Archive for avril, 2014

Robin Friday (1952-1990), terrassé par un arrêt cardiaque dû à une overdose d’héroïne, aurait pu être un grand du football anglais. Au lieu de ça, il a été son enfant terrible le plus givré.

L’intro est ici.

[SWE = South Wales Echo. Les mentions en bleu non gras figurent dans le livre, en italique].

The greatest footballer you never saw: THE ROBIN FRIDAY STORY.

Petit récap pour cette dernière partie : Robin Friday vient de signer chez les Bluebirds de Cardiff City (D2) et s’apprête à disputer son premier match contre le Fulham de Bobby Moore et George Best (ce dernier ne sera finalement pas aligné). Match à domicile – feu Ninian Park – devant la plus grosse affluence de la saison (20 368).

South Wales Echo, 3 janvier 1977

Cardiff City 3 – Fulham 0

… Deux buts de Robin Friday ont permis à Cardiff de disposer de Fulham 3-0. Friday s’est battu comme un lion – pas toujours à la régulière, il faut avouer – et l’on a assisté à quelques accrochages entre Friday et des Cottagers, dont Bobby Moore. Friday aurait même pu inscrire un hat-trick s’il n’avait pas été taclé sauvagement en fin de match.

MAURICE EVANS, entraîneur à Reading : Et dire que la veille de ce match, mon fils l’avait vu danser sur les tables du Boar’s Head de Reading jusqu’à très tard. Et lendemain, il te met la misère à Bobby Moore !

ROD LEWINGTON, ami : Oui, je m’en souviens, j’étais avec lui ce soir-là, donc la veille de son premier match avec Cardiff City. Il était bien au Boar’s Head. Vers 21 heures, Dick Smith, Le patron du pub, lui a même conseillé de partir pour se reposer en vue du match hyper important du lendemain à Cardiff [à 180 kms de Reading], faut dire que Robin picolait depuis 18 heures. Il a fini par se tirer mais non sans avoir taxé un pack de 12 bières à Dick pour finir la soirée ! Et le lendemain, il te plantait deux buts pour ses grands débuts avec Cardiff.

1er janvier 1977, Friday dispute son premier match avec Cardiff contre Fulham après une biture la veille : il plante deux buts, ridiculise Bobby Moore et fait pouet pouet avec les roubignoles du Champion du monde 1966.


Friday, pendant sa courte mais mémorable carrière Bluebird

PAUL WENT, ex coéquipier et compagnon de chambrée de Robin Friday : Phénoménal début contre Fulham en effet, il a tourné ses marqueurs en bourrique tout le match. Il a joué comme un attaquant de classe mondiale ce jour-là. Bobby Moore le marquait et il a vraiment mangé, Robin n’a pas arrêté de l’enfumer. Je me souviens que Robin a même fait pouet pouet avec les gonades de Bobby Moore ! C’était lui tout craché ça, il déconnait sans arrêt. Il lui arrivait aussi d’embrasser son marqueur sur un corner. Tout le monde était figé dans la surface en train d’attendre que le corner soit tiré et lui en profitait pour se retourner et planter un bécot sur la joue ou les lèvres de son garde du corps, totalement désarçonné. Un coup de coude ou un tirage de maillot, ça se gère mais quand un grand mec crasseux et chevelu se retourne et t’embrasse, ça a de quoi totalement te déstabiliser.

Début 1977 à Fulham, entre deux piges en North American Soccer League, on retrouve Bobby Moore, George Best et Rodney Marsh. Les Cottagers finiront 17è - sur 22 -, à 1 point de la relégation en D3.

Début 1977. Entre deux piges en North American Soccer League, on retrouve Bobby Moore, George Best et Rodney Marsh à Fulham. Les Cottagers finiront 17è, à 1 point de la relégation en D3.

HARRY PARSONS, dirigeant de Cardiff City : Bobby Moore était furieux pendant le match. Il a complétement perdu son sang-froid et a essayé de choper Robin après s’être fait tâter les parties. Bobby ne perdait quasiment jamais son sang-froid mais bon, faut dire qu’il avait encore jamais eu à faire à un numéro comme Robin.

CHARLIE HURLEY, manager de Reading : Jimmy Andrews, le manager de Cardiff, m’a téléphoné après ce match : « Charlie, Robin a été magnifique, il a ridiculisé la défense de Fulham, il a même chopé Bobby Moore par les couilles et Moore après n’a pas cessé de lui courir après pour se venger. C’est une vraie pépite ce Robin. » Jimmy a continué comme ça à me chanter les louanges de Robin un bon moment, je l’ai laissé parler avant de lui dire : « Ecoute, il n’est chez vous que depuis 4 jours, on en reparlera dans quelques mois. »

PHIL DWYER, joueur de Cardiff et détenteur du record d’apparitions du club : Parfois, je le conduisais un peu partout car il n’avait pas de voiture. J’étais d’ailleurs le seul à le laisser monter dans ma caisse ! Quand on se déplaçait, on le récupérait au bord de l’autoroute et idem en revenant, on le déposait toujours sur un coin d’autoroute, même pas dans une station service, un motel ou ce genre d’endroit, non ; lui voulait se faire déposer au milieu de nulle part. On a jamais su où il allait ensuite, je ne suis pas persuadé qu’il l’ait su lui-même d’ailleurs.

SWE, 24 janvier 1977

Cardiff City 1 – Charlton 1

Friday indique son indisponibilité (2 semaines) pour fracture de la pommette

Friday indique son indisponibilité (2 semaines) pour fracture de la pommette.

… Le manager de Cardiff, Jimmy Andrews, a exigé une plus grande protection sur Robin Friday de la part des arbitres, qui sera indisponible quelque temps pour cause de fracture de la pommette occasionnée pendant ce match. Andrews a déclaré : « Robin semble être la cible des adversaires et du corps arbitral. Il est régulièrement malmené mais il ne se plaint jamais. Malgré ce traitement de défaveur, il se fait souvent avertir et les arbitres ne cherchent pas à le protéger de ces brutalités répétées. La fracture de la pommette a été causée par un coup de coude au visage d’un joueur de Charlton. » Le manager de Charlton a estimé pour sa part que Friday avait au préalable savaté Curtis (le joueur en question) et que ce geste aurait mérité une expulsion.

Par ailleurs, aucune sanction (hormis une amende) ne sera prise contre Robin Friday pour être arrivé en retard au stade, vingt minutes seulement avant le début de la rencontre. Un accroc qui posa un problème avec la feuille de match censée être remise à l’arbitre trente minutes avant le coup d’envoi. L’attaquant a expliqué qu’il avait raté le train Reading-Cardiff et avait dû demander à un ami de le conduire à Cardiff en urgence.

CHARLIE HURLEY : Un jour, quelques mois à peine après son départ à Cardiff, qui vois-je débouler dans mon bureau ? Robin. D’emblée, je le félicite car ça semblait bien marcher pour lui là-bas. Il me contredit : « Non, ça va pas, j’en peux plus d’être managé par ce petit con de Jimmy Andrews. Vous êtes le seul pour qui je peux jouer, vous êtes le seul à pouvoir me gérer… Je voudrais revenir à Reading. » Là, je lui réponds : « Je te remercie pour les compliments mais impossible pour nous de mettre 30 plaques pour te récupérer. Arrange-toi pour obtenir un transfert gratuit et on te reprendra. » Sur ce, il est parti et je l’ai plus jamais revu.

SWE, 9 mars 1977

Sheffield United 3 – Cardiff City 0

… Robin Friday a dû quitter la pelouse avant la mi-temps, il souffrirait de problèmes respiratoires.

DOCTEUR LESLIE HAMILTON, médecin de Cardiff : Robin était un garcon très en forme physiquement, et, jusqu’à ce match contre Sheffield United, nous n’avions pas la moindre idée qu’il souffrait d’asthme, car personne ne l’avait mentionné lors de sa visite médicale, ni lui, ni Reading FC. J’ai appris ça plus tard. Il avait un inhalateur et devait parfois prendre des bouffées d’inhalateur mais ça ne semblait pas le gêner.

PAUL WENT : Pour moi, c’était un joueur techniquement phénoménal doté d’un pied gauche sublime. Je l’ai souvent vu mettre des mines de 35 mètres en pleine lucarne à l’entraînement. C’était un footballeur très complet avec une superbe conduite et couverture de balle, et il mettait la tête là où peu de joueurs auraient même mis le pied. En plus, malgré son physique imposant, il avait une technique lui permettant de terroriser les défenses quand il percutait. Si quelqu’un l’avait vraiment pris sous son aile à 16 ou 17 ans et lui avait appris à se contrôler, il aurait sûrement été international et peut-être l’un des joueurs les plus talentueux de l’histoire du football anglais.

Il adorait chambrer ses adversaires. Par exemple, s’il réussissait un petit pont, il se retournait parfois et leur riait au nez ou alors il baissait son short et leur montrait son cul, ou leur faisait un doigt d’honneur.

SWE, 7 avril 1977

Hereford United 2 – Cardiff City 2

… Robin Friday pourrait être suspendu trois matchs après son expulsion contre Hereford. Friday, dont la carrière s’est forgée dans la controverse permanente, a désormais accumulé 28 points disciplinaires cette saison.

SWE, 12 avril 1977

Southampton 3 – Cardiff City 2

… Robin Friday « Homme du match » avant sa probable suspension.

RITCHIE MORGAN, joueur de Cardiff : Il était prodigieusement doué et faisait des trucs incroyables. Il adorait chambrer ses adversaires aussi. Par exemple, s’il réussissait un petit pont, il se retournait parfois et leur riait au nez ou alors il baissait son short et leur montrait son cul, ou leur faisait un doigt d’honneur. Tout ce qui pouvait les agacer, il le faisait. Remarque, rien que sa dégaine pouvait les agacer, ses longs cheveux crasseux, le maillot sorti du short et son attitude très nonchalante, pour ne pas dire fainéante. Mais, et il faut lui reconnaître ce mérite, il acceptait de morfler sans broncher. Les défenseurs n’arrêtaient pas de le savater et lui, il se marrait. Puis il les frappait à son tour. Une fois, alors qu’il jouait à Reading et s’était fait savater tout le match, il s’est vengé sur un joueur et s’est fait expulser. Il était si énervé devant ce qu’il percevait comme une grosse injustice qu’il a coulé un bronze dans les vestiaires de l’équipe adverse !

SWE, 18 avril 1977

Cardiff City 4 – Luton 2

… Robin Friday, qui sera suspendu les deux prochains matchs, a adressé un doigt d’honneur au gardien de Luton, Milija Aleksic, après avoir marqué son second but.

Une minute avant, l’arbitre avait rappelé Friday à l’ordre après un clash entre les deux joueurs. Friday a déclaré : « Je suis un joueur très technique et mes adversaires détestent quand je les chambre. Pourtant, ils sont pas les derniers pour essayer de me déstabiliser, je me fais constamment savater.  Alors au bout d’un moment, je me défends. Mais sur ce coup-ci, je cherchais pas l’embrouille avec Aleksic et ce qui m’inquiète c’est cette mauvaise réputation que j’ai auprès des arbitres. Certains m’ont vraiment dans le collimateur. Je suis pas un joueur vicieux mais c’est vrai que je me laisse pas faire car j’ai la gagne. Si vous l’avez pas, inutile de faire ce métier. »

Friday a été forcé de sortir à la 70è minute sur une blessure au genou causée, selon lui, par un mauvais geste d’Aleksic. Interrogé sur le doigt d’honneur à l’encontre d’Aleksic, Friday a répondu ne pas se souvenir de cet incident.

PAUL WENT : Dans le vestiaire, il était super aussi. Il aimait déconner, c’est sûr. Quand on jouait en déplacement assez loin, on partait en bus le vendredi soir et tout me monde mettait un costard chemise-cravate, sauf lui. Il se pointait en jean avec un trou au niveau de l’entrejambe, pas de slip, t-shirt crade, des bottines rock ‘n’ roll à bout pointu et un sac en plastique contenant une bouteille de Martini. Tout le monde s’en fichait car il faisait le boulot sur le terrain. Sauf un jour où un dirigeant n’a pas apprécié sa tenue et là, dans le bus, Robin a menacé de le frapper avec sa bouteille de Martini ! Il était super énervé et on s’est mis à plusieurs pour le calmer, il l’aurait probablement cogné sinon. Mais sous cette carapace de dur au tempérament déjanté, Robin était un mec génial avec un coeur en or, il aurait fait n’importe quoi pour un ami.

JIMMY ANDREWS, manager de Cardiff : Les jeunes supporters l’adoraient. Aux journées portes ouvertes du club, c’était le chouchou de tous. Les gamins adorent les mecs rebelles et différents. C’était un beau gosse aussi alors, pour eux, c’était comme de rencontrer une vedette de télé. Il était super avec les gamins, il signait les autographes à la chaîne. Avec les jeunes du club aussi il était extra, c’était un peu leur père protecteur, il les défendait toujours.

PAUL WENT : C’était quelqu’un de très imprévisible. Des fois, après l’entraînement, il allait jouer avec les cadets, il s’amusait comme un fou avec eux. Tout ce qu’il voulait était de jouer au foot, que ça soit avec Arsenal, Manchester United, Reading ou Cardiff. C’était aussi un homme à femmes. Peu importe ce qu’il portait, il avait un succès fou. Il avait une vraie aura, et son look de mauvais garçon plaisait beaucoup. Mais il s’en fichait, il draguait bien sûr mais de façon très détachée. Ce qui attirait évidemment encore plus les femmes.

JIMMY ANDREWS : Un match dont je me souviens particulièrement est le dernier de la saison 1976-77, contre Carlisle, il nous fallait un point pour se maintenir. Dernière minute du match, toujours 1-1, y’avait le feu dans notre surface, panique totale. Et là, au pire moment, je vois Robin venir faire le ménage dans notre surface et je me dis : « Oh non, pas lui… » Car croyez-moi, si y’avait un mec que tu voulais pas dans ta surface dans ce genre de situation où une saison se jouait sur un rien, c’était Robin Friday vu que le risque de pénalty était multiplié par X avec lui dans les parages. Donc, dernières secondes du match, notre gardien avait été poussé à terre, centre-tir de Carlisle qui se dirige direct dans le but… Notre arrière central, sur la ligne de but, dégage comme il peut, mais le ballon reste toujours dans la surface… Le ballon s’élève et là je vois Robin et un adversaire à la lutte pour ce ballon aérien et Robin qui essaye de le dégager violemment du poing ! Son geste a été si virulent qu’il a fait trois pirouettes en l’air mais fort heureusement, il a touché ni le ballon ni leur joueur car sinon, y’avait pas photo, c’était péno. Putain, le voir charger comme un animal blessé dans la surface et faire ça à la dernière minute du dernier match de la saison avec le maintien en jeu… J’ai eu la peur de ma vie ce jour-là.

Après avoir contribué au maintien de Cardiff en D2, Robin Friday (7 buts) disparut quelque temps, ce dont il était coutumier. Il ne réapparut pas à la reprise de l’entraînement début juillet. Il se trouvait apparemment dans un hospital de Londres, souffrant d’un virus non identifié. Il fit savoir qu’il avait perdu treize kilos, qu’il ne mangeait plus et que les médecins ne comprenaient pas pourquoi il n’arrivait pas à se remettre d’une dysenterie. Plus tard, il réapparut à l’entraînement et dit avoir souffert d’une hépatite mais les tests médicaux s’avérèrent négatifs. Sur le sujet épineux de son domicile, Friday a accepté à contrecoeur de déménager de Bristol à Cardiff.

JIMMY ANDREWS : Je n’arrivais jamais à le joindre ou le trouver car il était censé habiter à Bristol [à 70 kms de Cardiff] mais quand je passais le voir, tout ce que je trouvais c’était 25 bouteilles de lait devant la porte. Tous les week-ends, dès le match terminé, il filait sur Londres. Quand il voulait quelque chose, il rôdait souvent autour de mon bureau, comme un ours en quête de bouffe, mais lui c’était pour me taxer quelques livres pour rentrer à Londres.

SWE, 28 octobre 1977

… L’équipe est en déplacement à Brighton, avec Robin Friday qui n’a pas encore joué de la saison, victime d’un mystérieux virus.

Le comportement de Robin Friday devint alors très étrange. Un soir à l’hôtel, après une défaite à l’extérieur, les joueurs de Cardiff furent réveillés en sursaut au beau milieu de la nuit par des bruits fracassants provenant du rez-de-chaussée. Quand plusieurs d’entre eux allèrent voir ce qu’il se passait, ils virent Robin debout sur la table de billard, en slip, qui balançait des boules de billard un peu partout dans la pièce, dans le plus pur style rock ‘n’ roll.

PHIL DWYER : Je me souviens de cet incident, c’était après une défaite en coupe du Pays de Galles, Robin est devenu comme fou, il balançait des boules de billard et d’autres trucs partout. Je crois que c’était sa façon d’exprimer sa frustration. On a pensé : « Bon Dieu, faut vraiment qu’on le remette dans son lit. »

SWE, 31 octobre 1977

Brighton 4 – Cardiff City 0

… Premier match de la saison de Robin Friday (devant 23 000 spectateurs) et première expulsion, à la 54è minute. Le manager, Jimmy Andrews, a sévèrement critiqué l’arbitrage envers Robin Friday en général, et cet arbitre en particulier qui a sanctionné Friday pour un violent geste commis sur un adversaire. Friday, victime d’une faute commise par Mark Lawrenson, s’est vengé en mettant un coup de pied au visage du défenseur. Jimmy Andrews est d’avis que les arbitres et adversaires se sont ligués contre Robin Friday. Ce dernier, selon Mr Andrews, subit maints coups et provocations de joueurs qui ne cherchent qu’à le faire expulser. Alan Mullery, le manager de Brighton, n’était pas du même avis : « La faute commise par Robin Friday était l’une des pires que j’ai jamais vue. Il a savaté mon joueur au visage alors que ce dernier était à terre ! Ce genre de comportement est indéfendable.»

TONY FRIDAY, frère : Le truc sur ce match c’est que Robin a fait manger Lawrenson du début à la fin. Au bout d’un moment, Lawrenson* en a eu marre de se faire enfumer et il lui a mis un coup ou dit quelque chose, je sais pas trop. Et là, Robin s’est retourné et l’a frappé. C’était son dernier match pour Cardiff City. Il s’est pointé à quelques entraînements après ce match mais il a rapidement disparu pour de bon, personne savait trop où il se trouvait.

[*Nda : une tenace légende urbaine dit que Robin Friday déféqua dans la trousse de toilette ou le sac de Mark Lawrenson. Ce dernier a toujours démenti la rumeur, idem pour les coéquipiers de Friday. L’international irlandais deviendra un joueur clé de Liverpool de 1981 à 1988 puis « expert foot » à la BBC à 1,5 million £/an – après 22 ans de longs et boyaux services, il a enfin été semi-placardisé]

Quand les joueurs de Cardiff regagnèrent les vestiaires après ce match, Robin avait quitté le stade.

SWE, 2 novembre 1977

… Le manager de Cardiff City, Jimmy Andrews, a déclaré que le club entamerait une procédure contre Robin Friday pour « non-respect du contrat » en ajoutant que l’amende pourrait être élevée. Le joueur est aussi dans le collimateur de la fédération galloise pour avoir accumulé 20 points à son casier disciplinaire. Il sera suspendu pour les trois prochains matchs.

Le 20 décembre 1977, Robin Friday annonça à Jimmy Andrews, manager de Cardiff City, qu’il arrêtait définitivement le football. Parallèlement, Liza Friday entama une procédure de divorce. Friday retourna vivre à Londres où il trouva un travail d’asphalteur et décorateur.

JIMMY ANDREWS : Il disparaissait souvent comme ça pendant plusieurs semaines mais il revenait toujours et se confondait en excuses. On était toujours ravi de le revoir vu ce qu’il faisait sur le terrain et les supporters l’adoraient.

TONY FRIDAY : A son retour de Cardiff sur Londres, il a habité avec notre mère et a continué à jouer, en amateur. Un tas de clubs voulaient le faire signer mais il ne pouvait aller nulle part car Cardiff détenait toujours sa licence et ils refusaient de la lui refiler. Les mecs avaient payé 30 plaques pour lui six mois plus tôt alors ils l’avaient mauvaise. Vers juillet 1978, Brentford [D4] l’a contacté et il s’est entraîné avec eux pendant l’intersaison. Il s’est bien remis en selle physiquement et tout, mais comme d’hab il a disparu de nouveau quelque temps sans rien dire. Il n’est plus jamais retourné à Brentford.

En 1980, il s’est remarié. J’étais encore en taule au moment de son mariage et j’ai jamais connu sa nouvelle femme. Ils ont déménagé à Fulham, mais ça n’a duré que deux ou trois ans. Il a ensuite connu une autre nana, Linda. Malheureusement, il a alors retouché à la drogue et cette nana ne supportait pas ces saloperies alors il est venu crécher chez moi, j’habitais à Fulham aussi à ma sortie de taule. Le problème c’est que ma nana a pas apprécié et ça a créé un tas de problèmes alors il est reparti vivre chez notre mère.


Fulham était bien différent d’aujourd’hui dans les années 60-70 (ci-dessus, la cité Clement Attlee – elle existe toujours mais le coin s’est légèrement gentifrié : le moindre F2, souvent ex HLM, se loue 1 500 £/mois et coûte 400 patates à l’achat)

Côté boulot, il bossait souvent sur les toits avec moi. Je lui trouvais pas mal de taf mais le souci avec lui c’est qu’au fil du temps, il bossait de moins en moins et cherchait surtout à tirer au flanc. Ma mère et moi, on a réussi à lui obtenir une HLM à Acton. Au début, ça allait, il s’est maqué avec une femme, Hazel. Pendant six mois, pas trop de problèmes. Pis un jour au boulot, pour une parole de travers il s’est embrouillé avec un pote à moi, un couvreur. Robin l’a frappé avec un morceau de bois et lui a cassé le bras, j’ai dû l’emmener à l’hosto. J’étais furax contre Robin, mais on s’est réconcilié deux jours après, il a vraiment regretté son geste. Le week-end suivant, lui et sa nana étaient dans un club, embrouilles à la sortie avec Robin et d’autres personnes, sa nana panique, traverse la rue et se fait renverser par une voiture, hospitalisation. Elle lui en a voulu, ça s’est mal passé…

Pis, juste avant Noël 1990, il a disparu quelques jours, on l’a cherché mais en vain. Ce qui nous a inquiété c’est que la pharmacie où il allait chercher sa méthadone [produit de substitution à l’héroïne] ne l’avait plus vu depuis deux jours, et ça c’était pas normal. Moi je pensais qu’il était en garde à vue ou un truc comme ça. On a alors appelé la police qui a enfoncé la porte de son appart…

READING EVENING POST, 31 décembre 1990

… Robin Friday, l’ex joueur culte de Reading FC qui faisait vibrer les stades avec son look de mauvais garcon et son image d’enfant terrible, est décédé à l’âge de 38 ans. La cause du décés est pour l’instant inconnue. Friday a inscrit 57 buts en 135 matchs pour Reading entre février 1974 et décembre 1976.

THE END.

N’attendez pas la sortie du film pour jouer les hipsters, commandez le t-shirt dès maintenant.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :

Lars Elstrup

Chic Charnley

Robin Friday (1952-1990), terrassé par un arrêt cardiaque dû à une overdose d’héroïne, aurait pu être un grand du football anglais. Au lieu de ça, il a été son enfant terrible le plus givré.

L’intro est ici.

[REP = Reading Evening Post. Les mentions en bleu non gras figurent dans le livre, en italique]

The greatest footballer you never saw: THE ROBIN FRIDAY STORY

REP, 20 avril 1976

Reading 1 – Brentford 0

… La magie de Robin Friday a encore opéré. Un superbe numéro de Friday a amené le but de Reading : le Royal a éliminé trois défenseurs avant de frapper, sur le poteau – Ray Hiron, en embuscade, n’a plus eu qu’à pousser le ballon au fond des filets. Il ne manque plus qu’un point à Reading pour accéder à la D3. Enfin ! Cela fait exactement 50 ans que les Biscuitmen n’ont plus connu les joies de la montée.

REP, 22 avril 1976

Cambridge 2 – Reading 2

… Reading est en D3 ! 21è but de la saison de Robin Friday. Le Champagne a coulé à flot dans les vestiaires. La fête sera complète lors du prochain et dernier match à domicile contre Crewe Alexandra dans trois jours, devant 20 000 spectateurs.

DAVID DOWNS, historien de Reading : Après ce match à Cambridge, en rentrant sur Reading on s’est arrêté dans un pub-hôtel pour un repas. Gordon Cumming, l’un de nos joueurs, a fait remarquer que les verres à vin étaient vraiment chouettes. Robin s’est alors éclipsé et est revenu quelques minutes plus tard avec un carton rempli de verres identiques qu’il venait de piquer dans une salle de l’hôtel, pour les offrir à Gordon. Finalement, Robin aussi les a trouvés chouettes et a décidé de se les garder !

REP, 26 avril 1976

Reading 3 – Crewe Alexandra 1

… 22è but en championnat de Robin Friday, soirée mémorable ! Un bémol toutefois : Friday a appris que son carton jaune reçu il y a quelques jours contre Cambridge portait son bilan disciplinaire à plus de 40 points, ce qui lui vaudra une suspension en début de saison prochaine. Friday, élu Joueur de l’année du club, a demandé la clémence de la fédération.

SYD SIMMONDS, ami : Avec la prime de montée, Robin a emmené Liza à Gibraltar.

EAMON DUNPHY, joueur de Reading : On s’est quand même fait entuber par le club car on nous a donné moins d’argent que promis, le directoire a été mesquin aussi. Par exemple, l’un de nos plus fidèles supporters était boucher et il a fait cadeau au club d’une grosse quantité de viande. Ben, les mecs du directoire ont gardé les meilleurs morceaux pour eux et nous ont refilés la viande hâchée ! Je peux te dire que les joueurs n’ont pas apprécié. Ils se sont alors rendus compte que ceux qui nous dirigeaient étaient de beaux fumiers. Robin n’a pas du tout aimé leur coup foireux, on a tous été déçus.

 De la viande hâchée comme cadeau de remerciement... Pas toujours super rock n' roll les Seventies.

De la viande hâchée comme cadeau de remerciement... Pas toujours super rock n' roll les Seventies

REP, 4 juin 1976

… Le calendrier de D3 est sorti et Reading affrontera Gillingham pour son premier match, le 21 août. Robin Friday, 23 ans, a demandé à être transféré et a remis une lettre au président du club, Frank Waller. Extrait : « Je souhaite jouer dans un club ambitieux (un club londonien, de préférence) qui me versera un salaire plus en rapport avec ma valeur. J’ai mouillé le maillot comme jamais pour aider Reading à monter en D3 et la dernière offre du club est insuffisante. Ce club manque d’ambition, à croire qu’il se satisferait éternellement de la deuxième partie de tableau de D3. » Rappelons qu’il y a quelques mois, Reading a décliné une offre de 60 000 £ faite par Cardiff City [promu en D2]. Ce point figurera à l’ordre du jour de la prochaine réunion du directoire du club, qui devrait vraisemblablement rejeter sa demande de transfert. En attendant, Robin Friday se mariera (pour la deuxième fois) la semaine prochaine avec Liza Deimel, 24 ans, à l’église St James’s de Reading. Le couple s’envolera à Amsterdam en lune de miel dès le lendemain.

Ah, Amsterdam… Ses cafés si pittoresques, ses romantiques péniches, ses parcs à la végétation luxuriante, sa gastronomie typique (ci-dessus : salade batave au Gouda). Parfait pour la lune de miel des Friday.

ROB LEWINGTON, ami : Ah ouais, ce mariage, c’était quelque chose ! Robin avait invité 200 personnes. Il portait un costume marron en velours, une espèce de chemise tigrée et des bottes en peau de serpent. Southern TV était là et filmait tout. Avant l’église le matin, Robin s’assoit sur les marches et se roule un joint, tranquille, devant les caméras de la télé régionale. Tout le monde avait fumé du chichon avant l’église. Bon, on rentre tous dans l’église et les fous rires commencent, les gens étaient vraiment cassés. Même le curé se marrait, il a dû penser « Quelle joyeuse assemblée ! » Le déjeuner s’est tenu dans un manoir très classe. Robin roulait des joints à la chaîne et les distribuait à ses potes, à sa famille, ses oncles, ses vieilles tantes, à tout le monde. Vers 1h30 de l’aprèm, les gens étaient soit bourrés, soit cassés. Je revois encore les femmes très âgées, avec leurs jupes fourrées dans la culotte, qui sautillaient sur la pelouse. Je n’ose pas imaginer ce que le curé a pensé. Jamais vu un mariage pareil.

LIZA FRIDAY, ex femme : C’est vrai que notre mariage a été hilarant. Les invités venaient tous de Londres, y’a eu des bagarres et un tas de cadeaux ont disparu. Une fois la cérémonie finie, on s’est rendus compte en nettoyant qu’on nous avait tout piqué.  Ça fumait comme pas pensable, ma mère n’arrêtait pas de s’exclamer : « J’y crois pas, j’y crois pas. » Notre lune de miel à Amsterdam fut mémorable. Comme cadeaux de mariage, on a reçu un tas de barrettes de shit et autres. En arrivant à l’aéroport d’Amsterdam, Robin était sous acide et bien parano. Il craignait de se faire fouiller alors il avait mis ses barrettes dans la bouche, tout en mâchant du chewing-gum. Je vous raconte pas, on a passé notre première nuit de noce à séparer le chewing-gum du shit… Le lendemain, on a fait une excursion sur les canaux mais tout ce qui intéressait Robin, c’était de trouver de la dope.

REP, 5 août 1976

… Robin Friday a signé un nouveau contrat avec Reading FC et entamera d’ici peu sa troisième saison avec le club.

CHARLIE HURLEY, manager de Reading : Après notre montée, il a beaucoup changé. Il est devenu très médiatique localement – les journaux titraient « Le Roi Friday » – et tout ça lui est monté à la tête. J’imagine qu’il a bien fêté l’accession en D3 car quand il est revenu à l’entraînement, début juillet, il était totalement hors de forme et plus lent. Il refaisait de l’asthme aussi.

REP, 30 août 1976

Shrewsbury 2 – Reading 0

… Malgré une belle prestation de Friday, Reading s’est logiquement incliné. Reading envisagerait de vendre Friday après avoir reçu une offre ferme pour l’attaquant. Le club souhaiterait acquérir deux ou trois joueurs avec l’argent du transfert.

REP, 6 septembre 1976

Reading 2 – Walsall 1

… Un sublime geste de Friday a amené le deuxième but. L’attaquant Royal a mystifié le gardien de Walsall d’un lob de 30 mètres forçant un défenseur à arrêter le ballon avec la main. Pénalty transformé. Hormis cette fulgurance, Friday a déçu.

REP, 13 septembre 1976

Northampton 1  – Reading 2

… Troisième victoire d’affilée de Reading qui prend la tête du classement après six journées. Friday, grippé, devrait être indisponible pour les deux prochains matchs.

CHARLIE HURLEY : Entre la fin du championnat de D4 au printemps et le début de la saison suivante en D3, il avait clairement perdu de la vitesse. Sa touche de balle n’était plus aussi bonne.

MAURICE EVANS, entraîneur à Reading : Moi, je n’arrêtais pas de dire à Charlie : « Ecoute, va falloir le vendre. » Le public adorait toujours Robin mais pas ses coéquipiers. Les mecs se demandaient pourquoi il bénéficiait de passe-droits, comme de zapper l’entraînement pendant trois jours et de ne s’entraîner souvent que deux fois par semaine. Charlie faisait du mieux qu’il pouvait pour le gérer mais c’était très dur. Rapidement, Charlie est tombé d’accord avec moi pour le vendre, Robin se croyait alors vraiment tout permis.

DAVID DOWNS : Pas mal de gros clubs s’intéressaient à lui, dont QPR et West Ham [tous deux D1] mais sa personnalité les effrayait. Ils le considéraient ingérable.

Friday, blessé, est sorti en cours de jeu. Il est rentré aux vestiaires et en a profité pour chier dans la baignoire des adversaires.

REP, 28 octobre 1976

… Reading FC a annoncé le départ probable de la vedette locale, Robin Friday, meilleur buteur du club ces deux dernières saisons et élu deux fois Meilleur Joueur de Reading FC. Friday a évoqué son ambition d’évoluer à l’étage supérieur et Cardiff City, D2, serait intéressé.

REP, 9 novembre 1976

Mansfield 4 – Reading 0

… Piètre performance d’ensemble à l’occasion de ce match comptant pour la 16è journée de D3. Friday, totalement transparent, a été remplacé en cours de jeu. Ce n’est peut-être qu’une coïncidence mais lorsqu’il est sorti, une demi-douzaine de managers et d’émissaires ont quitté le stade.

DAVID DOWNS : L’entraîneur a dit ensuite avoir remplacé Friday en cours de jeu contre Mansfield car il était blessé. En tout cas, Robin a chié dans la baignoire des joueurs de Mansfield ce jour-là !

REP, 30 novembre 1976

… Charlie Hurley a déclaré : « On ne fait que parler du départ de Robin Friday dans les journaux car un tas de clubs seraient intéressés, mais depuis que je l’ai placé sur la liste des transferts, personne ne s’est manifesté. »

REP, 20 décembre 1976

Grimsby 2 – Reading 1

… Quatrième défaite d’affilée pour Reading, désormais 18è.

LIZA FRIDAY : Je me suis vite aperçue que ce n’était pas du tout l’homme à épouser car il était adulé par les supportrices. Quand l’équipe revenait d’un match à l’extérieur, j’allais attendre l’autocar au point d’arrivée mais Robin était toujours descendu avant. Il disait à ses coéquipiers : « Racontez ce que vous voulez à ma femme, je m’en fous. » Moi, je restais là comme une conne à me dire : « Putain, ce salaud s’est encore éclipsé. » Je crois qu’il allait traîner en boîte et je ne sais où.

CHARLIE HURLEY : C’est sûr que les responsabilités et lui, ça faisait deux. Quand on regarde sa carrière, on constate que c’est quand il était célibataire qu’il a brillé.

MAURICE EVANS : Juste avant Noël 1976, on jouait à l’extérieur et Jimmy Andrews, le manager de Cardiff City, est venu nous voir pour finaliser le transfert, pour 30 000 £. Robin a super bien joué ce jour-là. Après le match, Robin file direct au bar du club et Charlie Hurley, de peur que le transfert nous échappe, vient me voir et me dit : « Va surveiller Robin, fais surtout gaffe qu’il ne picole pas trop parce que tu le connais, tu lui laisses 10 minutes et ça lui suffit pour descendre six pintes et commencer ses conneries. » Je vais au bar, Robin venait d’arriver mais s’était déjà enfilé trois pintes et commençait à s’animer ! Sur ce, arrive Jimmy Andrews avec son chèque de 30 patates. Putain, là je lui ai mis une main ferme sur l’épaule pour l’éloigner le plus possible de l’énergumène.

CHARLIE HURLEY : Quand Cardiff a mis 30 000 £ sur la table [au lieu des 60 000 £ offerts la saison précédente, offre alors rejetée], j’ai dû convaincre les dirigeants que finalement, c’était une belle somme car Robin avait nettement régressé et changé, à tous les niveaux, qu’il était devenu ingérable, etc. Ils l’ont accepté et même si je me suis fait bien allumer par les supporters pour l’avoir transféré, je n’ai jamais révélé la vraie raison de son départ car je ne voulais pas le critiquer publiquement. A l’époque, je préférais encaisser les critiques et les laisser penser que j’étais un imbécile qui l’avait bradé pour 30 plaques.

LIZA FRIDAY : Robin n’a jamais voulu partir à Cardiff en fait. Trop loin de tout et la D2 ne l’intéressait pas, il voulait une D1. Mais Reading tenait absolument à s’en débarrasser. Cardiff se doutait que y’avait anguille sous roche car Reading l’a laissé filer pour moitié prix et sans difficulté mais les dirigeants de Cardiff, malgré leurs réserves, l’ont pris. C’était un peu un coup de poker de leur part.

C’est sûr qu’il était spécial. En déplacement dans l’autocar, il collait ses fesses ou ses bijoux de famille à la vitre de derrière, il balançait des bouteilles sur l’autoroute alors que le bus roulait et j’en passe.

REP, 30 décembre 1976

… Robin Friday devrait officiellement devenir joueur de Cardiff City aujourd’hui. Il est attendu à Cardiff dans la journée pour finaliser le contrat et pourrait débuter après-demain à domicile contre Fulham, qui devrait aligner George Best et Bobby Moore. Friday, qui a déclaré être ravi de rejoindre Cardiff City, a une bonne chance d’évoluer en Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe la saison prochaine car Cardiff City est favori pour remporter la Welsh Cup.

CHARLIE HURLEY : Avant son départ, il est venu me voir et m’a dit : « Je sais pourquoi vous m’avez vendu boss : je ne suis plus le même joueur qu’avant, c‘est ça, hein ? » Je lui ai répondu : « Tu sais Robin, dans la vie ce qui m’importe plus que tout, c’est ma famille, les amis, le football et l’honnêteté. Alors, pour en revenir à ta question, oui, c’est pour ça. Tu es l’ombre du joueur que tu étais la saison dernière mais je ne suis pas l’un de ces types heureux de voir que les évènements lui donnent raison. J’ai vraiment envie que tu réussisses à Cardiff. Tu possédes en toi des qualités uniques mais t’as aussi beaucoup de problèmes personnels. Tu n’es plus le joueur que tu étais l’an dernier et entre-temps, tu t’es marié. Et ça, c’est pas l’idéal, hein ? »

Robin signe à Cardiff City (D2), Noël 1976

Robin signe à Cardiff City (D2), Noël 1976

JIMMY ANDREWS, manager de Cardiff City : A chaque fois que je l’ai observé à Reading, il a excellé. C’était un joueur hors pair. Je n’arrivais pas à croire qu’on l’avait eu pour seulement 30 000 £. Je savais bien que sa personnalité était spéciale mais je m’en fichais, j’avais vu de quoi il était capable sur un terrain.

JOHN MURRAY, joueur de Reading : C’est sûr qu’il était spécial. En déplacement dans l’autocar, il collait ses fesses ou ses bijoux de famille à la vitre de derrière, il balançait des bouteilles sur l’autoroute alors que le bus roulait et j’en passe. Des fois, il était marrant mais d’autres, il était super dangereux.

RITCHIE MORGAN, coéquipier et capitaine à Cardiff : Je me rappelle bien ma première rencontre avec lui. Il était alors encore à Reading, nous [Cardiff City] revenions d’un match sur Londres et, à un feu rouge, notre bus s’arrête juste à côté du bus de Reading. Bon, ça se chambre pas mal mais ambiance bon enfant. Pis là, Robin saute du bus, monte à l’arrière d’un black cab (taxi londonien), descend la vitre, baisse son pantalon et tourne son cul dans notre direction. Là, le feu passe au vert, le taxi démarre, remonte le Mall [prestigieuse avenue londonienne qui donne sur Buckingham Palace] et on ne voyait plus que les fesses de Robin qui sortaient du taxi et faisaient des bonds à cause des vibrations. Je vous raconte pas comme ça se marrait dans les deux bus, on était tous pliés.

Jimmy Andrews n’eut pas à attendre longtemps pour découvrir les nombreuses facettes excentriques de la personnalité de Robin Friday. Le jour où il se pointa pour la première fois à Cardiff City, Friday débarqua du train à la gare de Cardiff avec seulement un ticket de quai, et fut verbalisé par la police des transports.

HARRY PARSONS, dirigeant de Cardiff : On nous avait dit qu’il jouait parfois l’arlésienne alors quand on ne l’a pas vu arriver à l’heure convenue, on s’est dit qu’il avait dû decider de ne pas se pointer ce jour-là. Pis là, on reçoit un coup de fil de la police nous informant qu’ils avaient dans leurs locaux un type disant être le nouveau buteur vedette de Cardiff City et nous demandant de venir le chercher.

PHIL DWYER,  joueur de Cardiff et détenteur du record d’apparitions du club : Je crois que pas mal de gars ont été choqués en le voyant débarquer pour son premier entraînement avec juste un t-shirt, un bas de survêt et un sac en plastique. Robin était un type qui faisait peur, meme à ses coéquipiers. A l’entraînement, on devait fréquemment lui dire de se calmer car il courait partout comme un dératé et faisait pas mal de rentre-dedans. C’était sa manière de montrer son extrême motivation, il avait la gagne. Avant les matchs surtout, il était toujours incroyablement motivé. Il avait un talent fou ce joueur et si quelqu’un avait pu canaliser son exubérante énergie dans la bonne direction, il aurait pu aller très, très loin.

RITCHIE MORGAN : Sur une dizaine de mètres, il allait vite. Il n’était pas super rapide mais une fois qu’il partait, dur de l’arrêter. Pour un attaquant, ce sont les 5 ou 6 premiers mètres qui comptent car ça peut suffire à éliminer un adversaire et sur ce point-là, Robin était similaire à George Best, super vif pour se créer une occasion. Il réfléchissait très vite sur le terrain et sa vision du jeu était exceptionnelle.

PAUL WENT, coéquipier et compagnon de chambrée de Robin Friday : On s’est tout de suite entendus, je l’adorais. On s’était déja rencontrés sur les terrains et il se souvenait bien d’un gros tampon que je lui avais mis un jour. D’ailleurs il m’a montré la cicatrice, souvenir de mon tacle en retard, ça nous a fait rigoler. C’était un gars très extraverti, une fois qu’il était parti, terminé, impossible de le raisonner. Sur le terrain, il pétait souvent un cable mais c’est dingue le nombre de coups qu’il se prenait, j’ai jamais vu un joueur se faire autant savater. Il en mettait aussi pas mal ! Même à l’entraînement, il cognait. Je me souviens d’une fois où Robin a pris un ballon perdu sur la tête, un coéquipier a vu ça et s’est marré. Robin a cru que ce joueur avait envoyé le ballon et l’a violemment frappé sur la tête, si bien que le gars a dû porter une minerve pendant deux semaines. Il pouvait péter un plomb hyper facilement.

Pendant son séjour à Cardiff, Friday logeait à l’hôtel et revenait à Londres régulièrement. Pour voyager gratuit, il frappait à la porte des WC du train en se faisant passer pour le contrôleur et récupérait ainsi le titre de transport. Ses débuts avec Cardiff City contre Fulham le 1er janvier 1977 furent tout aussi mémorables. Fulham et ses vedettes (dont Bobby Moore et George Best – ce dernier ne fut finalement pas aligné). Le match se joua à domicile et on enregistra la plus grosse affluence de la saison (20 368 spectateurs).

A suivre.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup
Chic Charnley

Robin Friday (1952-1990), terrassé par un arrêt cardiaque dû à une overdose d’héroïne, aurait pu être un grand du football anglais. Au lieu de ça, il a été son enfant terrible le plus givré.

L’intro est ici.

[REP = Reading Evening Post]

The greatest footballer you never saw: THE ROBIN FRIDAY STORY

REP, 11 avril 1975

Reading 2 – Rochdale 1

… But victorieux de Robin Friday à la dernière minute ! De joie, il s’en est allé embrasser l’officier de police Brian Miller (ci-dessous).

CHARLIE HURLEY, manager de Reading : Le lendemain, le journal local publiait un dessin montrant une queue de flics attendant un baiser de Robin.

JOHN MURRAY, joueur de Reading : Cela dit, après le match dans les vestiaires, Robin a regretté avoir fait ça car il détestait les flics.

REP, 24 avril 1975

Reading 1 – Rotherham 1

… But de Friday qui conclut une superbe prestation. Le perdre à l’intersaison serait terrible pour Reading, mais cela est probable vu ses prestations. Sheffield United [D1] serait sur le point de faire une offre.

REP, 28 avril 1975

Reading 1 – Mansfield 1

… Encore un but de Friday, tir imparable.

JOHN MURRAY : Robin, Steve Death et moi, on se faisait toujours engueuler par Charlie Hurley dans les cross-country en rase campagne, car on traînait en route et on finissait toujours derniers. Steve avait toujours un paquet de clopes caché dans ses chaussettes et à mi-parcours, on s’en grillait une petite.

il mesurait 1m70.

S. Death, 537 matchs avec Reading, considéré comme le meilleur gardien de l'histoire du club (mort d'un cancer du poumon à 54 ans). Particularité : il faisait 1m70.

Pis un jour, après une grosse soufflante de Charlie, je me suis dit : « Putain, faut vraiment qu’on lui montre qu’on sait courir. » Au cross suivant, j’étais avec les traînards quand, soudain, j’ai accéléré et foncé comme un malade. Au bout d’un moment, j’ai vu que j’avais semé Robin et Steve. Pis là, un véhicule de chantier a déboulé du virage, un camion avec une benne transportant un échaffaudage. Il m’a dépassé et qui y’avait-il à l’arrière, sur la benne ? Robin ! Putain… Ce con m’a balancé des bouts d’échaffaudage tout en me vannant : « Cours, branleur, cours ». J’ai même dû sauter dans un fossé pour éviter les trucs métalliques. Le pire, c’est qu’en arrivant, Hurley m’a engueulé : « Encore dans les derniers John, tu m’avais pourtant dit que tu ferais un gros effort… Même ce putain de Friday finit devant toi ! »

CHARLIE HURLEY : Robin était un Dieu à Reading, tout le monde l’adorait. Il était beau et franc, en fait il ne savait pas mentir. Dès qu’il essayait de m’embobiner, je lui disais : « Robin, t’as pas la bonne tête pour mentir », et il me répondait : « OK, bon, je vais vous dire la vérité. » Il était vraiment très doué et pas mal de clubs se renseignaient sur lui. Je me souviens d’un coup de fil de Wolves [D1] où mon interlocuteur m’avait bombardé de questions, « Est-ce qu’il est ceci ? Est-ce qu’il est cela ? » etc. Il générait beaucoup d’intérêt. La seule chose qui lui manquait était une grosse pointe de vitesse, avec ça en plus, il aurait été injouable.

ROB LEWINGTON, ami : Le problème quand on sortait avec Robin c’est qu’il était interdit dans la plupart des pubs de la ville. Rien que le Boar Head a dû l’interdire dix fois.

CHARLIE HURLEY : Ouais, mais il était super généreux avec son temps, il arrêtait pas de signer des autographes. Parfois, devant des gamins de 8 ans, il m’appelait « vieux con ». Rien de méchant, fallait le prendre comme il était. Sportivement, quel changement à Reading à son arrivée ! Avant lui, on avait une bonne équipe mais insuffisamment talentueuse pour espérer monter. Robin a vraiment apporté un gros plus.

EAMON DUNPHY, joueur de Reading : Quand je suis arrivé, j’ai vu ce Robin Friday, cinglé et très indiscipliné, avec un style de vie totalement incompatible avec le football professionnel, et je me suis posé des questions… Mais quel talent ! J’ai ensuite appris à vraiment aimer ce gars, je buvais souvent avec lui.

SYD SIMMONDS, ami : On avait l’habitude d’aller dans une boîte appelée le Top Rank le samedi soir, ça déchirait. Y’avait une mezzanine qui surplombait la piste de danse de 5 ou 6 mètres et Robin aimait se jeter de là-haut sur la piste, au beau milieu des gens qui dansaient !

Le Top Rank à Reading (en 1969)

Le Top Rank à Reading (en 1969)

Reading finit 7è de D4, à 5 points du premier promu (pas encore de barrages de montée à l’époque). Robin Friday a été élu Joueur de l’année de Reading FC.

SAISON 1975-1976.

REP, 16 août 1975

Reading 2 – Rochdale 0

REP, 23 août 1975

Crewe 3 – Reading 3

DAVID DOWNS, historien de Reading : Je me souviens bien de ce match à Crewe, surtout car Robin était arrivé au stade de Crewe juste avant le match. Il venait directement de Londres et était crade au possible. Après le match, au bar, il portait un vieux blouson dégueu et un t-shirt avec, dans le dos, une grosse flèche rouge qui pointait vers ses fesses avec l’inscription « 2000 volts ».

REP, 13 septembre 1975

Reading 3 – Watford 0

… Robin Friday a marqué d’un missile de 20 mètres, son quatrième but de la saison. Avant le match, l’état de son visage avait paru inquiétant, comme si une équipe de rugby lui était passée dessus. Son explication : « C’est ma copine, elle m’a frappé avec une conserve de baked beans. »

SYD SIMMONDS : Il avait du succès auprès des filles. Certaines tambourinaient à sa porte de son apart jusqu’à 3 heures du mat parfois.

REP, 20 septembre 1975

Workington 0 – Reading 2

… Encore un but de Friday.

REP, 23 septembre 1975

Hartlepool 2 – Reading 4

… « Nous sommes magiques » a déclaré Charlie Hurley, le manager. Quatrième victoire d’affilée pour Reading qui prend la tête du classement.

REP, 29 septembre 1975

Reading 2 – Bournemouth 1

… Robin Friday expulsé, une avalanche de cartons pour ce sommet de la 8è journée. Superbe tête plongeante de Friday, avant de se faire expulser à la 79è pour violences sur un adversaire.

MAURICE EVANS, entraîneur à Reading : Le public adulait Robin, les gens le vénéraient. Quand il marquait, Robin avait l’habitude de faire un tour d’honneur et les gens adoraient ça. Il avait une dégaine pas possible aussi, cheveux longs et boucles d’oreilles, ce qui était vraiment inhabituel alors. Il se faisait souvent sacrément chambrer par ses adversaires, certains l’appelaient « le gitan », il n’aimait pas du tout et ça finissait parfois en baston.

JOHN MURRAY : Ah ouais, Robin avait le sang chaud. Je me souviens d’une fois, on était dans un café et des chauffeurs de taxi parlaient de la prison, comme quoi les mecs qui finissaient au trou le méritaient, etc. Je l’ignorais mais le frangin de Robin, Tony, était alors en taule. A un moment, en une fraction de seconde, Robin s’est jeté sur l’un des mecs et lui a planté une fourchette dans le visage, incroyable. Un rien lui faisait péter un cable.

CHARLIE HURLEY : Robin était vraiment dur à gérer car il était hyper imprévisible. Il se pointait souvent à l’entraînement du lundi avec un oeil au beurre noir, il me disait qu’il s’était battu ou bien que c’était un souvenir de biture. Il s’embrouillait parfois avec la police et ça aurait pu mal se passer mais je mettais toujours un point d’honneur à entretenir de bonnes relations avec les commissariats de la ville et j’invitais systématiquement les commissaires aux matchs. Et en plus, beaucoup de flics étaient fans de Robin.

JOHN MURRAY : Je me souviens d’une veille de match à l’hôtel, avec Robin et Steve Death, le gardien, les mecs fumaient un joint. Bon, moi je matais un film dans leur chambre, je faisais pas attention à ce qu’ils fumaient mais à force de me prendre la fumée, je me suis senti tout chose…

REP, 11 octobre 1975

Bradford City 1 – Reading 2

… Bon match de Friday, qui n’a cessé de se faire savater tout le match. Reading passe 3è.

MAURICE EVANS : Le truc avec Robin, c’est qu’il s’emmerdait vite et avait tendance à être hyperactif. Dans le car des joueurs, il déconnait non-stop. Il avait une relation étrange avec la plupart de ses coéquipiers. Il était très copain avec 2 ou 3 joueurs et tous pensaient que c’était un super footballeur mais beaucoup se méfiaient quand même un peu de lui et ne savaient trop quoi penser.

Un jour, le bus s’arrête (près d’un cimetière) pour une pause pipi. Robin remonte dans le bus… avec des anges en pierre qu’il avait eu le temps de piquer sur des tombes !

EAMON DUNPHY : Ouais, moi je m’entendais super avec lui, et c’est vrai qu’on se foutait des joueurs cons et sérieux, nous on était les rebelles de l’équipe, toujours au fond du bus. Qu’est-ce qu’on se marrait ! On sortait ensemble, on fumait du chichon, on s’envoyait des pilules de speed, on déconnait. Moi, je préférais déconner seulement après les victoires, mais Robin, lui, c’était tout le temps.

ROGER TITFORD, auteur et journaliste : Une fois, l’équipe revenait d’un match et Robin avait une envie pressante alors le bus s’arrête, près d’un cimetière, il descend, se soulage et remonte dans le bus… avec des anges en pierre qu’il avait piqués sur des tombes du cimetière ! Il voulait les mettre juste à côté du président du club, Frank Waller, qui s’était endormi dans le bus.

CHARLIE HURLEY : Oui, je m’en souviens. Quand je l’ai vu revenir avec ces anges, je l’ai pris à part et lui ai dit très sérieusement : « Robin, écoute moi bien : ne profane jamais, jamais un cimetière car celui ou celle qui gît tout au fond te pourchassera et te hantera toute ta vie. » Il a écarquillé ses grands yeux et comme il a vu que j’étais très sérieux, il m’a fait : « Ah, d’accord boss » et il est parti les remettre à leur place.

REP, 30 octobre 1975

Rubrique Faits divers. Robin Friday comparaîtra le 17 novembre prochain devant le tribunal de police de Newport (Pays de Galles) pour « Propos et gestes obscènes envers des forces de l’ordre », infraction commise le 20 octobre devant une discothèque de la ville galloise, après le match Newport-Reading.

REP, 5 novembre 1975

Reading 1 – Swansea 0

… Encore une superbe prestation de Robin Friday. Malheureusement, son nouveau carton jaune porte son casier disciplinaire à 20 points et, en conformité avec le nouveau réglement, il devrait être suspendu 3 matchs.

REP, 8 novembre 1975

Reading 4 – Exeter 3

… Robin Friday a encore marqué, Reading 4è. Friday, de nouveau averti, passera bientôt devant la commission de discipline fédérale et risque trois matchs de suspension. Charlie Hurley, le manager de Reading, l’accompagnera à Londres pour le défendre et expliquer à la commission que Robin Friday est systématiquement victime de brutalités sur le terrain. Le bilan et la réputation de Friday ne plaident cependant pas en sa faveur : 9 jaunes et 1 rouge depuis son arrivée à Reading l’an dernier. Auparavant, en trois saisons chez les amateurs, il avait reçu 7 rouges.

REP, 14 novembre 1975

La commission de discipline de la fédération n’a pas retenu de circonstances atténuantes à Robin Friday et l’a suspendu pour trois matchs.

SYD SIMMONDS : Pour moi, son trait principal était son extrême insouciance. Il se foutait d’absolument tout. Par exemple, le vendredi, il touchait son salaire en liquide et claquait tout le week-end. Le reste de la semaine, il était fauché.

MAURICE EVANS : Il aimait boire et après les matchs il faisait la tournée des grands ducs et tout le monde lui payait un coup. Il n’a jamais su résister à ces invitations permanentes, il suivait le movement.

JOHN MURRAY : Je me souviens qu’il avait toujours plein d’énormes furoncles sur les genoux. Il ne mangeait rien, jamais. Dès qu’il avait une assiette devant lui, soit il ne touchait pas à la nourriture soit il la balançait sur des gens… En déplacement, fallait vraiment le surveiller hein ! Un jour à l’hôtel, l’un de nos coéquipiers était dans sa chambre avec une femme et un attroupement s’était formé devant la porte, fermée à clef. Robin est arrivé, il a mis deux coups de pied kung fu au niveau de la poignée et la serrure a éclaté. Le manager s’est pointé et a pété un plomb…


Porte défoncée et vol de cygne, une mise au vert banale pour Friday

Bon, quand les joueurs se sont ensuite retrouvés au bar de l’hôtel, l’entraîneur s’est aperçu que Robin avait disparu. On l’a cherché partout, en vain. Pis, soudain, on l’a vu entrer dans le bar avec un cygne sous le bras ! Ouais, un cygne… Il l’avait piqué dans le bassin du jardin de l’hôtel. Je l’ai prévenu que l’hôtel risquait d’appeler la police alors il est allé le remettre dehors. Des fois il faisait des trucs marrants mais parfois, c’était totalement ouf.

REP, 8 décembre 1975

Reading 5 – Stockport 0

… Deux buts de Robin Friday en deux minutes. Friday encore victime de tacles assassins, tant est si bien qu’il a dû mettre des protège-tibias en cours de match, pour la toute première fois. Superbe prestation de toute l’équipe. Reading toujours 3è.

REP, 15 décembre 1975

Reading 1 – Scunthorpe 0

… Dixième victoire d’affilée à domicile, le record de 1949 est égalé.

JOHN MURRAY : Liza était une chic fille. Elle avait une influence lénifiante sur lui, au moins au début.

LIZA FRIDAY, ex femme : Je suis née et ai été scolarisée à Reading, puis suis allée en fac à Liverpool où j’ai obtenu une licence d’anglais. Je suis ensuite revenue sur Reading. J’étais co-locataire dans une maison très animée, avec beaucoup de passage et plein de monde jusqu’à très tard. C’est là que j’ai rencontré Robin. C’était un personnage incroyable. Il plaisait à tout le monde, femmes et hommes. Il m’a immédiatement attirée. Il était en cours de séparation avec Maxine et ça s’est fait naturellement. Je me souviens quand il allait faire des emplettes sur le marché de Kensington Market à Londres, il piquait toujours quelque chose, souvent un maillot de foot.

[Liza Friday, ci-contre, a participé à l’élaboration du film, niveau scénario. Elle est à 3’20 dans ce clip récent sur le film où l’on rencontre l’équipe anglo-américaine de production ainsi que Paolo Hewitt, co-auteur du bouquin et scénariste du film, à voir]

REP, 12 janvier 1976

Reading 2 – Southport 1

… Belle victoire et un pas de plus vers la montée, Reading 3è. Mais la nouvelle de ce lundi est la recommandation faite par la fédération pour que les joueurs cessent de s’embrasser ou se toucher quand ils marquent un but. Le capitaine de Reading, Gordon Cumming a déclaré : « Aucun joueur ne s’embrasse ici. La chose que nous faisons parfois quand un but est marqué c’est de taper les fesses d’un coéquipier. » Réaction du manager : « C’est la plus grosse idiotie que j’ai jamais entendue. La fédération semble insinuer que nos joueurs sont homosexuels mais de toute ma vie de footballeur je n’ai jamais rencontré un joueur homo. Embrasser un coéquipier qui vient de marquer est une réaction parfaitement naturelle. Moi-même j’ai bien failli embrassé notre gardien quand il a arrêté un penalty récemment. »

CHARLIE HURLEY : J’ai toujours refusé de mettre quoi que ce soit sur Robin dans la presse. Un tas de journalistes m’appelaient sans arrêt pour en savoir plus sur ses frasques mais je les envoyais balader.

REP, 8 février 1976

Swansea 5 – Reading 1

… Reading a totalement sombré, marquant même trois buts contre son camp. Robin Friday a inscrit le seul but de Reading.

REP, 26 février 1976

Reading 1 – Hartlepool 0

… Enfin une victoire après un mois de mauvais résultats. Joli but de Robin Friday, qui redonne espoir à Reading pour la montée en D3.

REP, 8 mars 1976

Reading 0 – Doncaster 1

… Cette défaite des Royals marque la fin d’un cycle de 26 matchs à domicile sans défaite.

REP, 22 mars 1976

Reading 4 – Darlington 1

… 17è but de la saison de Friday, qui écope également de son 7è carton jaune. Les traitement brutal dont il est régulièrement victime lui fait parfois perdre son sang-froid. La fédération a mis en garde Reading, ainsi que Friday, pour son bilan disciplinaire.

L’arbitre de la rencontre, Clive Thomas – qui, ayant officié en coupe d’Europe et dans deux coupes du monde, a vu les plus grands jouer – a applaudi le but de Robin Friday, en plein match. Friday l’a regardé et lui a dit : « Vous devriez venir ici plus souvent, j’en mets tous les week-ends des comme ça. »

REP, 1er avril 1976

Reading 5 – Tranmere Rovers 0

… Encore une sublime prestation de Robin Friday devant 10 961 spectateurs subjugués. Tellement superbe que même l’arbitre, Clive Thomas – qui, ayant officié en coupe d’Europe et dans deux coupes du monde, a vu les plus grands jouer – n’a pu qu’applaudir le but de Friday, un tir de toute beauté en lucarne.

CLIVE THOMAS, ancien arbitre Fifa : Je n’oublierai jamais ce but. La violence du tir était inouïe, sur le moment, j’ai eu du mal à le croire. Si ce tir avait frappé le poteau au lieu de se ficher en lucarne, il l’aurait brisé. J’ai vu Pelé et Cruyff jouer, mais c’est le plus beau but que j’ai jamais vu.

DAVID DOWNS :  Un but extraordinaire. Robin, dos au but à l’orée de la surface, amortit une passe du milieu de terrain et tout en pivotant, de volée, il frappe le ballon qui va se loger dans la lucarne.

CLIVE THOMAS : Après le match, je suis allé le féliciter et lui ai dit que c’était le plus beau but que j’avais jamais vu. Il m’a regardé et m’a fait : « Ah ouais ? Ben vous devriez venir ici plus souvent, j’en mets tous les week-ends des comme ça. »

TONY FRIDAY, frère : J’ai pas vu ce but, j’étais en taule à l’époque. Mais je l’ai déjà vu en marquer un semblable.

REP, 8 avril 1976

Bournemouth 0 – Reading 1.

… Pour son centième match professionnel en championnat de Robin Friday offre une passe décisive dans ce choc au sommet, Reading toujours 3è.

MAURICE EVANS : Moi je me souviens d’un jour où je suis venu chercher Robin chez lui avec le bus des joueurs, et Liza l’engueulait sévère, jusque dans la rue. Robin est monté dans le bus et elle était toujours derrière le bus à lui gueuler dessus un tas d’obscénités ! Mais apparemment, c’était normal pour eux.

SHEILA FRIDAY, mère : Charlie ne voulait pas que Robin épouse Liza, pas vrai ?

CHARLIE HURLEY : Un jour, une femme vient me voir avec sa fille en me disant : « Ma fille va épouser Robin Friday. » Je lui réponds : « Ecoutez, ce mec est fou et personne ne devrait l’épouser. Il est fait pour être footballeur, pas du tout pour être mari. Il a déjà assez de mal comme ça à être footballeur, alors mari en plus, non. » Et là, la femme me fixe et me fait : « Bah, c’est pas grave, ma fille est complétement folle elle aussi. »

A suivre.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup
Chic Charnley

Robin Friday (1952-1990), terrassé par un arrêt cardiaque dû à une overdose d’héroïne, aurait pu être un grand du football anglais. Au lieu de ça, il a été son enfant terrible le plus givré.

Lire intro ici.

[REP = Reading Evening Post]

The greatest footballer you never saw: THE ROBIN FRIDAY STORY

MAURICE EVANS, entraîneur à Reading : Je suis arrivé en juillet 74. Charlie [Hurley], le manager, m’avait beaucoup parlé de Robin, donc pour notre première séance d’entraînement début juillet, j’avais hâte de le rencontrer. Mais pas de Robin. Apparemment, il avait subi une opération chirurgicale pour se faire enlever des tatouages à la main et il portait un plâtre, mais personne savait où il était. Charlie est alors arrivé en s’écriant : « On l’a retrouvé ! Il a passé l’été dans une commune hippie en Cornouaille. Il est en route pour Reading. » Quelques jours après, on l’a aligné en amical contre Watford. Il n’avait pas touché un ballon depuis six semaines, et vous imaginez dans quel état il était dans les Cornouailles. Et ben, il a totalement éclaboussé ce match de sa classe. J’avais du mal à y croire… C’était un type incroyable.

REP, 12 juillet 1974

… Le monde du football s’est réveillé ce matin avec une nouvelle qui fait l’effet d’une bombe : Bill Shankly vient de démissionner et a décidé de prendre sa retraite.

[…] Reading Football Club a annoncé une perte de 16 000 £ sur l’année dernière. La dette du club s’élève désormais à 79 000 £.

REP, 24 juillet 1974

… Le manager Charlie Hurley dit placer beaucoup d’espoir en Robin Friday, cet attaquant arrivé en janvier et qui a eu un fort impact.

Ailleurs, surprise dans le petit club de Dunstable qui vient de recruter… George Best ! Ce dernier a déclaré : «  Tout ce que je veux, c’est de jouer au football, et c’est ce que Dunstable me permet de faire. » Barry Fry, le jeune manager du club, est ravi : « Incroyable, Dunstable a fait signer George Best ! C’est encore mieux que d’avoir Frank Sinatra qui chante à la mi-temps ! »


Barry Fry, un manager déjanté bien dans la lignée des Seventies

MAURICE EVANS : Charlie me dit : « Il faut absolument qu’on fasse déménager Robin à Reading, pour pouvoir le surveiller et avoir une idée de ce qu’il fait. » Je lui réponds : « Je sais pas si c’est une bonne idée, avec tous ces imbéciles qui traînent en ville, il suffit qu’il les fréquente et c’est terminé. »

ROD LEWINGTON, ami : C’est vrai qu’à l’époque y’avait une tripotée de sacrés numéros à Reading et ils idolâtraient tous Robin.

CHARLIE HURLEY, manager de Reading : On lui avait trouvé un appart tout près du club et on avait élaboré un plan pour qu’il se tienne à carreau et n’ait pas trop d’argent à claquer en ville. On retenait directement le loyer, les charges et les factures sur sa paye, si bien qu’il lui restait plus grand chose pour sortir. Mais ça changea rien car il était si populaire que plein de gens lui prêtaient de l’argent sans trop chercher à le récupérer.

ROD LEWINGTON : Il y avait aussi un tas de types qui profitaient de lui, pas dans le sens financier, mais de sa notoriété. Ils l’embarquaient souvent dans des tournées des grands ducs interminables et lui, il manquait de volonté pour refuser.

Il va sur la piste de danse, enlève son pantalon, et là, surprise : il était à poil. Il ne portait qu’une paire de bottes. Incroyable. Des fois, il prenait une nana dans la boîte, se trouvait une petite salle mitoyenne et ils baisaient.

REP, 6 août 1974

Reading 1 – Portsmouth 0

… Match amical durant lequel Friday a raté quelques belles occasions, mais on peut dire que sans lui le spectacle serait bien triste.

JOHN MURRAY, joueur : Moi, j’ai été viré de mon ancien club, Burnley, j’avais cassé la figure du manager là-bas et Charlie Hurley m’a récupéré – il devait avoir un faible pour les gars comme nous.

MAURICE EVANS : Robin était toujours fauché. Je n’arrêtais pas de lui prêter de l’argent, mais il me remboursait toujours.

ROD LEWINGTON : Le problème de Robin, c’est qu’il était trop généreux. Il donnait de l’argent à tout le monde et ne cherchait jamais à le récupérer.

MAURICE EVANS : Ses potes étaient bien barjots aussi, y’avait de sacrés timbrés, des chauffeurs de taxi aussi, qui l’emmenaient partout, le sortaient en boîte. Ils lui faisaient rencontrer des filles, ou carrément le mettaient direct dans un placard avec une nana et ils les laissaient faire leur truc.

ROD LEWINGTON : A l’époque, y’avait Churchill’s, la boîte la plus ringarde que Reading ait jamais eue, un truc super glauque. En fait, c’était une salle au-dessus d’une banque avec juste un comptoir et le minimum absolu pour fonctionner, une piste de danse et des cassettes pour la musique. C’était vraiment un endroit d’une nullité inégalée mais on pouvait y picoler toute la nuit. Tous les mecs qui se retrouvaient au Churchill’s étaient interdits d’entrée partout ailleurs. Un jour on y va avec Robin, après une séance au pub. Robin portait un long manteau et des hobnail boots [sorte de godillots militaires/Doc Martens avec crampons/clous à bouts arrondis – pour faire durer la semelle, ci-dessous].


La tenue de soirée de Robin Friday

Il se met sur la piste de danse, enlève son pantalon, et là, surprise : il était à poil. Il ne portait que ces pompes. Incroyable. Des fois, il prenait une nana dans la boîte, se trouvait une petite salle mitoyenne et ils baisaient. Nous, on se mettait devant la porte pour qu’ils soient pas dérangés. C’était le seul club de la ville qui fermait les yeux sur ce genre de chose.

JOHN MURRAY : Je me souviens que la première chose qu’il a faite en emménageant près du stade fut de repeindre tout en noir. Il disait que y’avait rien de pire que d’être défoncé et de devoir mater des motifs papiers peint plus étranges les uns que les autres.

REP, 17 août 1974

Reading 2 – Cambridge 0

… Superbe match de Robin Friday, qui, comme à habitude, a régalé l’assistance avec sa technique exceptionnelle.

REP, 24 août 1974

Rotherham 2 – Reading 1

… Belle tête de Robin Friday mais son but n’a pas suffi. Bien trop esseulé en pointe.

SYD SYMMONDS, ami : Robin était branché Heavy Metal, surtout le Alex Harvey Band et Led Zeppelin. Dès que t’allais chez lui, même à trois heures du matin, il te mettait ça super fort. Le voisin était un vieux type de presque 80 ans, Bill Smith, un ancien jardinier du Reading FC. Le pauvre, il a morflé, on lui a tout fait. La zique à fond, les gens qui tambourinaient à la porte à toute heure, les nanas qui balançaient des pierres sur les fenêtres… Pauvre vieux quand même.

REP, 2 septembre 1974

Reading 3 – Northampton 2

… But de Dick Habbin, superbement amené par Robin Friday.

REP, 7 septembre 1974

Scunthorpe 0  – Reading 1

… Tête victorieuse de Robin Friday, qui sort un énorme match. C’est son troisième but d’affilée.

REP, 9 septembre 1974

… Charlie Hurley a démenti que Sheffield United [haut de tableau de D1] a fait une offre pour s’attacher les services de Robin, supervisé pour la sixième fois par United cette saison. Toutefois, Friday n’est pas à vendre et s’il l’était, Reading en demanderait une forte somme, minimum 100 000 £.

MAURICE EVANS : Quand on jouait dans le nord de l’Angleterre, on se retrouvait parfois à la gare de Euston à Londres. Une fois, il s’est pointé en jean, avec bottes montantes en crocodile, t-shirt Deep Purple et rien d’autre, absolument rien. Quand on descendait à l’hôtel, les gens le regardaient et disaient « Mais c’est qui ce type ? »

CHARLIE HURLEY : Il essayait de suivre mes conseils, mais il y arrivait pas, son tempérament sauvage et indomptable le dominait. Il adorait boire, il était beau donc j’imagine qu’il avait pas trop de problèmes avec les filles. Ses fréquentations étaient folklos aussi !

MAURICE EVANS : Robin adorait les gens. C’était génial d’être avec lui, et comme c’était une vedette sur Reading, tout le monde voulait l’approcher. On a essayé de le protéger, de lui dire : « Ecoute Robin, prends conscience de tes qualités hors normes et de ta technique monstrueuse, ne sors pas autant, soigne ta forme et tu pourras signer n’importe où. » Mais lui, il nous regardait en se marrant et nous disait : « Putain, mais vous plaisantez ou quoi. M’entraîner tous les jours, faire des tours de terrain sans arrêt, ça m’intéresse pas. Si tu me donnes un ballon, je te fais ce que tu veux, mais bosser comme un dératé, pas question. »

REP, 12 septembre 1974

Reading 4 – Rotherham 2

… Bertie Mee, manager d’Arsenal, était à Elm Park hier soir et, selon un dirigeant des Gunners, il était là pour observer Robin Friday ou Dick Habbin. Superbe prestation de Robin Friday, notamment sa percée de la 11è minute, suivie d’une talonnade-passe qu’Henderson transforma en but.

REP, 14 septembre 1974

Reading 3 – Newport 0

… Superbe performance collective de Reading et but de Friday, son sixième cette saison. Habbin et Friday sont en tête du classement des buteurs. Un supporter a téléphoné au Evening Post jurant qu’il incendierait le stade si jamais le club vendait Friday !

REP, 14 septembre 1974

Reading 1 – Crewe 1

… Robin Friday s’est blessé à la cheville, on craint une fracture.

SYD SIMMONDS : Robin ne portait jamais de protège-tibias. Il sortait du vestiaire mal fagoté, chaussettes en berne après cinq minutes de match, tout débraillé, cheveux longs avec des tatouages Mild et Bitter [types de bière] sur sa poitrine.

REP, 20 septembre 1974

… Plus de peur que de mal, la blessure de Friday à la cheville est superficielle.

REP, 26 septembre 1974

… Chester 2 – Reading 0

Match plein de Friday mais insuffisant (il rate notamment une belle occasion), sous les yeux du manager de Liverpool, Bob Paisley, qui avait fait le déplacement pour observer Friday après avoir envoyé un émissaire à Elm Park en début de saison.

Friday à Liverpool avec Bob, ça aurait eu de la gueule !

Friday à Liverpool avec Bob, ça aurait eu de la gueule !

REP, 30 septembre 1974

Reading 4 – Southport 1

… Robin Friday, le roi des buteurs de Reading, est accusé de se comporter égoïstement envers le club et les supporters et de désavantager son équipe par ses fautes stupides qui entraînent des cartons. Il a déjà accumulé douze points disciplinaires et sera suspendu les deux prochains matchs, ce qui est malvenu pour le club qui vise la montée en D3, devenue impérative. Friday compte déjà neuf buts en championnat cette saison et RFC a plus que jamais besoin de lui pour atteindre ses objectifs. Il est à noter cependant que la réaction théâtrale des joueurs de Southport ne les honorent pas. Sur le coup de coude de Friday, le gardien s’est écroulé comme s’il venait d’être fusillé et quand Friday a mis un petit uppercut inoffensif sur le menton de Johnson (pour plaisanter), ce dernier a tout fait pour faire expulser le Royal.

CHARLIE HURLEY : En fait, Reading n’avait besoin que d’un avant-centre à cette époque : Robin Friday. A lui seul, il pouvait éliminer cinq joueurs. Jouer contre lui était un cauchemar et ces gars-là supportaient pas la façon insolente qu’il avait de mystifier ses adversaires. Et le pire truc en foot, c’est de jouer en ayant l’air de se foutre de l’adversaire.

REP, 1 octobre 1974

Rochdale 0 – Reading 2

… Une foule d’observateurs et de managers connus ont assisté au superbe match de Reading hier soir. Parmi les intéressés, il y avait les managers d’Aston Villa, de West Bromwich Albion, Manchester City, Coventry et le responsable de la cellule de recrutement de Leeds. Dick Habbin et Robin Friday, les deux joueurs observés, ont brillé dans ce qui était avant tout une belle performance collective. Reading est leader du classement.

Liverpool, Leeds, Arsenal, Aston Villa, Man City, Wolves, Sheffield United, Coventry… Un tas de clubs de D1 s’intéressèrent à Robin Friday mais sa réputation effrayait.

MAURICE EVANS : Je me souviens qu’un jour, on jouait contre Crystal Palace et Robin réalisait des trucs pas possibles sur le terrain. Terry Venables [alors manager de Palace] n’arrêtait pas de dire sur le banc d’à côté : « Mais putain, c’est qui ce mec ? » Venables voulait absolument le recruter, mais Palace était fauché et ils voulaient faire un échange de joueurs.

REP, 14 octobre 1974

Reading 1 – Shrewsbury 2

… Deuxième défaite d’affilée pour Reading. Il a été confirmé que chaque joueur recevra 60 £ de prime (car Reading reste dans le top four), et ce malgré la médiocre prestation des joueurs contre Shrewsbury.

DAVID DOWNS, historien du club : Un de mes amis jouait avec Robin à l’époque et c’est vrai que certains de ses coéquipiers ne l’aimaient pas trop, surtout des gars qui ne sortaient ou ne buvaient jamais, ils ne comprenaient pas son lifestyle.

CHARLIE HURLEY : Le truc avec Robin, c’est qu’il était incroyablement naturel, avec tout le monde. Je me souviens que quand le président du club ou les membres du directoire venaient dans les vestiaires, c’était tordant. T’avais Robin qui s’adressait à Sir Ernest Harrison [une huile] comme si c’était un vieux pote à lui, du style « Salut Ernie, ça roule ? » Lui et l’étiquette, ça faisait deux.

REP, 26 octobre 1974

Reading 0 – Barnsley 3

… Cinquième match de Reading sans victoire, la montée s’éloigne. Robin Friday ne jouait pas (grippe).

JOHN MURRAY : Le vendredi matin, je ramenais Robin chez lui en voiture. Y’avait toujours un tas de gens qui allaient et venaient, j’y comprenais rien. Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il était fauché en permanence.

SYD SIMMONDS : S’il n’y avait aucun match en semaine, la plupart du temps, on picolait tous les jours et ensuite on sortait en boîte. Mais à partir du jeudi matin, il arrêtait la boisson. Un soir, en rentrant du pub, il me dit : « J’ai une surprise pour toi, une bonne pastille d’acide. On va se faire une super soirée. » Mais je lui ai répondu que je touchais pas à ça. Il a insisté en rigolant, pour lui c’était la routine, un moyen comme un autre de s’éclater.

REP, 18 novembre 1974

… Robin Friday écope de deux matchs de suspension devant le comité de discipline de la FA.

REP, 6 décembre 1974

… Le salaire moyen national est de 50 £ par semaine. Le prix d’une maison sur Reading est de 15 000 £.

REP, 6 janvier 1975

Crewe 1 – Reading 0

… Quatrième défaite d’affilée de Reading qui dégringole à la 12è place.

REP, 3 février 1974

Reading 3 – Workington 0

… Le plus beau succès depuis trois mois, dont un but tout en opportunisme et détermination de Robin Friday pour son cinquantième match avec les Royals. Mais une nouvelle fois, il a été salement malmené par ses adversaires.

REP, 8 février 1975

… Margaret Thatcher devient leader des Conservateurs et la première femme à diriger un parti politique britannique.

CHARLIE HURLEY : L’une des raisons pour lesquelles Robin et moi on s’entendait si bien c’est que j’étais toujours franc avec lui. Il me demandait souvent mon avis sur sa prestation, car il adorait parler. Il m’arrivait de lui dire qu’il avait été nul à chier. Il me répondait : « Mais j’ai été meilleur qu’untel quand même. » Je lui rétorquais qu’il ne devait jamais se comparer à Pierre, Paul ou Jacques. Souvent, il était difficile à gérer, et je pense qu’il fallait être irlandais comme moi pour gérer Robin !

DAVID DOWNS : Honnêtement, avant l’arrivée de Robin, Reading était un club très quelconque. A lui seul, il a transformé l’image du club. Une quantité formidable de gens l’idolâtrait, beaucoup de gens se rendaient spécialement à Reading juste pour le voir, il a fait venir beaucoup de monde.

REP, 28 février 1975

Northampton 0 – Reading 3

… Plus belle victoire à l’extérieur depuis quatre ans. Friday, blessé, fut remplacé à la 78è, pour la première fois depuis son arrivée au club.

REP, 19 mars 1975

Cambridge 1 – Reading 1

DAVID DOWNS : Je me souviens de ce match contre Cambridge, Robin s’était battu avec Brendan Batson [l’un des rares joueurs noirs de l’époque, qui deviendra célèbre à West Bromwich Albion, Nda]. Ron Atkinson manageait Cambridge et il aurait demandé à Batson de casser les jambes de Robin. Bon, à la fin du match, Robin et Batson se sont serrés la main et Robin lui a dit : « Sans rancune hein, j’ai rien contre les Noirs. Je suis mariée à une Noire. » Je crois que ça a déconcerté Batson d’entendre ça.

Batson, l'un des rares Noirs de D1 des Seventies, où le racisme gangrénait le football anglais

Batson, l'un des rares joueurs noirs de D1 à la fin des Seventies, une époque où le racisme gangrénait le football anglais

MAURICE EVANS : Le public adorait Robin et lui, ça lui donnait encore plus d’audace pour tenter des trucs improbables. Mais il ignorait totalement les consignes, il allait où bon lui semblait sur le terrain. Le seul truc que j’ai vraiment essayé avec lui c’est d’améliorer sa condition physique. Il n’aimait pas ça ! Il détestait courir, il pensait que ça ne servait strictement à rien.

REP, 3 avril 1975

Reading 3 – Exeter 1

… Superbe victoire de Reading. Friday malmené dès le coup d’envoi mais magnifique performance de sa part. Il marque son 17è but en championnat. Par ailleurs, Reading FC a annoncé que le club refuserait l’entrée du stade aux hooligans. Cette décision s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le vandalisme.

SYD SIMMONDS : Robin dépensait beaucoup en chaussures, surtout dans ces bottes en croco, il en était dingue, il lui arrivait de claquer 100 £. Il allait les acheter sur King’s Road. Ça et les jeans, il ne portait que ça, tous les autres joueurs portaient l’uniforme du club, veston classe et pantalon gris, sauf Robin.

JOHN MURRAY : Je me souviens d’une fois où on revenait en train d’un match de coupe disputé dans le Nord-Est et l’équipe de West Ham était aussi dans le train ; y’avait Frank Lampard [senior], Clyde Best, Pat Holland et quelques autres. Je discutais avec Steve Death et les joueurs de West Ham au buffet du train quand soudain, Robin entre dans le wagon. Il avait une de ces touches ! Cheveux longs ébouriffés, blouson en cuir, t-shirt noir et jean. Et là il me dit : « John, paye-moi un putain de coup s’il te plaît. » Un des joueurs de West Ham me sort alors : « Putain de supporters, ils s’incrustent partout ! » Steve Death se tourne vers lui et lui fait : « Euh, en fait, c’est notre avant-centre. »

A suivre.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup
Chic Charnley

Robin Friday (1952-1990), terrassé par un arrêt cardiaque dû à une overdose d’héroïne, aurait pu être un grand du football anglais. Au lieu de ça, il a été son enfant terrible le plus givré.

Intro ici.

[REP = Reading Evening Post]

DAVID DOWNS, historien de Reading FC : Pour son premier entraînement, dans un match 6 v 6, Robin n’a pas arrêté de savater les joueurs les plus expérimentés du club, si bien que plusieurs d’entre eux ont dû arrêter le match. Le manager lui a dit : « Oh, du calme Robin, va pas m’envoyer toute l’équipe à l’hosto. »

CHARLIE HURLEY, manager de Reading : Il s’entraînait comme il jouait. J’ai dû l’expulser plusieurs fois de séances d’entraînement, il savatait beaucoup, ses propres coéquipiers. Pour lui, les petits matchs c’était pareil que le championnat le samedi, il ne connaissait pas d’autre façon de jouer.

REP, 21 janvier 1974

… Reading n’a gagné que deux matchs sur ses quatorze dernières rencontres…

CHARLIE HURLEY : Dès le début, je me suis rendu compte que jamais j’arriverai à lui faire porter une chemise avec une cravate. Je me souviens lui dire en le faisant signer : « Robin, il faudrait que tu portes une veste ou un blazer de temps en temps. » Il n’en avait pas donc je lui en ai filé une. Il l’a mise, en jurant comme un charretier, on a pris une photo et il l’a aussitôt retirée. A cette époque, on a commencé à jouer le dimanche. Trois jours avant sa première possible titularisation, je lui dis : « Je vais peut-être t’aligner dimanche, contre Northampton. » Il me répond : « Boss, je vous promets, vendredi et samedi soir, je rentrerai sagement chez moi, je ne boirai pas, je ne me bastonnerai pas. » Là je lui fais : « Ecoute, un mensonge, à la limite ça me dérange pas, mais pas trois à la suite ! »

REP, 30 janvier 1974

… Reading 3 – Northampton 0.

Robin Friday, le joueur amateur qui a fait ses débuts pour Reading contre Northampton le week-end dernier a failli perdre la vie dans un accident du travail l’année dernière. Il revient sur cet accident : « Je suis tombé sur gros pieu de chantier qui m’a transpercé le derrière, l’estomac et a raté un poumon d’un cheveu. J’ai failli mourir. Je suis resté trois mois à l’hôpital. » Le manager Charlie Hurley doit maintenant décider s’il offre un contrat professionnel à Friday, ce qui représente un vrai dilemme pour ce dernier s’il acceptait car il ne toucherait que la moitié de son salaire actuel d’asphalteur. Friday a déclaré : « Je veux passer pro et jouer avec Reading. Pour l’instant je m’entraîne que deux soirs par semaine car je bosse à plein temps. Si je passais pro, je devrais abandonner mon boulot et réduire mon salaire de moitié. Mais je suis marié et j’ai un enfant, alors je dois considérer ma situation financière. »

REP, 3 février 1974

… Barnsley 3 – Reading 2.

Premier but de Friday, de la tête. Il a déclaré : « Je voulais d’abord la contrôler de la poitrine et ensuite mettre une talonnade, mais je me suis dit que valait mieux pas trop déconner. »

CHARLIE HURLEY : Contre Barnsley chez eux, on était menés 2-0. A la mi-temps, je leur ai passé une soufflante des familles. On a égalisé 2-2. Et là, ils ont fait rentrer un défenseur, je me suis dit : « Tiens, c’est bizarre, ils jouent à domicile et ils envoient un défenseur au lieu de mettre un attaquant pour remporter le match. » Logiquement, ils auraient dû faire rentrer un attaquant pour jouer la victoire. Au coup de sifflet final, Robin me dit : « Boss, vous savez le défenseur qu’ils ont fait rentrer, eh ben, en plein match, il est venu me voir et m’a demandé de signer pour eux. » J’ai compris qu’ils avaient fait rentrer ce gars pour déstabiliser Robin.

REP, 6 février 1974

… Robin Friday, le nouvel attaquant de Reading qui fait déjà tant parler de lui, vient de signer un contrat professionnel avec Reading. Il a démissionné hier de son poste d’asphalteur.

REP, 9 février 1974

… Charles Hurley, manager, a déclaré : « On a marqué 5 buts en deux matchs à l’extérieur, ça faisait longtemps qu’on avait pas joué de la sorte et Robin Friday a fait des débuts tonitruants avec nous. Il fait 1m85, n’a peur de personne et il est très technique. C’est un joueur que vous, les supporters, aurez hâte de voir sur notre pelouse de Elm Park. On espère donc vous voir nombreux demain. »

REP, 10 février 1974

Reading 4 – Exeter 1

… Malgré la pluie battante, quel spectacle ! Robin Friday pour ses débuts à domicile a livré une prestation absolument magique. Friday a accumulé les prouesses, a fait montre de détermination et d’enthousiasme, tant est si bien que les supporters peuvent d’ores et déjà s’inquiéter : combien de temps le club arrivera-t-il à le garder ? Robin Friday fut le grand artisan de cette victoire acquise dans le dernier quart d’heure, grâce à ses deux superbes buts. A la 80è minute, sur son aile, Friday a dribblé quatre joueurs avant de placer un tir croisé à ras de terre des 18 mètres qui a battu le gardien. Scènes de liesse en tribune, quel début de rêve ! Et ce n’était pas fini ! D’une belle tête, Friday a scellé la victoire de Reading…

REP, 12 février 1974

… Robin Friday déclare : « Charlie Hurley m’a donné ma chance et j’ai bien l’intention de la saisir, je donnerai 100 % pour le maillot. Ouvrir mon compteur de cette manière me remplit de bonheur. Mes adversaires du jour me m’ont pas épargné, j’ai pas arrêté de me prendre des coups, c’en était ridicule, on m’à même refusé un pénalty indiscutable, mais j’ai répondu avec ces deux buts. »

David DOWNS : Robin refusait de mettre des protège-tibias, à l‘entraînement comme en match. En fait, même passé pro il jouait comme s’il faisait un match entre copains au parc du coin. Il n’arrêtait pas de se prendre des coups sans arrêt, mais ça le gênait pas outre mesure.

REP, 16 février 1974

… Robin Friday est incertain pour le match, il peine à se remettre d’une blessure au mollet, contractée lors du match contre Exeter.

REP, 17 février 1974

Lincoln 0 – Reading 2

… Les adversaires n’ont guère été tendres avec Robin Friday, victime d’une bonne demi-douzaine d’attentats, et ce, dès la première minute de jeu, devant même sortir cinq minutes pour ce faire soigner après un tacle assassin. Mais au final, même s’il finit le match sur les rotules, sa somptueuse technique triompha de la boucherie lincolnaise. Deux passes décisives à son actif. Le second but est tout simplement la marque d’un génie hors pair. Il reçoit le ballon près du poteau de corner, élimine deux joueurs à ses basques, puis un autre, et adresse un centre repris victorieusement par Barry Wagstaff.

CHARLIE HURLEY : Le truc, c’est que dès le debut du match, tu pouvais être sûr que les arrières centraux chercheraient à casser Robin, histoire de le tester et voir sa réaction. Il se prenait des dizaines de coups, mais je l’ai jamais entendu se plaindre. Beaucoup d’attaquants à sa place auraient flippé. Mais lui, ça lui faisait l’effet inverse, plus on le savatait, plus il revenait à la charge. Je me souviens d’un match où un adversaire avait fait une crasse à Robin, et au moment ou ce type repassa devant lui, Robin le chopa par les testicules. L’arbitre avait tout vu, sans savoir comment réagir. C’était Robin tout craché ça.

ROD LEWINGTON, ami : Il picolait, de la bière surtout. Une lager très forte, appelée Colt 45. Je l’ai jamais vu boire des spiritueux.

ALF FRIDAY, père : Tu parles, il pouvait s’envoyer du Southern Comfort toute la soirée sans jamais être bourré !

ROD LEWINGTON : Je me souviens de lui un soir au Crown Pub, il sautait de table en table. Là-dessus, le proprio est arrivé et lui a dit qu’il serait interdit de pub. Robin a alors sauté sur le comptoir et ça a déclenché un bordel pas possible.

REP, 24 février 1974

Reading 5 – Doncaster 0

… Les beaux jours reviennent à Elm Park, plus belle victoire depuis 17 mois. Grâce à cette troisième victoire d’affilée, Reading est 7è. L’équipe a été transformée par Robin Friday, auteur d’une incroyable série : seize buts en cinq matchs ! Le clou de ce match fut encore un but de Friday qui valait le billet d’entrée à lui seul, un superbe brossé de l’extérieur au terme d’une somptueuse action.

DAVID DOWNS : Robin fit ce jour-là un truc que je n’ai jamais vu aucun joueur de Reading faire avant lui. A 25 mètres du but, dans un angle fermé, il a pris le ballon de l’extérieur et le cuir, que tout le monde voyait dehors, avait tellement d’effet qu’il a contourné le gardien et s’est fiché dans le petit filet intérieur.

REP, 3 mars 1974

Swansea 2 – Reading 1

… Robin Friday, auteur d’une prestation très décevante, averti pour langage ordurier envers l’arbitre.

REP, 11 mars 1974

Reading 2 – Workington 0

… Robin Friday est le grand artisan de cette victoire, superbe match.

REP, 16 mars 1974

Mansfield 1 – Reading 1

… Superbe prestation de Robin Friday, dans un match largement dominé par les visiteurs. Plusieurs fois, Friday s’est débarrassé de deux ou trois défenseurs, conservation du ballon irréprochable, et auteur de la passe décisive. Mais il est à déplorer les attentats incessants dont il fut victime. Force est de constater que les joueurs de quatrième division ont abandonné tout espoir de lui prendre le ballon à la régulière et ont opté pour des méthodes peu licites.

DAVID DOWNS : Robin était un pur avant-centre, mais quand son équipe souffrait, il n’hésitait pas à prêter main forte à sa défense et mettre le pied. Son style de jeu était très étrange. En fait, il restait souvent au milieu l’air de dire : « Passez-moi le ballon et je m’occupe du reste. » Et souvent, effectivement, il partait en dribble et finissait avec un tir.

CHARLIE HURLEY : Pour un avant-centre, il maîtrisait parfaitement l’art du tacle glissé.

REP, 20 mars 1974

Reading 1 – Barnsley 0

… Robin Friday a de nouveau donné le tournis à la défense adverse. Reading est désormais 5è.

REP, 27 mars 1974

Crewe 2 – Reading 1

… Charlie Hurley a décrété une double ration d’entraînement pour ses joueurs : « Ce que je sais, c’est qu’une dizaine de fautes ont été commises sur Robin Friday, 17 corners pour Crewe et 5 pour nous, ce qui donne une idée du spectacle, c’est-à-dire pas énormément de football. »

REP, 3 avril 1974

Reading 1 – Northampton 2

… Une belle performance du gardien de Northampton empêche le nul, malgré un superbe solo et tir de Friday dans les ultimes secondes. Cela semble compromis pour la montée en D3.

SHEILA FRIDAY, mère : Robin adorait la mode.

ALF FRIDAY : Il ne s’habillait jamais comme les autres.

SHEILA FRIDAY : Un jour, il s’est pointé en costume de satin et chemise en peau de lézard. Il aimait porter ce combo, toujours des trucs en lézard. Il était tout le temps fourré à Kensington Market, même quand il jouait à Reading, il demandait à son père de le conduire là-bas avant un match.

TONY FRIDAY : Il a été l’un des premiers sur Londres à porter un manteau en afghan, à 16 ans. Il se fringuait beaucoup hippy, il pouvait pas se passer de Kensington Market.


Le manteau afghan en peau de mouton tanné dans l’urine de mule était super tendance dans les années 70

REP, 6 avril 1974

Reading 0 – Scunthorpe 0

… Robin Friday de justesse disponible pour ce match (rhume), n’a pas cessé d’être malmené par ses adversaires, dès la première minute (coup à l’estomac).

REP, 12 avril 1974

Reading 4 – Torquay 0

… Victoire facile des Royals, avec le spectacle désormais classique d’adversaires s’acharnant sur Friday, sorti sur blessure à l’heure de jeu. Dommage, au moment où l’on retrouve le Friday de ses débuts. Le deuxième but fut le plus beau, avec un festival de Friday qui dribbla quatre joueurs avant de conclure d’un tir à ras de terre du gauche.

CHARLIE HURLEY : Robin était extrêmement direct et on se disputait souvent après les matchs. Ce qu’il détestait par-dessus tout, c’était s’il voyait que lui seul mouillait le maillot, ça le rendait furieux ça.

REP, 20 avril 1974

Reading 1 – Stockport 1

… Le pire match de Reading à domicile depuis 40 ans. On aurait assisté à un marathon entre deux escargots hors de forme qu’on se serait autant amusés. Un tir de Percy Freeman était tellement raté qu’il a sans doute atterri dans le jardin d’une maison sur Suffolk Road.

REP, 22 avril 1974

Reading 3 – Chester 0

… Superbe performance collective, cela promet une fin de saison captivante.

REP, 27 avril 1974

Chester 0 – Reading 0

… Reading et Robin Friday ont alterné le meilleur et le pire dans ce match. Friday a été le principal fautif, se compliquant inutilement la vie. Il traverse une période difficile. C’est le dix-neuvième match nul de la saison pour Reading.

REP, 16 mai 1974

… Charlie Hurley a révélé que le coriace buteur de Reading, Robin Friday, a joué les quatre derniers matchs avec un os de la cheville félé (résultats radio), sans s’apercevoir de rien ! Hurley a déclaré : « Il ne s’est jamais plaint de rien, on peut dire que c’est un sacré dur au mal. »

SHEILA FRIDAY : Il a joué avec un os à moitié cassé, pas vrai ?

ALF FRIDAY : Ouais. C’est un gars qui lui avait mis un gros coup un soir dans la rue. Bien plus tard, comme ça lui faisait toujours mal, Robin a filé à l’hopital et là ils se sont aperçus qu’il avait cet os à moitié cassé dans sa cheville. On lui a filé des béquilles et il a pas arrêté de faire le con dans les couloirs de l’hôpital à imiter un singe…

REP, 21 mai 1974

… Reading finit 6è et ne montera donc pas en D3. Mais un de nos joueurs est déjà sur le départ. Toutefois, supporters de Reading, ne vous inquiétez pas, cela serait juste pour se rapprocher d’Elm Park. En effet, le manager Charlie Hurley aimerait que Robin Friday, 21 ans, déménage de Londres vers Reading. Robin, devenue une véritable vedette depuis janvier, ne souhaite cependant pas quitter son appartement londonien (il vit au dix-septième étage d’une tour d’habitation HLM à Acton, ouest de Londres) pour une maison HLM près du stade de Reading. Il a déclaré : « Le boss veut que je vienne habiter ici, mais moi je préfère rester à Acton. Je n’aime pas trop la ville de Reading et comme j’ai un gros chien, Ziggy, si je déménageais ça serait pour vivre dans une maison avec jardin, pour ma femme et ma fille de 5 ans, et notre chien, donc faudrait que je devienne propriétaire. Financièrement, ça serait difficile. »

Des problèmes financiers (prêt immobilier) pourraient donc compliquer le déménagement. En effet, Robin a déclaré gagner 45 £ par semaine et ne sait pas à quel type de prêt il pourrait avoir droit. Il touchait jusqu’à 100 £ / semaine comme asphalteur.

REP, 3 juin 1974

… Un sondage effectué sur Reading révèle que presque un tiers des jeunes de la ville ont déjà consommé de la marijuana. Quarante pour cent ont affirmé avoir déjà essayé le LSD.

MAURICE EVANS, entraîneur à Reading : Je suis arrivé en juillet 74. Charlie [Hurley], le manager, m’avait beaucoup parlé de Robin, donc pour notre première séance d’entraînement début juillet, j’avais hâte de le rencontrer. Mais pas de Robin. On m’a alors dit qu’il avait subi une opération chirurgicale pour se faire enlever des tatouages à la main et qu’il portait un plâtre, mais personne savait où il était. Là, Charlie est arrivé en s’écriant : « On l’a retrouvé ! Il a passé l’été dans une commune hippie en Cornouaille. Il est en route pour Reading. »

Quelques jours plus tard, on l’a aligné en amical contre Watford. Il n’avait pas touché un ballon depuis six semaines, et vous imaginez dans quel état il était dans les Cornouailles. Et ben, il a totalement éclaboussé ce match de sa classe. J’avais du mal à y croire… C’était un type incroyable.

A suivre.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup
Chic Charnley

Robin Friday (1952-1990), terrassé par un arrêt cardiaque dû à une overdose d’héroïne, aurait pu être un grand du football anglais. Au lieu de ça, il a été son enfant terrible le plus givré.

Paolo Hewitt, journaliste, et Paul McGuigan, l’ex bassiste d’Oasis, ont retracé son incroyable histoire dans un livre paru en 1997, The greatest footballer you never saw. The Robin Friday story. Un bouquin qui consiste en une série d’interviews et témoignages de proches et d’anciens coéquipiers, le tout accompagné de coupures de presse ainsi que d’interventions d’historiens des deux clubs où il évolua (Reading FC et Cardiff City, élu Player of the Century de ces deux clubs en 2000). Le tournage du film dédié au « Janis Joplin » du football (il fut aussi surnommé « Le Keith Richards du football ») commencera en août au Pays de Galles et ce biopique devrait sortir début 2015 (l’inclassable Russell Brand pourrait interpréter le rôle principal). En attendant, vous pouvez toujours mater ce clip et ceux-ci, ici et ici.

Plutôt que d’ajouter mon nom à la longue liste des articles et dossiers écrits sur Robin Friday, j’ai (Kevin Quigagne) traduit l’essentiel de ce fascinant livre. Et à mon humble avis, si vous ne devez lire qu’un bouquin foot cette année, ne cherchez pas plus loin.

The greatest footballer you never saw: THE ROBIN FRIDAY STORY

SHEILA FRIDAY, mère de Robin : On est mariés depuis 45 ans. Je viens d’Acton Green et Alf de South Acton [quartiers de l’ouest londonien]. On s’est rencontrés au Boathouse, à Kew. Tu t’en souviens Alf ?

ALF FRIDAY, père : Ouais, le Boathouse n’existe plus depuis longtemps d’ailleurs. A l’époque, nos parents nous interdisaient de trop s’éloigner, on pouvait juste aller au cinéma, ou dans le centre-ville d’Acton pour s’acheter un sandwich. C’était mieux que maintenant. Aujourd’hui, les gens sont obsédés par l’argent, c’est vital faut dire. On vivait bien plus simplement avant.

SHEILA FRIDAY : On s’est rencontrés à 17 ans et mariés à 20. Robin et Tony sont nés un an plus tard, le 27 juillet 1952, des jumeaux. On habitait toujours chez ma mère parce qu’à l’époque, c’était dur de se loger.

ALF FRIDAY : Ouais, on habitait tous chez elle. Son frère y créchait, sa mère et sa grand-mère.

TONY FRIDAY, frère : Robin et moi, on est nés à Hammersmith [ouest londonien], à trois minutes d’écart. On se ressemblait beaucoup, dans les traits, la façon d’être.

SHEILA FRIDAY : Mon père à joué au foot, à Brentford et aux Corinthian-Casuals. Il est mort il y a deux ans, à 93 ans. Quand les enfants avaient deux ans, on a déménagé dans une espèce de maisonnette préfabriquée à Acton Green [logements vite montés après la Seconde Guerre mondiale pour parer au plus pressé, Nda], et on y est restés sept ou huit ans.

ALF FRIDAY : A l’époque, je bossais dans une laverie, je faisais des livraisons et j’avais aussi d’autres petits boulots.

SHEILA FRIDAY : Robin et son frère étaient sages. Robin était très timide. Petits, ils me disaient : « Maman, si on te voit un jour parler à un autre homme que papa, on te parlera plus jamais. »

ALF FRIDAY : Ils s’entendaient super bien ces gamins, ils se disputaient jamais. Tony était le plus effronté.

SHEILA FRIDAY: C’est vrai. Mais tout ça a changé quand on a déménagé dans cette HLM de South Acton et que Robin a fréquenté Farraday School.

ALF FRIDAY : C’était plus pareil en effet. Quand tu vis dans une une maisonnette, tu peux surveiller tes gamins. Mais en immeuble HLM, s’ils sortent, tu les revois plus.

SHEILA FRIDAY : On a dû déménager car ce préfabriqué s’enfonçait dans le sol, alors on nous a envoyés dans cette cité HLM.

ALF FRIDAY : Quand on y habitait, c’était un quartier sympa, mais aujourd’hui, j’y traînerais pas trop.

TONY FRIDAY : Mon grand-père jouait à Brentford avant la guerre, en D1. Mon père a joué au football, mais à un tout petit niveau. Il bossait dans une laverie. Quand on habitait à South Acton, on surnommait le coin « Soap Sud Island » tellement y’avait de laveries [environ 600, qui travaillaient pour l’industrie hôtelière de l’ouest londonien, Nda].

ALF FRIDAY : Je jouais avec eux, dès tout petits.

SHEILA FRIDAY : C’est vrai, tu les emmenais au parc tous les jours, et même une fois voir Brentford alors qu’ils n’avaient que deux ans.

ALF FRIDAY : Ah ouais, et quel match de merde ce jour-là !

SHEILA FRIDAY : Tu finissais le boulot à la laverie à 16 heures et ensuite vous filiez à South Fields Park.

ALF FRIDAY : Non, non, je les emmenais à Acton Green. Robin jouait gardien, il était excellent. Il avait une sacrée frappe pour cinq ans, il te dégageait le ballon à une distance phénoménale ! C’est à ce moment-là que les premiers ballons à valve sont sortis, les anciens avec les lacets ont alors disparu.

SHEILA FRIDAY : La première tenue de foot qu’on leur a offerte à Noël était celle d’Everton. On a mis le cadeau au pied du lit et le matin, en rentrant dans leur chambre, on les a vus profondément endormis, vêtus de la tenue complète : chaussures, short et maillot !

ALF FRIDAY : Ils supportaient Everton car c’était vraiment le club phare quand ils avaient dix ans [1963 – champion d’Angleterre, photo ci-dessus]. Everton avait une belle équipe avec Alex Young, Brian Labone, etc. Après, ils ont supporté Brentford.

TONY FRIDAY : On jouait tout le temps au foot avec mon frère, tous les jours, grâce à mon père en fait, il nous emmenait partout. Sa carrière, Robin la doit à mon père. Plus tard, quand il est passé pro, mon père allait voir tous ses matchs.

ALF FRIDAY : Ils ne pouvaient pas s’empêcher de jouer, même dans la maisonnette ! A onze ans, Robin a joué pour l’équipe de son école, et puis pour le District. Il était très technique et jonglait comme personne, même avec une orange.

TONY FRIDAY : Il adorait George Best évidemment, aussi Pelé et Peter Osgood, mais quand il était plus jeune, celui qu’il admirait c’était Jimmy Greaves, parce que c’était un buteur hors pair.

SHEILA FRIDAY : Est-ce que vous saviez qu’il faisait de la boxe ?

TONY FRIDAY : Ouais, de la boxe et du tennis.

ALF FRIDAY : Et du cricket, c’était un putain d’excellent bowler. Il était grand, ça l’avantageait pour lancer.

TONY FRIDAY : A l’école, on avait des classes de niveau, moi j’étais avec les meilleurs et lui avec les cancres. Il était pas con mais les cours l’intéressaient pas. Il séchait constamment, il préférait aller retrouver les filles au parc du coin.

ALF FRIDAY : Robin était un gamin d’une gentillesse incroyable. J’ai passé tellement de supers moments avec lui. C’était sa personnalité, il pouvait être impossiblement adorable.

TONY FRIDAY : Le samedi matin, on jouait dans l’équipe de l’école, l’après-midi, pour notre club et le dimanche, en Pub League. Des fois, on faisait quatre matchs par week-end. On a commencé à jouer avec des adultes à 14 ans, pour la réserve de la Acton British Legion. C’est en jouant avec des plus vieux qu’on progresse.

ALF FRIDAY : A cet âge-là, Robin s’est mis à aimer le hard rock, il adorait Janis Joplin. Moi, je pouvais pas la supporter.

SHEILA FRIDAY : Il allait souvent au Roundhouse [salle de concert londonienne] le dimanche après-midi. Il dansait beaucoup aussi, dans les fêtes, c’était le meilleur danseur du coin, il impressionnait son monde.

TONY FRIDAY : Y’avait une émission le samedi soir, The Rock’n’ Roll Years, il adorait ça, et Desmond Dekker et toute la musique Ska. Mais ensuite, il s’est mis à écouter Janis Joplin. D’une certaine manière, la vie de Robin a un peu été le reflet de celle de Joplin.

TONY FRIDAY : Côté foot, on était toujours dans l’équipe du district, et on battait tous les autres districts, même les plus gros comme Islington, ou South London. Hormis Robin, on avait des joueurs comme Steve Perryman [qui deviendra une Tottenham legend, voir portrait TK], David Coxhill, un jeune de Millwall, ou Peter Carey, qui jouait à West Ham. Plusieurs sont passés professionnels. Jusqu’aux U14, Robin jouait dans les buts pour l’équipe du District, il était excellent et n’avait peur de rien, il aurait fait un excellent gardien pro mais il préférait marquer des buts.

ALF FRIDAY : C’est quand déjà qu’il a rejoint le centre de formation de Crystal Palace ?

TONY FRIDAY : A 13 ans. C’était pas Crystal Palace FC mais un club de ce quartier au nom similaire. Y’avait un entraîneur là-bas qui adorait Robin, un vrai coach, un ex pro.

ALF FRIDAY : Ah oui, Harry Medhurst, un ancien de Chelsea. C’est vrai qu’il l’adorait notre Robin. Moi-même, j’ai contacté Chelsea pour un essai, et ils l’ont accepté. Mais Il n’y est resté qu’un an. Ils vous gardent pas longtemps ces gros clubs, si vous leur plaisez pas, vous virez. C’était Tommy Docherty le manager à l’époque.

ALF FRIDAY : Mais jamais, même pas une fois, il n’a dit vouloir devenir pro, c’était vraiment pas son truc. Après l’épisode Chelsea, il s’est remis à jouer au foot avec ses copains.

TONY FRIDAY : A 13-14 ans, avant Chelsea, il a fait une saison à Queens Park Rangers. Mais bon, ça n’a pas collé, il était trop individualiste pour ces clubs. Par exemple en match, il choisissait jamais l’option la plus évidente, il essayait toujours des trucs pas possibles. Dans ces clubs, on te formate avant tout, et c’est ça qui cloche avec notre football.

TONY FRIDAY : On avait pas les mêmes potes avec Robin, on était pas toujours ensemble non plus. Il a commencé à sortir plus tôt que moi, avec les filles, tout ça. A 15 ans, il a commencé à prendre des pilules de speed. Moi, j’ai jamais touché à ça.

ALF FRIDAY : C’est un truc incontrôlable, quand un jeune grandit, on n’a plus de prise sur lui. C’est vrai que j’ai jamais été trop dur avec mes deux fils. Evidemment, je les engueulais vertement mais, au bout d’un moment, tu peux pas passer ton temps à juger et à diriger la vie des autres à leur place. S’ils ont envie de faire quelque chose, ils le feront.

TONY FRIDAY : C’était par périodes. A l’époque, si t’avais 15 ou 16 ans, tout le monde commençait avec des Blues [du speed], puis ensuite de la méthadone [produit de substitution à l’héroïne]. Robin en consommait beaucoup, mais sans être dépendant, enfin, façon de parler. Des rumeurs parfois couraient comme quoi il en prenait avant les matchs, mais c’est n’importe quoi.

ALF FRIDAY : Robin a quitté l’école à 15 ans. Il était très doué en dessin mais un beau jour, il s’est totalement arrêté de dessiner. J’ai pas compris pourquoi. Il dessinait Andy Capp, ses talents de dessinateur impressionnaient tout le monde. Pis subitement, il n’a plus touché un crayon.

 Statue du célèbre Andy Capp à Hartlepool (ville de son créateur), chômeur professionnel et footballeur bastonneur

Statue du célèbre Andy Capp à Hartlepool (ville de son créateur, région de Newcastle), chômeur professionnel et footballeur bastonneur

TONY FRIDAY : On jouait pour deux équipes de l’arrondissement, South Acton et St Cuthbert’s. Le type qui dirigeait tout ça s’appelait Harry Fountain, un ancien maçon qui devait avoir 70 ans. Un personnage ce Harry ! Même à 70 balais, il te mettait une droite, tu te relevais pas. Il adorait Robin et disait qu’il lui rappelait les joueurs d’antan. Je me souviens d’une victoire 6-0 match contre des plus vieux, Robin avait marqué les six buts. Harry a couru sur la pelouse et a embrassé Robin ! C’était la première fois de sa vie qu’il exprimait ce genre d’émotion.

TONY FRIDAY : Quand il a quitté l’école à 15 ans, Robin a été pris par une entreprise de plâtrerie pour lui enseigner le métier mais bon, le boulot et lui ça faisait deux.

SHEILA FRIDAY : Le grand-père de mon mari était plâtrier et Robin disait vouloir faire ce métier. Donc, quand il a quitté l’école, je l’ai emmené chez un gros artisan d’Ealing [ouest londonien], un truc très classe, avec de hauts plafonds et tout le tremblement, et ils l’ont pris. Mais il a démissionné au bout de deux mois. Ensuite, il a fait tout un tas de petits boulots, pas mal de jobs de livraison.

ALF FRIDAY : Ouais, il fallait que je l’aide le samedi, je bossais pas ce jour-là, il me disait : « Papa, s’il te plaît, je dois aller nettoyer des vitres, file-moi un coup de main. » Il grimpait aux échelles à une vitesse incroyable et il faisait des boulots de réfection mais sans même une brouette ! Il portait tout à la main… Quel numéro ce Robin, il nous faisait tous rire, il se foutait de tout.

SHEILA FRIDAY : Après, il s’est mis à l’asphaltage, hein ?

ALF FRIDAY : Ouais, grâce à un type qu’il a rencontré, mais il faisait pas les routes, juste les toits plats.

TONY FRIDAY : A 16 ans, il a fait un séjour en maison de correction. Bizarrement, ça l’a aidé. Il avait déjà un tas de petites condamnations à son casier mais ce qui l’a fait atterrir en maison de correction a été un vol d’autoradio, ou un truc comme ça. D’abord, on l’a envoyé dans un centre de détention pour mineurs, mais comme il était asthmatique, ils ne l’ont pas gardé. Puis trois mois plus tard, il s’est fait choper pour un autre truc, et on l’a envoyé à Feltham [gros établissement pénitentiaire londonien pour mineurs, Nda]. Il a fait 14 mois. Mais je peux te dire que leur équipe de foot à Feltham, elle gagnait tout quand Robin y jouait ! C’est là-bas qu’il a commencé à se muscler et à vraiment prendre du volume, faut dire qu’il avait trois repas par jour. Des fois, il jouait contre des équipes civiles, sous escorte. Feltham lui a même accordé une dispense pour qu’il joue en Juniors dans le District de Reading. Et vers la fin de sa détention, un type l’a repéré et a contacté Reading. Puis, après sa sortie, il a rencontré Maxine (ci-dessous), ils se sont maqués et ont emménagé ensemble à South Acton.

ALF FRIDAY : Il a toujours été sympa avec les gens de couleur. Toujours. Il s’entendait super bien avec eux. Et faut le souligner car à l’époque, la plupart des gars de South Acton voulaient surtout que ces gens-là retournent dans leur pays.

SHEILA FRIDAY : Robin avait 17 ans quand il s’est marié à Maxine. Elle avait un appart sur Larden Road. On était contre cette union mais bon, elle avait le bébé. Je suis allée au mariage à la mairie d’Acton mais pas Alf. Et puis, quelque temps après il est revenu vivre chez nous, il avait rencontré une autre femme, je me souviens plus de son prénom, une fille sympa et classe. D’ailleurs, il sortait toujours avec des filles un peu classieuses. Et puis il est retourné vivre avec Maxine.

ROD LEWINGTON, ami : A l’époque, il arrivait qu’un gars noir sorte avec une femme blanche mais tu voyais jamais un Blanc avec une Noire. A ma connaissance, Robin était le seul dans ce cas-là. Une fois de plus, il était unique.

TONY FRIDAY : Maxine habitait également Acton, Robin l’a rencontrée dans un pub, le White Hart. Y’avait une piste de danse dans ce pub et c’était l’endroit que les jeunes du quartier fréquentaient. Elle avait son propre appartement, elle s’entendait pas avec sa mère. Robin y restait souvent. Et c’est donc à cette époque que Maxine est tombée enceinte de Nicola. Maxine était sympa et très sociable. Robin jouait alors pour Hayes, et y’avait quelques gars limités dans l’équipe. Après un match, tout le monde est parti faire la fête, y compris Robin qui avait invité Maxine. Un gars a fait une réflexion, et Robin s’est battu contre deux types. A l’époque, c’était un rebelle, lui et la norme, ça faisait deux.

TONY FRIDAY : Un de nos amis jouait pour Walthamstow, un bon petit club amateur pétri de tradition. Robin a signé pour eux et a commencé à affoler les compteurs. Hayes, qu’était un plus gros club, l’a recruté. C’était bien plus près de chez Robin et on lui offrait 30 £ par semaine, le triple de ce qu’il touchait à Walthamstow. Y’avait des gars qui bossaient dans l’asphalte, ils lui ont proposé un boulot et Robin a accepté.

SHEILA FRIDAY : C’est là qu’il a eu son terrible accident, à 20 ans. La police m’appelle et me dit qu’il est à l’hosto. Six heures sur le billard.

ALF FRIDAY : Le plus incroyable, c’est que peu de temps après, il rejouait. Il était incroyablement fort.

TONY FRIDAY : Il se trouvait sur l’échafaudage et y’a eu un problème avec le cordage. Il a été déséquilibré, a chuté et a atterri sur ce pieu, qui lui est rentré dans le cul. Il a réussi à se dégager, un exploit en soi, faut dire qu’il avait beaucoup de force. Heureusement pour lui, ça s’est passé à Lambeth, tout près de l’hôpital St Thomas’s. Quand il s’est rétabli, son club de Hayes a affronté Bristol Rovers (D3) en FA Cup. Hayes a gagné et Robin a super bien joué. Le tour suivant, ils ont rencontré Reading (D4), 0-0, grosse prestation de Robin. Reading a remporté le match d’appui 1-0 mais Hayes méritait de gagner. C’est là que le manager de Reading, Charlie Hurley*, a repéré Robin [*Légende du football irlandais et de Sunderland. Voir article TK].

Début 1974, Robin Friday est recruté par Reading FC (D4).

ROGER TITFORD*, auteur et journaliste : Charlie Hurley était le genre d’entraîneur qui concevait le foot comme une bataille de tranchées. Il lui fallait des joueurs costauds, pas des petites natures. Pas vraiment du football élaboré, quoi. C’était son premier boulot dans le management – et ce fut aussi le dernier. C’est pas qu’il était contre le football élégant mais, à mon avis, le management en lui-même lui faisait peur. Je crois que la meilleure décision de sa carrière de manager fut de recruter Robin et d’oser l’aligner, tout le temps. Sous Hurley, Robin ne fut jamais remplaçant. Cela dit, je pense pas que Hurley avait un quelconque contrôle sur Robin en dehors du terrain.

[*Contributeur régulier du magazine When Saturday Comes, auteur du livre-photos The Legend of Robin Friday et accessoirement supp de Reading FC]

DAVID DOWNS, historien de Reading FC : La première fois que j’ai vu Robin jouer, c’était en 1973 à l’occasion d’un Reading-Hayes en FA Cup. Ce dont je me rappelle, c’est que Robin a mis un coup sur notre gardien, Steve Death, et que ce dernier a tellement boîté que l’arbitre a cru qu’il cherchait à gagner du temps et lui a mis un carton jaune. C’était la première fois en douze ans de carrière à Reading que Steve se prenait un avertissement !

CHARLIE HURLEY, manager de Reading : Il me fallait absolument un attaquant et j’allais souvent voir Hayes, qui jouait en Isthmian League, un excellent championnat [amateur/semi-pro]. Je connaissais la réputation de Robin, son passé en centre de détention pour mineurs, peut-être en prison, je ne sais pas trop. Quand on est entraîneur d’un club de D4, on regarde les joueurs sur le terrain, pas en dehors, car bon, on peut pas tout avoir. Après l’avoir observé plusieurs fois, je l’ai fait signer. Pour 750 £ ! Je l’ai enrôlé comme amateur, dans la réserve. Pour son premier match, il se pointe hyper en retard, vingt minutes avant le coup d’envoi, couvert de poussière de brique, des chaussures dégueulasses, bref, une vision d’horreur. Mais bon, sur le terrain, y’avait pas photo, il écrasait tout le monde. Il avait pas vraiment le sens du placement mais techniquement, il était époustouflant et doté d’une vision de jeu impressionnante. Je me suis dit qu’il fallait l’aligner avec l’équipe première.

DAVID DOWNS : Pour son premier entraînement, lors d’un match 6 v 6, Robin n’a pas arrêté de savater les joueurs les plus expérimentés du club, tant et si bien que plusieurs gars ont dû arrêter ce match. Le manager lui a dit : « Oh, du calme Robin, va pas m’envoyer toute l’équipe à l’hosto. »

A suivre.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup
Chic Charnley

Le football, science occulte diablement inexacte, a érigé la prophétie fumeuse au rang d’art. De quoi rendre jaloux les économistes, politologues et autres bullshitologues, longtemps les maîtres en la matière. Mais surtout de quoi faire notre bonheur.

Suite et fin de notre show « Voyance & Prédictions en béton ».

Accrochez-vous bien, prévoyez un sofa et un large Whisky en cas de malaise car ça envoie du encore plus lourd qu’en première partie. Oh yes.

# 6. « Je ne vois vraiment pas David Silva réussir en Angleterre. »

Daniel Riolo, début de la saison 2010-11, au micro des Drôles de Dames.

Philippe Auclair : « Silva n’a pas très bien joué, etc. »

D. Riolo : « Normal, de toute façon, je ne vois vraiment pas Silva réussir en Angleterre, il n’a pas du tout le jeu et le profil pour faire grand chose dans le foot anglais et pis (etc. etc. etc. etc. etc. etc. ettttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttc….) […] Non mais ça, pfff, écoute, moi j’ t’ le dis hein. »

Et ouais, notre Daniel national a dit ça, oubliant que le foot anglais de championnat a bien changé depuis le kick and rush de son enfance (because grosse influence des étrangers, joueurs et managers). Un football où les petits gabarits légers peuvent parfaitement briller dorénavant. Rétrospectivement, un grand moment de radio que ce collector.

Inutile d’épiloguer sur la carrière de Silva à Man City, il a collectionné les louanges et sa vitrine à trophées est pleine à craquer (maintes fois élu Man of the Match et Player of the Month, également Man City Player’s Player of the Year 2011-12 ; deuxième Meilleur Citizen saison 2010-11 ; inclus dans l’équipe Premier League de la saison 2011-12 par la PFA, syndicat des joueurs).

[Félicitations à Coach et Pougli Kun qui ont trouvé la réponse. Après tirage au sort dans les règles de l’art, Coach remporte le cadeau. Merci à tous et toutes pour votre participation – Pougli, ne sois pas trop triste, c’est pas grand chose non plus… Allez, je vais être grand prince et te proposer le chantage suivant : si tu continues à nous lire et nous féliciter régulièrement dans les commentaires jusqu’au début juin – ensuite, TK prendra ses quartiers estivaux -, tu recevras toi aussi ton cadeau]

# 7. « C’est un championnat d’hommes, ils [Osvaldo Ardiles et Ricardo Villa] auront quitté l’Angleterre aux premiers flocons de neige. »

Tommy Smith sur les recrues Ossie et Ricky, été 1978.

L’arrivée des champions du monde argentins dans un Tottenham nouvellement promu en surprit plus d’un. Nombre d’observateurs doutèrent même ouvertement des capacités physiques d’Ardiles (1m69 et frêle) à réussir dans un championnat aussi rugueux. Parmi les plus sceptiques, Tommy Smith, défenseur emblématique de Liverpool de 1962 à 1978 et notoire grande gueule (voir Hall of Fame Liverpool sauce TK).

La suite donna évidemment tort aux doom merchants (Cassandre). Les qualités techniques d’Ardiles et sa vision du jeu firent vite taire ses détracteurs, voir Hall of Fame Tottenham sauce TK). Il resta dix ans à Tottenham (il vit d’ailleurs toujours en Angleterre) et fut même intronisé au English Football Hall of Fame en 2009. Ricky Villa, après une acclimatation difficile, réalisa cinq belles saisons chez les Spurs et entra au Hall of Fame Spurs en 2008.

L’imbécile cliché « de l’étranger exotique [non nordique] trop fragile pour le climat et le foot britanniques » perdurera encore deux décennies ; David Ginola, pour ne citer que lui, entendra le même genre de remarque à son arrivée en Angleterre en 1995.

Pour l’anecdote, Smith affronta Ardiles et Villa fin août 1978 en League Cup (avec Swansea City, D3, où il finit sa carrière), le premier match anglais de coupe du duo argentin. Dès la deuxième minute, en guise de « Welcome to English football », Smith mit un tel tampon à Ossie qu’il dut sortir peu après.

# 8. « Qu’on ne s’inquiète pas, le prix des billets Premier League se maintiendra à un niveau raisonnable. »

Bobby Charlton (et d’autres), vers 1993-94, par voie de presse.

Au décollage de la fusée Premier League en 1992, certains subodorent une flambée des prix et s’en inquiètent ouvertement. Le rapport Taylor (post-Hillsborough) a recommandé « que la structure du prix des billets soit maintenue à un niveau raisonnable, pour permettre à tous les spectateurs actuels de continuer à assister aux matchs » mais visiblement, les clubs n’ont pas lu le pavé, trop occupés qu’ils sont à transformer leurs stades en all-seaters. Les associations de supporters craignent que le prix sympa du sésame ne s’envole dans la stratosphère (un billet coûtait alors autant qu’une place de cinéma : 3,5 £ dans les kops d’Old Trafford et d’Anfield en 1990-91 par exemple, 60 £ pour un abonnement LFC – le moins cher cette saison est à 710 £).

Un pressentiment non partagé par nombre « d’experts » de l’époque. Le raisonnement de ces grands oracles est que les clubs se contenteront de la forte hausse des revenus médias (multipliés par six en quelques années – deal Sky en 1992 – et l’avenir £ s’annonce bandant) pour se financer et, respectueux de leur fanbase, continueront leur politique de prix abordables. Le bisournousisme ne date donc pas d’aujourd’hui.

Les deux assos nationales de supporters, la Football Supporters’ Association et la National Federation of Supporters’ Clubs (qui fusionneront en 2002), observent de près l’évolution de la situation – et des mentalités – et tirent la sonnette d’alarme (surtout la FSA, plus militante) : tous ces experts se trompent royalement et le supp de base risque de devenir bientôt une espèce en voie d’extinction. Peine perdue, personne ne les écoute et surtout pas les instances. Le reste, on le connaît (presque 1 000 % d’augmentation en moyenne depuis la création de la PL).

# 9. « Je ne vois pas Dennis Bergkamp réussir à Arsenal. »

Stuart Pearce, été 1995, dans les colonnes du Daily Mirror (ci-dessous). Voir # 10.

Trouage d’anthologie de Psycho. L’article est ici si vous voulez lire le truc, c’est marrant (Psycho qui devrait d’ailleurs être nommé manager de Forest d’ici peu, plutôt apparemment au démarrage de la saison prochaine. Il signerait alors son grand retour chez les Tricky Trees après 17 ans d’absence).

# 10. « Arsenal a foutu son argent en l’air en achetant Dennis Bergkamp. Nous [Tottenham], on a recruté un meilleur joueur, Chris Armstrong, pour bien moins cher. »

Alan Sugar, propriétaire de Tottenham de 1991 à 2001 (fortune faite dans l’informatique, Amstrad), en remet une couche pour notre bonheur, comme il sait si bien le faire. Il avait dû trop lire le Mirror cet été-là, c’est pire que fumer la moquette ce truc (surtout l’été, la « silly season »), ça ne pardonne pas.

Nul besoin de vous faire l’article, on sait tous ce que donna le Néerlandais chez les Gunners, il a même sa statue devant l’Emirates, du jamais vu pour un floppeur. L’attaquant Chris Armstrong, acquis pour la somme record (du club) de 4,5m £, fit une honnête carrière Spur avant de disparaître aussi rapidement que le vol MH370, pour finalement réapparaître sur les radars à 32 ans, mais à Wrexham (alors D3-D4).

Il était plus marrant quand il nous refourguait ses ordis tout pourris

Il était plus souriant quand il essayait de nous refourguer ses ordis tout pourris

Alan Sugar, lui, est resté toujours aussi miserable, on se demande si le gars a rigolé un bon coup une fois dans sa vie. Ne prend jamais de vacances et semble passer sa vie à s’écharper avec Donald Trump ou ce clown de Piers Morgan sur Twitter. Triste existence.

Enfin, tout n’est pas si négatif chez Lord Sugar, il a embauché Christian Gross comme manager, il a donc beaucoup d’humour. Bah, les tweetfights le changent de ses méga clashs avec Jurgen Klinsmann – qu’il recruta – et le monde professionnel footeux (florilège : « Je ne laverais même pas ma voiture avec un maillot porté par Klinsmann » et : « Les footballeurs sont tous des crevures finies, encore de plus belles ordures que les journalistes, ce sont les plus grosses saloperies qui marchent sur cette planête. Ils ne connaissent ni honnêteté ni loyauté et la plupart seraient en prison s’ils n’étaient pas sportifs professionnels. »).

Aujourd’hui très pris par ses multiples business (immobilier surtout) et vedette de l’émission à grande écoute The Apprentice sur BBC1. Ex groupie de Thatcher dans les Eighties, anobli par son pote Blair en 1999 (il donna ensuite 200 patates au parti travailliste), il siège aussi à la Chambre des Lords où je doute fortement qu’il traîne souvent.

# 11. « On va terroriser ces couards d’Européens. »

Malcolm Allison, manager-adjoint de Man City, en mai 1968.

11 Mai 1968, Man City vient de remporter le titre, devançant un Man United qui deviendra champion d’Europe deux semaines plus tard. A sa tête, en tandem avec le manager Joe Mercer, le flamboyant et visionnaire Malcolm Allison (ci-dessous, voir article TK de 2010).

Le foot british est alors au pinacle ; l’Angleterre est championne du monde et le Celtic et Man United ont brillamment remporté la C1 en 1967 et 1968 respectivement. Le zeitgest est clairement au patriotisme sévèrement burné. Non seulement Man City se la pète mais les Citizens croient dur comme fer que rien ne leur résistera et surtout pas ces tafioles de Latins, avec leur bouffe molle et leurs coutumes efféminées. Aux cuisses de grenouilles et castagnettes des Continentaux, les Britanniques répondent avec les Highlands Games et un hooliganisme naissant (le contexte politico-sociétal favorisait également cette méfiance envers l’étranger ; mais c’est un autre sujet, sur lequel je reviendrai dans un gros dossier à l’automne).

Manque de bol pour Allison, Man City giclera dès le premier tour de C1, sorti par le Fenerbahçe. Il leur faudra attendre 2011 pour revoir cette compétition, retrouvée surtout à la force du larfeuille (641m £ dépensés ces cinq dernières saisons rien qu’en transferts – pour seulement 161m £ de ventes joueurs -, de loin le solde le plus élevé de Premier League).

# 12. Deux-en-une :

1) « Ça devrait aller Stan, ils [les Hongrois] n’ont même pas une tenue réglementaire. »

2) « Regarde-moi ce petit gros là-bas [Ferenc Puskás]… On va les massacrer. »

1) Billy Wright, juste avant le mythique Angleterre-Hongrie du 25 novembre 1953, à son coéquipier Stan Mortensen.

2) Jimmy Andrews à Malcolm Allison (le chambreur du # 11), même match.

Fin 1953, le contexte anglais est à l’autosatisfaction méprisante. Les Anglais ont un terme pour décrire cette situation : « smugness », une extrême suffisance matinée de dédain affiché (« offensive satisfaction » et « irritatingly pleased with oneself » nous disent les dicos unilingues). Un complexe de supériorité malsain en quelque sorte – le type même de sentiment capable de transcender l’adversaire.

Outre le contexte historique de l’époque, deux raisons expliquent cet excès d’orgueil. D’une part, les Anglais n’ont encore jamais perdu à domicile contre une sélection non-britannique ou irlandaise (même si ça chauffe pour leur matricule, effarante défaite 1-0 contre les USA par exemple à la Coupe du monde 1950 et 2-2 chanceux contre la France à Highbury en 1951). D’autre part, domestiquement, Wembley vient de vivre sa plus belle finale de FA Cup, la fameuse Matthews Final de mai 1953, entre Blackpool et Bolton (4-3), illuminée par le génie de Stanley Matthews et l’efficacité de Stan Mortensen, auteur d’un hat-trick (le seul jamais inscrit à ce jour en finale FA Cup à Wembley). Quatre joueurs de Blackpool sont dans le Onze contre la Hongrie.

C’est l’ère de l’Angleterre qui se croit invincible, s’appuyant sur ses ailiers superstars même si vieillissants (Matthews, Tom Finney, etc. – c’est l’âge d’or de l’ailier) et sur son vieux W-M développé trente ans auparavant par Herbert Chapman… Un dispositif dépassé qu’exposeront dans toute son obsolescence les Hongrois. Mais ça, à une heure du coup d’envoi, les Anglais – joueurs, spectateurs, journalistes – sont très loin de se l’imaginer.

Dans le tunnel de Wembley, les deux équipes s’observent. En voyant la tenue peu orthodoxe des Magyars Magiques, Billy Wright, capitaine et taulier des Trois Lions, esquisse un sourire moqueur. Toisant de haut la bande à Ferenc Puskás et Sándor Kocsis, il invite ses coéquipiers à examiner ces joueurs qui portent « un maillot bizarre et des chaussures légères découpées comme des pantoufles basses » [voir article TK sur ce sujet]. Avant d’envoyer à Mortensen l’immortel : « Ça devrait aller Stan, ils n’ont même pas une tenue réglementaire. »

[We should be all right here Stan, they haven’t even brought the proper kit]

Puis, alors que les Hongrois s’échauffent, Jimmy Andrews se tourne vers Malcolm Allison (joueurs de West Ham assistant au match) en montrant Puskás du doigt et lui fait :

« Regarde-moi ce petit gros là-bas… On va les massacrer. »

[Look at that fat little chap there… We will murder that lot]

Pourtant, les Hongrois ne sont pas n’importe qui : champion olympique 1952 et invaincus depuis 24 matchs (dont 20 victoires). On connaît la suite, les arrogants Anglais se prendront une magistrale claque tactique et la raclée de leur vie (6-3, un score très flatteur pour les Trois Lions diront les Anglais eux-mêmes). L’humiliation fut complète pour le grand Billy Wright quand Puskas le mit dans le vent d’un gracieux râteau avant de marquer dans la foulée. Ce qui valut à un journaliste du Times ce célèbre passage :

« Au moment où Billy Wright courut pour le contrer, Puskás, d’une majestueuse pirouette, fit glisser le ballon sous son autre pied. Wright fut mystifié par la feinte et continua sa course, tel un camion de pompier fonçant vers le mauvais incendie. Puskás, lui, pivota et planta le ballon au fond des filets pour le troisième but hongrois. […] Les Hongrois ont marqué six buts mais auraient aisément pu en inscrire le double. »

Six mois plus tard, rebelote, en pire : pilée 7-1 au Nepstadion de Budapest.

Kevin Quigagne.