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Invité[1] : khwezi
L’histoire de Don Revie, le quatrième membre du trio de génies formé par Matt Busby, Bill Shankly et Brian Clough. Le mec que tout le monde fait mine d’oublier. Sauf à Leeds. Et pour cause. Les grandes heures de ce club, sa notorieté même, la raison pour laquelle ils ont pu avoir des mecs comme Cantona et Strachan, c’est lui. La légende du « Dirty Leeds ».

Je m’appelle Don Revie. Sir Donald Georges Revie en fait, mais appelez-moi Don. J’ai un des plus beaux palmarès du football anglais au XXe siècle, et pourtant peu de gens en dehors de Leeds, quasiment personne en fait, ne se rappelle vraiment de moi. J’aurais dû être LA foutue légende de ce 20e siècle. Et ben non. Tout le monde se souvient de cet ignare de Shankly ou de ce salopard de Clough ou de ce bouddha en plâtre de Busby. Mais personne se souvient de moi. Fichu Karma, foutue vie injuste. Oh, si, pardon. Les gens se souviennent parfois de moi. Enfin, surtout de mon équipe. Ouais, MON équipe. Le « Dirty Leeds ». Attendez que je vous cause de moi et de mon équipe.

Dickens, arrivisme et mauvaise étoile

Je suis né à Middlesbrough. Le premier qui dit « Comme Brian Clough » je lui colle une balle dans le genou. En 1927, moi. Ma mère meurt quand j’ai 12 ans. A quelques décennies près, Dickens aurait écrit « Don Revie » au lieu de « Oliver Twist ». Mon père n’est pas très présent, et l’entraîneur de foot du quartier me fait m’entraîner avec des ballots de fringues usagées en guise de balle. Working Class Hero je vous dis.

En 1949, je suis à Leicester. Pour en arriver là, j’ai ramé. J’ai galéré pour devenir footballeur. Vraiment. J’avais la classe pourtant. La grande classe. Milieu offensif avant l’heure – à l’époque on est attaquant, ailier ou milieu. Pas les trois en même temps – on disait de moi que si l’équipe voulait bien jouer comme je l’entendais, j’avais tout d’un match winner, un golden kid. Et le premier qui dit « oh comme Brian Clough » je lui colle une prune dans le foie. j’ai été un temps le joueur le plus cher de l’histoire en cumul de transferts ! Et toi Brian Clough ? Ah ben non. Toi t’as pas joué assez longtemps.

Le problème au fond, c’est que l’équipe le voulait rarement. Et comme je suis têtu, j’ai passé pas mal de temps sur un terrain, à parler, râler, réclamer, ordonner, intimer, supplier et demander. Assez peu à tacler.
« Il savait pas tacler. Même si sa vie en avait dépendu… » dixit Jack Charlton (frère de, champion du monde 66 et défenseur central de Leeds United).

Que ce soient mes coéquipiers, mes anciens coachs ou les commentateurs de l’époque tout le monde semble d’accord sur moi : le foot, chez moi, c’était cérébral. Et le problème en tant que joueur c’est que les dix autres n’avaient pas le même cerveau que moi. En toute modestie. Pour dire : j’ai fait partie de ces rares Anglais heureux de l’historique leçon de football total reçue par la sélection contre les Hongrois de Puskas, parce que bon sang: la tactique, la tactique, la tactique ! L’intelligence dans le jeu. J’ai aimé ça. Et le premier qui dit « oh, comme Brian Clough » je lui colle une balle dans le rein.

A Leicester, en 1949 donc, j’épouse la fille du manager, et le capitaine Septimus Smith est mon mentor. Leicester atteint la finale de F.A. Cup. La gloire est devant moi. Et elle le restera : pour une hémorragie nasale qui a failli me coûter la vie – Dickens, je vous dis – j’ai loupé cette foutue finale et on a perdu. Karma est une traînée.

Stale bread, French toast

Bref, Leicester, club de nuls. Le manager ne veut pas vraiment faire de moi son dépositaire de jeu. C’est trop lent, pas assez vertical, je défends pas, je râle. Et alors ? Je le vaux bien. Je me suis barré écœuré, à Hull, en D2 pour rebondir. A Hull, ça a marché. Parfois. Moyennement. Pas si mal. Et surtout pas longtemps. Les McDowall, récent manager à City, me veut, en souvenir de mes promesses entrevues à Leicester. Le club a besoin d’argent. J’ai fini par atterrir à Manchester City. On est en 1951. J’arrive dans une équipe promue en première division, et huée dans tout le pays pour son gardien allemand, un ancien prisonnier de guerre qui combattait en face même pas dix ans avant. Cela m’a appris des choses…

Et les choses démarraient mal. Pour faire court, l’équipe avait recruté une flèche devant, un certain Broadis, jouait bas, et vite vers l’avant en défendant beaucoup. Tout ce que je ne sais pas faire. Mais comme les choses marchent mal, le boss teste plusieurs formules. Il m’a même fait jouer half back – demi défensif – alors que je veux jouer meneur, inside forward. Broadis est sélectionné en équipe nationale, et moi je finis ma première saison blessé. Karma’s a bitch.

Les choses commencent à tourner à partir de 53, et le 6-3 subi à Wembley par la sélection face au major Puskas et le football total des Hongrois. Pendant que McDowall refuse de changer le jeu de l’équipe première, la réserve, sous l’impulsion de Johnny Williamson, expérimente un jeu avec un inside forward, et enchaîne 26 matchs sans défaite. McDowall commence à réfléchir. Et décide de me tester dans ce rôle. Avec l’expérimentation du jeu en mouvement.

Là, il a bien fallu que le monde reconnaisse mon talent : j’ai été sélectionné en 1954 pour la première fois en équipe d’Angleterre, puis élu joueur de l’année par la F.A. en Juin 1955. J’ai même publié une autobiographie à ce moment là, Soccer’s Happy Wanderer. Je m’y croyais un peu, oui.

Las, deux mois plus tard, City me fichait au placard – tout ça parce que ce foutu manager trouvait qu’avec moi sur le terrain, l’équipe était moins bien organisée qu’avec les singes savants qui me servaient de coéquipiers. Tous des ânes bâtés. On m’a ressorti du placard une seule fois en fin de saison pour participer à la victoire en F.A. Cup. Et j’ai été le foutu homme du match. Ouais ma pomme. Moi.

Down the hill, to the top.

Du coup, je pars à Sunderland. Ouais ma gueule. T’es pas content ? Je vais voir ailleurs, tiens, et je suis même sélectionné en équipe nationale pour la sixième fois. Et accessoirement la dernière. Moi, un des plus brillants milieux offensifs de l’après-guerre.

En 1958, devenu obscur parmi les obscurs, je quitte Sunderland pour l’obscure et morne ville de Leeds, Yorkshire, décidé à y descendre la colline dans l’anonymat. Sauf qu’en 1961, le coach est viré, l’équipe n’a pas un rond et traîne en fond de D2. Et comme y’a pas des masses de mecs ayant un passé d’international dans une équipe fauchée de fond de D2, on me propose le poste. Entraîneur-joueur de Leeds. Ce coup-ci, l’équipe ne va plus trop avoir le choix : ils vont devoir jouer comme je le veux. Pour moi.

Mais ça marche pas. Le club continue de s’enfoncer.

En Mars 62, un an après ma prise de poste, les choses empirent et le club se retrouve quasi-relégable en 3e division. C’est alors que je dégaine une arme fatale: le chéquier du club. Bobby Collins, Ecossais, quasi-nain, milieu de terrain, chausse du 37, mais tassé comme un buffet Victorien. Avec en prime la particularité d’avoir inventé le free fight, les combats de pitbulls, voire même une douzaine de techniques d’étranglement. Et accessoirement, j’arrête de jouer. Et le premier qui dit « en même temps que Brian Clough » je lui mets une balle dans le coude.

Bobby jouera 5 saisons à Leeds. Lorsqu’il quittera l’équipe, un peu avant sa fin de carrière, Leeds sera l’équipe la plus crainte et la plus sanctionnée de toute l’Angleterre. Ouais. C’est comme ça que tout a démarré. Bobby Collins, le mangeur d’enfants.

Et pendant que Bobby favorisait la vente d’anxiolytiques chez les joueurs, j’ai ajouté par petites touches mon football, ma façon. Et surtout mes âmes damnées : Bremner et Giles. William « Billy » Bremner, mon milieu de terrain, mon métronome, mon régulateur, mon organisateur. Et Johnny Giles, mon provocateur, mon emmerdeur, mon tombeur mon truqueur, mon buteur. Mon fils rêvé et désigné comme tel : mon successeur, un jour. Ouais, ces deux là, y’a deux choses qu’ils détestent dans la vie : les voleurs de chevaux et les décisions d’arbitre.

A ce Leeds, mon Leeds, je vais inculquer quelques principes: mises au vert systématiques. Jeu de cartes et loto obligatoires; ça développe le cerveau, la réflexion et l’instinct de compétition, de contestation, de protestation, mais aussi les liens, l’amitié, l’habitude. La discipline aussi. Et la condition physique. Pour ça, j’avais mon adjudant, Les Cocker. La répétition, la tactique, la technique, c’était moi. Et Owen. Syd Owen. Owen, c’était mon assistant. Ma banque de données.

Ah oui. Un dernier point : Karma est une trainée, le hasard est son maquereau. Le hasard, c’est un truc de loser. Alors j’ai noté, consigné, espionné, discuté. Emmagasiné. Sur tous les coachs. Tous les arbitres. Les principaux joueurs. Les failles et forces de chaque équipe. Les tactiques, toutes les tactiques. Les adresses, les noms, les lieux de naissance, les histoires troubles et les fils cachés. Tout. Chaque détail. Sur mon équipe, ça c’était moi. Et surtout sur tous les autres. Et ça c’était Syd.

Et j’ai gagné. Bordel, j’ai tout gagné. Ou presque. League 2 (1964), League 1 (1969 et 1974), League Cup (1968) et FA Cup (1972), et deux Coupes d’Europe: deux Coupes des Villes de Foires (1968 et 1971). Et je te parle pas des deux Community Shield. Ouais mon gars. Cream of the crop.

The half empty glass

Mais le souci, c’est que j’ai été deuxième. Plus souvent. Finaliste malheureux. La place du con. Je la connais. Je la connais tellement bien qu’on m’en a même érigé comme symbole. Ben ouais. J’ai deux fois le palmarès de Shankly quasiment, et j’ai tout fait avant lui. Et lui, il a une statue, c’est un dieu dans son royaume, et une star dans l’inconscient collectif. Et moi ? Je suis le deuxième. Vice Champion d’Angleterre à cinq reprises (65, 66, 70, 71 et 72), perdant malheureux de pas moins de six finales, et même d’une septième alors que j’avais quitté Leeds ! Foutu Clough qui a refusé d’être sur le banc pour le Community Shield 74… J’ai raté une Coupe d’Europe, une League Cup, 3 coupes d’Angleterre et un Community Shield.

Et mon équipe râlait. Elle frappait aussi. Dans le dos, car c’est beaucoup plus efficace, et l’efficacité prime. Et les enveloppes de Syd circulaient. Vers des joueurs. Vers des arbitres. Rien n’a jamais pu être prouvé. Pas de hasard, je vous dis. Dirty Leeds. C’est comme ça qu’on nous a surnommés. Nobody ever liked us. And we never cared. Petit à petit, j’ai appris à respecter Shankly. Le mec m’a trop battu. Je l’ai trop battu. On s’est trop regardé dans les yeux. Il a lu dans les miens. Par contre, j’ai jamais appris à respecter Clough. Petit con. Ce mec m’a chié dans les bottes jusqu’à mon dernier souffle. Salopard. Tout ça parce qu’un jour je ne lui ai pas serré la main.

Faut me comprendre: alors même que je suis au top du football anglais, pendant toutes les années soixante, et même après, quand vous demandiez aux gens: « C’est qui le mec né à Middlesbrough, joueur prometteur super classe devenu international puis coach à succès, entraîneur de génie, charismatique et destiné à devenir sélectionneur ? », 99% de la planète répondait « Brian Clough ». Putain de Brian Clough. Alcoolique fourbu et fragile, irrationnel et insolent. Moi j’ai toujours porté le blazer. Et on me donne du Sir maintenant.

En 1974, je suis au top. Et vu le fiasco en sélection, la place est libre depuis le printemps. Clough est pressenti pour le poste. En tout cas il le croit. Le Pays le croit. Mais c’est moi qui aurai le poste. Je quitte Leeds en laissant des instructions pour ma succession, mon testament. Et ils m’ont chié dans les bottes. Clough, putain, Clough ! Le mec qui crachait sur mes titres en les appelant « sales ». C’est lui qu’ils ont recruté pour me succéder au lieu de Johnny, mon fils ma bataille. Tout ça pour 44 putains de jours, et un fiasco historique.

Et ouaip. L’a dû en faire une tronche Clough en l’apprenant par la radio.

Sans doute la même que celle des patrons de la fédé, trois ans plus tard, quand ils ont appris que j’avais quitté le poste. Ouais. J’ai quitté le poste. Comme ça. Depuis la défaite contre l’Italie fin 76, je le sentais venir. Le vidage. Et on vide pas Don Revie. Don Revie part, il quitte le poste. Il donne une interview pour s’expliquer au Daily Mail. Ensuite ses anciens employeurs apprennent la nouvelle. Et c’est seulement APRES, qu’ils reçoivent la lettre de dem’. Ils en ont fait un de ces foins : ils ont d’abord voulu me bannir à vie du foot anglais, puis pour dix ans. Je les ai traînés devant la haute cour de justice qui a cassé leur sanction. Foutez-la vous ou je pense. Et ouais.

La classe selon Don. A partir de là, que dire ? Je signe un nouveau contrat aux Emirats Arabes Unis (ouais, j’ai VRAIMENT été un précurseur dans beaucoup de domaines). Mais c’est la fin. Je ne dure guère. Je diminue. Et je m’éteins, en 1989. J’ai même pas vu tomber le mur. Je l’ai raté. A rien. Comme plein de choses dans ma vie, apparemment.

Et le prochain qui me parle de Brian Clough, je lui introduis cette bouteille dans le fondement.

[1] L’auteur de cet article est un de nos lecteurs[2] de la première heure, mais aussi une figure emblématique des Cahiers du Football. Il est l’une des 37 personnes dans le monde à avoir cru à un titre de Liverpool dès le début de la saison.

[2] Comment ça ? Toi aussi, fidèle lecteur, tu veux écrire pour TK ? Rien de plus simple, envoie-nous un mail à teenagekickscdf(at)gmail(dot)com, et découvre la gloire, l’argent sale et les filles faciles.