Archive for mars, 2016

Lors de la saison 2014-2015, un incident raciste avait entaché le match Paris-Chelsea. L’occasion de rappeler une partie sulfureuse de l’histoire des Blues et celle du premier joueur noir à avoir évolué sous leurs couleurs : Paul Canoville.

« We’re racist, we’re racist, and that’s the way we like it ». Une scène filmée dans le métro parisien l’année dernière, quelques heures avant un match de Ligue des champions contre Chelsea. Des fans anglais qui repoussent un passager noir et l’empêchent de rentrer. La séquence fait le tour du web, provoque la condamnation de quatre supporters anglais et procure des trémolos dans la voix de Paul Canoville. Paul Canowho ? Paul Canoville. Le premier joueur noir de l’histoire de Chelsea.

« J’aurais adoré être dans cette position, déclarait-il au moment des événements, il y a un an au Telegraph. J’aurais adoré confronter ces idiots, leur dire qui j’étais, et voir s’ils pourraient me faire cela. Ça aurait pu être une histoire différente dans ce cas-là ». Mais ce natif de Southall – un quartier de la banlieue ouest de Londres, surnommé Little India pour ses communautés indiennes et pakistanaises, arrivées dans les années 50-60 – a déjà été confronté à ces énergumènes. Et à l’époque, ils étaient plus que quatre.

Arrivé du club d’Hillingdon Borough en décembre 1981, Paul Canoville fait ses débuts sur la feuille de match des Blues quatre mois plus tard, lors d’un déplacement à Crystal Palace. Chelsea est loin de ses succès (à l’époque, le club possède un titre de champion, acquis il y a plus de vingt ans, une FA Cup, une coupe de la Ligue et une Coupe des coupes) et végète en deuxième division. Lors de son échauffement, des cris individuels démarrent par-dessus la clameur du stade: « Rassieds-toi, salopard de black ». L’ailier ose à peine se retourner et aperçoit les auteurs, bardés de maillots et d’écharpes bleutés. « Des fans de Chelsea, des fans de mon équipe, le visage tordu par la haine et la colère, les deux dirigées vers moi. Je me suis senti physiquement malade. J’étais absolument terrifié », témoigne le joueur dans son autobiographie. Une banane tombe juste à côté de ses pieds, alors que les fans commencent à chanter : « On ne veut pas du nègre, on ne veut pas du nègre, la la la la ».

Pour ce fils d’immigrés caribéen, dont le père quitta le domicile familial lorsqu’il avait deux ans, l’antipathie et le racisme des supporters de Chelsea à son égard n’étaient pas des situations qu’il avait imaginées. « Je ne savais rien des fans de Chelsea. Je ne suivais pas Chelsea. Je n’allais pas les voir jouer. Quand je m’entraînais ou jouais avec la réserve, je ne les voyais toujours pas. » Et il ne vit pas jouer l’équipe première avant d’être choisi par John Neal lors du match contre Palace. « Vous êtes dans le vestiaire, pensant : « Ouais, je vais faire un bon match ». Jusqu’à ce que vous sortiez dehors et que vous vous échauffiez et c’est genre : « C’est quoi ce bordel ? » ».

Lors des quelques minutes où il reste sur le terrain, Canoville se fait huer par ses propres fans à chaque fois qu’il touche le ballon. « Je suis resté plus ou moins sur la ligne de touche, détaille-t-il à la version anglaise de Vice Sports. Je ne cessais d’entendre les critiques dans mon dos. La balle arrivait jusqu’à moi, je la redonnais directement. Je n’ai rien fait, ma confiance était envolée. Je me vidais au fur et à mesure que je recevais des insultes. Je n’attendais qu’une chose, que l’arbitre siffle. »

Des joyeux larrons vous dit-on !

Des joyeux larrons vous dit-on !

En désuétude sportive à l’époque, Chelsea rattrapait alors cet affront avec la virulence de ces hooligans. En avril 1977, le ministre des Sports Denis Howell avait même interdit les supporters de Chelsea de se rendre aux matches à l’extérieur [1]. Le groupe des Chelsea Headhunters (ou Chelsea Shed Boys) gangrénait les tribunes par ses chants provocateurs et beaucoup d’entre eux furent recrutés par le British National Front, le parti d’extrême-droite (quelques-uns iront même jusqu’à s’acoquiner avec les néo-nazis de Combat18). Lors des matches, les Headhunters attendaient dans un pub de connaître la composition de l’équipe des Blues. Si elle n’était pas totalement blanche, ces joyeux larrons restaient dans le pub. Ce qui n’empêcha pas Canoville d’entendre leurs insultes au fil de son passage à Stamford Bridge. Un but marqué le satisfaisait à peine puisque c’était synonyme de chants à son encontre : « On est toujours à 0-0, le nègre a marqué, cela ne compte pas ».

« Je me demande encore comment j’ai fait pour supporter tout ça, indique dans ses récits celui qu’on surnomme « Canners ». Normalement, je suis le genre de personne qui dirait les choses directement si elles ne me plaisent pas, mais je l’ai juste fermé. Être un footballeur était un rêve pour moi. C’était ma chance. »

Peu de personnes prirent sa défense au club. John Neal lui fendit quelques mots d’encouragements mais ce fut surtout l’ailier Pat Nevin (recruté pour lui faire concurrence et qui avait de très bons rapports avec les supporters) qui aida Canoville en estimant le traitement réservé « dégueulasse ». Une partie des chants racistes finit par cesser vers 1983, au moins à domicile, où son nom était désormais synonyme d’une clameur positive. Mais les insultes continuaient à l’extérieur. Toujours de ses propres fans. Et parfois même de ses propres coéquipiers. La carrière de l’ailier à Chelsea prit fin après quatre ans et demi passés au club, après quelques coups de clubs de golf envoyés lors de la pré-saison dans la face d’un joueur de Chelsea, qui l’avait traité de « black cunt » après six pintes de trop. Au lieu de soutenir Canoville, les dirigeants négocièrent un transfert à Reading pour 50.000£, sous prétexte qu’il était au club depuis moins longtemps que son comparse (qu’il s’est toujours refusé de nommer).

Vu comme un nouveau départ, Reading ne fut que le cimetière de ses espoirs et d’un de ses genoux. Une rupture des ligaments croisés au mois d’octobre 1986 l’éloigna des terrains pour la saison. Un an plus tard, sa blessure ne s’étant jamais vraiment dissipée, il annonça la fin de sa carrière professionnelle. La suite de sa vie ressembla très souvent à une tragédie : une addiction à la cocaïne, deux combats contre un lymphone non hodgkinien, une forme très agressive de cancer, et la mort quelques jours après sa naissance d’un de ses onze enfants. Autant d’événements qu’il a finis par surmonter, tout comme Chelsea avait fini par vaincre le racisme dans ses rangs. Sur un lit d’hôpital, Canners avait regardé le triomphe des Blues en FA Cup lors de la saison 97, menés par un entraîneur noir : Ruud Gullit. Du moins le pensait-il. « Avec tout ce par quoi je suis passé à Chelsea, avec tout ce que le club a fait et nous avons fait un travail colossal pour essayer de virer le racisme du football. Je peux voir la différence. Mais clairement, le racisme est toujours là. Voir quelque chose comme ça relié à Chelsea nous a renvoyé en arrière », concluait-il au Telegraph l’année dernière, sans jamais se montrer abattu.

Christophe-Cécil Garnier. 

Lire aussi le dossier de Kevin Quigagne sur les premiers blacks du football britannique.

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[1] C’est de cette interdiction que naquit le célèbre « You can’t ban a Chelsea fan » (en gros, vous ne pouvez rien interdire à un fan de Chelsea). Comme l’explique Colin Ward dans son livre Armed for the Match, le match à l’extérieur après cette interdiction vit un amas de supporters de Chelsea aux stations de train. Un journaliste (« débile », comme le qualifie Ward) demanda à certains fans pourquoi ils se préparaient à partir, ce qui engendra la fameuse réplique (qui fut arborée en t-shirt et en badge). Lors de Wolverampton-Chelsea, le 7 mai 1977, 3.000 supporters des Blues étaient présents dans les tribunes…