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Les demi-finales de FA Cup disputées ce week-end à Wembley sont l’occasion idéale de parler du plus beau parcours de toute l’histoire de la FA Cup : Sunderland, en 1973. Le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) éliminait Arsenal en demi-finale et remportait la finale face au grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park.

Si vous prenez cette série en cours, la lecture de l’intro est recommandée (et du reste aussi d’ailleurs).

Troisième partie : interview avec une Sunderland legend de l’époque, Cecil Irwin, latéral droit aux 351 matchs sous le maillot rouge et blanc entre 1958 et 1972. Cecil fit ses débuts le même jour que les défenseurs Len Ashurst et Jimmy Mc Nab, tous lancés dans le grand bain par Alan Brown, le légendaire manager Black Cat (1957-64 et 1968-72). Ce fut l’ossature de l’équipe bâtie par Brown dans les années soixante qui remporta la FA Cup 1973.

Avec les légendaires Jim Montgomery (gardien) et Charlie Hurley, le quintet formera le socle de l’infatigable défense Black Cat durant les Sixties (D2 et D1) : 2 152 matchs à eux cinq !

Et pour la première fois dans Teenage Kicks, un jeu-concours avec un joli cadeau- souvenir à la clé vous est proposé. Nul besoin de s’y connaître en foot british, un peu d’imagination suffit… Détails en bas de page.

Interview vintage

Cecil, tu es le deuxième plus jeune joueur à avoir porté le maillot de Sunderland (16 ans et 5 mois). Vous étiez en quelle division quand tu as débuté en 1958 ?

On venait de descendre en D2, la première relégation du club depuis sa création en 1879 [1] ! La saison précédente, Sunderland avait encaissé 97 buts faut dire… La descente s’était jouée au goal-average entre nous, Portsmouth et Newcastle, – 43 pour SAFC…. C’était la fin d’un cycle pour Sunderland, la fin de la fameuse « Bank of England side* » du début des Fifties, l’équipe était vieillissante [*Sunderland était considéré comme fortuné car financé par des industriels des chantiers navals]. J’étais très jeune, je n’avais joué qu’un seul match cette saison-là, en septembre 58, contre l’Ipswich d’Alf Ramsey. On avait perdu 2-0 chez nous, devant 27 000 spectateurs.

Alf Ramsey et son 4-3-3, puis son glissement vers le 4-2-4 et ensuite le 4-4-2 [2] qui donnerait la Coupe du monde à l’Angleterre huit ans plus tard (les fameux Wingless Wonders, les Merveilles sans ailes). Ça avait dû te faire drôle de n’avoir aucun vrai ailier à marquer*, non ?

Ah ça oui, notre jeune défense fut déboussolée face à Ipswich Town, et encore plus les latéraux ! Beaucoup d’équipes jouaient encore avec le vieux WM d’Herbert Chapman, puis, au cours des Sixties, en 4-2-4 et 4-4-2 un peu plus tard. La fin des Fifties et début des Sixties furent une période de transition et d’expérimentation tactiques, les défenses étaient trop poreuses et il fallait trouver de nouveaux systèmes. Ce jour-là, quand j’ai disputé mon premier match contre Ipswich, personne ne pouvait se douter que Ramsey [3] deviendrait ensuite sélectionneur anglais [1963-74] et encore moins qu’il remporterait la Coupe du monde 1966. Ma première saison pleine fut 1961-62, toujours en D2.

[*ce point est examiné page 145 de l’indispensable Inverting the pyramid de Jonathan Wilson ; un must-read depuis que, pour paraphraser le magazine When Saturday Comes, savoir parler tactique est devenu bien plus vital qu’assurer au lit – surtout à nos âges serais-je tenté d’ajouter… mais revenons au terrain]

Et Newcastle United, ça donnait quoi à cette époque ?

Après le départ de Jackie Milburn [200 buts Magpies], ils végétèrent en bas de tableau de D1, pour finalement descendre en D2 en 1961. Ils remontèrent en D1 en 1965, un an après nous.

Cecil Irwin, 4è en partant de la gauche (photo: remontée en D1, 18.04.64 v Charlton, 51 000 spectateurs)

Te souviens-tu de ton premier derby contre Newcastle, décembre 1961 à Saint James’ Park, devant 54 000 spectateurs ?

Un peu, pas plus que ça en fait…

[Je montre à Cecil quelques documents d’archives et le match lui revient en mémoire]

Ah oui, on fait 2-2 à SJP, doublé de Brian Clough pour nous. Y’avait bien sûr une rivalité entre les deux clubs mais rien de comparable à maintenant, à cette haine souvent irrationnelle. Y’avait ni animosité entre joueurs ni violence à l’extérieur. Pour te dire, les supporters des 2 clubs étaient mélangés dans les tribunes, inimaginable aujourd’hui.

A l’époque, c’était presque un match comme les autres, le manager ne nous disait rien de spécial. De toute manière, il n’avait pas besoin de nous motiver, on l’était assez comme ça. C’est dans la rue qu’on ressentait plus la rivalité, les gens nous arrêtaient en agitant le poing et nous disaient : « Vous les battez hein !« . Je me souviens mieux du match phase retour à Roker Park, on leur met 3-0 devant 58 000 spectateurs ! [décidément, ce 3-0 revient souvent, ndlr]

Je reviendrai sur ce personnage fascinant qu’était Brian Clough si tu le veux bien. Vous faisiez combien en moyenne les saisons de D2 ?

Environ 35 000 mais ça fluctuait beaucoup. Contre les petits clubs on faisait 15 ou 20 000 et jusqu’à 60 000 contre Newcastle ou Middlesbrough, aussi en D2.

Tu avais connu Roker Park étant jeune ?

Oh oui ! C’était mon club, je vivais à 40 kilomètres de Sunderland et le club organisait un ramassage de supporters en bus. J’ai pas raté beaucoup de matchs dans les années 50 quand Sunderland tournait bien en D1, y’avait le grand Len Shackleton, entre autres.

Peux-tu nous parler de l’ambiance de Roker Park en tant que joueur ?

C’était très spécial, rien que le Roker End [le Kop] pouvait accueillir plus de 20 000 personnes et le public te portait d’une manière phénoménale, c’était un véritable chaudron parfois. Le Fulwell [couvert, à l’opposé du Roker End, ici] était chaud aussi. Ça ne chantait pas énormément mais c’était très vocal, ça vociférait, des encouragements, des cris, les gens agitaient beaucoup d’écharpes, quelques drapeaux et banderoles au début des Seventies. Le merchandising commençait et ça devenait plus coloré même si personne ne portait le maillot du club [phénomène apparu au milieu des Seventies mais qui ne se développa qu’à partir des Nineties, voir dossier TK ici et ici].

D’ailleurs dans le Roker End, y’avait souvent des fanatiques qui grimpaient sur les pylônes d’éclairage aussi, non ?

Ouais [rires], c’était fou, effectivement pas mal de gens escaladaient les pylônes ou restaient massés au pied de ces immenses pylônes, les plus hauts d’Europe paraît-il, on les avait eus dès 1952, on était le deuxième club anglais à en bénéficier. Quand le stade était plein, y’avait des gens partout, parfois même à 1 mètre de la ligne de touche, c’etait pas franchement autorisé mais la billetterie étant le seul revenu du club, ceux-ci avaient parfois tendance à charger la mule.

Tu as joué dans des dizaines de stades anglais, quelles étaient les plus belles ambiances ?

Anfield et Old Trafford à mon avis. Après, t’avais Stamford Bridge, Saint James’ Park… Tous ces stades avaient quelque chose de spécial. Mais rien ne valait Roker Park !

Ça va de soi. Quel est ton plus beau souvenir de Roker Park ?

Le quart de finale FA Cup contre Man United en mars 1964 devant 62 000 spectateurs, un match incroyable, c’était un replay, on avait fait 3-3 à Old Trafford après avoir mené 3-1… Donc, replay chez nous à Roker Park. Je n’ai jamais vu la ville de Sunderland dans cet état, c’était de la pure folie. A l’époque, les gens prenaient leur billet le jour du match bien souvent et ça se passait bien, mais là l’engouement fut incroyable, le club avait mal calculé son coup.

Les reporters des journaux locaux estimèrent qu’il y avait 130 ou 140 000 personnes dans et autour du stade ce soir-là, dans les étroites rues avoisinantes. D’ailleurs, il y a quelques années, Bobby Charlton déclara lors d’une interview que l’ambiance de ce Sunderland-Man United fut la plus démente de toute sa carrière, dans et en dehors du stade ! Et, plus tard, Nobby Stiles [milieu défensif de Man United et international anglais] nous raconta des trucs assez dingues sur George Best ce soir-là…

Ah oui, je crois savoir mais nous en parlerons plus tard. Sunderland-United est ce match incroyable avec 60 000 personnes restées dehors et cette tragédie où deux supporters moururent écrasés.

Horrible en effet, les gens devinrent fou, y’avait ni sécurité ni rien, le club avait été pris de court tout simplement car personne n’imaginait que nous, club de D2, ferions 3-3 à Old Trafford contre le grand Manchester United 4 jours avant, même si c’était les débuts du grand Man United de l’ère Matt Busby [deuxième mouture], ils étaient incroyablement populaires, où qu’ils aillent.

Les médias avaient demandé au club pourquoi il n’avait pas vendu les billets bien avant le match et le président s’était contenté de dire : « On n’a pas eu le temps de les imprimer, pour cause de week-end entre le match à Old Trafford et le replay, et les gens ne bossent pas le week-end ».

Oui, le club fut totalement dépassé et l’organisation avec.

Charly Hurley et Denis Law

Les deux capitaines, Charlie Hurley et Denis Law

Officiellement, 47 000 spectateurs mais jusqu’à 80 000 en fait et 60 000 personnes refusées, dehors à essayer de pénétrer coûte que coûte dans le stade…

Oui, facilement… Le Sunderland Echo et le Northern Chronicle estimèrent qu’il y avait au moins 80 000 personnes ce soir-là dans Roker Park, avec comme tu dis, 60 000 refoulées dont une bonne moitié restées dehors pour voir si elles pouvaient rentrer d’une manière ou d’une autre. Les bouchons pour atteindre Roker Park faisaient des kilomètres, il s’écrivit même qu’une file allait presque jusqu’à Newcastle ! Le lendemain, on sut que deux personnes étaient mortes asphyxiées ou piétinées dans les bousculades, l’une d’une crise cardiaque je crois, avec des dizaines de blessés. Beaucoup de gens se blessèrent en escaladant les grilles et murs, chutes, coupures, etc. Certains murs avaient des tessons de bouteilles pour empêcher la resquille. Des grilles de sortie fut forcées et des dizaines de milliers de personnes s’engouffrèrent dans Roker Park. Et malheureusement, au niveau du Roker End, ce fut le carnage.

Vous les joueurs, vous saviez ce qui se passait à l’extérieur ?

Non, absolument pas. On savait qu’il y avait un monde fou car avant le match (à 20 heures), on avait pris notre collation au Roker Hotel sur le bord de mer, pas très diététique d’ailleurs, et…

Vous aviez mangé quoi, un bon vieux fish and chips ?

Non, un gros steak, du pain de mie grillé et on avait bu du thé… C’était censé nous donner de l’énergie. Vers 18 h, on s’était rendu au stade à pied, à 500 mètres de là. Mais impossible d’atteindre le stade tellement la foule était nombreuse et dense ! Il avait fallu que la police nous fraye un chemin pour accéder à l’entrée des joueurs, les gens nous agrippaient, nous retenaient, insensé, je n’avais jamais vu ça. Idem pour les joueurs de Man United, les gens étaient devenus comme dingues.

Ce qui est dingue aussi, c’est qu’à peu près la même chose s’était passée à Roker Park trente ans avant, le 8 mars 1933, lors d’un Sunderland-Derby. Pareil, replay de FA Cup, 75 118 spectateurs officiellement, au minimum 100 000 en fait, et des bousculades qui firent 2 morts et beaucoup de blessés.

Et ouais, aucune leçon ne fut retenue de toutes ces tragédies depuis Ibrox Park en 1902 jusqu’à Hillsborough. Mais tu connais le plus insensé de l’histoire sur ce match contre Man United ?

Non…

Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans…

A suivre.

Kevin Quigagne.

Jeu concours

Dear readers,

Le temps est venu de récompenser votre fidélité et bravitude. Vous vous tapez mes pavés depuis fort longtemps avec une bienveillance et résilience admirables et cela mérite eine groß gratification.

Par conséquent, celui ou celle d’entre vous qui complétera la phrase ci-dessus (Ben figure-toi que beaucoup de gens qui étaient entrés sans…) au plus près de la réalité recevra un joli cadeau-surprise qui a nécessité un raid dans le compte suisse des Cahiers. Autant vous dire que c’est du lourd donc.

Alors faites chauffer vos neurones et tentez votre chance ci-dessous dans les commentaires. N’hésitez pas, sur un malentendu ça peut le faire. Un gros indice : ce qui se passa avec ces gens entrés sans… est assez insolite.

Vous avez 5 jours.

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[1] Sunderland fut créé en 1879, et intégra la Football League en 1890, deux ans après sa création. Le club évolua en D1 de 1890 à 1958.

[2] L’Angleterre du manager Alf Ramsey devint championne du monde grâce à un système innovateur développé par le Russe Viktor Maslov : le 4-4-2. Un dispositif qui donnait la part belle à l’assise défensive, au pressing et aux milieux polyvalents, au détriment des ailiers, trop souvent jugés inaptes aux taches défensives. Tout le contraire du jeu long favorisé par tant d’équipes britanniques (façon kick and rush) où l’entrejeu était zappé et les ailiers érigés au rang de demi-dieux (même si Ramsey aimer recourir au principe du « jeu direct » – le moins de passes possibles – si prisé des clubs à l’époque, sauf Tottenham. Sans trop entrer dans les détails, Ramsey aimait alterner passes courtes et longues, mais il changea souvent, 4-3-3, puis 4-2-4 et 4-4-2 & ses variantes, de manière non linéaire chronologiquement).

[3] Ramsay était alors un jeune manager qui avait repris Ipswich en D3 en 1955. Sept ans plus tard, il leur fit remporter le titre de D1 (1962) devant Burnley et surtout le grand Tottenham de Bill Nicholson (manager) et l’immense Jimmy Greaves, qui coûtait à lui seul 3 fois plus que tout l’effectif d’Ipswich (acheté au Milan AC pour la somme astronomique de 99 999 £… raisons expliquées ici). Une telle prouesse (de D3 au titre D1 en quelques saisons, sans moyens) fut facilitée par l’absence totale de couverture télévisée et la rareté de l’observation de matchs (Ipswich joua sur l’effet de surprise – qui cessa une fois les adversaires habitués aux dispositifs mis en place par Ramsey. Ipswich, sans Ramsey, redescendit en D2 en 1964, deux ans après le titre national).