Archive for avril, 2013

Les demi-finales de FA Cup disputées il y a 8 jours à Wembley sont l’occasion idéale de parler du plus beau parcours de toute l’histoire de la FA Cup : Sunderland, en 1973. Le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) éliminait Arsenal en demi-finale et remportait la finale face au grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park.

Si vous prenez cette série en cours, la lecture de l’intro est recommandée (et du reste aussi d’ailleurs).

Suite et fin de l’interview avec une Sunderland legend de l’époque, Cecil Irwin, latéral droit aux 351 matchs sous le maillot rouge et blanc entre 1958 et 1972 (6 saisons en D1 et 7 en D2).

Interview vintage – suite et fin

Ce qui est dingue aussi Cecil, c’est qu’à peu près la même tragédie s’était déroulée à Roker Park trente ans auparavant, le 8 mars 1933, dans un Sunderland-Derby. Pareil, replay de FA Cup, 75 118 spectateurs officiellement, au minimum 100 000 en fait, et des bousculades qui firent 2 morts et beaucoup de blessés.

Effectivement, aucune leçon ne fut retenue de toutes ces tragédies depuis Ibrox Park en 1902 jusqu’à Hillsborough. Mais tu connais le plus insensé de l’histoire sur ce match contre Man United à Roker Park ?

Non…

Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans payer ce soir-là envoyèrent de l’argent au club par la suite tellement ils avaient adoré le match ! [1 – réponse au jeu concours]

Incroyable ! Vraiment un match totalement dingue du début à la fin. Sur le terrain, vous faites 2-2 contre Man United, des regrets ?

Oui, car on menait 2-1 jusqu’à la 118è minute des prolongations où Bobby Charlton claque… Moi, je marquais George Best en alternance avec notre arrière central, je pense l’avoir bien muselé car il fut discret ce soir-là. Il était très jeune alors, même pas 18 ans, il avait l’air nerveux. D’ailleurs, on a su plus tard qu’il ne voulait pas disputer ce match.

Ah bon, pourquoi ?

Juste avant le match, en voyant cette foule déchaînée et cette ferveur incroyable, Best avait paniqué et pris peur. Il avait alors demandé à Matt Busby de ne pas l’aligner !

[propos confirmés ici par le Black Cat Nicky Sharkey qui tient l’anecdote de Nobby Stiles, le combatif milieu défensif de Man United et international anglais :

« George Best était terrifié, assis dans un coin avec une serviette sur la tête pendant une bonne heure avant le coup d’envoi. »

3-3 à Old Trafford, puis 2-2 à Roker Park lors du replay, il fallut donc un troisième match d’appui disputé 5 jours plus tard. Ça se passa mal je crois…

Effectivement, re-replay à Huddersfield devant 55 000 spectateurs, terrain pourri. Best s’était bien remis de sa grosse frayeur et nous, ben on se prend 5-1, hat-trick de Denis Law…

Hormis Brian Clough, qui étaient les grands joueurs (internationaux) de Sunderland à ton époque ?

Comme internationaux anglais, on avait Dave Watson, capé 65 fois, de 1974 à 1982. Colin Todd aussi, 27 fois capé (1972-77) et quelques autres, comme Dennis Tueart. Pas mal d’internationaux écossais, comme George Mulhall et George Herd mais surtout le grand Jim Baxter (34 capes), un personnage ce Jim ! Décédé, malheureusement. Et l’Irlandais Charlie Hurley bien sûr, une vraie vedette, 40 capes en 12 ans de sélection nationale. En 1964, il fut élu 2è meilleur joueur du championnat derrière Bobby Moore [prix Football Writers’ Player of the Year – les célèbres récompenses décernées par la PFA ne commencèrent qu’en 1974].

Ni Jim Montgomery, ni toi ni aucun Black Cats d’alors [Watson et Tueart seront capés une fois partis de SAFC] ne furent sélectionné en équipe d’Angleterre. Penses-tu que le sélectionneur d’alors, Alf Ramsey, favorisait les clubs du Sud, londoniens plus précisément ?

J’ignore s’il avait un parti pris, je crois que, tout simplement, ça les emmerdait de venir nous observer tout là haut, au nord (est) du pays ! Aucun match n’était retransmis nationalement et il fallait donc se déplacer. A moins d’être une valeur sûre ou un crack, comme Brian Clough, on avait moins de chance d’être sélectionné en jouant à Sunderland. Jim Montgomery fut pris comme suppléant de Gordon Banks, une fois je crois. Mais soyons honnête, Sunderland occupait la deuxième moitié de tableau de D1 le plus souvent. La concurrence était très féroce, les ¾ des joueurs de club étaient anglais, pas comme aujourd’hui.

Revenons à Brian Clough, 3 ans à Sunderland (1961-64, 63 buts en 74 matchs, D2). Personnalité complexe, souvent décrit comme une peste sur et en dehors du terrain (arrogant, parfois imbuvable, provocateur, etc.). Ses coéquipiers de Middlesbrough n’en pouvaient plus et avaient fait une pétition pour s’en débarrasser ! Il était comment avec vous ?

Avec nous, ça allait. Bon, il lui arrivait d’avoir la grosse tête et d’agacer à force de chambrer mais il était sympa, on s’entendait bien tous les deux. Et quel joueur alors, on lui passait le ballon et il claquait ! C’était vital pour lui de marquer, il adorait ça plus que tout.

Il avait 26 ans à son arrivée à Sunderland et on voyait qu’il pouvait devenir un grand manager s’il choisissait cette voie, il avait une grande assurance, une arrogance naturelle. Ce qu’il réussit par la suite ne m’étonna guère. Mais tu sais, Alan Brown, notre manager [de 1957 à 1964 puis 1968-72], était très strict et tenait les joueurs d’une main de fer, gare à celui qui désobéissait ! D’ailleurs, Brian a dit bien plus tard avoir été influencé par Brown dans son parcours de manager. A mon avis, il s’en inspira même largement.

T’as une p’tite anecdote sur les rapports entre Alan Brown et Brian Clough ?

Oui, et une sympa… Un jour, alors que Brian Clough venait d’arriver au club, Brown faisait une causerie au centre d’entraînement qui était ouvert au public. On l’écoutait tous religieusement en cercle et là, un type appelle Cloughie pour avoir son autographe. Brian était connu, surtout dans la région, il avait été sélectionné en équipe d’Angleterre et claqué 197 buts en 213 matchs à Middlesbrough (D2) ! Assez fièrement, Cloughie se met à trottiner pour aller signer cet autographe et là, Brown l’interpelle et d’un ton très officiel lui envoie : « Monsieur Clough, si vous signez cet autographe, vous ne jouerez pas samedi. » Brian avait rappliqué aussi sec, sans broncher ! Ce pauvre supporter était resté le bras tendu avec son stylo et son bout de papier… [rires]

C’est vrai l’histoire qui circule sur la première chose qu’Alan Brown dit à Brian Clough quand ce dernier débarqua à Sunderland ?

Ah, oui, il lui avait dit :

« Brian, tu as souvent dû entendre ce que les gens disent de moi, que je suis un beau salaud, un enfoiré, etc. Et bien c’est parfaitement exact. »

Brown était très direct, ce qui n’avait pas plu à Don Revie d’ailleurs !

[Revie porta le maillot de Sunderland de 1956 à 1958 – ailier/joueur de couloir dans le système WM (inside forward) ou avant-centre, 66 matchs/15 buts – avant de devenir peu après le mythique manager de Leeds United, 1961-74 et le nettement moins mythique sélectionneur anglais, 1974-77. Brian Clough et Don Revie se détestaient. Le 30 juillet 1974, Cloughie remplaça Revie à la tête de Leeds United… Voir plus bas The Damned United]

Quel terrible dommage que Brian Clough ait dû arrêter sa carrière si tôt…

Effectivement, je me rappelle de ce jour, Boxing Day 1962, quand le gardien adverse faucha Brian, son genou se déboîta… Les conditions météos étaient dantesques et le terrain gelé [2]. Verdict : rupture des ligaments croisés du genou (ci-dessous).

A l’époque, on ne soignait pas ça comme maintenant et ce genre de blessure ne pardonnait pas. Cloughie avait 27 ans et il ne rejoua plus [A la mi-saison 1962-63, il en était déjà à 24 buts en championnat]. Il tenta de revenir 20 mois plus tard, dont un match avec la réserve devant 10 000 personnes, rien que pour le revoir !  Il marqua un hat-trick ce jour-là puis, dans la foulée, disputa 3 matchs de D1 en septembre 1964. Mais il dut se rendre à l’évidence et raccrocha les crampons quelques semaines plus tard. Le club le nomma alors entraîneur des jeunes ; puis, en 1965, il partit manager Hartlepool en D4 et on connaît la suite [si ce n’est pas déjà fait : livre et film ci-dessous, bande-annonce]

Alan Brown était réputé pour son style autoritaire et ses soufflantes. Est-il vrai qu’il envoyait les contestataires faire ramasseur de balle dans les matchs de jeunes ?

A ma connaissance, non, il n’a jamais fait ça. Par contre, ceux qui l’ouvraient trop ou autre, il les envoyait s’entraîner avec les jeunes, et il ne les alignait qu’une fois par mois.

Pourquoi une fois par mois ?

C’était le règlement, la PFA [syndicat des joueurs] avait obtenu ce minimum pour tout joueur sanctionné. Brownie était très strict mais juste et il savait parler aux joueurs. C’était un excellent man-motivator, il te prenait un joueur moyen et, à la tchache, le motivait au point que le gars se sentait invincible. Il savait aussi te faire te sentir tout petit !

Tiens, tiens, ça me rappelle quelqu’un, un certain Brian Clough…

Exactement, Cloughie a largement pris modèle sur Alan Brown (ci-dessous) tout au long de sa formidable carrière. Il a calqué sa façon de pensée sur la personnalité de Brown, sans l’ombre d’un doute.

Alan Brown vous organisait parfois des séances d’entraînement étonnantes, c’était quoi ce fameux « shadow play » que les joueurs détestaient tant ?

Ah oui, ça c’était spécial en effet. Brown aimait expérimenter et avait souvent d’excellentes idées mais celle-là laissait à désirer ! Lors de ces séances shadow play, on jouait contre une équipe invisible… Sans adversaire, on devait faire comme s’il s’agissait d’un vrai match, pour travailler le positionnement, la tactique, le mouvement, ce genre de chose. La finalité de l’exercice était d’établir des dispositifs au moyen de phases séquentielles bien précises. Après quelques séances, on trouva ça inutile et, franchement, ça ne marchait pas en match. Mais il ne voulait rien savoir et personne n’osait trop lui dire ! On a fait ça cinq fois par semaine pendant plus d’une saison, on marquait dans des buts vides, c’était surréaliste. Puis il dut se rendre compte de l’inutilité de l’exercice car on arrêta net. C’était au tout début de son manageriat, quand on jouait encore parfois avec le WM de Chapman, toujours en vogue à la fin des Fifties.

Alan Brown quitte Sunderland au moment où vous montez en D1 en 64, pourquoi ?

Une sombre histoire d’argent… Pour notre remontée en D1, on avait reçu 1 500 £ chacun [moins 50 % de prélèvements, ndlr], une somme énorme, suffisante pour s’acheter un appartement ou une terraced house. Sauf que le club ne la versa pas à Brownie ou il reçut beaucoup moins je crois. Y’avait aussi une embrouille sur sa maison. Le club nous aidait financièrement pour acheter notre maison, lui avait une belle propriété à Cleadon [coin aisé près de Sunderland] qu’il louait mais comptait acheter. Apparemment, Brownie jugea cette aide financière trop modeste par rapport au prix de la maison. Pas mal de clubs le voulaient et il partit entraîner Sheffield Wednesday été 1964, Wednesday était alors dans le Top 6 anglais depuis la fin des Fifties.

Et puis Brown revient à Sunderland en 1968…

Et ouais ! Entre-temps, on avait eu deux managers totalement différents de Brown, un intérimaire et ensuite John McColl pendant 3 ans, un Ecossais, pas désagréable mais beaucoup trop coulant. Quelques gars commencèrent à  se relâcher. En 1966, on frisa la descente et 1967 ne fut pas glorieux non plus, dommage car on avait une bonne équipe.

Un relâchement du style à picoler la semaine et sortir ?

Quelques-uns ouais, c’était pas toute l’équipe, loin de là, mais, par exemple, certains se pointaient régulièrement en retard à l’entraînement, ou ne venaient carrément pas, impunément. Le pire, c’était l’international écossais [et Rangers legend] Jim Baxter [3], qu’est-ce qu’il descendait ! Et il aimait la bringue, les femmes, les paris, bref la totale. Un sacré joueur ce Jimmy. Il détestait les entraînements plus que tout ! Milieu de terrain, condition physique incroyable, j’ai jamais compris comment il faisait… Il n’a jamais évolué sous Brown, sinon Brownie n’aurait pas toléré un centième de ce que McColl laissait passer. Il a quitté Sunderland avant que Brown ne revienne en 1968.

Y’avait donc un salary cap quand tu as commencé en 1958, et jusqu’en janvier 1961, 20 £ maximum / semaine. Tu gagnais combien toi ? Tu touchais des primes ?

Mon tout premier contrat pro, je touchais 5 £ / semaine, pendant une bonne année, moins que notre groundsman (jardinier) ! Ensuite, à partir de 18 ans, j’ai touché le maximum autorisé pour un footballeur, 20 £ [salaire moyen anglais en 1960 : 15 £ / semaine]. On avait une prime d’1 £ par point pris, 2 £ en cas de victoire donc. Puis, à l’abolition du salary cap, c’est monté progressivement, le maximum que j’ai touché était 50 £ par semaine.

Si, en D2, tu touchais le salaire maximum autorisé, y’avait donc pas de différence salariale entre le meilleur joueur de D1 et un joueur de D2 ?

Aucune en effet ou alors faible, même si je dois dire qu’on n’était pas vraiment au courant des salaires pratiqués ailleurs, pas du tout comme aujourd’hui disons. Même en D3 ou D4, un bon joueur pouvait toucher le maximum. Ensuite, quand ce plafond salarial sauta, tout le monde touchait la même chose à Sunderland vers 1965, 50 £ hebdo, sauf les 2 ou 3 vedettes comme Charlie Hurley, qui touchaient 70 £. Avec les primes, on pouvait gagner 4 fois le salaire moyen de l’époque.

Les primes et les avantages en nature, justement, ça aidait bien non ?

Ah oui, il n’y avait pas ou peu de primes à la signature mais, après la fin du salary cap, la prime par point gagné passa à 20 £ [2 pts maximum]. On recevait des primes de montée aussi, comme je te disais. Côté avantages, le club nous aidait bien pour acheter notre maison, ce genre de chose.

Tu as joué quinze fois contre le Dirty Leeds de Don Revie, avec les Bremner, les Johnny Giles, les Norman Hunter, Jackie Charlton et j’en passe. De sacrés joueurs mais pas des poètes. Giles minimise aujourd’hui en disant que les autres [équipes] n’étaient pas des anges non plus. Ton avis ?

Peut-être, mais Leeds, c’était de loin les pires ! Ils te pourrissaient, pas verbalement, hormis quelques insultes. Non, eux, ils cassaient, c’était toujours risqué de les affronter. Leur devise semblait être : « Si tu rates le ballon, ne rate surtout pas le joueur ». Les arbitres étaient très coulants à l’époque, les matchs n’étaient pas retransmis, etc. et Leeds en profitait.

Justement, sur tes 351 matchs avec SAFC, tu n’as jamais été remplacé en cours de match ! [les remplacements ne sont cependant arrivés qu’en 1965, et seulement sur blessure les deux premières saisons]. Quelle était ta recette pour ne jamais être blessé ?

J’avais la forme effectivement, on s’entraînait tous les jours, le vendredi était très léger cependant, un peu de foncier. Je n’ai été blessé qu’une seule fois dans ma carrière, indisponible 3 mois, fracture du scaphoïde (articulation du pouce) en retombant mal lors d’un amical contre Standard de Liège. D’ailleurs, je ne peux toujours pas bouger mon pouce. A l’époque, même si t’avais mal, tu restais sur le terrain ! On a parfois dû jouer avec la moitié de l’équipe sous infiltration de cortisone ou avec des joueurs qui avaient des cotes cassées, ou même à 9 !

La mythique équipe de 73 vainqueur de la FA Cup a fait toute la saison, 52 matchs, avec 15 joueurs. Vous étiez combien vous dans les années 60 ?

Pareil, 20 maximum. On fait toute la saison 1963-64 avec 13 ou 14 joueurs au total et les autres avec entre 15 et 20, jamais plus. Y’avait 22 clubs en D1, alors avec les coupes (FA Cup et League Cup) et les replays, on dépassait les 50 matchs par saison. Et sans tous les kinés, les traitements, etc. disponibles aujourd’hui dans un club.

En 1972, Brown, qui t’avait fait démarrer, te « libère », tu pars manager Yeovil, en non-league.

Ouais, j’avais 30 ans et j’aurais évidemment aimé rester à Sunderland mais Brown aimait les jeunes joueurs, il en faisait souvent venir. Il m’avait repositionné à gauche mais je ne m’étais pas du tout adapté et avait perdu de ma confiance. J’avais des propositions intéressantes pour aller jouer à l’étranger mais avec une famille, pas facile, on ne t’aidait pas financièrement pour la relocalisation et tout ça coûtait cher. Je suis donc resté en Angleterre. Ensuite, j’ai racheté un bureau de tabac-presse près de Newcastle. J’ai fait une bonne petite carrière…

Kevin Quigagne.

Teenage Kicks sur Facebook et sur Twitter.

Et à voir ou revoir, ce formidable clip.

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[1] C’était donc la solution du jeu concours. Bravo à Torben Pfannkuch – le plus près de la réalité – qui gagne notre formidable cadeau, une chaussette dédicacée et trouée que porta Francis Jeffers lors de ses mythiques immanquables*.

[2] Le fameux hiver 1962-63 est resté gelé dans la légende, le pire hiver britannique depuis 1740. Seuls 3 clubs (tels Everton, depuis 1958) avaient une pelouse chauffée et on ne joua quasiment pas de Noël à début mars. Certains clubs, tel Norwich, étaient tellement à cran – car financièrement à sec -, qu’ils attaquèrent la pelouse au chalumeau ! En vain. La stratégie de Dundee United fut intéressante aussi : utiliser un brûleur industriel de goudron. Résultat : ils cramèrent la pelouse et durent la recouvrir de sable. Ils purent disputer quelques matchs et même les gagner. Ces succès sur sable incitèrent les supporters à adopter le surnom The Arabs (Wrexham recrouvrit également le terrain de 80 tonnes de sable et put disputer quelques matchs).

Plusieurs matchs de coupe furent reportés une quinzaine de fois, et bien plus en Ecosse (Airdrie-Stranraer, 33 fois). Rien que pour boucler le third round (32è) de FA Cup – toujours disputé le premier week-end de janvier – il fallut 66 jours ! (261 reports).

[3] Son wiki confirme les propos de Cecil… Les cendres de l’épicurien Jim Baxter furent dispersées à Ibrox Park à sa mort, en 2001.

[*finalement, je la garde pour moi sa chaussette et à la place j’enverrai 3 programmes de match du club britannique préféré de Torben, un prog. récent, un des années 90 et un trentenaire. Si Torben ne supporte aucun club british, il aura sa chaussette. Si c’est Newcastle United, il repartira avec le trou de la chaussette et un gros 0-3 cousu autour]

Les demi-finales de FA Cup disputées ce week-end à Wembley sont l’occasion idéale de parler du plus beau parcours de toute l’histoire de la FA Cup : Sunderland, en 1973. Le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) éliminait Arsenal en demi-finale et remportait la finale face au grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park.

Si vous prenez cette série en cours, la lecture de l’intro est recommandée (et du reste aussi d’ailleurs).

Troisième partie : interview avec une Sunderland legend de l’époque, Cecil Irwin, latéral droit aux 351 matchs sous le maillot rouge et blanc entre 1958 et 1972. Cecil fit ses débuts le même jour que les défenseurs Len Ashurst et Jimmy Mc Nab, tous lancés dans le grand bain par Alan Brown, le légendaire manager Black Cat (1957-64 et 1968-72). Ce fut l’ossature de l’équipe bâtie par Brown dans les années soixante qui remporta la FA Cup 1973.

Avec les légendaires Jim Montgomery (gardien) et Charlie Hurley, le quintet formera le socle de l’infatigable défense Black Cat durant les Sixties (D2 et D1) : 2 152 matchs à eux cinq !

Et pour la première fois dans Teenage Kicks, un jeu-concours avec un joli cadeau- souvenir à la clé vous est proposé. Nul besoin de s’y connaître en foot british, un peu d’imagination suffit… Détails en bas de page.

Interview vintage

Cecil, tu es le deuxième plus jeune joueur à avoir porté le maillot de Sunderland (16 ans et 5 mois). Vous étiez en quelle division quand tu as débuté en 1958 ?

On venait de descendre en D2, la première relégation du club depuis sa création en 1879 [1] ! La saison précédente, Sunderland avait encaissé 97 buts faut dire… La descente s’était jouée au goal-average entre nous, Portsmouth et Newcastle, – 43 pour SAFC…. C’était la fin d’un cycle pour Sunderland, la fin de la fameuse « Bank of England side* » du début des Fifties, l’équipe était vieillissante [*Sunderland était considéré comme fortuné car financé par des industriels des chantiers navals]. J’étais très jeune, je n’avais joué qu’un seul match cette saison-là, en septembre 58, contre l’Ipswich d’Alf Ramsey. On avait perdu 2-0 chez nous, devant 27 000 spectateurs.

Alf Ramsey et son 4-3-3, puis son glissement vers le 4-2-4 et ensuite le 4-4-2 [2] qui donnerait la Coupe du monde à l’Angleterre huit ans plus tard (les fameux Wingless Wonders, les Merveilles sans ailes). Ça avait dû te faire drôle de n’avoir aucun vrai ailier à marquer*, non ?

Ah ça oui, notre jeune défense fut déboussolée face à Ipswich Town, et encore plus les latéraux ! Beaucoup d’équipes jouaient encore avec le vieux WM d’Herbert Chapman, puis, au cours des Sixties, en 4-2-4 et 4-4-2 un peu plus tard. La fin des Fifties et début des Sixties furent une période de transition et d’expérimentation tactiques, les défenses étaient trop poreuses et il fallait trouver de nouveaux systèmes. Ce jour-là, quand j’ai disputé mon premier match contre Ipswich, personne ne pouvait se douter que Ramsey [3] deviendrait ensuite sélectionneur anglais [1963-74] et encore moins qu’il remporterait la Coupe du monde 1966. Ma première saison pleine fut 1961-62, toujours en D2.

[*ce point est examiné page 145 de l’indispensable Inverting the pyramid de Jonathan Wilson ; un must-read depuis que, pour paraphraser le magazine When Saturday Comes, savoir parler tactique est devenu bien plus vital qu’assurer au lit – surtout à nos âges serais-je tenté d’ajouter… mais revenons au terrain]

Et Newcastle United, ça donnait quoi à cette époque ?

Après le départ de Jackie Milburn [200 buts Magpies], ils végétèrent en bas de tableau de D1, pour finalement descendre en D2 en 1961. Ils remontèrent en D1 en 1965, un an après nous.

Cecil Irwin, 4è en partant de la gauche (photo: remontée en D1, 18.04.64 v Charlton, 51 000 spectateurs)

Te souviens-tu de ton premier derby contre Newcastle, décembre 1961 à Saint James’ Park, devant 54 000 spectateurs ?

Un peu, pas plus que ça en fait…

[Je montre à Cecil quelques documents d’archives et le match lui revient en mémoire]

Ah oui, on fait 2-2 à SJP, doublé de Brian Clough pour nous. Y’avait bien sûr une rivalité entre les deux clubs mais rien de comparable à maintenant, à cette haine souvent irrationnelle. Y’avait ni animosité entre joueurs ni violence à l’extérieur. Pour te dire, les supporters des 2 clubs étaient mélangés dans les tribunes, inimaginable aujourd’hui.

A l’époque, c’était presque un match comme les autres, le manager ne nous disait rien de spécial. De toute manière, il n’avait pas besoin de nous motiver, on l’était assez comme ça. C’est dans la rue qu’on ressentait plus la rivalité, les gens nous arrêtaient en agitant le poing et nous disaient : « Vous les battez hein !« . Je me souviens mieux du match phase retour à Roker Park, on leur met 3-0 devant 58 000 spectateurs ! [décidément, ce 3-0 revient souvent, ndlr]

Je reviendrai sur ce personnage fascinant qu’était Brian Clough si tu le veux bien. Vous faisiez combien en moyenne les saisons de D2 ?

Environ 35 000 mais ça fluctuait beaucoup. Contre les petits clubs on faisait 15 ou 20 000 et jusqu’à 60 000 contre Newcastle ou Middlesbrough, aussi en D2.

Tu avais connu Roker Park étant jeune ?

Oh oui ! C’était mon club, je vivais à 40 kilomètres de Sunderland et le club organisait un ramassage de supporters en bus. J’ai pas raté beaucoup de matchs dans les années 50 quand Sunderland tournait bien en D1, y’avait le grand Len Shackleton, entre autres.

Peux-tu nous parler de l’ambiance de Roker Park en tant que joueur ?

C’était très spécial, rien que le Roker End [le Kop] pouvait accueillir plus de 20 000 personnes et le public te portait d’une manière phénoménale, c’était un véritable chaudron parfois. Le Fulwell [couvert, à l’opposé du Roker End, ici] était chaud aussi. Ça ne chantait pas énormément mais c’était très vocal, ça vociférait, des encouragements, des cris, les gens agitaient beaucoup d’écharpes, quelques drapeaux et banderoles au début des Seventies. Le merchandising commençait et ça devenait plus coloré même si personne ne portait le maillot du club [phénomène apparu au milieu des Seventies mais qui ne se développa qu’à partir des Nineties, voir dossier TK ici et ici].

D’ailleurs dans le Roker End, y’avait souvent des fanatiques qui grimpaient sur les pylônes d’éclairage aussi, non ?

Ouais [rires], c’était fou, effectivement pas mal de gens escaladaient les pylônes ou restaient massés au pied de ces immenses pylônes, les plus hauts d’Europe paraît-il, on les avait eus dès 1952, on était le deuxième club anglais à en bénéficier. Quand le stade était plein, y’avait des gens partout, parfois même à 1 mètre de la ligne de touche, c’etait pas franchement autorisé mais la billetterie étant le seul revenu du club, ceux-ci avaient parfois tendance à charger la mule.

Tu as joué dans des dizaines de stades anglais, quelles étaient les plus belles ambiances ?

Anfield et Old Trafford à mon avis. Après, t’avais Stamford Bridge, Saint James’ Park… Tous ces stades avaient quelque chose de spécial. Mais rien ne valait Roker Park !

Ça va de soi. Quel est ton plus beau souvenir de Roker Park ?

Le quart de finale FA Cup contre Man United en mars 1964 devant 62 000 spectateurs, un match incroyable, c’était un replay, on avait fait 3-3 à Old Trafford après avoir mené 3-1… Donc, replay chez nous à Roker Park. Je n’ai jamais vu la ville de Sunderland dans cet état, c’était de la pure folie. A l’époque, les gens prenaient leur billet le jour du match bien souvent et ça se passait bien, mais là l’engouement fut incroyable, le club avait mal calculé son coup.

Les reporters des journaux locaux estimèrent qu’il y avait 130 ou 140 000 personnes dans et autour du stade ce soir-là, dans les étroites rues avoisinantes. D’ailleurs, il y a quelques années, Bobby Charlton déclara lors d’une interview que l’ambiance de ce Sunderland-Man United fut la plus démente de toute sa carrière, dans et en dehors du stade ! Et, plus tard, Nobby Stiles [milieu défensif de Man United et international anglais] nous raconta des trucs assez dingues sur George Best ce soir-là…

Ah oui, je crois savoir mais nous en parlerons plus tard. Sunderland-United est ce match incroyable avec 60 000 personnes restées dehors et cette tragédie où deux supporters moururent écrasés.

Horrible en effet, les gens devinrent fou, y’avait ni sécurité ni rien, le club avait été pris de court tout simplement car personne n’imaginait que nous, club de D2, ferions 3-3 à Old Trafford contre le grand Manchester United 4 jours avant, même si c’était les débuts du grand Man United de l’ère Matt Busby [deuxième mouture], ils étaient incroyablement populaires, où qu’ils aillent.

Les médias avaient demandé au club pourquoi il n’avait pas vendu les billets bien avant le match et le président s’était contenté de dire : « On n’a pas eu le temps de les imprimer, pour cause de week-end entre le match à Old Trafford et le replay, et les gens ne bossent pas le week-end ».

Oui, le club fut totalement dépassé et l’organisation avec.

Charly Hurley et Denis Law

Les deux capitaines, Charlie Hurley et Denis Law

Officiellement, 47 000 spectateurs mais jusqu’à 80 000 en fait et 60 000 personnes refusées, dehors à essayer de pénétrer coûte que coûte dans le stade…

Oui, facilement… Le Sunderland Echo et le Northern Chronicle estimèrent qu’il y avait au moins 80 000 personnes ce soir-là dans Roker Park, avec comme tu dis, 60 000 refoulées dont une bonne moitié restées dehors pour voir si elles pouvaient rentrer d’une manière ou d’une autre. Les bouchons pour atteindre Roker Park faisaient des kilomètres, il s’écrivit même qu’une file allait presque jusqu’à Newcastle ! Le lendemain, on sut que deux personnes étaient mortes asphyxiées ou piétinées dans les bousculades, l’une d’une crise cardiaque je crois, avec des dizaines de blessés. Beaucoup de gens se blessèrent en escaladant les grilles et murs, chutes, coupures, etc. Certains murs avaient des tessons de bouteilles pour empêcher la resquille. Des grilles de sortie fut forcées et des dizaines de milliers de personnes s’engouffrèrent dans Roker Park. Et malheureusement, au niveau du Roker End, ce fut le carnage.

Vous les joueurs, vous saviez ce qui se passait à l’extérieur ?

Non, absolument pas. On savait qu’il y avait un monde fou car avant le match (à 20 heures), on avait pris notre collation au Roker Hotel sur le bord de mer, pas très diététique d’ailleurs, et…

Vous aviez mangé quoi, un bon vieux fish and chips ?

Non, un gros steak, du pain de mie grillé et on avait bu du thé… C’était censé nous donner de l’énergie. Vers 18 h, on s’était rendu au stade à pied, à 500 mètres de là. Mais impossible d’atteindre le stade tellement la foule était nombreuse et dense ! Il avait fallu que la police nous fraye un chemin pour accéder à l’entrée des joueurs, les gens nous agrippaient, nous retenaient, insensé, je n’avais jamais vu ça. Idem pour les joueurs de Man United, les gens étaient devenus comme dingues.

Ce qui est dingue aussi, c’est qu’à peu près la même chose s’était passée à Roker Park trente ans avant, le 8 mars 1933, lors d’un Sunderland-Derby. Pareil, replay de FA Cup, 75 118 spectateurs officiellement, au minimum 100 000 en fait, et des bousculades qui firent 2 morts et beaucoup de blessés.

Et ouais, aucune leçon ne fut retenue de toutes ces tragédies depuis Ibrox Park en 1902 jusqu’à Hillsborough. Mais tu connais le plus insensé de l’histoire sur ce match contre Man United ?

Non…

Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans…

A suivre.

Kevin Quigagne.

Jeu concours

Dear readers,

Le temps est venu de récompenser votre fidélité et bravitude. Vous vous tapez mes pavés depuis fort longtemps avec une bienveillance et résilience admirables et cela mérite eine groß gratification.

Par conséquent, celui ou celle d’entre vous qui complétera la phrase ci-dessus (Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans…) au plus près de la réalité recevra un joli cadeau-surprise qui a nécessité un raid dans le compte suisse des Cahiers. Autant vous dire que c’est du lourd donc.

Alors faites chauffer vos neurones et tentez votre chance ci-dessous dans les commentaires. N’hésitez pas, sur un malentendu ça peut le faire. Un gros indice : ce qui se passa avec ces gens entrés sans… est assez insolite.

Vous avez 5 jours.

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[1] Sunderland fut créé en 1879, et intégra la Football League en 1890, deux ans après sa création. Le club évolua en D1 de 1890 à 1958.

[2] L’Angleterre du manager Alf Ramsey devint championne du monde grâce à un système innovateur développé par le Russe Viktor Maslov : le 4-4-2. Un dispositif qui donnait la part belle à l’assise défensive, au pressing et aux milieux polyvalents, au détriment des ailiers, trop souvent jugés inaptes aux taches défensives. Tout le contraire du jeu long favorisé par tant d’équipes britanniques (façon kick and rush) où l’entrejeu était zappé et les ailiers érigés au rang de demi-dieux (même si Ramsey aimer recourir au principe du « jeu direct » – le moins de passes possibles – si prisé des clubs à l’époque, sauf Tottenham. Sans trop entrer dans les détails, Ramsey aimait alterner passes courtes et longues, mais il changea souvent, 4-3-3, puis 4-2-4 et 4-4-2 & ses variantes, de manière non linéaire chronologiquement).

[3] Ramsay était alors un jeune manager qui avait repris Ipswich en D3 en 1955. Sept ans plus tard, il leur fit remporter le titre de D1 (1962) devant Burnley et surtout le grand Tottenham de Bill Nicholson (manager) et l’immense Jimmy Greaves, qui coûtait à lui seul 3 fois plus que tout l’effectif d’Ipswich (acheté au Milan AC pour la somme astronomique de 99 999 £… raisons expliquées ici). Une telle prouesse (de D3 au titre D1 en quelques saisons, sans moyens) fut facilitée par l’absence totale de couverture télévisée et la rareté de l’observation de matchs (Ipswich joua sur l’effet de surprise – qui cessa une fois les adversaires habitués aux dispositifs mis en place par Ramsey. Ipswich, sans Ramsey, redescendit en D2 en 1964, deux ans après le titre national).

Demi-finales de FA Cup ce week-end à Wembley, Chelsea v Man City et Millwall v Wigan. L’occasion de parler de Sunderland donc. Car il y a quarante ans, de janvier à mai 1973, le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) signait le plus beau parcours de la longue histoire de la FA Cup (142 ans), jusqu’à la finale, remportée sur le grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park. Un temple que les Anciens évoquent souvent la larme à l’oeil.

Lecture de l’intro recommandée (et du reste aussi d’ailleurs). Suite de la première partie.

[Cliquer sur les photos peut rapporter gros ; SAFC = Sunderland]

Huitièmes de finale : le Roker Roar terrasse le grand Man City

Le tirage des 8è n’est pas être tendre avec Sunderland : Manchester City, 4è de D1 la saison précédente. Les Citizens ont de la vedette en pagaille (dont Colin Bell, Francis Lee, Mike Summerbee, Rodney Marsh et Mike Doyle, tous internationaux anglais) et sont donnés favoris pour remporter la Cup, avec Leeds United, détenteur du trophée. City et son manager, le très suffisant Malcolm Allison (dit « Big Mal »), ne sont pas du genre à gamberger. Big Mal parle ouvertement du « petit Sunderland ».

24 février 1973, Man City-Sunderland : 2-2 (54 478 spectateurs, dont 10 000 Black Cats).

Malgré ce match nul acquis dans la douleur, Francis Lee fanfaronne : « Si Man City ne passe pas ce tour, je ferais cadeau au club d’une semaine de salaire. »

Sunderland est alors coté 100/1 chez les bookies pour la victoire finale à Wembley (250/1 au début de la saison). En principe, les Mancuniens ne devraient faire qu’une bouchée des Mackems au retour. Mais les Lads vont sortir le match de leur vie…

27 février 1973. Replay à Roker Park : SAFC l’emporte 3-1 devant 51 782 spectateurs [1].

Cette rencontre sera élue Plus grand match de Sunderland à Roker Park. Doublé de Billy Hughes, l’une des stars de l’équipe, et superbe but de Vic Halom (qui n’est pas sans rappeler la conclusion de cette action).

La Cup fever monte sur Wearside, sevré de gloire depuis les années 30 et son lot de trophées (titre national en 1936 et FA Cup en 1937, l’époque mythique de Raich Carter et Bobby Gurney, 355 buts à eux deux). Roker Park a vibré comme rarement ce soir-là. D’un rugissement profond, presque guttural.

La légende raconte qu’après un Sunderland-Tottenham de mars 1961, le grand Danny Blanchflower fit le tour du terrain en examinant chaque recoin, persuadé que des hauts-parleurs avaient été cachés pour amplifier le bruit du public.

Après la rencontre, le rodomont Francis Lee ravalera ses bravades :

« La ferveur du public était incroyable, on ne s’entendait pas penser sur le terrain. Je n’avais jamais rien connu de tel. »

Dans un article publié quelques jours après un célèbre quart de finale de FA cup à Roker Park devant 61 326 spectateurs en mars 1961 (1-1) ainsi que dans son autobiographie, le légendaire Danny Blanchflower (Tottenham) décrivit la même sensation :

« J’ai déjà été spectateur à Barcelone dans un stade plein et ai connu la foule de Saint James’ Park en délire, ainsi que Old Trafford et ses 60 000 spectateurs déchaînés cette saison. J’ai en tête beaucoup de scènes similaires dans ma carrière. Mais rien ne peut rivaliser avec l’intensité de la clameur entendue à Roker Park quand Sunderland égalisa à 1-1. […] Je réalisai alors ce que voulait dire ce journaliste qui parlait d’un « grondement à percer les tympans » en évoquant le Roker Roar. Je dois avouer que le Roar me terrifia ce jour-là ! »

La légende raconte même qu’après le match, Blanchflower fit le tour du terrain en examinant chaque recoin, persuadé que des hauts-parleurs avaient été dissimulés à des endroits stratégiques pour amplifier le bruit du public !

Trois ans plus tard, Sunderland affrontera Man United en quart de finale de FA Cup à Roker Park (match également légendaire dont nous reparlerons dans la troisième partie). A cette occasion, Denis Law fut tellement secoué par le Roar qu’il ne cessa d’en parler des années durant.

Quarts et demi-finale : presqu’une formalité

17 mars 1973. En quart, Sunderland élimine facilement Luton Town (D2) 2-0 devant 53 151 spectateurs. Buts de Dave Watson et Guthrie.

Un mot sur l’équipe de Sunderland (quasiment toujours la même composition cette saison-là où seule une grosse quinzaine de joueurs furent utilisés) : Jim Montgomery, Dick Malone, Ron Guthrie, Mike Horswill, Ritchie Pitt, Vic Halom, Billy Hughes, Bobby Kerr (capitaine), David Watson, Ian Porterfield, Dennis Tueart. Remplaçant (un seul autorisé) : Brian Chambers.

Les joueurs vedettes (ou qui le deviendront) de Sunderland sont alors [stats entre parenthèses = matchs / buts pour SAFC] :

– le gardien Jim Montgomery (dit Monty, 627 matchs pour SAFC de 1960 à 1977), 1 cape réserviste en équipe d’Angleterre. Remportera la Coupe d’Europe des clubs champions avec Nottingham Forest en 1980 (remplaçant)

– l’attaquant-défenseur central David Watson (1970-75 – 212 / 33, ci-dessus). D’abord avant-centre deux saisons avant d’être repositionné… arrière central (à 25 ans). Signera à Man City (1975-79) puis Southampton (1979-82) et portera le maillot des Trois Lions à 65 reprises (1974-82)

– l’ailier gauche Dennis Tueart (1966-74 – 208 / 56). Le seul Geordie – natif de Newcastle – de l’équipe partira ensuite à Man City où il décrochera six capes anglaises (1975-77)

– Billy Hughes, avant-centre / ailier (1964-77 – 307 / 81). Décrochera une cape écossaise. Voir « Que sont devenus les héros de 1973 ? » plus bas.

7 avril 1973, Demi-finale contre Arsenal à Hillsborough devant 55 000 personnes. Arsenal compte alors parmi les meilleurs clubs anglais depuis plusieurs saisons (4è en 1969, doublé championnat-FA Cup en 1971, 5è en 1972 et 2è en 1973) et vise une troisième finale de FA Cup consécutive. Là encore, on ne donne pas cher des chances des Rokerites. Mais ces derniers vont asphyxier des Gunners dépassés. Billy Hughes sortira un match d’anthologie et donnera la victoire aux Black Cats, 2-1 (clip).

Finale de rêve contre le grand Leeds United

5 mai 1973, Wembley, 100 000 spectateurs. Leeds, meilleure équipe anglaise depuis le milieu des années 1960, est archi favorite. Ses vedettes sont le teigneux petit rouquin Billy Bremner, Johnny Giles, Eddie Gray, Peter Lorimer et Norman « Bites Yer Legs » Hunter (= Norman « Tacle Assassin » Hunter ; avant il fauchait, aujourd’hui il est fauché, ici). Lorimer ne doute pas de la victoire des Whites. Avant le match, il déclare à la BBC que Leeds l’emportera facilement s’ils marquent tôt dans le match. Pour les médias, c’est également David contre Goliath. Brian Clough, consultant pour la télé [2], ne donne pas cher non plus des chances de son ex club (1961-64) : « Si Leeds se met à jouer, ça sera plié en 20 minutes ».

(1 £ le billet « debout », même en 1973, c’était donné)

Leeds se mettra bien à jouer mais Sunderland lui tiendra la dragée haute. Tout comme contre Man City et Arsenal, le milieu de terrain Black Cat, magistralement contrôlé par le rouquin Micky Horswill et le coriace Bobby « Little General » Kerr, va dominer les débats. A la 31è, une demi volée de Ian Porterfield donne l’avantage à Sunderland, 1-0 (clip, à 1’03). Les Whites ne reviendront pas.

Cette finale est restée universellement célèbre pour l’extraordinaire double parade du gardien de Sunderland sur deux tentatives à bout portant de Cherry et Lorimer (ici, à 2’12 et ici). L’arrêt de Monty sur le tir de Lorimer fut élu Greatest Ever FA Cup Save lors d’un sondage réalisé par E.on, le sponsor de la FA Cup de 2006 à 2011 (loin devant David Seaman, Arsenal v Sheffield United demi-finale 2003 et Pepe Reina, Liverpool-West Ham finale 2006 – Petr Cech contre Man United le 1/4/2013 pourrait bien venir intégrer le Top 3 de ce classement).
David Coleman, commentateur vedette de la BBC, était tellement persuadé que Lorimer allait marquer qu’il annonça but ! (ici à 3’27 …Cherry, superbe parade de Montgomery… et Lorimer égalise à 1-1… Non, incroyable ! »). L’exploit de Monty éclipse-t-il la fameuse parade de Gordon Banks sur une tête de Pelé ?

Au coup de sifflet final, le manager Bob Stokoe, bras en l’air, feutre trilby sur le chef, pantalon rouge et gabardine au vent court vers Monty et l’étreint longuement (ci-dessous). Cette course légendaire a été statufiée (devant le Stadium of Light, voir première partie).

En coupe d’Europe la saison suivante (seule campagne européenne de SAFC), Sunderland passera un tour contre les Hongrois de Vasas Budapest (3-0 sur les deux matchs) avant de tomber 3-2 face au Sporting Lisbonne [3].

Que sont devenus les héros de 1973 ?

[entre parenthèses, carrière et nombre de matchs / buts SAFC]

Jim Montgomery, gardien (1960-77 – 627, record du club), 69 ans. Employé comme Ambassadeur de Sunderland AFC après avoir longtemps été entraîneur des gardiens au club.

Dick Malone, latéral droit (1970-77 – 281 / 2 buts), 65 ans. L’Ecossais dirige une entreprise de transport routier à Sunderland.

Ron Guthrie, latéral gauche (1973-75 – 80 / 3), 69 ans. Chauffeur-livreur à Fenwick’s, un grand magasin de Newcastle.

Dave Watson, d’abord avant-centre deux saisons puis… arrière central (1970-75 – 212, 33 buts), 66 ans. Dirige Dave Watson International, société d’événementiel basée près de Nottingham (était ouvrier agricole avant de passer pro – et d’engranger 65 capes anglaises, de 1974 à 1982).

Richie Pitt, arrière central (1968-75 – 144 / 7), 62 ans. Carrière stoppée nette à 24 ans, grave blessure au genou. Entra dans l’enseignement et est toujours prof de maths dans un collège près de Sunderland.

Micky Horswill, ci-dessus, milieu (1971-74 – 91 / 5), 60 ans. Animateur à Star Radio, Newcastle.

Bobby Kerr, milieu et capitaine (1964-79 – 419 / 69), 65 ans. L’Écossais dirigea plusieurs pubs après sa carrière. Se rangea des optiques vers 2010 pour raison de santé.

Ian Porterfield, milieu et buteur de la finale (1967-77 – 256 / 19). Décédé d’un cancer en 2007, âgé de 61 ans. Managea une douzaine de clubs et sélections nationales après sa carrière.

Billy Hughes (le beau moustachu ci-dessous), avant-centre / ailier (1964-77 – 307 / 81), 64 ans. Sera capé une fois pour l’Ecosse. Employé dans un pub près de Nottingham.

Vic Halom, 64 ans, avant-centre / ailier (1973-76 – 134 / 42). Se lança dans la politique (sans succès) puis dans l’immobilier en Bulgarie où il réside toujours. Pige aussi comme scout Europe de l’Est pour Newcastle United [à mon avis, il s’est trompé de coin pour ça]

Dennis Tueart, ci-dessous, principalement ailier gauche (1966-74 – 208 / 56), 63 ans. Quelques années après ses huit ans à Man City, il devint membre du directoire Citizen. En fut éjecté (par email !) à l’arrivée du Thaïlandais Thaksin Shinawatra été 2007. Dirige une société d’organisation de conférences sur Manchester. Tueart fut le premier Anglais à effectuer une saison complète de NASL (USA) en 1978-79, aux New-York Cosmos où il succéda à Pelé. A l’intersaison 1978, Nottingham Forest le voulut mais Tueart choisit l’option  contrat lucratif. Et Forest remporta sa première Coupe d’Europe des clubs champions sans lui. Capé 6 fois par l’Angleterre (1975-77).

David Young, arrière central (1973-74 – 34, 1 but), 67 ans. Remplaçant non utilisé lors de la finale (un seul substitute autorisé à l’époque). Se reconvertit dans la gestion de centres sportifs. Vit dans le Kent.

Bob Stokoe, manager (1972-1976, puis six semaines en avril-mai 1987 comme intérimaire). Décédé en 2004 d’une pneumonie à l’âge de 73 ans.  Hormis cette FA Cup, celui que l’on surnommait le « Messie » fit monter Sunderland en D1 en 1976. A sa splendide statue devant le Stadium of Light (voir première partie).

Et qu’est devenu Roker Park ?

Un peu d’histoire d’abord. A son inauguration été 1898, Roker Park était le septième stade (au sens très large du terme) de Sunderland. Premier match contre Liverpool le 10 septembre 1898 devant 30 000 spectateurs (D1, victoire 1-0). La pelouse, spécialement importée d’Irlande, était d’une telle qualité qu’elle dura… 37 ans ! L’année suivante, Roker Park accueillit un mémorable Angleterre-Irlande : 13-2 ! (Roker Park à cette époque).

En 1929, le célèbre architecte de stade Archibald Leitch fit reconstruire la tribune principale, la Main Stand, portant la capacité du stade à plus de 60 000. L’Ecossais fera également ériger la Clock Stand sept ans plus tard. Durant la deuxième guerre mondiale, Roker Park fut endommagé, Sunderland et Newcastle étant particulièrement visés par la Luftwaffe (chantiers navals, industries lourdes, etc.).

Sunderland quitta Roker Park le 3 mai 1997, après 99 ans d’occupation. Malgré la victoire 3-0 sur Everton ce jour-là (dont un but de Chris Waddle), SAFC descendit en D2. Après le match d’adieu le 13 mai 1997 (victoire 1-0 sur Liverpool, comme en 1898), une cérémonie spéciale eut lieu au cours de laquelle le point central du terrain fut déterré par Charlie Hurley (voir première partie) et transporté au Stadium of Light à deux kilomètres de là.

le passé, Roker Park (photo prise en 1996)

1996. Au premier plan : le futur Stadium of Light. En arrière-plan, Roker Park.

Un lotissement de 130 maisons et appartements sortit de terre un an plus tard (photos). Un coin résidentiel très prisé : le constructeur reçut plus de 2 000 demandes pour « habiter à Roker Park ». Particularité de l’endroit : toutes les rues et impasses portent des noms liés à SAFC ou au football (dont un Passage du Tourniquet), photo ci-dessous. Ces noms furent choisis après une compétition organisée par le journal local. Dommage cependant qu’aucun héros de la finale 73 ou Sunderland legends ne fut sélectionné, un regret exprimé par nombre de supporters Black Cats (un supporter Magpie égaré et médisant trouverait l’endroit manquant d’authenticité : s’il y a bien une Promotion Close – Rue de la Montée – aucune Relegation Street n’a été inclue. Il pourrait bien s’en créer une dans un gros mois…).

Record d’affluence de Roker Park : 75 118, le 8 mars 1933 pour un replay de quart de finale FA Cup contre Derby County. Match resté aussi dans les annales pour des mouvements de foule qui firent deux morts et de nombreux blessés.

Une tragédie que nous évoquerons dans la prochaine partie au cours d’une interview avec une Sunderland legend des Sixties qui nous parlera également, entre autres sujets, de Brian Clough, de Man United, du salary cap, de diététique et de George Best qui eut les jetons de jouer à Roker Park…

Affaire à suivre donc.

Kevin Quigagne.

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[1] Si vous voulez améliorer votre anglais, je conseille vivement le compte-rendu de ce fabuleux match sur ce site de Sunderland : Sunderland-Man City (site tenu par Colin Randall, un supp Black Cat francophile et lecteur de Teenage Kicks – depuis hier)

[2] Brian Clough est alors manager de Derby County (depuis 1967) mais occupe également le terrain médiatique depuis la fin des Sixties (radio, TV, presse), au grand dam de son club (ses incessants coups de gueule et commentaires incendiaires exaspéraient le directoire). Peu après, le 15 octobre 1973, alors que les relations entre Clough et le président de Derby avaient atteint breaking point, Clough démissionnera du club, accompagné de son fidèle adjoint, Peter Taylor. Neuf mois plus tard, « Old Big ‘Ead » débarquera à Leeds United, sans Taylor. Ses 44 jours à la tête des Whites restent comme l’un des épisodes les plus extraordinaires du football anglais. Le livre The Damned Utd ainsi que l’excellent film éponyme sont vivement recommandés.

[3] Les Portugais se distinguèrent aussi hors du terrain : trois d’entre eux furent arrêtés pour vol de cassettes audio dans un magasin de Newcastle et envoyés en comparution immédiate dans un tribunal local (où ils écopèrent d’une amende de 30 £ chacun ; il aurait été fort intéressant de savoir quelles cassettes ils piquèrent mais cette information vitale n’apparaît nulle part, à mon grand regret – svp, pas de blagues déplacées sur l’immense Linda de Suza dans les commentaires, nous avons quelques lecteurs et trices lusitanien(ne)s auxquel(le)s nous tenons beaucoup).

Demi-finales de FA Cup ce week-end à Wembley, Chelsea v Man City et Millwall v Wigan. L’occasion de parler de Sunderland donc. Car il y a quarante ans, de janvier à mai 1973, le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) signait le plus beau parcours de la longue histoire de la FA Cup (142 ans), jusqu’à la finale, remportée sur le grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park. Un temple que les Anciens évoquent souvent la larme à l’oeil.

De cette sublime campagne, restent d’innombrables images et souvenirs, ainsi que des sons. Et hormis les traditionnels héros d’une telle épopée, joueurs et manager, feu Roker Park revendique fièrement sa place dans le rond central de l’histoire du club. Un stade qui a laissé au football un fragment d’héritage lexical (presque) unique au monde : le nom d’une clameur, le Roker Roar [1].

Un rugissement qui propulsa le club dans la légende de la FA Cup et fait toujours fantasmer sur Wearside.

[Cliquer sur les photos peut rapporter gros ; SAFC = Sunderland dans le texte et SoL = Stadium of Light, l’antre de Sunderland depuis 1997]

1973, un chiffre made in Sunderland

A Sunderland, même les jeunes supporters sont intarissables sur ce FA Cup run (parcours) de 1973, qui tomba à point nommé pour le cinquantenaire de la Cup à Wembley, et la véritable dernière date mémorable du club. Les bairns Mackems [2] (autre surnom du club) ne grandissent pas en regardant les Teletubbies ou autres divertissements stériles mais devant le DVD de la FA Cup 1973. En boucle. Cette date-chiffre est une obsession locale qui se décline à toutes les sauces.

De fait, pour tout supporter Black Cat, impossible d’échapper à l’évocation permanente de ces heures glorieuses où la FA Cup comptait tout autant que le championnat. Le numéro du standard billetterie du club se termine en 1973 (0871 911 1973), les buvettes du stade portent les noms des héros de 73 (ainsi que d’autres legends du club) et un magazine sur le club s’intitule Seventy3. Pour beaucoup de vétérans, le temps s’est arrêté il y a quarante ans.

Et surtout, il y a cette majestueuse statue de Bob Stokoe (le manager d’alors) devant le Stadium of Light. Ce monument de nostalgie immortalise ces quelques secondes magiques où feu Bobby courut vers son héros (le gardien Jim Montgomery, dit Monty) au coup de sifflet final, bras en l’air, feutre trilby sur le chef, pantalon rouge et gabardine au vent (voir clip vintage). Une statue originale financée par les supporters et inaugurée en 2006, deux ans après la mort de Bob Stokoe (à… 73 ans), celui qui redonna la fierté à toute une région. Total des sommes collectées ? 73 000 £ évidemment… (la statue coûta 68 000 £, le reste fut versé à une oeuvre caritative de lutte contre la maladie d’Alzheimer).

The Man, The Messiah, The Moment

Inscrit sur le socle : The Man, The Messiah, The Moment

Pourtant, l’histoire et le palmarès du club d’avant-guerre éclipsent largement l’épopée de 1973. En théorie. Créé en 1879 par un enseignant, Sunderland compta longtemps parmi les clubs les plus successful et riches du pays [3] : 6 titres de champion d’Angleterre, 5 places de dauphin, 1 FA Cup (1937) et 68 ans d’affilée en D1, de 1890 à 1958 – 56 saisons ! (seul Arsenal et Everton font mieux – si l’on s’en tient strictement au nombre de saisons consécutives pour ce dernier). A côté, le voisin et éternel rival Newcastle United (18 kilomètres à vol de pie) fait alors figure de « petit club du Nord Est », pour reprendre la saillie de Sir Alex Ferguson le 28 décembre dernier (voir clip).

Même si tout cela semble bien loin, les exploits de 1973 surfent si gracieusement sur la vague nostalgique qui balaye le football anglais depuis une dizaine d’années qu’ils résonnent comme de l’histoire récente. Comme si c’était hier.

13 janvier 1973 : début de l’épopée en 32è

1972. La ville de Sunderland, encore loin d’être une City (statut prestigieux en Angleterre), fait partie du Comté de Durham [4]. Les industries locales compensent en vitalité ce qu’elles n’ont pas en glamour. Mines (le Stadium of Light est construit sur un puits minier), chantiers naval, entreprises de vente par correspondance et l’usine Pyrex fournissent du travail à un bassin de population de 300 000 personnes. Avec un taux de chômage de 3 %, on frise le plein emploi. Plus pour longtemps.

Côté football, c’est moins florissant, Sunderland évolue en D2 depuis 1970 et souffre de la comparaison avec un Newcastle United qui finit régulièrement dans le Top 10 de D1 depuis 1968. Ajoutons une Coupe d’Europe en 1969 (celle des villes foireuses) ainsi que quelques vedettes internationales, dont Malcolm « Supermac » Macdonald (1971-1976, 95 buts/187 matchs), et le tableau est douloureusement zébré : ce sont les Magpies qui régalent la galerie dans la région.

Le 29 novembre 1972, l’ex Magpie Bob Stokoe débarque comme manager dans un Sunderland AFC moribond. Il a fait une honnête carrière d’entraîneur et est attendu comme le messie. Les Black Cats sont 17è à son arrivée et n’ont pas pu acheter de joueur depuis plus de deux ans, tant les finances sont exsangues. Ils se sont fait sortir de la Coupe de la Ligue au premier tour et l’on se dit que passer le troisième tour (32è) de FA Cup début janvier sera déjà bien (un third round qui marque l’entrée en lice des clubs de D1 et D2).

Le tirage a envoyé Sunderland affronter Notts County à Nottingham. Le plus vieux club professionnel au monde est alors en D3 (les Magpies – les vrais, les originels – monteront en D2 à l’issue de la saison).

13 janvier 1973. Notts County-Sunderland : 1-1 (15 142 spectateurs, dont 2 000 Black Cats).

16 janvier 1973. Lors du replay à Roker Park, SAFC élimine Notts County 2-0 devant 30 000 spectateurs mais dans une certaine indifférence médiatique (le Sunderland Echo ne consacre qu’une demi-page au match). Après tout, une grosse cylindrée de D2 qui sort une D3 en 32è, pas de quoi en faire un Cheddar.

A l’époque, un jeune homme de 20 ans rêve du Kop de Roker Park (où la place coûte 50 pence) : Martin O’Neill, manager des Black Cats jusqu’au 30 mars dernier. Alors enfant à Derry, Irlande du Nord, l’AFC était son club de coeur (en 73, O’Neill évolue alors à Nottingham Forest – sa première visite à Roker Park sera en tant que joueur, en 1972).

Seizième de finale contre Reading

Le 3 février, le Round 4 (16è de finale) donnera l’occasion au Nord-Irlandais de doublement vibrer et mettra ses allégeances à rude épreuve. Le tirage a en effet accouché d’un Reading-Sunderland.

Reading est alors un petit club qui a toujours évolué dans les divisions inférieures (principalement en D3) et a comme manager un personnage idolâtré par les Black Cats : l’Irlandais Charlie Hurley, surnommé « King Charlie » ou « The King », Black Cat de 1957 à 1969. Hurley est l’idole de jeunesse de Martin O’Neill et du peuple Mackem. Il fut décrit par l’immense John Charles (Leeds et Juventus) comme « l’un des meilleurs arrières centraux que le football ait connu ».

Accessoirement, Hurley fut aussi le mentor de feu Robin Friday à Reading (1974-76) et le seul homme qui ait à peu près réussi à dompter l’incontrôlable Friday (ci-dessous) un énergumène qui aurait pu aisément faire passer George Best pour un moine bouddhiste [5].

Pour le centenaire de la création du club en 1979, Hurley fut élu Joueur du Siècle de Sunderland par les supporters et reçut l’immense honneur de déterrer le point central en craie de Roker Park au Stadium of Light au moment du grand déménagement de 1997.

3 février 1973. Sunderland-Reading : 1-1 (33 913 spectateurs).

Malgré Steve Death dans les cages, les Biscuitmen survivent [6]. Mais le replay à Elm Park quatre jours plus tard leur sera fatal (1 700 supps Black Cats feront le déplacement).

7 février 1973 (replay). Reading-Sunderland : 1-3 (19 793 spectateurs).

Le tirage des 8è n’est pas être tendre avec Sunderland : Manchester City, 4è de D1 la saison précédente.

La Cup fever monte doucement sur Wearside, sevré de gloire depuis le lot de trophées acquis dans les années 30 (titre national en 1936 et FA Cup en 1937, l’époque mythique des Raich Carter et Bobby Gurney, 355 buts à eux deux. Dans ce document exceptionnel, on les voit s’entraîner à Roker Park).
Et lors du Sunderland-Man City du 27 février 1973 disputé devant 51 782 spectateurs, Roker Park vibrera comme rarement. Un match d’anthologie qui sera élu Plus grand match de Sunderland à Roker Park (ce 8è de finale débutera le prochain volet de ce dossier).

Rencontre avec un gars qu’a tout connu

Un Roar dont parle merveilleusement bien John, un vieux supporter de Sunderland rencontré localement.

Kevin QuigagneJohn, parle-nous de Roker Park et ce fameux Roker Roar.

JohnMon grand-père avait connu notre ancien stade, Newcastle Road, qui attirait parfois 30 000 spectateurs dans les années 1890 [contre Liverpool notamment, en 1892] quand Sunderland dominait le football anglais avec Aston Villa et quelques autres. Mais Roker Park était spécial quand il était plein, avec ses 60 ou 70 000 inconditionnels. Et il y avait le Roker Roar, cette clameur puissante qui intimidait l’équipe adverse.

KevinD’ailleurs, il arrivait aux adversaires d’avouer ne jamais avoir connu une telle ambiance qu’à Sunderland, comme le grand Danny Blanchflower le fit après un célèbre quart de finale de FA Cup à Roker Park contre Tottenham en mars 1961 [7].

JohnOui, tout à fait. On a coutume aujourd’hui de dire que telle équipe déteste jouer dans tel ou tel stade à cause de la ferveur du public, mais on peut en douter. Dans le cas de Roker Park, c’était certain, personne n’aimait venir ici quand le stade était plein.

KevinRoker Park était situé en bord de mer [du Nord], ça devait jouer sur cette ambiance si particulière, surtout quand les conditions météos étaient mauvaises. C’était un stade très « atmospheric », non ?

JohnOui, il se situait à 400 mètres du rivage à vol d’oiseau, encastré parmi les maisons en briques, comme tant de stades de l’époque. Cette situation géographique ajoutait indéniablement au mystique de l’endroit. Les après-midis ou soirs de « sea mist » [brume marine], Roker Park impressionnait et produisait un vacarme infernal, presque paralysant. Dans le Kop, on sentait le béton vibrer sous ses pieds.

Sunderland-Newcastle, 1980

Sunderland-Newcastle, 5 avril 1980

Certains vieux supporters disent parfois ceci : pour magnifique que soit le Stadium of Light, la véritable maison du club sera toujours Roker Park, sa pièce préférée le Roker End et son âme, le Roker Roar. Le Roar, quand ça partait, c’était comme une déflagration.

KevinMalgré les rénovations effectuées pour la Coupe du Monde 1966 [Roker Park fut préféré à Saint James’ Park], il était toujours resté vétuste. On a parfois décrit ce stade comme « atypique », dans quel sens ?

John Ce stade était assez curieux car il formait un ensemble asymétrique avec des tribunes disparates, un peu déglinguées, dont une immense, le Roker End,  qui avait une géométrie insolite, un peu hexagonale, à cause d’un plan cadastral défavorable, route mitoyenne et exiguïté des lieux. Le Roker End était spectaculaire, à ciel ouvert et quasi vertical, avec des « terraces » [gradins, populaires] qui semblaient monter à l’infini. Du terrain, on voyait littéralement un mur de spectateurs devant soi.

Le Roker End est à droite (du temps de sa splendeur)

Roker Park et son Roker End, à droite

A son apogée, le Roker End pouvait officiellement accueillir 23 000 spectateurs mais bien plus en réalité. Puis, au début des années 80 et après Hillsborough, le Roker End fut considérablement réduit de taille, jusqu’au déménagement au Stadium of Light à l’été 1997 où il se retrouva comme castré, amputé, contenant péniblement 6 000 spectateurs [le stade lui-même ne faisait plus que 22 500 places]. On est loin de retrouver ces sensations au Stadium of Light…

KevinOuais, on va pas jouer les vieux cons mais c’est sûr que l’ambiance a dû bien changer ! Aujourd’hui au SoL, on vire les supps un peu trop bruyants et agités qui rensersent les flasques Thermos de ceux qui vont au stade comme on va en pique-nique ou assister à une soirée Connaissance du monde au théâtre local [Rires]. On a fait de nous des « spectateurs » au sens premier du terme, spectāre en latin, to spectate en anglais, assister à un spectacle, passivement, alors qu’on devrait y participer activement à ce « spectacle ». Certains vieux supps aiment dire parfois que le SoL est magnifique et tout le tremblement mais que la véritable maison du club sera toujours Roker Park, sa pièce préférée le Roker End et son âme, le Roker Roar.

John C’est tellement vrai, tellement vrai. Le Roar, quand ça partait, c’était comme une déflagration…

Le Roker ne chante plus mais fait toujours pleurer

John n’en dira pas plus et je préfère me faire silencieux. Machinalement, j’étale devant lui quelques photos de Roker Park ainsi que des vieux programmes de match et lui montre ce clip* émouvant. Trop émouvant. Je sens les larmes lui monter. L’émotion me gagne également et, la voix serrée, je balbutie quelques mots. Je n’ai jamais connu Roker Park et il doit trouver mon émoi bien étrange. Je détourne le regard, fixe les photos et me plonge dans des souvenirs imaginaires, des moments que je n’ai jamais vécus.

Je quitte John l’esprit perdu dans mes pensées sur ce stade que j’aurais tellement aimé connaître, sentir, toucher. De nombreux supporters ne regrettent pas Roker Park, tant il faisait peine à voir au crépuscule de sa vie, condamné par les inéluctables mais brutales normes Health and Safety post Hillsborough et victime d’un radical virage dans les mentalités, imposé ou non.
Pour certains, les plus froidement réalistes, Roker Park n’était plus qu’une carcasse décharnée d’à peine 22 000 places, une dangereuse et laide verrue, une épave bonne pour la casse. Mais beaucoup aussi, parfois ces mêmes virulents dénigreurs, ne peuvent l’évoquer sans dérouler les bobines de souvenirs, avant que la gorge ne s’assèche, comme prise dans une nasse émotionnelle, stoppant nette la conversation.

Je ressens une forte envie d’en savoir plus sur Roker Park et le Sunderland d’antan, autrement que par des sources impersonnelles, DVDs ou bouquins. Ça tombe bien, je connais justement un homme qui peut m’aider, une Sunderland legend qui porta la tunique rouge et blanche plus de 350 fois entre 1958 et 1972. Le rendez-vous est pris pour la semaine suivante.

En attendant, j’essaie de visualiser le vaisseau Roker, un soir de coupe, quand un dense brouillard s’abat et la brise marine souffle. Je repense aux paroles des Anciens et m’imagine le Roker Roar embrasant les tribunes. Certains vieux supporters racontent que quand la sea breeze se levait, elle étalait la noble clameur au-dessus des toitures, comme si un écho malicieux la faisait flotter et rebondir de toit en toit, enveloppant la ville un long moment d’un son sourd et terrifiant.

A suivre.

Kevin Quigagne.

[*Remarquez Chris Waddle à 30 secondes dans le clip. Lionel Pérez était également de la partie, voir compo du dernier match disputé à Roker Park. Pérez parle ici de Roker Park et Sunderland avec une grande affection. Avant de découvrir la suite dans quelques jours, à voir également ce clip et ces photos]

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[1] Roar (Robert and Collins) : clameur, grondement, hurlement, rugissement. L’origine de l’expression Roker Roar est incertaine, elle proviendrait d’un journaliste local dans les Fifties. Hampden Park eut aussi son Roar, ses Populaires étaient impressionnantes ! (le stade fit jusqu’à 150 000 places).

[2] Bairn = enfant, en dialecte du North East (idem en anglais écossais). Le terme Mackem est aussi et surtout le surnom des habitants de Sunderland. Outre Black Cats, les joueurs de Sunderland sont aussi souvent surnommés The Lads et parfois, surtout par les plus vieux supporters ou les indécrottables nostalgiques de Roker Park, The Rokerites ou Roker Men.

[3] Largement financé par les magnats locaux de l’industrie navale puis divers industriels par la suite, Sunderland fut surnommé « The Bank of England club » au tout début des années 1950, à la suite d’une série de transferts coûteux. Un surnom également donné à Arsenal dans les années 30 (non, le génie d’Herbert Chapman ne suffit pas à collectionner les titres dans les Thirties comme on l’oublie un peu trop souvent).

[4] Sunderland acquierra le statut de City en 1992. La ville fait aujourd’hui partie du Comté métropolitain de Tyne & Wear.

[5] Un film sur sa vie et carrière est en préparation. Le tournage devrait se faire principalement au Pays de Galles (le dernier club de Friday fut Cardiff) et pourrait débuter dès le mois prochain. Sortie prévue début 2014. Le film sera basé sur l’excellent livre The Greatest Footballer You Never Saw (The Robin Friday story) co-écrit par Paolo Hewitt et Paul McGuigan, ce dernier étant l’ex bassiste d’Oasis (le bouquin consiste en une série d’interviews – famille et gens qu’ils l’ont le mieux connu – entrecoupés de comptes-rendus de matchs et d’articles de presse. Le tout est fascinant, lecture vivement recommandée).

[6] Surnom inusité depuis le milieu des Seventies. Lire ici.

[7] Le 4 mars 1961, devant plus de 60 000 spectateurs. Une étonnante anecdote existe sur Danny Blanchflower à Roker Park. Apocryphe ou non, elle est trop belle pour ne pas la conter. En effet, le suprêmement talentueux Nord-Irlandais, assurément l’un des cinq meilleurs Spurs de l’histoire du club, ne crut pas un instant que le… (suite au prochain épisode).

Etihad Stadium, le 13 mai 2012 vers 17 h 30. Manchester City est en train de s’incliner devant Queens Park Rangers. Et si Roberto Mancini se résout à faire rentrer Mario Balotelli, pourtant placardisé depuis quelques semaines, c’est qu’il a beaucoup à perdre. Le titre de champion évidemment mais aussi probablement son job de manager [1].

Quand Agüero évite le tacle de Taiwo pour frapper, ce n’est pas qu’un but qu’il plante mais l’arbre qui cache toute la forêt d’échecs que le club mancunien a laissé pousser depuis quelques saisons.

A ce moment précis le club a dépensé 580M £ dans des mercatos cacophoniques depuis son rachat par un fond d’investissement émirien en 2008. Il possède alors la plus grosse masse salariale du championnat en ayant gagné uniquement une FA Cup au terme d’une campagne assez ennuyeuse. Même en sachant les investisseurs du Golfe Persique excellents dans l’art d’écraser des mouches avec un marteau, on peut tout de même avancer que la perte du titre aurait sérieusement remis en question la gestion du club.

Les lendemains qui déchantent

En effet, si la défaite reste amère en toutes circonstances, celle-ci serait restée dans la gorge des Sky Blues un bon moment. Véritable rouleau compresseur jusqu’à sa première défaite début décembre et doté d’une capacité à marquer aussi impressionnante que sa solidité défensive, Manchester City file vers le titre à grand pas et semble enfin avoir l’allure d’un très grand club, comme en témoignent les spectateurs de l’humiliation infligée au rival dans sa propre demeure. Las, l’équipe se prend les pieds dans le tapis quand United prend sa revanche en FA Cup ; ce ne sont que l’étrange concordance entre les faux pas du leader, le retour inespéré de Tevez et l’énergie du désespoir qui permettent à City de s’offrir le cadeau qui lui était promis depuis le début de saison. A côté de cela, on aura vu les hommes de Mancini échouer sans gloire sur la scène européenne et surtout peiner à convaincre dans le jeu avec une équipe dont l’équilibre tenait à la bonne volonté de quelques joueurs.

Du côté d’Abu Dhabi, on était donc confronté à un cruel dilemme pour préparer la saison suivante : si l’on considérait la victoire du championnat, la logique voulait que l’on ralentisse les investissements pour stabiliser le club autour d’une formule qui semble porter ses fruits. Au contraire, si l’on considérait les réelles difficultés du club il fallait de nouveau chercher autre chose, amenant un nouveau problème : que faire de plus quand l’argent ne suffit pas ? Il faut croire que nos chers Emiriens n’ont pas voulu se frotter à une question si épineuse car l’été 2012 fut assez calme de ce côté de Manchester, seuls quelques achats de dernière minute – surpayés évidemment – venant agiter l’effectif.

Nous sommes aujourd’hui aux trois quarts de la saison, la plupart des compétitions sont bien avancées et l’on peut donc tenter d’établir un début de bilan : comment City digère-t-il son couronnement tant attendu ? Eliminé en Europe et distancé en championnat, le seul trophée que peut encore gagner Manchester City est une FA Cup. Plutôt maigre pour un club qui pensait enfin faire partie du gotha des clubs européens. Pour être tout à fait honnête, Manchester City n’a jamais vraiment paru en position de gagner quoi que ce soit depuis le début de la saison au regard de ses performances au mieux efficaces sans être impressionnantes, au pire très laborieuses. Cette gueule de bois – par rapport aux ambitions du club évidemment – est assez classique mais pourtant relativement complexe à analyser tant elle découle d’un ensemble de facteurs pas forcément prévisibles.

Le Club des Cinq est à la peine

La différence la plus frappante avec la saison du titre est sans doute la régularité de l’équipe dans ses performances individuelles. Une grande partie du succès de l’an dernier était due à quelques joueurs clés qui formaient l’ossature de l’équipe et sur lesquels Roberto Mancini pouvait réellement s’appuyer : Joe Hart, Vincent Kompany, Yaya Touré, David Silva et Sergio Agüero (voir article So Foot). Tout le travail de Mancini au club se concrétise dans ces cadres qui ont progressivement fait de City un des effectifs les plus compétitifs d’Europe. Sans surprise, l’équipe type de cette année ne bouleverse pas cette stabilité au point d’être dans une continuité assez rare pour un club de ce standing.

Toutefois, si l’on observe de plus près les performances de ces cinq piliers cette année, on constate que leur solidité est mise à l’épreuve.

1) Joe Hart tout d’abord, l’espoir de toute une nation à son poste depuis plusieurs saisons s’est fait remarquer cette saison par quelques belles boulettes parfois coûteuses. Ses sorties médiatiques lui ont valu d’être plusieurs fois rappelé à l’ordre par un Mancini que l’on a connu plus indulgent. Si ses qualités de gardien ne sont pas à remettre en cause, sa confiance et sa place au sein de l’effectif pourraient bien être à l’origine de ses quelques contre-performances.

2) Vincent Kompany a connu des blessures qui l’ont écarté des terrains et avec lui son charisme de capitaine, tandis que l’hésitation récurrente au début de saison sur son partenaire de défense centrale l’a régulièrement conduit à prendre des responsabilités que sa condition physique ne lui permettait pas toujours d’endosser.

3) Yaya Touré, considéré à juste titre comme celui qui fait tenir toute la baraque, ne connaît pas véritablement de baisse de forme, mais son importance au sein de l’effectif devient parfois si importante qu’il accuse le coup sur certains matches. Son absence durant la CAN n’a pas coïncidé avec de mauvais résultats (2 victoires et 2 nuls), mais sa titularisation immédiate lors de son retour a été un des plus mauvais matches de la saison des Sky Blues (défaite 1-3 contre Southampton).

4) David Silva, stratosphérique sur les matches aller de la saison dernière est dans la continuité de son année 2012 : précieux, mais moins décisif. Lui aussi semble parfois souffrir physiquement et peiner à trouver sa place dans le dispositif tactique changeant de Mancini, quand bien même il lui arrive de retrouver une position d’électron libre qui correspond le mieux à ses capacités.

5) Enfin, Sergio Agüero, peut-être la plus grande déception. Sa première saison en Premier League restait comme l’une des plus grandes réussites pour un attaquant depuis l’arrivée de Fernando Torres. Il était non seulement plus adroit dans le but, mais également plus altruiste. Sa blessure lors du match d’ouverture et ses problèmes personnels [2] l’ont freiné dans son ascension fulgurante, et aujourd’hui il n’est « que » l’attaquant le plus complet de l’effectif, ce qui le conduit à être baladé un peu partout en attaque, pour des réussites inégales : c’est principalement dans sa position d’attaquant de soutien qu’il s’exprime le mieux, et lui aussi semble peu à l’aise dans les expérimentations tactiques de son entraîneur.

Autour d’eux, les anciens tiennent leur rôle (Barry, Zabaleta), certains surprennent par leur bonne forme (Tevez, Milner) tandis que d’autres semblent avoir du mal à confirmer (Nasri). Hormis Dzeko ou Kolarov, on voit assez peu de remplaçants faire la différence et les principales qualités de Manchester City semblent contenues dans une petite quinzaine de joueurs. Les recrues qui avaient été enrôlées comme potentiels titulaires n’ont pas vraiment gagné leur place, et les jeunes ne paraissent pas en mesure de bousculer la hiérarchie, à l’exception notable de Nastasic qui s’est fait une place de titulaire pour former l’une des meilleures charnières de Premier League. Une belle affaire pour Mancini, point qui doit être relevé.

Mancini brillant, ni pertinent

On peut néanmoins considérer que Roberto Mancini porte une grande part de responsabilité dans les performances de son équipe cette saison, et pas seulement parce qu’il est commode de pointer du doigt l’entraîneur. Lui aussi était tiraillé entre la stabilité et le changement et il a décidé de couper la poire en deux en changeant de tactique avec le même effectif.

La première sortie de la saison lors du Community Shield a ainsi vu les Mancuniens évoluer dans un 3-5-2 séduisant et efficace sur le papier, mais moins convaincant sur le terrain. Dispositif hybride entre le 3-5-2 à l’italienne et le 3-4-3 de Guardiola-Kolarov jouant le rôle de Dani Alves – ce schéma n’a jamais donné tout ce qu’on était en droit d’espérer, mais n’a jamais été complètement abandonné non plus, Mancini l’utilisant à plusieurs reprises comme plan B [3]. Utilisé dès le départ, il présente le bilan assez médiocre d’une victoire, deux nuls et une défaite. Utilisé en cours de match, c’est déjà mieux, avec six victoires, un nul et deux défaites.

Ces chiffres positifs sont toutefois à pondérer : le changement tactique n’a conduit que deux fois à renverser le score (notamment contre Tottenham), étant la plupart du temps inoffensif pour l’adversaire. Le recrutement de Maicon a été réalisé dans cette optique : chacune de ses entrées sur le terrain avait pour but de passer dans une défense à trois. Cependant, Maicon ne semble jamais s’être remis de sa rencontre avec Gareth Bale et en défense centrale seul Kompany est à l’aise dans ce dispositif. Tout n’est pas perdu pour le 3-5-2 pour autant, car Javi Garcia a certainement été recruté pour son profil lui permettant de descendre au niveau des défenseurs, assez utile avec une telle tactique. Il reste néanmoins une solution de rechange, ce qui laisse penser que le championnat anglais demeure assez hermétique à certains systèmes et profils.

Au-delà de cette innovation qui ressemble davantage à une manœuvre de Mancini pour se donner une image de coach créatif que comme une réflexion tactique sur son effectif et sur ses adversaires, c’est un ensemble de décisions qui peut être pointées du doigt. A commencer par son obsession ridicule pour les attaquants, qui a pu le conduire à finir un match contre Fulham dans un 4-3-3 si offensif et bling-bling que la valeur totale des attaquants présents sur le terrain était quasiment égale au budget annuel du club. Il peut remercier Dzeko de savoir marquer sur une demi-occasion, sans quoi le ridicule eut été total. On peut aussi parler de sa gestion d’effectif, dont le cas Balotelli cristallisait les contradictions [4].

Plus récemment, ses interventions médiatiques mourinhesques ont été  désastreuses : « Ceux qui me critiquent ne comprennent rien au football », « Je suis le meilleur coach d’Angleterre » ou encore « Pour l’instant Manchester United a été très chanceux », estimant que l’écart avec le voisin ne reflétait pas les performances de son équipe. Toute cette agitation de surface rappelle que Roberto Mancini n’est pas, au contraire d’autres entraîneurs, rompu aux titres et à leur gestion. Champion d’Italie dans un championnat qui se remettait du Calciopoli, il a remporté ses titres dans un contexte plutôt favorable – sans retirer quoi que ce soit à ses réussites – et peine à garder la barre de son navire dans l’adversité.

Manque d’expérience ?

Finalement, le principal facteur d’explication des difficultés mancuniennes cette saison n’est peut-être pas à chercher à l’intérieur du club mais à l’extérieur. En effet, si Manchester City marque beaucoup moins que la saison dernière, sa défense reste tout de même l’une des meilleures d’Europe. Et s’il est vrai que l’équipe semble fébrile, ses résultats sont globalement dans la continuité de la saison dernière.

Ce que Manchester City n’avait pas prévu, c’était que ses adversaires l’affronteraient désormais le couteau entre les dents. Manchester United en premier lieu, car les Red Devils avancent à un rythme plus vu en Premier League depuis le Chelsea de Mourinho, une cadence beaucoup plus soutenue que celle de City l’an dernier. De même, en Ligue des Champions, l’expérience de clubs comme le Real et l’Ajax s’est ressentie, tout comme le talent d’un coach tel Jurgen Klopp.

Les dirigeants de Manchester City se sont crus déjà arrivés avec le titre de champion de Premier League. Seulement, les lignes du palmarès ne sont qu’une condition nécessaire mais non suffisante pour devenir un grand club. Il ne s’agit pas de dire qu’il aurait mieux valu tout bouleverser, simplement il était naïf de ne rien changer, comme si le club avait déjà atteint le sommet.
Premier club racheté par des investisseurs du Golfe et premier club à traduire cette puissance par un titre, Manchester City est désormais en quête d’expérience, chose que seul le temps peut lui offrir. Reste désormais à savoir si les Emiriens sauront apprécier à leur juste valeur les années à la fois frustrantes et excitantes durant lesquelles un bon club devient un grand club, lorsqu’un échec cachera une forêt de réussites [5].

George T. Newman.

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[1] Lire ici.

[2] Bénéficiant du statut privilégié de gendre de Maradona depuis plusieurs années, sa relation avec la fille du Pibe de Oro s’est achevée cette année, cela s’ajoutant à quelques remarques -assez tristes à entendre pour les supporters- qui laissaient entendre que le Kun aurait préféré rester en Espagne s’il avait pu.

[3] Lire cet article de Zonal Marking écrit juste après le Community Shield, mais dont les réflexions englobent tout ce que l’on peut dire au sujet du projet de Mancini. Tout juste pourra-t-on ajouter une question sur l’intérêt d’utiliser un tel dispositif dans un championnat comme la Premier League.

[4] Lire cet article qui pointe l’échec de Mancini à stabiliser le joueur, ce que d’autres entraîneurs ont réussi par la suite, affectant très négativement l’image du club et de son entraîneur : « The transfer robs the Premier League of one of its great eccentrics but also reflects poorly on coach Roberto Mancini, whose various management methods – lurching between carrot and stick, defending and then attacking the player […] have failed. »

[5] Certains membres du club l’ont déjà bien compris : « We must grow as a group and in mentality, United have built a winning culture over the last 20 years, while City’s project is at the start. » Pablo Zabaleta (The Express)