Archive for décembre, 2013

Deux saisons pour le prix d’une pour inaugurer cette nouvelle série, car fusionnelles dans la médiocrité. Le tout agrémenté d’un bouquet final somptueux signé du Doc et d’un message pour les fêtes, en finnois.

Introduction ici.

L'écusson de United des années 1960 à 1973

L’écusson de United des années 1960 à 1973

Clap de fin pour la Holy Trinity

Finalement, privé de George Best pour le reste de la saison 1972-73, Man United se maintient un peu miraculeusement en finissant 18è, après un gros coup de collier dans l’emballage final : 6 victoires sur les 11 derniers matchs, soit autant que sur le reste de l’exercice. Lou Macari, milieu écossais arrivé en janvier, a sauvé la baraque, 5 buts en 16 matchs et probablement autant de passes décisives (aucune stat à cette époque – mais comment faisaient-ils bon dieu ?).

Bobby Charlton finit meilleur buteur d’un club en déliquescence sportive : 6 malheureux pions (sur 36 matchs). Denis Law affiche un bilan digne des Frères Ameobi ou d’un Danny Graham on fire : 1 but en 11 matchs (des pépins au genou expliquant aussi cela). Best en a inscrit 4, en 19 matchs, tous disputés avant décembre.

Tommy Docherty prend alors une décision grave : Bobby et Denis, 68 ans à eux deux et presque 500 buts pour United, sont priés d’aller faire valider leur carte Vermeil ailleurs. En fait, le Doc a tranché presque le coeur léger. Il dira plus tard (voir clip, à 2’10) : « Les joueurs vieillissants peuvent être comme un cancer dans le vestiaire, ils ne s’intéressent plus qu’à leur longévité, pas à la qualité de leur jeu. J’ai dû me débarrasser des boulets et je l’ai fait sans aucun état d’âme. » Charlton part entraîner Preston North End, D2 (ci-dessous à droite, échec et descente en D3) et le sosie de Benoît Poelvoorde signe à… Man City (où il avait joué en 1960-61).

Le départ de Bobby était attendu mais pas celui de Denis Law [1]. Docherty avait même promis à Law un prolongement de contrat et conclu un deal avec lui pour annoncer son départ, ou sa retraite, le cas échéant dans le courant de la saison suivante. C’est pendant une émission de foot qu’il regardait à la télé dans un pub d’Aberdeen que Law apprit, via le présentateur, son placement sur la liste des transferts…

Docherty semble nourrir encore l’improbable espoir de ressusciter la carrière de Best. Ça ou alors il tient à avoir ses entrées au Slack Alice (la boîte que Best vient d’ouvrir), qu’il fréquentera lui-même en y draguant tout ce qui bouge !

Une saison 1973-74 encore plus galère

L’intersaison a été calme côté recrutement. A l’instar d’Arsenal ces dernières années, le club a les pires difficultés à attirer du gros gibier, les meilleurs préférant aller – ou rester – dans les clubs du moment ou prometteurs, à savoir Leeds United, Arsenal, Liverpool, Derby County, Wolves, Ipswich Town, etc. Ce n’est pas le fameux A.B.U (Anyone But United – supportez n’importe qui sauf United) du début des années 2000 mais Anywhere But United.

Au 26 décembre, le meilleur buteur de Man United est… le gardien, Alex Stepney, qui a converti deux pénaltys.

Les joueurs clés de United sont dans l’ensemble peu connus et majoritairement écossais. Ils se nomment Alex Stepney (gardien), Jim Holton et Martin Buchan (arrières centraux), Willie Morgan (ailier), Brian Greenhoff (milieu défensif), George Graham (le futur manager d’Arsenal), Brian Kidd et Lou Macari qui commence à se faire un nom, sans oublier le jeune Nord-Irlandais Sammy McIlroy. Bref, pour le maintien, c’est pas gagné.

La saison démarre comme prévu, très mal : 4 défaites sur les 6 premiers matchs. Ça se reprend avant de repiquer sérieusement du nez : 20è à mi-parcours avec 14 malheureux points. Au 26 décembre, le meilleur buteur Red est… le gardien Alex Stepney, qui a planté deux pénaltys.

Entre deux pauses dans son tourbillon festif, George Best a réussi à disputer une douzaine de matchs (2 buts). Son club à lui va merveilleusement bien par contre. On l’y croise souvent évidemment, ainsi que les célébrités de l’époque, de Mick Jagger à Elton John en passant par Rod Stewart, Marianne Faithfull ou les vedettes de Man City, tels le play-boy Rodney Marsh ou son vieux pote Mike Summerbee (ci-dessous) avec lequel Best a ouvert une boutique de mode à Manchester.

Triste fin pour Bestie

Début janvier 1974, le club est 20è et la situation est très tendue. Tombe alors la goutte de champ’ qui fait déborder le jéroboam. Le 1er janvier, après une lourde défaite à QPR où Best a été transparent, Docherty et Best s’accrochent sérieusement. Rebelotte le 5 janvier pour un 32è de FA Cup contre Plymouth (D3) à Old Trafford. Mais cette fois-ci, la violente dispute sera fatale à Best.

Best devait jouer ce match contre les Pilgrims mais Docherty l’en empêcha, lui reprochant de s’être pointé au stade à moitié ivre et en trop galante compagnie. Au coeur de l’embrouille, ce fameux deal portant sur les « aménagements » de ses horaires d’entraînement. L’Ecossais reproche au Nord-Irlandais de manquer trop de séances ou de se pointer passablement éméché, ce qui n’était pas prévu dans l’arrangement. Best encaisse mal. Il pense que le Doc veut lui faire porter le chapeau des échecs du club et prend cette attaque pour une trahison. Et puis pour lui, le deal était que bon, il s’entraînait un peu quand il voulait… Best comprend alors qu’il ne rejouera plus jamais pour United.

Abattu, il assiste tout de même à la poussive victoire de son équipe (1-0). Après la rencontre, ce moment poignant : Best reste longuement assis dans les tribunes, seul dans un Old Trafford vide, tête plongée dans les mains. Il pleure, prostré, incapable de bouger. Il faut qu’un membre du staff aille le trouver et lui dise :

« Allez George, faut y aller, c’est fini, on va fermer »

La presse tabloïd défouraille les titres chocs, tel feu News of The World : « Best viré, pour la énième fois il s’était pointé ivre à l’entraînement ». Best et le Doc ne se parleront plus jamais (un froid glacial qui persistera jusqu’à la disparition du Nord-Irlandais en 2005).

Côté terrain, le club sombre totalement. Au 23 mars, United ne compte qu’une seule victoire en 1974 (1-0), en 11 matchs au cours desquels United n’a inscrit que 5 buts… La lanterne est rouge écarlate.

Best s’est bien remis du choc et c’est de loin qu’il observe la déchéance des Red Devils. Il est en effet très occupé : il vient d’ouvrir Oscar’s, une boîte-restaurant décorée sur un thème « chic décadent » qui fait un malheur à Manchester.

Mais surtout, il se retrouve au coeur d’un scandale retentissant : il est arrêté par la police pour cambriolage. Le délit aurait été commis à Londres en février, alors qu’il contait fleurette à l’Américaine Marjorie Wallace (ci-contre), Miss Monde 1973 et fiancée à un pilote de F1, Peter Revson. La miss l’accuse de lui avoir volé des bijoux, un manteau en vison, son passeport, du whisky et un chéquier ! Les Geneviève de Fontenay du concours ne rigolent pas avec ces transgressions libertines et défroquent la belle le 7 mars. Le 22 mars, Peter Revson se tue au cours d’une séance d’essais avant le grand prix d’Afrique du Sud. Wallace retourne alors aux USA et, dépressive, abandonne les poursuites judiciaires contre Best.

Crucifié par leur ex messie

La dernière ligne droite de la saison ressemblera à un long chemin de croix, le club ne quittant plus la zone de crucifixion. Cruellement, c’est  Denis Law qui plantera le clou de grâce, devant les 56 996 spectateurs d’Old Trafford, le 27 avril 1974 [2], à l’occasion de l’avant-dernière journée contre Man City. Talonnade victorieuse (1-0) à la dernière minute de l’ex King Denis of Old Trafford, qui ne célèbre pas son but. Instantanément, des centaines de supporters envahissent le terrain (clip, à 5 minutes, fin de match très chaotique). Quelques supps Citizens, évidemment ravis d’avoir vu Law envoyer Man United en D2 pour la première fois depuis 36 ans, s’en vont féliciter l’Ecossais mais ce dernier les repoussent vigoureusement.

Il décrira ce moment comme le plus douloureux de sa carrière, précisant tout de même (dans son autobiographie) : « Ma talonnade n’a pas envoyé United en D2 [comme il a été écrit], mais symboliquement ce but a confirmé leur sort. […] En fait, j’ai été chanceux car sur la passe de Francis Lee, j’ai balancé ma jambe presque au hasard et c’est rentré. » Un geste heureux resté comme l’un des plus fameux caprices du destin du football anglais.

Le 29 avril 1974, Man United (21è) descend en D2, que les Reds avaient quitté en 1938.

Pour l’anecdote, à l’intersaison 1974-75, Best pense raccrocher quand apparaît au coin du bois un curieux personnage alors inconnu mais devenu depuis un incontournable histrion du football britannique : Barry Fry (ci-contre).

Fry, 29 ans [3], est le nouvel entraîneur de Dunstable Town, un petit club amateur du Bedfordshire (50 kms au nord de Londres). Petit mais costaud. Et bien givré. Le propriétaire est Keith Cheeseman, un riche industriel excentrique : il a filé son chéquier à Fry en l’invitant à recruter qui il veut. Il a même signé quelques chèques en blanc… Et Fry a réussi à faire venir George Best (ici) ! Naturellement, c’est dans un night-club que Best signe le contrat le liant à « Dunstabubble » comme le surnomme l’azimuté Fry.

En fait, Best connaissait Fry, un ancien reject de Man United au début des Sixties, décrit alors par un journaliste comiquement peu visionnaire comme « le futur Jimmy Greaves du Nord » (!). Quand Best débarqua à Manchester de Belfast à 15 ans, il était fauché et sans repère (pas encore professionnel, contrat d’apprenti à 8 £/semaine). Fry, d’un an son aîné, l’avait alors pris sous son aile et dépanné financièrement. Best ne l’oublia pas et quand Fry voulut faire connaître Dunstable au reste du monde, Best accepta de rejoindre le club (il joua trois matchs officiels – l’affluence de Dunstable fut multipliée par 150 ! Elle passa de 34 spectateurs à plus de 5 000. Dans la foulée, Best convainquit aussi l’international anglais Jeff Astle – 174 buts pour West Bromwich Albion en D1 – de jouer une saison pour Dunstable. Mais peu après Cheeseman fut emprisonné pour escroqueries, le club fit faillite et fut dissous).

Quant à Tommy Docherty, son passage de quatre ans et demi à Man United s’achèvera cocassement.

En 1975-76, si l’Ecossais a sacrément redressé Man United avec sa jeune équipe conquérante, jusqu’au bout à la lutte avec Liverpool pour le titre (3è au final), il a aussi bien redressé la jeune femme du kiné du club, Mary Brown (ci-dessus), avec qui il entretient une relation secrète.

Les tabloïds, feu News of the World en tête, dévoilent l’affaire et un scandale très puritain éclate (Docherty est alors marié depuis 27 ans avec 4 enfants).

Au grand dam des supporters (qui manifesteront leur colère dans la rue), le directoire limoge le Doc le 4 juillet 1977 pour « raisons de moralité » (clip) deux mois après avoir remporté une mémorable FA Cup face à Liverpool. Faisant montre d’un romantisme inhabituel chez lui, Docherty déclare : « J’ai été puni pour être tombé amoureux. »

Trente-six ans plus tard, Docherty, 85 ans, est toujours avec l’ex femme du kiné, heureux comme au premier jour. Finalement, le Doc était un grand sentimental.

Kevin Quigagne.

Teenage Kicks va prendre quelques vacances. Fini l’Ile de Man, Doncaster, Wigan ou Ben Nevis, cette fois, on joue la carte du dépaysement classieux et culturel : on va à Hull. Paraît qu’ils ont de jolis marchés de Noël là-haut et pis Hull vient d’être nommé UK City of Culture 2017. On reviendra quand on aura recensé tous les supps Tigers encore traumatisés par les centres au quatrième poteau de Bernard Mendy.

Une fois n’est pas coutume, c’est en finnois qu’on vous souhaite plein de bonnes choses pour les fêtes : Hyvää joulua, Hyvää Uutta Vuotta, hyvä juoma, rakastella ja rukoilla Sunderland car on vous laisse avec l’écusson du club à supporter pendant la trêve (même s’ils ne jouent pas) : le FC Santa Claus de Rovaniemi.

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[1] Contrairement à ce qu’on entend/lit souvent (que Law avait demandé à être transféré, etc.).

[2] Même si techniquement, avec un nul contre City, les autres résultats défavorables à United auraient de toute manière condamné les Red Devils à la descente.

[3] Barry Fry, 66 ans, est aujourd’hui directeur sportif de Peterborough FC (D3) et accessoirement beau-père du buteur de Brighton Craig Mackail-Smith – il a même récemment joué les sages-femmes !

Définition de « saison de merde » dans le Larousse de la terminologie footballistique (à paraître) : « Saison qui démarre souvent poussivement, connaît généralement une crise de novembre et part ensuite en couille vrillée. Se termine invariablement très mal ». Deux saisons pour le prix d’une pour inaugurer cette nouvelle série, car fusionnelles dans la médiocrité. Le tout  agrémenté d’un bouquet final somptueux. Ceci est peut-être bien aussi un article prémonitoire…

1972 : le début de la fin d’une ère glorieuse pour les Red Devils, celle des Busby Years (1945-1969). L’après Busby est compliqué et depuis quatre saisons, le club traîne un mal-être qui le fait systématiquement s’échouer à une dizaine de points du trio de tête.  Le mythique Matt Busby parti, le club gamberge et la Sainte Trinité Best-Law-Charlton traîne la patte ; Bobby a 35 ans, Denis 32, et George seulement 26 mais la tête ailleurs. Best, en 1972, c’est plus Au Lit Trinity que Holy Trinity

[Ce documentaire exceptionnel, Manchester United Football Family Tree 1968-1993, the lean years – les années de vaches maigres -, revient sur cette période de l’après Busby, de 1’30 à 11 minutes, avec interviews de Docherty, Law, Best, etc. Le tout sans langue de bois !].

Crise à tous les étages

Eté 1972, Man United vient de finir à la 8è place, comme les deux saisons précédentes. Une huitième place n’est jamais glorieuse pour un club comme United mais celles-ci sont particulièrement médiocres : 187 buts encaissés en championnat sur les trois derniers exercices (pour 200 inscrits). Pour ne rien arranger, le voisin Man City fait une razzia sur les trophées sous la houlette du légendaire duo Joe Mercer-Malcolm Allison (D1 en 1968, FA Cup en 1969, Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe et League Cup en 1970).

Une certitude se dessine durant cette période transitionnelle molle : Frank O’Farrell, le placide manager irlandais nommé un peu par défaut été 1971 [1] n’est pas le remède au malaise. Après un début de saison 1972-73 exécrable, le club se retrouve 22è (sur 22) dès la 11è journée. Les nouvelles recrues ne sont pas à la hauteur et le collectif s’appuie trop sur Best et Charlton (Law, souvent blessé, joue rarement).

Aux pépins physiques, les problèmes extrasportifs commencent à s’accumuler pour Best. En novembre 72, il a cassé le nez à une serveuse d’un night-club mancunien et est mis en examen pour coups et blessures. Au procès, en janvier 73, il sera défendu par un de ses potes de comptoir, feu George Carman, un avocat du cru qui entamera son irrésistible ascension vers la notoriété grâce à cette affaire. Carman lui obtient une peine douce, une amende de 100 £ (peu après, Carman apprit qu’il avait été cocufié par Best et voulut payer un caïd pour lui briser les genoux mais l’homme refusa : « Pas question de toucher à Bestie et s’il lui arrive quoi que ce soit, c’est moi qui viendrais te péter les jambes »).

Man United fait peine à voir. En Coupe de la Ligue, les Red Devils se sont fait sortir par Bristol Rovers (D3) et en championnat ils sont lanterne rouge à l’issue de la 18è journée, avec 12 misérables points. Le club passe un sale mois de décembre : 3 lourdes défaites, 1 seule victoire. Une crise résumée ainsi (traduction inutile) dans le livre The official illustrated history of Manchester United :

« By now United had degenerated into something like anarchy, with the dressing room riven by discontent, Best in open revolt and results in freefall. »

Denis Law, dans son autobiographie, parle lui de « saison cauchemardesque ».

Anarchie, vestiaire divisé, chute libre et rébellion de Best (écarté du groupe et en froid avec Bobby Charlton [2]). Fatalement, le couperet tombe pour le distant et effacé O’Farrell, limogé le 19 décembre 1972 après une lourde défaite 5-0 contre Crystal Palace. L’Irlandais part en empochant une forte indemnité de départ (50 000 £, soit cinquante fois son salaire mensuel). Personne ne verse une larme. Denis Law résume ainsi le sentiment général : « O’Farrell était arrivé en parfait inconnu et il est reparti comme tel. »

Mission du nouveau manager : sauver le Soldat Best

Le même jour, le directoire annonce que George Best a fait savoir, de Majorque où il se détend, qu’il prenait sa retraite… Best ne joue plus depuis fin novembre et est alors régulièrement photographié courant les boîtes sélects de Londres et ailleurs, escapades pour lesquelles il sera suspendu. Vraie retraite ou nouvelle fausse alerte [3] ? On sera fixé quelques jours plus tard.

Le 22 décembre, le directoire nomme le nouveau manager : l’Ecossais Tommy Docherty, 44 ans (ci-dessus). Exit le style pincé de O’Farrell, « The Doc » est un ancien milieu rugueux à la grande gueule légendaire qui a particulièrement bien réussi à Chelsea comme entraîneur (février 1961-octobre 1967). Si l’entrée d’Old Trafford avait été une porte de saloon, Docherty l’aurait fait valdinguer d’un grand coup de pompe.
Man United a autant besoin de sa poigne que de sa vision. Le Doc affiche de belles compétences dans deux domaines qui plaisent au directoire : il sait repérer et faire éclore des p’tits jeunes talentueux, tout en sachant éventuellement montrer la sortie à toute vieille garde récalcitrante sans trop s’embarrasser de salamalecs.

La première mission de l’Ecossais est de persuader Best de poursuivre sa carrière (ce qu’il fera rapidement) et, s’il continue, de le remotiver. Best n’a que 26 ans et théoriquement encore du jus en réserve. Beaucoup de jus. Les trois dernières saisons 1969-72, essentiellement sur l’aile, il a claqué 70 buts en 154 matchs et été sacré meilleur buteur du club quatre fois d’affilée depuis 1968.
Toutefois, depuis une bonne année, Best est en mode dilettante. Grâce à un bagage technique hors norme, il a brillamment fait illusion la saison précédente (26 buts en 48 matchs) mais son hédonisme lui a fait rater quantité d’entraînements, en toute impunité. Il vit sur des acquis qui s’épuisent vite.

Best est aussi désabusé. Le club ne forme plus de jeunes de valeur et il a le sentiment que le navire coule. En 1971, Man United a même poussé vers la retraite son talisman Jimmy Murphy, l’ex bras droit de Matt Busby qui rebâtit l’équipe après le crash de Munich et dénicha tant de bons joueurs (voir le film United, où Murphy est magnifiquement interprété par David Tennant). Best dira sur cette période « avoir de plus en plus l’impression de porter l’équipe ».

Deal en carton pour un Best rassasié

La tâche de Docherty s’annonce donc corsée : remplacer les vieillissants Law et Charlton et remettre sur rails un Best physiquement émoussé et de moins en moins impliqué. Côté recrutement, le Doc favorise la filière écossaise (son équipe avec ses imports scots – George Graham, Alex Forsyth, etc. – sera surnommée The Doc’s Tartan Army peu après son arrivée).

Problème de taille : le Doc s’aperçoit vite que Best n’a plus les crocs. Il faut dire que le phénomène a été incroyablement précoce. A 22 ans, il avait déjà tout raflé : le titre national (1965 et 67) et razzia en 1968, avec C1, récompense de Meilleur joueur d’Angleterre et Ballon d’Or (devant Bobby Charlton). Et toujours à 22 ans, il était aussi devenu l’un des joueurs les mieux payés au monde : 1 000 £ par semaine, soit quinze fois plus que la moyenne anglaise de D1, sans parler de ses multiples contrats publicitaires (qui s’amenuiseront au rythme de ses frasques).

Pour s’assurer sa « coopération », Docherty va alors passer un drôle de deal (secret) avec le cinquième Beatle amateur de grasses matinées : entraînement facultatif  le matin – sauf le vendredi veille de match – et réintégration dans le XI titulaire le cas échéant, à condition de rattraper les heures chômées l’après-midi et se tenir tranquille. Un pacte en carton qui fera long feu…

En février 1973, Best est empaté et a définitivement perdu ses principaux atouts d’ailier qui firent merveille : la vivacité et le coup de rein. Pour la troisième fois en dix mois, il reparle de raccrocher les crampons. Docherty le fait changer d’avis.

En fait, Best s’intéresse de près au club, de très près même. Mais au sien : le Slack Alice, un night-club qu’il fait rénover à Manchester avec Malcolm Wagner (« Waggy » [4]), son ancien coiffeur devenu compagnon de déroute et homme de confiance. L’endroit est un ancien pub délabré racheté pour 8 000 £ seulement et qu’il compte transformer en club VIP…

Pendant ce temps-là, mi mars 1973, il reste dix journées et Man United (20è) semble foncer tout droit vers la D2.

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Eté 1971, United a peiné pour trouver un manager prêt à succéder à Matt Busby. Jock Stein, était le premier choix du directoire et avait donné son accord. Toutefois, après mûre réflexion, l’homme fort du Celtic se rétracta. La presse le soupçonna d’avoir voulu faire monter les enchères pour revaloriser son salaire au Celtic. Possible, mais il est tout aussi envisageable que son volte-face soit lié au fait que Stein craignait l’influence prégnante de Matt Busby dans la gestion du club (et Stein a en tête l’exemple de Wilf McGuinness, le manager qui succéda à Busby en 1969 – pour un an et demi – et se plaindra de l’interférence de Busby).

En effet, après sa retraite managériale Busby est devenu le bras droit du président-propriétaire, Louis Edwards, et a même accepté de dépanner une demi-saison (décembre 1970-fin avril 71).

L’ombre de Busby plane toujours sur le banc, fait que O’Farrell dénoncera après son limogeage, disant que son travail était rendu impossible par l’omniprésence de Busby, ainsi que ses relations étroites avec les joueurs qui compliquait le travail de l’Irlandais. Réalité ou excuse pour justifier son échec ? Toujours est-il que tout nouvel entraîneur est prévenu : il faudra composer avec Busby.

[2] Best a déjà fait le coup sept mois auparavant, après une tentative de O’Farrell de le transférer. Le 22 mai 1972, le jour de son 26è anniversaire, Best avait officiellement annoncé sa retraite depuis une plage de Marbella, avant de se revenir sur sa décision après une discussion avec Matt Busby.

[3] Dans la première biographie sur George Best (George Best: An Intimate Biography, sortie en 1975 et écrite par son ami Michael Parkinson, le Michel Drucker de la TV anglaise – il n’a pas quitté la téloche depuis 1963), Best revient sur son intense inimitié avec Bobby Charlton. Extrait : « Je ne me suis jamais entendu avec Bobby Charlton, je ne pouvais tout simplement pas l’encadrer. Surtout les trois dernières années à Man United, on ne s’est même pas adressé la parole, sauf pour se dire « bonjour » et encore, si on était de bonne humeur. »

[4] Auteur de l’excellent George Best and Me: Waggy’s Tale (2010).

Inédit dans Teenage Kicks : pas (trop) de bla bla, juste quelques photos cultes et leurs légendes. Photos souvent marrantes parce qu’il faut bien rigoler un peu au moment des fêtes, surtout pour nous à TK (à 4 dans une chambre de bonne, notre quotidien n’est pas toujours rose).

Ces photos sont tirées du Net (ainsi que de plusieurs livres-photos de type coffee-table books) dont environ 30 % de deux sites en particulier, que je ne peux révéler aujourd’hui (ça viendra) afin de ne pas compromettre l’intérêt de cette nouvelle série ouverte qui piochera probablement dans ces deux sites d’autres photos à l’avenir.

[Cliquer sur les photos peut rapporter gros]

# 1. Queen et Diego

Buenos Aires, 1981. Wow, Diego qui porte un t-shirt Union Jack, ça n’a pas dû arriver souvent (pas pendant la coupe du monde 1986 en tout cas). Il l’a sans doute rangé au placard pour de bon peu après : en avril 1982, la guerre des Malouines éclatait.

# 2. Bill Shankly

Shanks à Melwood (centre d’entraînement de Liverpool), photo célèbre mais toujours aussi saisissante. Quand Shanks à arrive à Liverpool en décembre 1959, Melwood est insalubre. « C’était incroyable », a dit de cette époque Ian Callaghan, « il y avait par exemple une porcherie dans un coin de Melwood, l’odeur était parfois insupportable ! »

5 mai 1974, c’est un Shankly hilare qui ramène la FA Cup de Wembley, en train et par terre (son dernier trophée puisqu’il démissionna deux mois plus tard).

# 3. Giggs aime se déguiser

En soubrette et sur la Place, Rouge évidemment.

# 4. Système D à Anfield

Assûrément plus bandant que les poteaux de Koh Lanta (1892).

# 5. Man United, soupe à la grimace

Rio, hypnotisé par les étoiles.

Phil Jones, en pleine répétition pour son futur rôle dans les Simpsons.

Gary Neville vient d’apprendre qu’Andre Marriner arbitrera le prochain match de Man United (les Red Devils gagnent rarement quand il officie – enfin, ils gagnent rarement tout court actuellement).

# 6. Waddle et sa coupe

Oh, quel mullet, superbe.

# 7. Tony et Alex

Ils avaient encore dû énerver quelqu’un…

# 8. Rory Delap se réapprovisionne avant l’entraînement

On le sait peu mais c’est avec des grappes de petites saucisses génétiquement modifiées pour le foot (à des fins ergonomiques) que Delap s’entraînait à Stoke à balancer ses touches-missiles pour la grande saucisse (Crouch).

# 9. John Barnes et Chris Waddle

Oh ce mullet dis donc, i-rré-sis-tible.

# 10. Pause cigarette

Accordons-nous une pause cig, car au moment des fêtes de Noël, même les non fumeurs ne crachent pas sur une bonne petite cibiche ou un cigarillo après un bon repas.

Ci-dessus, Jack Charlton (Leeds United), s’en grille une en plein entraînement (août 1970). Le frangin de Bobby (également fumeur) était bien accro faut dire, pas le temps d’attendre la fin de la séance.

Jusqu’à la fin des années 1970, la cigarette était omniprésente dans le football anglais, elle était considérée comme coolle ou glamour et certains clubs en filaient même aux joueurs (y’avait une raison à cela mais passons). Depuis la fin du XIXè siècle et la présence des compagnies de tabac dans le football (notamment via des cartes à collectionner), la cigarette faisait partie intégrante de l’univers working-class, auquel appartenait et s’identifiait le footballeur qui ne gagnait guère plus que le supp moyen (because salaire maximum peu élevé, en vigueur de 1901 à 1961).

Billy Bremner, après un match de Leeds United.

Ci-dessus les joueurs d’Ipswich, en janvier 1939 après une défaite 2-1 contre Aston Villa (FA Cup)

Nombre de grands joueurs britanniques fumaient beaucoup ou régulièrement. Citons pêle-mêle :

David Jack et Alex James, le duo magique d’Arsenal – et alors le plus cher du foot british – dans les Thirties

Jimmy Greaves (Chelsea & Tottenham), le serial buteur aux 466 pions en 659 matchs fin années 50 & Sixties fuma jusqu’à deux paquets par jour en fin de carrière, parfois à la mi-temps (il picolait bien aussi le Jimmy ; extrait de son autobio : « De 1972 à 1977, je ne me souviens de rien, j’étais bourré. »)

Jackie Milburn, le prolifique attaquant de Newcastle (238 buts Magpie, années 40 & 50), « Wor Jackie » fumait même parfois juste avant les matchs (dans les toilettes, où il retrouvait d’autres Magpies clopeurs – 9 de ses coéquipiers fumaient). Milburn mourut d’ailleurs d’un cancer du poumon en 1988, à 64 ans, et ses cendres furent éparpillées devant le Gallowgate (le Kop de Saint James’ Park)

Malcolm Macdonald (Newcastle & Arsenal), grand fumeur notoire

l’artiste Stan Bowles (QPR), qui fumait un ou deux paquets par jour en moyenne avec des pointes à 80 ciggies (!) en toute fin de carrière à Brentford, sans parler du reste (sa plus fameuse citation, très Bestienne : « J’ai claqué tout mon fric dans la vodka et le tonic, le jeu et les clopes. Mais, à la réflexion, je crois que j’ai trop dépensé en tonic. »

le poly-dépendant Paul Gascoigne

Le cigare fut aussi prisé, surtout à partir de la fin des Sixties (et en particulier par les entraîneurs, notamment Malcolm Allison bien sûr, rarement photographié sans un barreau de chaise au bec).

Dans les années 30 à 50, on prêtait même au tabac des vertus médicales ! Il se disait par exemple que la cigarette dégageait les voies respiratoires (on était encore loin de faire le lien entre tabac et cancer des poumons).

Le grand Dixie Dean (395 buts pour Everton, années 20 & 30) fut le premier à faire de la pub pour une marque de cigarettes. A droite, l’immense Stanley Matthews vante les mérites de Craven A en 1955. Fabien Barthez, Socrates et Jack Wilshere auraient kiffé le texte publicitaire (extrait) :

« Stanley Matthews s’entraîne de manière très appliquée et a rapidement trouvé la cigarette qui lui convenait le mieux. […] Comme tant de sportifs, Stanley Matthews fume des Craven A » Et le Ballon d’or 1956 de conclure : « Si vous voulez fumer une cigarette douce à la gorge, alors je recommande sans hésitation les Craven A ».

Pub mensongère car Matthews ne fumait absolument pas ! (il ne buvait pas et était végétarien. Cette hygiène de vie irréprochable lui permit de jouer professionnellement jusqu’à la cinquantaine passée).

Encore plus fort que J. Charlton et tous les autres réunis : John Osborne (ci-dessus), gardien de WBA de 1966 à 1977 (probablement le plus grand portier de l’histoire des Baggies), lui c’était carrément pendant le match. « Ozzy » – son surnom – aimait plaisanter avec le public et lors de ce match sur la photo, il avait taxé un clope à un spectateur. Il fumait la pipe aussi. Avant les matchs, il était très nerveux et la cig le calmait. Décédé en 1998, à 57 ans, cancer des poumons.

# 11. Roy Keane

En Robin Hood à Nottingham Forest où il débuta sa carrière anglaise, sous Brian Clough (littéralement, quand ce dernier un jour l’étala d’un coup de poing) et, à droite, prêt à mitrailler le camp adverse.

Ici, paré pour accueillir Alf-Inge Håland.

# 12. Chris, super content de sa coupe

J’en reviens toujours pas.

# 13. Le Roo et sa Ka

On est toujours fier de sa première caisse, surtout si elle a une plaque personnalisée #GrosseFlambe.

# 14. Spectateurs acrobates

Millwall v Newcastle, janvier 1957.

Cardiff v Chelsea à Ninian Park, mars 1921.

# 15. Elton John

Elton John montre à George Best comment il faut faire (début 1976). L’excentrique chanteur avait alors des billes au Los Angeles Aztecs, qui venait de recruter Best, histoire de rivaliser avec le New-York Cosmos au glamouromètre.

Ci-dessus à Wembley en 1984, pour la finale de FA Cup entre Watford (son club) et Everton.

Pour la petite histoire, Best ne fit pas que jouer au foot en Californie. Il n’y resta qu’une saison et demie mais largement suffisant pour ouvrir son propre pub-club, le Bestie’s Bar, ci-dessus (à Hermosa Beach, L.A.).

# 16. Les Loups et la modernité

Les joueurs de Wolves, perplexes devant cette drôle de machine à centrer (1938).

Arsenal utilisait le même genre de machine dans les années 40 mais en bien plus rudimentaire : une catapulte géante tendue entre deux piquets (photo malheureusement introuvable sur le Net mais visible dans le livre Football, the golden age de John Tennant). 60 ans plus tard, ils recrutèrent Francis Jeffers et décidèrent peu après de ressortir la catapulte du grenier à l’entraînement.

# 17. Angleterre-Ecosse à Wembley, 4 juin 1977

Les supps écossais (la Tartan Army) n’avaient pas bien assimilé le principe du Challenge barre transversale de Téléfoot lors de cette finale de feu le tournoi Home Internationals, coupe entre pays britanniques, arrêtée en 1984 après cent ans d’existence (officiellement pour calendrier trop chargé, officieusement à cause d’affluences insuffisantes et problèmes d’ordre divers – hooliganisme, conflit en Irlande du Nord, etc.).

Voir le clip du spectaculaire envahissement de terrain après la victoire des Ecossais, 2-1. « Ils vont avoir besoin de nouveaux buts à Wembley », prévient stoïquement le célèbre commentateur John Motson. Euh, yes John, les rafistoler risque de pas trop le faire. Fallut une nouvelle pelouse aussi (nombreux morceaux arrachés, en souvenir) sans doute également de nouvelles guérites, nouvelles chiottes, nouvelles portes, etc.

Les supps écossais avaient déjà fait à peu près la même chose à Wembley en avril 1967 (en moins sauvage tout de même) après l’historique victoire de l’Ecosse 3-2 sur les champions du monde anglais (match qualificatif pour l’Euro 1968. Manque de bol pour les Ecossais, les Anglais se qualifièrent quand même, seuls 4 pays participèrent à la phase finale en Italie).

Rod Stewart porté en triomphe.

# 18. Brian Clough et Terry Venables

Finale de FA Cup 1991 entre Nottingham Forest et Tottenham, Clough et Venables (amis dans la vie) main dans la main à l’entrée des équipes. Cloughie n’avait pas prévenu Venables de son intention avant de fouler la pelouse et ce dernier est visiblement surpris (et ravi). « El Tel », son surnom, fut encore plus ravi au coup de sifflet final : victoire 2-1 des Spurs, privant ainsi Clough d’une FA Cup qu’il ne remporta jamais.

# 19. RIP Nelson

Les grands hommes supportent les grands clubs (dans les vestiaires d’Anfield, 1994).

# 20.

Roh dis donc…

Et comme on est en plein dans les Christmas parties des clubs, concluons notre instant festif avec la fête de Noël des Red Devils en 2008 et ces quelques clichés d’anthologie (paraîtrait que Gary Neville a gardé des séquelles de cette soirée) :

Photo devinette :

Avant de se quitter, petite devinette. Qui est ce grand ballerin moustachu et quel est son club ? (si vous suivez TK depuis 2011, vous devriez au moins identifier le club). Réponses dans les commentaires svp (non, c’est pas Tom Selleck).

Kevin Quigagne.

Ça y est, les hommes en blanc du Team TK viennent de l’extraire de la salle capitonnée. Après l’intouchable Lars Elstrup en février 2012, ce bon Chic mauvais genre est donc le deuxième spécimen à illuminer notre galerie d’allumés. Chic Charnley aurait pu devenir une figure du foot écossais où il sévit de 1982 à 2003. Au lieu de ça, il sera son enfant terrible et restera comme l’un des plus grands originaux du foot britannique.

Suite et fin de la première partie.

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Avec un plot, il corrige un branleur armé d’un samouraï

Un jour, à l’entraînement, dans ce coin mal famé de Glasgow (Maryhill) où il était courant de voir les pit bulls des dealers locaux se dégourdir les mollets ou crotter sur les terrains de foot, il s’embrouille avec deux cailleras qui traversent nonchalamment une pelouse.

« Et les gars, passez pas là, on s’entraîne » leur crie-t-il. Pour toute réponse, il se prend quelques noms d’oiseaux et insultes personnelles.

« Va t’faire Charnley, t’es qu’un putain de nul », braille l’un d’eux.

« OK, revenez dans une heure, on aura terminé l’entraînement, on pourra mieux en discuter », leur balance-t-il.

Loin de se dégonfler, les types se pointent au rendez-vous à l’heure dite. Mais ils ne sont pas venus les mains vides : l’un est armé d’un énorme sabre japonais et l’autre d’un poignard XXL. Ils ont aussi amené avec eux un pit bull.

En les voyant, la plupart des joueurs s’enfuit. Trois restent pour leur faire face, dont Chic, évidemment. Il s’empare d’un plot d’entraînement et s’avance lentement vers celui qui agite le samouraï au-dessus de sa tête, façon Maître Po dans Kung Fu. Le clébard, pas fou, est le premier à détaler. Tandis que ses deux coéquipiers règlent son compte au Petit Scarabée de kermesse armé de l’énorme couteau, Chic fonce sur le faux moine shaolin et lui assène un bon coup de plot. Dans la bagarre, l’assaillant lui plante le sabre dans la main. Malgré le sang qui gicle et la douleur intense, Chic arrive à lui coller une droite qui le désarme. Chic fait ensuite « le nécessaire », comme il écrit. En clair, il lui refait le portrait et le laisse gémir sur place. Les agresseurs repartent salement amochés et la police les interpelle quelques minutes plus tard.

Au commissariat, Chic refuse de porter plainte et d’identifier les agresseurs lors du tapissage. « D’où je viens » dit-il aux flics, « on ne balance pas, même les pires crapules, on règle nos comptes entre nous. » Charnley porte toujours la cicatrice de l’attaque.

Old Trafford scande son nom

En juin 1991, il quitte Partick Thistle pour rejoindre St Mirren (D1), le club de ses débuts. Il est ensuite prêté brièvement à Bolton (D3) et de retour à St Mirren ses bonnes performances sont récompensées par le brassard de capitaine.

Las, de nouveau, il gâche la fête par son indiscipline sur le terrain et en dehors (notamment un week-end en cellule – conduite en état d’ivresse, délit de fuite et tribunal en comparution immédiate le lundi matin : amende et suspension de permis de deux ans). Mais c’est un incident purement sportif et quelque peu déshonorant qui précipite sa fin chez les Saints : il crache sur un adversaire et se fait expulser (il écrit regretter amèrement ce geste dans son autobio). C’en est trop pour le directoire qui le licencie (l’affaire finira au tribunal).

Grâce à un ami, il atterrit ensuite à Djurgardens, en Suède, où il gagne correctement sa vie (3 000 £/mois) et empoche une belle prime à la signature (Charnley précise dans son autobio avoir touché environ 300 000 £ en signing-on fees au cours de sa carrière).

Pour montrer son amour du Celtic, il arrivait à Charnley de se moucher avec les drapeaux de corner d’Ibrox

En 1993, il est de retour à Partick Thistle (D1), là où il avait trouvé une certaine stabilité quelques saisons plus tôt. Chez les Jags, Chic reprend des couleurs. Le 16 mai 1994, Manchester United affronte le Celtic à Old Trafford pour le jubilé de « Sparky », Mark Hughes. L’ex Red Devil Lou Macari, manager des Hoops, invite Charnley à la fête, en dernière minute. Macari lui demande d’aller rejoindre illico les autres joueurs dans le bus en partance pour Manchester. Problème : au moment du coup de fil, Chic est ivre et retrouver le groupe serait un suicide professionnel car il a entendu dire que Macari s’intéresse à lui. Il prétexte un empêchement pour se rendre par lui-même à Old Trafford le lendemain, jour de match.

Une fois au Théâtre des Rêves, il constate que le stade est bourré de supporters Bhoys. Pendant l’échauffement, il entend un chant s’élever puissamment des tribunes sur l’air de Guantanamera :  « One Chic Charnley, there’s only one Chic Charnley, there’s only ooooooonnnne, there’s only one Chic Charnley. » Charnley a toujours parlé de son amour pour le Celtic, jusqu’à parfois illustrer graphiquement ses sentiments (très poétiquement bien sûr, par exemple en se mouchant avec les drapeaux de corner d’Ibrox, temple des Rangers), et les supps profitent de cette soirée de fête pour le remercier. L’émotion est trop forte pour le dur de Possilpark qui éclate en sanglots.

Malgré sa gueule de bois, Chic se défonce, fait quelques misères à Cantona (ci-dessus) et est élu Homme du Match. Le Celtic l’emporte 3-1. Charnley échange son maillot avec Ryan Giggs car il avait promis à son gamin qu’il récupérerait la liquette du Gallois ; puis dix minutes plus tard, il va revoir Giggsy et lui fait : « Désolé Ryan, ça te dérange pas si on ré-échange nos maillots… A la réflexion, je n’arrive pas à me séparer de mon maillot du Celtic. »

Et la soirée est encore longue. Ce soir-là, dans les entrailles d’Old Trafford, il va toucher du doigt ses rêves les plus fous.

Il dit No au Celtic pour aller teufer avec ses potes

Une fois les célébrations terminées, Lou Macari le prend à part : « Ecoute Chic, tu me plais, et j’aimerais que tu viennes avec nous en tournée cet été. Trois semaines avec le Celtic en Amérique du Nord, ça te dit ? »

Chic est sur le cul. Le grand Celtic qu’il adore depuis toujours le veut ! A 31 ans, il tient enfin l’opportunité de sa vie. Le Celtic est peut-être son prochain club, i-ni-ma-gi-na-ble. Il se voit déjà patrouillant l’entrejeu avec John Collins et Paul McStay, deux Celtic & Scotland legends. Macari lui laisse quelques jours de réflexion.

Entre-temps, ses coéquipiers de Partick Thistle mettent la touche finale à leur grande beuverie de fin de saison, au Portugal, une semaine de fun au soleil.

On ose à peine deviner la suite, et pourtant, si, et oui : l’incroyable Chic Charnley préfèrera partir avec ses potes faire le Jackass en Algarve… Macari ne le contactera plus jamais. Il sera d’ailleurs viré en septembre après une dispute avec le nouveau propriétaire.
Plus tard, Macari s’étonnera : « Je ne comprends pas Charnley, s’il avait vraiment voulu porter le maillot du Celtic, il serait venu avec nous. »

Justement, personne ne comprend Chic, à commencer par lui-même. Avec le recul, il s’auto-analyse : « Dans mon for intérieur, j’étais convaincu que Macari ne voulait pas vraiment de moi, il m’a juste invité, sans insister. Mais c’est vrai qu’en revenant du Portugal, j’ai un peu gambergé. Je n’avais pas les idées claires alors. » Pour conclure, lucidement : « Finalement, j’ai vraiment été con de refuser. J’avais vraiment rien dans la cervelle. »

Eté 1995, Partick Thistle le libère.

Une superbe demi-saison puis retour des embrouilles

A 32 ans et avec sa réput’ d’ingérable complètement barré, les offres ne se bousculent pas. Pour relancer sa carrière, il doit s’exiler à Cork en Irlande, où il fait connaissance avec l’excellente stout du coin, la Murphy’s. Puis il est recruté par Dumbarton FC, un mal classé de D2 écossaise, qui lui propose un deal original : son salaire variera en fonction des recettes machines à sous que Dumbarton exploite dans son social club ! (il réussira finalement à obtenir un salaire régulier).

Huit mois et seulement trois victoires de toute la saison plus tard, les Sons (surnom du club) descendent en D3 avec 11 points. Mais Chic n’a pas démérité et c’est dans le bon club de D2 de Dundee FC qu’on le retrouve été 1996. Il y fait une superbe saison (27 matchs, 6 buts – dont un tir de 60 mètres), les Dees ratent les play-offs de montée en D1 de très peu.

Eté 1997, sur la base de ses performances à Dundee, un gros du foot écossais le recrute : Hibernian FC, D1. Certes, Hibs ne s’est maintenu en D1 qu’à la grâce des play-offs mais l’ancien club de Frank Sauzée (1999-2001) est d’un calibre supérieur à ses ex. L’offre est à l’avenant, très correcte (3 500 £/mois + 500 £ par match et une jolie prime à la signature). Et c’est chez les Hibees d’Edimbourg que Chic va réaliser la meilleure (demi) saison de sa carrière, à 34 ans.

Dès son premier match, contre Celtic début août 1997, il se distingue en marquant le but victorieux. Et quel but ! A 30 mètres des cages, il intercepte une mauvaise passe d’Henrik Larsson (qui fait ses débuts écossais) et plante une mine dans le petit filet ! (à 6 minutes dans ce clip). Les médias déclinent leur une du lundi sur le thème de la Belle éclipsée par la Bête : Chic la brute a volé la vedette au classieux Suédois qui a foiré son baptême du feu (il se rattrapera : 242 buts en 313 matchs pour les Bhoys). Le compte-rendu du match de The Independent est dithyrambique envers Chic (titre : Celtic terrassé par un classieux Chic Charnley, le tout accompagné d’éloges tels que « Charnley, 34 ans, a dirigé le jeu avec l’aisance technique et la créativité qui ont manqué au Celtic dans l’entrejeu, couronnant sa prestation d’un but victorieux. »).

Hibs carbure jusqu’en octobre (3è) avec un Chic qui affiche de superbes stats : 4 buts en 7 matchs et autant de passes décisives. On parle même de lui en équipe d’Ecosse ! Puis patatras, 7 défaites d’affilée, suivies peu après d’une autre série noire, font dégringoler Hibs à la dernière place à Noël.

Le 11 février 1998, exit le manager, remplacé par le morose Alex McLeish. Ce dernier connaît Chic et ne l’apprécie guère. Le sentiment est mutuel et Chic se distingue d’entrée en zappant les deux premiers entraînements. Quand il réapparaît enfin, McLeish va droit au but : il lui demande de quitter le club immédiatement, sans faire de vagues. Chic refuse et un bras de fer s’engage. Finalement, le club lui verse des indemnités de départ pour s’en débarrasser. A 35 ans, sa carrière en D1 est définitivement terminée.

Petits clubs aux fabuleux écussons en guise de dessert

Cinq saisons et cinq clubs mineurs suivront, dont le très obscur mais comiquement blazé Kirkintilloch Rob Roy FC, un minot nommé d’après un guerrier des Highlands, et feu le minuscule Tarrf Rovers (deux clubs aux merveilleux écussons terroir !), où l’excentrique propriétaire millionnaire lui offre un contrat très juteux dans le contexte du foot amateur : 10 000 £ à la signature, 1 800 £/mois plus primes de match. A 40 ans, Chic raccroche les crampons là où il avait commencé, Partick Thistle (il y retrouve son père spirituel, John Lambie, celui qui aime balancer des pigeons aux joueurs-boulets). C’est son quatrième passage chez les Jags !

Dans son autobiographie survitaminée, Chic Charnley dit tout regretter ; son indiscipline chronique, son hygiène de vie aléatoire, ses choix de carrière, ses emportements légendaires contre les arbitres, son manque de self-control, les incessantes provocations, les bagarres et peut-être la sélection nationale ratée de peu (il écrit toutefois qu’il « se serait probablement fait virer dès le premier rassemblement »). Mais ce qu’il regrette par-dessus tout, c’est d’avoir décliné l’offre du Celtic pour aller faire le mariole au Portugal. Comme l’écrit The Independent dans le compte-rendu sus-cité « Chic Charnley would have sold his granny to play for the Parkhead side », Chic aurait vendu sa grand-mère pour porter la tunique Bhoys.

Une chose est certaine : ce n’est pas le talent qui manqua à Charnley pour devenir un Bhoy. Il le sait car il l’a appris de source « officielle », bien des années plus tard. De la bouche de Billy McNeill, Celtic legend (élu Plus Grand Capitaine de l’histoire du club) et manager des Hoops de 1978 à 1983, puis 1987-1991. Un jour, à la faveur de l’une de ces réceptions vespérales propices aux réminiscences et aux confidences, l’illustre Billy lui glissa, ému :

« Tu sais fiston, je ne te l’ai jamais dit mais je voulais vraiment te recruter au Celtic. Ma main droite me disait « fais-le signer bon Dieu, vas-y » mais ma gauche me disait de ne pas le faire. Pour tout t’avouer Chic, je ne t’ai pas recruté car j’aimais la tranquillité et je crois que si tu avais été au club, je n’aurais jamais fermé l’oeil de la nuit ! »

Chic n’a jamais réalisé son rêve d’enfance, mais c’est (presque) tout comme. Une légende Bhoy le lui a dit, par une belle soirée d’été, des larmes dans la voix. Et c’est bien l’essentiel pour lui.

Kevin Quigagne.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup

Ça y est, les hommes en blanc du Team TK viennent d’extraire Chic Charnley de la salle capitonnée. Après l’intouchable Lars Elstrup en février 2012, ce bon Chic mauvais genre est donc le deuxième spécimen à illuminer notre galerie d’allumés. Chic aurait pu devenir une figure du foot écossais où il sévit de 1982 à 2003. Au lieu de ça, il sera son enfant terrible et restera comme l’un des plus grands originaux du foot british.

Le freak, c'est Chic.

Le freak, c'est Chic.

La préface de Seeing Red, son autobiographie publiée en 2009, dégaine ainsi : Chic Charnley est l’un des personnages les plus controversés et colourful du football écossais. Tu l’as dit MacBouffi. Ce bad boy fut aussi, au début des années 80, l’un de ses grands espoirs mais son indiscipline et sa réputation effrayèrent les clubs majeurs, à l’instar de Robin Friday en son temps. Ce qui explique sa grande vadrouille : 15 clubs et 20 transferts en 21 ans de carrière, de l’Écosse à l’Irlande, en passant par la Suède, l’Angleterre et l’Irlande du Nord.

Cet athlétique milieu de terrain qui grandit dans l’un des plus durs quartiers de Glasgow, et préféra partir picoler avec ses potes au Portugal un été plutôt que d’accepter une offre du Celtic (son club de toujours), collectionna 17 cartons rouges dans sa chaotique carrière, à une époque où on les distribuait avec parcimonie. Une légende en Ecosse – quasi inconnu ailleurs – que Teenage Kicks se devait de vous présenter, histoire d’éviter la faute professionnelle.

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Premier essai chez les pros : il finit pinté

Chic Charnley est honnête. Contrairement à la majorité des footballeurs à fort potentiel qui ont merdé mais déclarent presque fièrement « qu’ils ne changeraient rien si c’était à refaire », Chic, lui, n’esquive pas : « Si je pouvais remonter le temps et l’effacer, je changerais 95 % de ma carrière. En vingt ans, je n’ai gagné aucun trophée, que dalle […] Ça me fait mal de l’admettre mais il faut être honnête avec soi-même. Des regrets, j’en ai à la pelle, des millions. » Reconnaître ses errements, Chic le sanguin ne peut faire autrement. Son parcours au long cours, riche en anecdotes improbables, n’aura été qu’une suite de succès immédiatement plombés par de spectaculaires dérapages.

C’est dans le quartier glasvégien sinistré de Possilpark (ci-dessus) que Chic grandit. Un coin si terrifiant, écrit-il, que même les rottweilers vagabondent en bande. Cadet d’une fratrie de six frères et soeurs, élevé par ses grands-parents, James (son vrai nom) est rapidement surnommé Chic car, dès 9 ans, il monte dans sa cité un trafic de chickens congelés (évidemment tombés du camion) que l’un de ses oncles lui refile. James devient Little Chicken, puis Chic.

Père alcoolique, mère dépassée, à 16 ans Chic « s’échappe de l’école » comme il dit et dégote un boulot de magasinier. Son maigre salaire lui sert à suivre son club, Celtic. Il excelle balle au pied et en 1982, à 19 ans, il réussit un superbe coup : il tape dans l’oeil des scouts de Heart of Midlothian (club de D1 d’Edimbourg) qui l’invitent pour un essai d’une semaine avec la réserve. Chic aurait évidemment préféré le Celtic mais l’occasion est inespérée pour ce jeune qui n’a connu que des petits clubs de quartier.

L’essai se passe bien et le dernier jour, Sandy Jardine [1], le manager adjoint de Hearts, lui offre un verre dans un pub. Probablement pour tester son hygiène de vie qui lui semble suspecte… Sans s’en rendre compte, Chic descend six pintes quand Jardine n’a le temps d’en boire que deux. Chic s’est grillé. Hearts ne donne pas suite. La lettre de rejet indique laconiquement « que le club recherche un joueur plus expérimenté ». Plus sobre aussi sans doute.

Premier contrat pro : il agresse son manager

Ses qualités d’excellent passeur et de milieu-aboyeur créatif commencent cependant à se savoir et quelques semaines plus tard, après un essai concluant, il décroche un petit contrat semi-pro chez les Saints de Saint Mirren, club de la banlieue de Glasgow, là où Alex Ferguson fit ses débuts comme manager (octobre 1974 à mai 1978). Là encore, Chic peut être fier de lui car St Mirren évolue parmi l’élite et disputait même la C3 deux saisons auparavant, en 1980-81, après avoir fini 3è en championnat (sorti par Saint-Etienne, ci-dessous photo du programme de match).

Chic évolue avec la réserve mais frappe à la porte de l’équipe première. S’il ne faisait pas tant la bringue, il y serait déjà. Car Chic sort beaucoup. Il n’est certes pas le seul mais contrairement aux autres, il affiche publiquement son goût pour la boisson au point de se transformer en homme-sandwich pour Heineken. Même lors des sorties collectives où ses coéquipiers limitent leur consommation par crainte des engueulades ou sanctions, lui enchaîne bruyamment les pintes et vodka coca (yes, vodka coca…).

Malgré son grand talent, Chic ne disputera qu’un match avec les Buddies (les « Potes », l’autre surnom de St Mirren), en avril 1983. Il n’a pas spécialement démérité lors de ce baptème du feu mais le manager, l’ex Rangers Alex Miller, l’a dans le collimateur.
La goutte d’eau de vie arrive en toute fin de saison quand, histoire de le dresser un peu, Miller lui ordonne un jour de… nettoyer les chaussures des joueurs ! Le rôle de boot-boy était certes courant alors dans le foot britannique, mais seulement pour les jeunes stagiaires. A 20 ans et en tant que (semi) professionnel, Chic ressent cela comme une humiliation. Il refuse et le ton monte vite. Chic pète alors un cable, il se saisit d’une paire de groles et les balance sur son entraîneur en gueulant « Clean them your fuckin’ self ». Sa carrière au mal nommé Love Street (nom du stade) est terminée avant d’avoir commencée. Et peut-être pas qu’à Love Street, se dit-on.

Contrats suivants : commissariat et plate-forme pétrolière

Malgré son casier déjà chargé, il réussit à signer à Ayr United, petit club de D2 de la côte sud-ouest à 70 kms de Glasgow, un comté (Ayrshire) surtout connu pour son aéroport lowcost, Prestwick, célèbre pour être le seul endroit du Royaume-Uni où Elvis Presley posa les pieds (escale durant son service militaire). Le passage du Chic pourrait s’avérer plus rock ‘n’ roll que celui du Pelvis. Peut-être bien aussi sa dernière chance. Now or never.

Mais que nenni. A Ayr, Chic s’oxygène et se refait une santé sportive. Il dispute 17 matchs (3 buts) et participe largement au maintien du club. La tranquillité du coin, loin des tentations glasvégiennes, semble avoir zénifié notre Chic.

Impression trompeuse car en fin de saison c’est la rechute. De retour à Glasgow le temps d’un week-end, il se prend une telle cuite qu’il finit dans un caniveau. La police arrive, Chic s’énerve. Les cops l’embarquent sur l’air de Jailhouse Rock, direction la cellule de dégrisement. Il lui faudra 36 heures pour dessaoûler. Après une brouille avec Ayr United, Chic décide de raccrocher les crampons, à 21 ans seulement.

[Ne partez pas Dear readers, Chic va changer d’avis]

Un mois plus tard, un pote lui propose de venir entraîner les jeunes dans son club très amateur de Nairn County tout en bossant sur une plate-forme pétrolière en Mer du Nord, 15 jours on, 15 jours off. Chic hésite. Nairn est un bled des Highlands vraiment paumé et il ne sait trop comment il s’acclimatera à cette Ecosse si profonde et reculée qu’on croit encore qu’un monstre préhistorique crêche au fond d’un lac. Il finit par accepter, après tout se dit-il, l’éloignement de Glasgow lui fera du bien et ce boulot est très bien payé, 1 800 £/mois. Sa carrière pro semble alors totalement enterrée.

Trois ans s’écoulent, durant lesquels Chic joue occasionnellement pour le minuscule Nairn County, sans trop se soucier de l’avenir mais en gardant un oeil dans le rétroviseur. Forcément. Quand on a goûté au foot pro, difficile à seulement 24 ans d’accepter la routine d’une vie pépère, même grassement rémunérée. Un jour où il s’ennuie, il file sur Glasgow retrouver quelques vieux potes. L’un d’eux se désole de sa situation : « Chic, t’étais trop bon pour arrêter le foot pro si jeune. Ecoute, je connais un mec qui peut t’aider à remettre le pied à l’étrier. » Chic accepte et les pérégrinations reprennent : il signe à Pollok, un club semi-pro ambitieux de la banlieue sud de Glasgow qui lui offre 4 000 £ à la signature. Ambitieux mais limité, Pollok n’évolue même pas en Scottish Football League (D1 à D4).

Il démarre la saison en allongeant l’entraîneur-adjoint

Chic ne disputera aucun match officiel pour Pollok. Il n’y reste que quelques semaines car un bien plus gros poisson l’a contacté entre-temps : Clydebank, club de l’ouest glasvégien qui vient de descendre en D2. Un club très folklo qui sera sponsorisé quelques années plus tard par le groupe local Wet Wet Wet (!) avant d’être liquidé en 2002 (puis reformé l’année suivante).

Chez les Bankies, Chic retrouve son mojo au milieu : 31 matchs, 11 buts. Et seulement deux cartons rouges de la saison. Mais le conte de fée est éphémère. Fin août 1988, lors d’un match de championnat, l’un de ses coéquipiers, Brian Wright, se prend un violent coup de coude d’un dénommé John Boag ; 4 dents éclatées, sorti sur civière. A la mi-temps, Clydebank est mené et l’entraîneur adjoint, Jimmy Gervaise, prend l’agresseur en exemple pour remotiver ses troupes : « Vous avez vu ce qu’a fait John Boag sur Brian, hein ? Et ben c’est ce genre d’attitude de guerrier que je veux que vous ayiez. Est-ce que vous allez me montrer cette attitude ? »

A entendre son propre Number 2 approuver l’agression d’un adversaire sur l’un des leurs, le sang chaud de Chic ne fait qu’un tour. A la question de Gervaise, il répond : « On fait comme ça ? » tout en illustrant son propos d’un crochet au menton. Viré sur le champ.

Chic ne reste toutefois pas longtemps les pieds croisés. Il semble qu’il y ait toujours un manager tête brûlée ou masochiste quelque part qui pense pouvoir tirer la quintessence de l’histrion sans causer trop de dommages collatéraux. Après une pige à Hamilton Academical (promu en D1), il atterrit à Partick Thistle, D2 (surnommé les Jags). L’historique Thistle est hiérarchiquement le troisième club de Glasgow, un larron désargenté qui se gausse haut et fort du tribalisme de clocher Old Firm. Les supps aiment entonner ce chant brutalement égalitaire :

Hello, how do you do?
We hate the boys in royal blue
We hate the boys in emerald green
So fuck the pope and fuck the queen

Et c’est dans ce club décalé que Chic trouve enfin son équilibre, comme s’il avait besoin d’un environnement farfelu pour s’épanouir. Entre 1988 et 1991, il devient une légende Jags : 22 buts en 73 matchs, stat canon pour un milieu de terrain. Malgré son addiction au carton rouge (tacles musclés, bagarres, embrouilles avec arbitres) et une inconstance chronique, Charnley trouve une certaine plénitude et se rend indispensable. La personnalité déjantée du manager, John Lambie, y est pour quelque chose.
Un jour par exemple, après un non match de ses joueurs, Lambie passe un savon carabiné à chacun d’entre eux dans le vestiaire, un par un. En arrivant sur Declan Roche, un jeune Irlandais qui vient de débarquer au club, il sort un pigeon vivant de son survêtement et s’approche de Roche en hurlant :

« Tu vois ce pigeon espèce de bâtard d’Irlandais, et ben t’es aussi utile que ce piaf sur un terrain. »

Sur ce, il tord le cou du pauvre animal et le balance au visage de Roche, terrifié ! [2].

Chic Charnley (à gauche) et Ally McCoist (droite) chahutent le mythique John Lambie, en 2007

Chic Charnley (à gauche) et Ally McCoist (droite) chahutent le mythique John Lambie, en 2007

Charnley n’acquiert pas ses lettres de noblesse Jags que pour ses prestations, ses frasques hors normes lui conférent un statut de cult hero inoxydable. Un jour, à l’entraînement, deux cailleras…

A suivre.

Kevin Quigagne.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup

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[1] Rangers & Hearts legend et ex international écossais, + de 1 000 matchs professionnels ! Malheureusement atteint d’un cancer actuellement.

[2] Dans son autobio, Charnley précise que le pigeon était très malade et allait mourir… John Lambie aimait les pigeons (il était pigeon fancier, hobby répandu au Royaume-Uni) mais il était surtout bien azimuté. Ses dix saisons à Partick Thistle  (trois passages, et trois montées) furent parfois dignes du Crazy Gang de Wimbledon. Lambie et Charnley entretinrent une relation symbiotique ; « Je lui dois tant » écrit Chic sur son mentor qui le managea trois fois à Partick Thistle. « Chic est comme un fils pour moi » confie Lambie dans la préface de l’autobio de Charnley, avant d’ajouter « mais bon sang que j’ai souvent eu envie de l’étrangler ! ».