. Bonjour les causeries d’avant-match et les instructions du bord de touche ! « De loin le livre sur le football le plus drôle que j’ai lu », écrit le critique de l’Observer. Et un énorme succès de librairie : selon l’éditeur, le livre s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires (39 réimpressions !).

# 8. Richard Pacquette – 23 clubs

Attaquant de non-League de 32 ans qui commença sa bourlingue en Football league. Vu qu’il nous case en moyenne deux clubs par an, cet international dominiquais peut raisonnablement viser les 30 d’ici sa retraite sportive.

Alors qu’il évoluait à Havant & Waterlooville en D6, il connut son quart d’heure warholien, littéralement, lors d’un 16è de FA Cup contre Liverpool en janvier 2008. A la 8è minute, il scotcha tout Anfield en donnant l’avantage aux minots. Puis 1-1 et rebelote six minutes plus tard, 1-2 (csc)… En même temps, c’était Charles Itandje dans les buts hein.

Même si les Reds l’emportèrent 5-2, cette perf est régulièrement rediffusée dans les émissions vintage sur les giant-killers, les tombeurs de gros. Aussi pour ces deux images fortes : le maillot des joueurs Hawks, avec la mention “Probably” au lieu du sponsor (cocasse histoire expliquée ici) et le Kop debout, avec les 6 000 supps Hawks, chantant “Havant, Havant” longtemps après le coup de sifflet final.

# 9. Keith Alexander – 23 clubs

Décédé en 2010 à l’âge de 53 ans juste après un match alors qu’il manageait Macclesfield Town (D4), cet attaquant a porté la tunique de 23 clubs dont la moitié en non-League.

Connut les joies du football pro à temps plein sur le tard, à 31 ans, en atteignant la Football League. Et il ne déçut pas : 26 buts en deux saisons avec Grimsby Town (D4), preuve que ce late developer avait sans doute les qualités pour réussir à un niveau supérieur. Devint ensuite entraîneur-joueur et directeur sportif.

A été le premier Noir à manager à temps plein en Football League, en 1993 à Lincoln City, D4 (Tony Collins l’avait précédé de trente-trois ans mais d’abord en tant qu’entraîneur-joueur – un an – puis entraîneur. Portraits de ces deux pionniers à venir dans le cadre de la série TK sur le football noir britannique débutée en novembre dernier).

# 10. Rohan Ricketts – 16 clubs

Fameux globe-trotter du foot anglais âgé de 31 ans. Eut droit à sa ration de hype au début des Noughties à Tottenham où les allumeurs d’enflammades professionnels le voyaient intégrer l’équipe d’Angleterre. Les spotlights définitivement éteints, il prit son sac à dos et sa pile de Lonely Planet : 11 pays visités en 7 ans.

A déclaré dans FourFourTwo et sur Talksport fin 2010 (ici, à 1’20) qu’il recherchait surtout à travers ses pérégrinations « un club qui pratique un beau football, un football de puriste » et que « si c’était pour jouer en D3 ou D4 anglaise, ça ne l’intéressait pas ».

Depuis ces déclas amusantes, on l’a vu passer en coup de vent en D3 anglaise, D4 allemande, Moldavie, Irlande, Inde, Equateur et Thaïlande. Poursuit sa flânerie à Hong-Kong où il vient de débarquer. Que du foot de puriste donc.

# 11. Marcus Bent – 15 clubs

Dont 8 de Premier League : Crystal Palace, Blackburn, Ipswich, Leicester, Everton, Charlton, Wigan and Wolves. Googlez pas, c’est un record. A surtout flambé à Ipswich et dans les tabloïds pour sa collection de Wags. Et avant que vous ne me demandiez dans les commentaires, oui, Danielle Lloyd était dans le lot (silly question).


Terminus Indonésie pour M. Bent, en 2012.

Remplaçants :

# 12. Dave Beasant – 13 clubs

Certes, Beasant fait figure de pantouflard avec « seulement » 13 clubs mais impossible d’omettre l’emblématique gardien du Wimbledon FC de la grande époque Crazy Gang, première mouture (années 1980), acheté 100 £ à un club amateur ! Déroula la suite de sa carrière chez quelques grands du football anglais (Chelsea, Wolves, Forest) et aussi des petits (Grimsby, Newcastle).

# 13. Guy Branston – 19 clubs

Défenseur central qui a longtemps ferraillé dans les lower leagues (divisions pros inférieures). A roulé sa bosse en disséminant généreusement sa gnaque (18 cartons rouges !) et son savoir-faire aux quatre coins du pays, tel un Compagnon du Devoir du ballon rond. Sa relative lenteur et sa technique limitée l’ont privé d’une carrière plus mémorable. A raccroché l’an dernier, à 36 ans, après des problèmes de cheville. La bonne tête de pitbull ci-dessous, c’est lui.

# 14. Jefferson Louis – 29 clubs

Il ne doit pas rester beaucoup de régions anglaises où le Londonien de 36 ans (et accessoirement cousin de R. Pacquette, # 8) n’a pas posé ses crampons. La highlight (télévisuelle) de l’incroyable odyssée de ce supp Gunner ? Danser à poil devant les caméras de la BBC en décembre 2002 après avoir tiré Arsenal en FA Cup.

# 15. Drewe Broughton – 21 clubs

Attaquant (retraité) qui s’est bâti une honnête carrière dans les tréfonds de la Football League, surtout D4, et en non-League sur la fin. Causa un certain émoi il y a quatre ans en s’alignant pour l’AFC Wimbledon… après un passage aux MK Dons. Mais vu qu’il avait crapahuté dans la moitié des habituels pensionnaires des bas étages et qu’un bug était donc probable, on lui pardonna cet écart.

# 16. Leon Clarke – 18 clubs

Attaquant de 30 ans et l’un des grands footeux-baroudeurs en activité. Prêté le mois dernier à Wigan Athletic en D2, sa 18è paroisse. Starifié étant jeune et plusieurs fois invité des rubriques légèrement kiss of death du magazine FourFourTwo, tel One to watch et The Boy’s a bit special (aujourd’hui disparues, trop poissardes). Malgré une belle pointe de vitesse et de grosses qualités athlétiques, il ne confirma jamais son potentiel. Souvent considéré comme un impact player très inconstant, l’archétype du journeyman qui peut flamber sur une courte période, comme à Coventry, D3 il y a deux ans (23 buts/35 matchs) mais aussi se vautrer inexplicablement dans la foulée, comme dans son club formateur de Wolves la saison dernière.

# 17. Jamie Cureton – 14 clubs

Presque 40 ans et toujours prolifique : 10 buts cette saison à Dagenham & Redbridge (D4). L’increvable goal poacher a renardé dans toutes les divisions de League Football (PL + Football League). Déjà succinctement présenté dans les preview D4 de TK en 2013 et 2014. Aimerait atteindre les 300 buts avant de raccrocher, dans deux ans espère-t-il.

# 18. Jason Lee – 19 clubs

Ex attaquant de Nottingham Forest dans les Nineties, brièvement starifié (forcément brièvement, vous avez dû remarquer comme tout est super éphémère dans cet article). Surtout connu en Angleterre pour avoir raté sa carrière à cause… de sa coupe de cheveux.

On aurait pu doubler cette liste de 18 (il me reste pas mal de pros du foot anglais à + de 15 clubs en magasin) et je publierai peut-être un autre volet Journeymen un d’ ces quatre.

Parmi les grands journeymen du foot british en activité, signalons le Guadeloupéen Mickaël Antoine-Curier (31 ans, 19 clubs), qui nous revient en Angleterre après un long périple plein d’exotisme et de harengs fumés.

Et si on faisait un Spécial vedettes-voyageurs, on pourrait avoir :

Nicolas Anelka (13 clubs), Craig Bellamy (10), George Best (17), Andy Cole (13), Stan Collymore (10), Robbie Fowler (9), Robby Keane (10), David James (10), Mário Jardel (20 – et ouais il a joué en Angleterre, à Bolton), Andrei Kanchelskis (11), Kevin Phillips (10), Teddy Sheringham (9), Juan Sebastián Verón (9). Manager : Roy Hodgson (19, avec sélections nationales).

Kevin Quigagne.

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[1] Le journeyman est un joueur aux multiples facettes, parfois contradictoires. Naturellement, ce terme polysémique s’accommode mal d’une définition standard et univoque (ce genre de définition est insatisfaisant). Disons cependant que dans son acception la plus fréquente et large, il désigne grosso modo un joueur d’un niveau suffisamment honnête pour faire carrière mais trop moyen/instable/irrégulier (voire trop souvent blessé) pour convaincre sur la longueur. Le terme est parfois connoté négativement (joueur limité, peu professionnel, mercenaire, etc.) et certains joueurs, tel le # 6 Steve Claridge, détestent l’étiquette journeyman.

Cet article vous est aimablement offert par Chris Garnier, nouvelle recrue de TK. Nantais d’origine, il présente le double handicap de supporter Manchester United et d’aimer Newcastle. Autant dire qu’il a fallu se battre pour convaincre Kevin Quigagne de l’intégrer à l’équipe. Appelons ça la caution COTOREP, si vous voulez.

Avant Arsène Wenger, George Graham régnait en maître à Highbury. Il y a vingt ans cette semaine, le tyrannique manager était pourtant limogé des Gunners pour avoir accepté des pots-de-vin lors de plusieurs transferts.

21 février 1995. Eric Cantona a balancé son yoko-geri sur Matthew Simmons, fan de Crystal Palace, depuis moins d’un mois que la toute jeune Premier League se reprend un scandale en pleine face. George Graham, l’inamovible entraîneur d’Arsenal, est débarqué de son poste par sa direction. La raison du licenciement de celui qui était alors, en terme de trophées glanés, le meilleur entraîneur de toute l’histoire des canonniers [1] ? Une enquête préliminaire de la FA qui accuse l’Écossais d’avoir accepté des « bungs » (pots-de-vin) – s’élevant à 425 000 £ (soit près de 3,5 millions de francs à l’époque, rendez-vous compte !) – sur deux transferts avec l’obscur agent norvégien Rune Hauge.

« M. Graham, connaissez-vous Rune Hauge ? Avez-vous déjà encaissé de l’argent venant de lui ? »

Loin de débuter ce 21 février 1995, l’affaire trouve son origine dans l’arrivée successive de deux Scandinaves. Celle de Paal Lydersen, défenseur norvégien de 26 ans, en 1991 puis John Jensen, milieu défensif danois (vainqueur de l’Euro 92, inscrivant le premier but lors de la finale), un an plus tard. L’emménagement de ces derniers à Highbury s’accompagne de « cadeaux » de la part de leur agent, Rune Hauge, pour Graham, qui reçoit 140 000 £ pour le premier et 285 000 £ pour le second. Les matches et les saisons s’enchaînent. Le manager remporte la Coupe des Coupes (C2) face à Parme en 1994, octroyant à Arsenal son son deuxième titre européen après la victoire en Coupe des villes de foires de 1970.

Pourtant, le goût du succès est amer pour le coach et ses troupes. Quelques semaines avant la finale, des doutes commencent à émerger du côté du district d’Islington. Le 22 avril 1994, les comptables d’Arsenal reçoivent une lettre de l’Inland Revenue [le fisc britannique] faisant part de ses « préoccupations » liées à des preuves qui indiquent que le « staff a reçu des paiements provenant des frais de transferts versés par Arsenal ». [2] Un journaliste danois accoste même l’entraîneur deux semaines avant le match européen : « M. Graham, connaissez-vous Rune Hauge ? Avez-vous déjà encaissé de l’argent venant de lui ? » La réponse laconique de l’Écossais (« Ce sont de très sérieuses allégations ») et le « dégagement » en bonne et due forme du gratte-papier par le service de sécurité vers la sortie alimentent un doute qui ne cesse de croître. [3]

« Je suis encore là ! »

George Graham finit par avouer son méfait au début de la saison suivante (en septembre selon l’enquête de la FA) à son board et au président Peter Hill-Wood. Le manager va même jusqu’à rembourser à Arsenal la somme de 465 500 £, les fameux « bungs » et les intérêts qui vont avec. L’affaire ne se tasse pas pour autant, la presse britannique s’empare du dossier et fait pression sur le club et la FA. Graham croit être soutenu par sa direction, qui lui permet d’acheter des joueurs comme John Hartson, Chris Kiwomya ou l’ailier néerlandais Glenn Helder. « Vous ne donnez pas d’argent à quelqu’un que vous êtes sur le point de licencier », s’extase-t-il avant le match du 21 février 1995 face à Nottingham Forest.

Faux. George Graham est licencié dans l’après-midi précédant la rencontre. La légende veut même que celui-ci ait surpris ses joueurs en passant la tête par la porte du vestiaire pour crier : « Je suis encore là ! », avant d’être escorté hors du stade. Ironie de l’histoire, Arsenal gagna face à Nottingham Forest, mettant ainsi fin à une série de matches sans victoires à domicile depuis le 23 octobre 1994. Kiwomya, qui inscrit le but vainqueur, et Glenn Helder furent particulièrement remarqués.

Un jugement de « kangaroo court »

La réponse de Graham à son éviction ne se fit pas attendre. « J’ai fait du bien-être d’Arsenal mon seul objectif lors des huit dernières années. Mon bilan montre mon succès. Avant cela, j’ai joué pour Arsenal pendant 7 ans donc je peux parler de plus de 15 ans d’engagement total pour le club. Ces allégations sont absurdes. Je regrette profondément que ce jugement de tribunal de pacotille (« kangaroo court » pour les anglophones) ait été rendu en catimini. »

Rune Hauge, l'homme du scandale (et de beaucoup d'autres à son sourire...)

Rune Hauge, l'homme du scandale (et de beaucoup d'autres vu son sourire...)

La défense du manager est simple : pour lui les pots-de-vin n’en sont pas. Il s’agirait de « cadeaux désintéressés » de la part de Rune Hauge pour le remercier « des contacts que je lui ai fait. Il m’a dit que son business allait très bien et que c’était pour montrer sa gratitude ». Des propos qui ne convainquent pas la fédération anglaise de football, qui suspend George Graham pendant un an. Rune Hauge, qui au passage avait négocié l’arrivée de Peter Schmeichel et Andrei Kanchelskis à Manchester United en 1991, fut banni de la Fifa avant de voir sa peine être réduite à deux ans de suspension.

Le Thatcher des Gunners

Si George Graham est l’homme qui a ramené le titre de champion à Arsenal après 18 ans en 1989, dans un final haletant [4], il reste un tyran dans l’imaginaire de certains de ses joueurs. Ces derniers n’ont cessé de faire des rapprochements entre cet originaire de Glasgow et Margaret Thatcher, la Dame de fer, sur la façon de mener le club d’un côté, l’Angleterre de l’autre. « Les joueurs doivent gagner le droit de jouer pour Arsenal », déclare-t-il à son arrivée. Le pauvre Martin Keown, formé au club et qui demandait un extra de 50 £ par semaine fut ainsi vendu à Aston Villa dans la foulée pour son impertinence. « J’ai refusé de le payer plus que Tony Adams ou David Rocastle, et donc il est parti pour Aston Villa », écrira-t-il ensuite dans son livre The Glory and the Grief.

Sa gestion d’un club n’était pas loin du régime autoritaire, comme en témoigne l’ancien milieu offensif suédois, Anders Limpar, dans un entretien à Aftonbladet TV. « Le régime de George Graham, c’était comme vivre en Irak sous Saddam Hussein ». Pourtant, son génie tactique était reconnu de tous. Que ce soit Nevio Scala, l’entraîneur de Parme battu en 1994, ou Giovanni Trappatoni. « Il a montré la clarté de ses pensées, indiquait à l’époque le Trap. Il a résolu tous ses problèmes dans sa campagne européenne. Je l’admire énormément. » [3]

Anders Limpar n'est probablement jamais allé en Irak sous Saddam Hussein.

Information exclusive : Anders Limpar n'est jamais allé en Irak sous Saddam Hussein.

L’arrivée de Graham à la tête d’Arsenal en 1986 s’est toutefois joué à peu de choses. Les dirigeants londoniens avaient au départ deux noms en tête : Terry Venables et Alex Ferguson. L’Écossais devait d’ailleurs avoir comme adjoint… George Graham ! Finalement, l’un ne daigna pas quitter le FC Barcelone alors que l’autre voulu se donner du temps. L’ancien milieu des canonniers fut donc choisi.

« Si George Graham est le seul manager coupable d’avoir accepté un bung lors les dix dernières années, j’en serais absolument stupéfait »

L’affaire entre Hauge et Graham a amené la FIFA et la Premier League à insister auprès des clubs pour qu’ils ne fassent appel qu’à des agents agréés. L’initiative ne dure pas bien longtemps puisqu’en janvier 2006, Mike Newell, l’entraîneur de Luton Town, annonce que des agents ont tenté de lui offrir des bungs. « Si George Graham est le seul manager coupable d’avoir accepté un bung lors des dix dernières années, j’en serais absolument stupéfait », déclare-t-il après son audition par la FA sur le sujet. Déjà en 1998, une enquête sur Brian Clough concluait que ce dernier avait pris des parts, avec son adjoint Ronnie Fenton, sur des transferts à Nottingham Forest. Le nom de Rune Hauge était une nouvelle fois évoqué. L’entraîneur mythique des Tricky Trees n’avait toutefois pas été inquiété en raison de son état de santé.

Pour porter corps aux déclarations de Newell, l’émission « Panorama » de la BBC diffuse en septembre 2006 une enquête sur le sujet. Des agents filmés à leur insu y accablent Sam Allardyce : « Sam, il croque minimum 150 000 £ par transfert ». L’entraîneur, alors à Bolton, passerait par son fils, Craig – lui aussi agent – pour les pots-de-vin. Harry Redknapp est aussi inquiété, notamment pour avoir fait acheter à son club d’alors, West Ham, 144 joueurs en sept ans. Si « Big Sam » et Redknapp s’en sortent grâce à la rétractation des agents, Kevin Bond, adjoint à Newcastle, est licencié des Magpies pour avoir touché des bungs lors de son passage à Portsmouth.

« Arsène Who ? »

L’éviction de George Graham eu pour principale conséquence de laisser le champ libre à Arsène Wenger. Alors que Bruce Rioch avait été nommé pour la saison 1995-1996, son seul fait d’armes a été d’établir un nouveau record dans les transferts anglais en recrutant Dennis Bergkamp pour 7,5 millions £. Avant d’être lui aussi limogé en raison d’un désaccord avec sa direction sur les fonds attribués aux transferts. Les bookmakers et la presse, pariant sur une arrivée de Johan Cruyff, furent surpris de voir débarquer l’Alsacien. « Arsène Who ? », titra même l’Evening Standard.

Un « look de professeur des écoles »

Un « look de professeur des écoles »

Même son de cloche chez ses nouvelles troupes. « Au début j’ai pensé : qu’est ce que ce Français connaît au foobtall, s’interrogea Tony Adams à l’époque. Il porte des lunettes et ressemble plus à un professeur d’école. Il ne va pas être aussi bon que George [Graham]. D’ailleurs, est-ce qu’il parle anglais correctement ? ». Une tirade qui s’avéra fausse (sauf pour l’anglais) mais qui démontre bien la popularité et l’affection dont bénéficiait George Graham à l’époque. Celle-ci s’éroda lorsqu’il prit la direction de Tottenham en 1998, où il fit venir Steffen Freund, milieu défensif allemand, et Oyvind Leonhardsen, international norvégien, deux joueurs liés à… Rune Hauge.

Christophe-Cécil Garnier.

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[1] Lors de l’arrivée de George Graham, Arsenal n’avait plus gagné un trophée depuis une FA Cup en 1978-1979. Le retour du succès intervient en 1987 avec la victoire en League Cup. Les Gunners remportent ensuite leur premier titre national depuis 18 ans (où il évoluait déjà en tant que joueur) en 1989, avant de triompher à nouveau en 1991. S’ajoute à cela une victoire en FA Cup en 1993 avant le deuxième succès continental : la Coupe des Coupes de 1994. Six titres (sans compter le Charity Shield de 1991) qui font de lui, proportionnellement, le meilleur entraîneur sur un ratio titres/années.

[2] Les propos sont issus de l’enquête de la FA racontés par le journal The Independent. Merci par ailleurs à Kevin Quigagne pour son aide précieuse au sujet de l’affaire Mike Newell et de l’émission Panorama (Undercover: Football’s dirty secrets) diffusée le 19 septembre 2006.

[3] Les propos et anecdotes sont issus du livre Red Letter Days.

[4] Lors de la dernière journée de championnat, Arsenal était deuxième avec 73 points, à trois unités du leader Liverpool. Les deux équipes s’affrontaient à Anfield, ce qui n’avait rien d’un hasard, le match était programmé le 23 avril 1989 mais la demi-finale entre Liverpool et Nottingham Forest (le drame d’Hillsborough) repoussa la rencontre à la toute fin de saison. Pour coiffer les Reds au poteau, les Gunners avaient besoin d’une victoire par deux buts d’écarts. La partie fut engagée. Arsenal marqua un premier but à la 52e mais alors que la fin du match approchait, le score était toujours de 1-0. Ce n’est qu’à 25 secondes du coup de sifflet final que Michael Thomas inscrit le second but, synonyme de titre.

Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le  chemin parcouru cer dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

La lecture de l’introduction de ce dossier est vivement recommandée.

Nous continuons notre exploration chronologique de l’histoire du football noir britannique débutée fin novembre dernier (liens des volets précédents en bas d’article) avec Eddie Parris et Jack Leslie, le premier Noir sélectionné en équipe d’Angleterre… avant d’être « désélectionné » pour raisons raciales.

# 5. Jack Leslie (1901-1988)

Jack Leslie est le premier Noir sélectionné en équipe d’Angleterre… avant d’être promptement « désélectionné ». Sans une décision raciste de la fédération anglaise, il aurait précédé Viv Anderson de 46 ans [1] ! Accessoirement, il fut aussi le premier Noir à réussir une longue carrière en Football League.

Né en 1901 à Londres de père jamaïcain et de mère anglaise, Leslie joue pour son petit club local avant que Plymouth (D3) ne le recrute en 1921. Ce talentueux inside-left (« inter » gauche, dans ce dispositif) ou avant-centre est aussi diablement prolifique et fait de Plymouth une grosse cylindrée de D3, régulièrement 2è de D3 South dans les années 20 (montée difficile car un seul club promu par poule de 22, Nord et Sud). A la fin des années 20, Leslie tourne à 15-20 buts par saison et, en tandem avec Sammy Black, il fait monter les Pilgrims en D2 en 1930.

Un jour de novembre 1932, l’impensable arrive : son manager lui annonce sa convocation en équipe d’Angleterre ! La joie de Leslie sera cependant de courte durée. En effet, le surlendemain, les journaux publient la sélection qui doit affronter l’Autriche le 7 décembre et pas de Jack Leslie dans la liste. Dans cet article de la BBC rapportant une interview accordée en 1978 au Daily Mail, Leslie explique comment les choses se déroulèrent :

« Pour un petit club comme Plymouth, c’était quelque chose d’avoir un joueur appelé en équipe d’Angleterre ! Puis un ou deux jours après, on découvre la sélection dans les journaux et mon nom n’y figurait pas. A ma place, on avait mis Billy Walker d’Aston Villa [35 ans, et plus sélectionné depuis cinq ans, nda]. Apparemment, entre ma lettre de sélection et leur décision de ne pas m’inclure, ils s’étaient apercus que j’étais un « darkie » [bronzé]. Alors pour eux évidemment, j’imagine que c’était comme si j’avais été un étranger. »

Il transpirera plus tard, effectivement, que le comité de sélection ne s’était pas rendu compte que Jack Leslie, dixit la fédération, « était un joueur de couleur ».  Sur la couleur justement, Leslie poursuit (même interview) :

« On m’insultait beaucoup des tribunes pendant les matchs, du style « Et le négro, j’vais te casser les jambes« . Il n’y avait rien de bien sinistre là-dedans en fait, ces spectateurs essayaient juste de me déstabiliser. »

En 1935, il raccroche les crampons et retourne à Londres où il intégrera plus tard l’intendance du staff de West Ham. En treize saisons à Plymouth, Jack Leslie inscrira 137 buts en 383 matchs et en fera marquer aumoins le double (ah, si seulement les stats avaient existé…).

A la même époque (1931), le Guyano-Sénégalais Raoul Diagne, surnommé « L’araignée noire » et fils du sous-secrétaire d’État aux Colonies, était sélectionné en équipe de France A. Une dizaine d’autres Noirs français suivront avant que l’Angleterre ne connaisse son premier sélectionné noir, Viv Anderson, en 1978. Quelques pistes explicatives pour analyser ce décalage seront examinées plus en aval dans ce dossier.

# 6. Eddie Parris (1911-1971)

Le premier Noir de l’ère professionnelle (post-1885) à être sélectionné (une cape) par l’une des quatre nations britanniques, le Pays de Galles, en décembre 1931 (Andrew Watson – volet # 2 – le précède de cinq décennies, pour l’Ecosse, mais ère amateur).

De père jamaïcain et mère galloise, Parris évolue d’abord à Bradford Park Avenue, une grosse cylindrée de D2, comme ailier gauche de 1928 à 1934 (142 matchs/39 buts). Parry est vif, prolifique et on le surnomme vite The Welsh Wizard, Le Sorcier gallois, un surnom également donné au grand Billy Meredith (ici) et à d’autres fameux Gallois.

Parris se blesse vers 1933 et perd son mojo. Il s’en va alors porter les couleurs de Bournemouth à l’étage inférieur, de 1934 à 1937. Suivront Luton (D2), brièvement, et Northampton (D3) en novembre 1937.
Pendant la Seconde guerre mondiale, il continuera à jouer pour les Cobblers ainsi que pour deux autres clubs amateurs. Les crampons raccrochés, il fera carrière dans l’industrie aéronautique.

Comme nous l’étudierons dans les prochains volets de ce dossier, l’entre-deux-guerres, période politiquement sombre et socialement tourmentée [2], ainsi que l’après-guerre, virent les questions raciales et identitaires s’immiscer progressivement dans le débat public britannique, pour finalement occuper le devant de la scène à partir des Sixties.

Cet article sur Parris souligne l’intelligence de la fédération galloise de football, qui contraste avec la cynique posture de son homologue anglaise dans l’affaire Jack Leslie.

Kevin Quigagne.



Les volets précédents :

(1) Introduction. Les premiers Blacks du football britannique
(2) Andrew Watson. Les premiers Blacks du football britannique
(3) Arthur Wharton. Les premiers Blacks du football britannique
(4) John Walker et Walter Tull. Les premiers Blacks du football britannique

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[1] Si Viv Anderson fut le premier Noir à représenter l’Angleterre A en match amical, le 29 novembre 1978 contre la Tchécoslovaquie, Laurie Cunningham sera lui le premier à enfiler la tunique des Three Lions en match de compétition, six mois plus tard. Tous deux feront bien sûr l’objet d’un portrait dans ce dossier.

A noter que Hong Y Soo (plus connu sous le nom de Frank Soo) et né à Liverpool de parents anglais et chinois, fut le premier non-Blanc du football britannique à être sélectionné en équipe d’Angleterre, pendant la seconde guerre mondiale. Sélections non homologuées cependant car beaucoup de footballeurs furent mobilisés entre 1939 et 1945, et donc non sélectionnables. Ces matchs internationaux ne figurent pas dans la liste officielle des rencontres des Three Lions.

[2] L’historien britannique Richard Overy l’appellera The Morbid Age : pauvreté, dépression économique, habitat insalubre, chômage de masse, montée du fascisme – y compris au Royaume-Uni.

Demain se disputera à Old Trafford un replay de 32è de FA Cup inattendu : Man United vs Cambridge United, l’actuel 14è de D4. L’occasion de revenir sur un succulent épisode anglo-français de l’histoire récente de Cambridge.

Il y a dix jours, les U’s tenaient superbement en échec les Red Devils dans leur vieil antre archicomble d’Abbey Stadium (8 000 places), devant les caméras de la BBC et 6 millions de téléspectateurs. Cet exploit vaudra à Cambridge United d’empocher un chèque d’environ 1,7m £ (provenant principalement de la moitié de la recette d’Old Trafford demain), soit un quart de plus que leur masse salariale et les deux tiers de leur budget 2014-15 (hors gains FA Cup).

Outre cette manne fort bienvenue, la mini épopée remontera le moral des supps de la Amber Army souvent en berne depuis 2004. Dix longues années de purgatoire en D5, dans l’anonymat de la non-League, après avoir été placé en redressement judiciaire et évité de peu la liquidation pure et simple.

Pourtant, les temps furent bien plus glam’ dans un passé récent. En 1992 par exemple, quand Cambridge faillit accéder à la Premier League sous la houlette musclée de John Beck, un chantre du kick and rush aux méthodes controversées. Ou début 2004, quand un célèbre duo français débarqua à l’Abbey Stadium. Un binôme attendu comme le Messie…

[L’article ci-dessous est un extrait de ma Preview de D4 2014-15, en deux parties, publiée dans Teenage Kicks fin août dernier. J’y parle notamment de l’ex Red Devil Luke Chadwick, 34 ans, revenu au bercail à Cambridge – section « Vieux de la vieille », dans la deuxième partie]

Cambridge United Till I die

En mars 2004, à la stupéfaction générale, le petit Cambridge (22è de D4 et fauché) nomme le tandem Claude Le Roy-Hervé Renard respectivement manager et adjoint. Dès le départ, c’est le flou artistique le plus total sur la nature du contrat et les attributions de chacun. Le « Sorcier Blanc » déclare à un journal local que sa nomination n’en est pas vraiment une et que sa démarche est totalement désintéressée (« C’est avant tout un contrat moral », lâche-t-il au quotidien de la ville).

Interviewé par Canal Plus, le globe-trotter explique (propos rapportés dans le magazine When Saturday Comes de mai 2011) : « Je me suis engagé avec Canal Plus et me dois de leur être loyal. Quand je me suis retrouvé libre [après une pige en Chine], j’ai dit que je serais prêt à donner un petit coup de main à Cambridge, c’est le deal entre nous. On n’a jamais parlé argent ou quoi que ce soit. J’y vais simplement pour faire un audit. »

OK, très charitable au demeurant d’aider les pauvres mais ce n’est manifestement pas ce qu’a compris le président-proprio de Cambridge, l’homme d’affaires Gary Harwood, amateur d’envolées lyriques un brin grandiloquentes : « En faisant venir Claude, nous avons recruté l’un des managers les plus respectés d’Europe, sinon du monde. C’est peut-être la nomination la plus sensationnelle de l’histoire du club. Quand nous aurons, je l’espère, assuré notre place en Football League, Claude pourra bâtir une équipe conquérante et attrayante qui visera bien plus haut. »

Dans un élan émotionnel très « Feux de l’amour », Harwood ajoute (toujours dans cet article de WSC # 291) :

« Claude m’a dit « Gary, mon coeur est à Cambridge et y sera jusqu’à ma mort« . Je crois sincèrement qu’il s’est vraiment pris d’amitié pour Cambridge United. »

Tambouille contractuelle

L’étrange attelage se poursuit encore deux mois. Renard manage l’équipe en tandem avec l’adjoint de l’entraîneur limogé, Le Roy se pointe à l’occasion mais uniquement pour les matchs, le proprio magouilleur tente de sauver le club du redressement judiciaire.
Selon les médias anglais, cet « arrangement contractuel » est censé tenir jusqu’à la fin de saison, suivi en principe d’un vrai contrat de deux ans. Détail cocasse : le salaire de Le Roy (le « contrat moral » n’était donc pas complétement philantropique) est partiellement financé par Dr. Johnny Hon, un Docteur en psychiatrie et businessman de Hong-Kong qui siège au directoire du club (il a étudié localement et s’est fait bienfaiteur des causes locales). La barque un peu bancale est finalement menée à bon port puisque le maintien est confortablement assuré, Cambridge finissant 13è.

Renard, à l'Abbey Stadium contre York City, en avril 2004

Renard, à l'Abbey Stadium contre York City, en avril 2004

Nul besoin d’être Grand Maître en art divinatoire pour deviner la suite. La saison à peine terminée et sentant probablement une implosion proche, Le Roy reprend sa bourlingue, direction le Congo. « Je n’étais là que pour aider mon ami Hervé Renard », confie-t-il à un canard local. Bizarrement, il se repointera en novembre 2004 pour diriger un entraînement avant un match de FA Cup ; Renard est nommé entraîneur en mai 2004 mais, après un bon début, est licencié mi décembre 2004 (Cambridge est 23è) ; le club vend son stade 1.9m £ en lease-back pour payer ses dettes (et en devient donc locataire, à 200 000 £/an) ; le club est placé en redressement judiciaire en avril 2005 ; le psychiatre de Hong-Kong démissionne du directoire ; Cambridge finit 24è et descend en D5 où il végétait jusqu’à la saison passée. Welcome back en Football League à Cambridge United donc.

Toujours en proie à des problèmes de trésorerie, les U’s ont dû décrocher leur sésame aux play-offs. On aura donc Oxford et Cambridge en D4 cette saison (une première depuis dix ans). Si ça ne devrait pas trop faire bander footballistiquement parlant, ça relèvera le niveau intellectuel de la division, au moins sur le papier.

Kevin Quigagne.