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Etihad Stadium, le 13 mai 2012 vers 17 h 30. Manchester City est en train de s’incliner devant Queens Park Rangers. Et si Roberto Mancini se résout à faire rentrer Mario Balotelli, pourtant placardisé depuis quelques semaines, c’est qu’il a beaucoup à perdre. Le titre de champion évidemment mais aussi probablement son job de manager [1].

Quand Agüero évite le tacle de Taiwo pour frapper, ce n’est pas qu’un but qu’il plante mais l’arbre qui cache toute la forêt d’échecs que le club mancunien a laissé pousser depuis quelques saisons.

A ce moment précis le club a dépensé 580M £ dans des mercatos cacophoniques depuis son rachat par un fond d’investissement émirien en 2008. Il possède alors la plus grosse masse salariale du championnat en ayant gagné uniquement une FA Cup au terme d’une campagne assez ennuyeuse. Même en sachant les investisseurs du Golfe Persique excellents dans l’art d’écraser des mouches avec un marteau, on peut tout de même avancer que la perte du titre aurait sérieusement remis en question la gestion du club.

Les lendemains qui déchantent

En effet, si la défaite reste amère en toutes circonstances, celle-ci serait restée dans la gorge des Sky Blues un bon moment. Véritable rouleau compresseur jusqu’à sa première défaite début décembre et doté d’une capacité à marquer aussi impressionnante que sa solidité défensive, Manchester City file vers le titre à grand pas et semble enfin avoir l’allure d’un très grand club, comme en témoignent les spectateurs de l’humiliation infligée au rival dans sa propre demeure. Las, l’équipe se prend les pieds dans le tapis quand United prend sa revanche en FA Cup ; ce ne sont que l’étrange concordance entre les faux pas du leader, le retour inespéré de Tevez et l’énergie du désespoir qui permettent à City de s’offrir le cadeau qui lui était promis depuis le début de saison. A côté de cela, on aura vu les hommes de Mancini échouer sans gloire sur la scène européenne et surtout peiner à convaincre dans le jeu avec une équipe dont l’équilibre tenait à la bonne volonté de quelques joueurs.

Du côté d’Abu Dhabi, on était donc confronté à un cruel dilemme pour préparer la saison suivante : si l’on considérait la victoire du championnat, la logique voulait que l’on ralentisse les investissements pour stabiliser le club autour d’une formule qui semble porter ses fruits. Au contraire, si l’on considérait les réelles difficultés du club il fallait de nouveau chercher autre chose, amenant un nouveau problème : que faire de plus quand l’argent ne suffit pas ? Il faut croire que nos chers Emiriens n’ont pas voulu se frotter à une question si épineuse car l’été 2012 fut assez calme de ce côté de Manchester, seuls quelques achats de dernière minute – surpayés évidemment – venant agiter l’effectif.

Nous sommes aujourd’hui aux trois quarts de la saison, la plupart des compétitions sont bien avancées et l’on peut donc tenter d’établir un début de bilan : comment City digère-t-il son couronnement tant attendu ? Eliminé en Europe et distancé en championnat, le seul trophée que peut encore gagner Manchester City est une FA Cup. Plutôt maigre pour un club qui pensait enfin faire partie du gotha des clubs européens. Pour être tout à fait honnête, Manchester City n’a jamais vraiment paru en position de gagner quoi que ce soit depuis le début de la saison au regard de ses performances au mieux efficaces sans être impressionnantes, au pire très laborieuses. Cette gueule de bois – par rapport aux ambitions du club évidemment – est assez classique mais pourtant relativement complexe à analyser tant elle découle d’un ensemble de facteurs pas forcément prévisibles.

Le Club des Cinq est à la peine

La différence la plus frappante avec la saison du titre est sans doute la régularité de l’équipe dans ses performances individuelles. Une grande partie du succès de l’an dernier était due à quelques joueurs clés qui formaient l’ossature de l’équipe et sur lesquels Roberto Mancini pouvait réellement s’appuyer : Joe Hart, Vincent Kompany, Yaya Touré, David Silva et Sergio Agüero (voir article So Foot). Tout le travail de Mancini au club se concrétise dans ces cadres qui ont progressivement fait de City un des effectifs les plus compétitifs d’Europe. Sans surprise, l’équipe type de cette année ne bouleverse pas cette stabilité au point d’être dans une continuité assez rare pour un club de ce standing.

Toutefois, si l’on observe de plus près les performances de ces cinq piliers cette année, on constate que leur solidité est mise à l’épreuve.

1) Joe Hart tout d’abord, l’espoir de toute une nation à son poste depuis plusieurs saisons s’est fait remarquer cette saison par quelques belles boulettes parfois coûteuses. Ses sorties médiatiques lui ont valu d’être plusieurs fois rappelé à l’ordre par un Mancini que l’on a connu plus indulgent. Si ses qualités de gardien ne sont pas à remettre en cause, sa confiance et sa place au sein de l’effectif pourraient bien être à l’origine de ses quelques contre-performances.

2) Vincent Kompany a connu des blessures qui l’ont écarté des terrains et avec lui son charisme de capitaine, tandis que l’hésitation récurrente au début de saison sur son partenaire de défense centrale l’a régulièrement conduit à prendre des responsabilités que sa condition physique ne lui permettait pas toujours d’endosser.

3) Yaya Touré, considéré à juste titre comme celui qui fait tenir toute la baraque, ne connaît pas véritablement de baisse de forme, mais son importance au sein de l’effectif devient parfois si importante qu’il accuse le coup sur certains matches. Son absence durant la CAN n’a pas coïncidé avec de mauvais résultats (2 victoires et 2 nuls), mais sa titularisation immédiate lors de son retour a été un des plus mauvais matches de la saison des Sky Blues (défaite 1-3 contre Southampton).

4) David Silva, stratosphérique sur les matches aller de la saison dernière est dans la continuité de son année 2012 : précieux, mais moins décisif. Lui aussi semble parfois souffrir physiquement et peiner à trouver sa place dans le dispositif tactique changeant de Mancini, quand bien même il lui arrive de retrouver une position d’électron libre qui correspond le mieux à ses capacités.

5) Enfin, Sergio Agüero, peut-être la plus grande déception. Sa première saison en Premier League restait comme l’une des plus grandes réussites pour un attaquant depuis l’arrivée de Fernando Torres. Il était non seulement plus adroit dans le but, mais également plus altruiste. Sa blessure lors du match d’ouverture et ses problèmes personnels [2] l’ont freiné dans son ascension fulgurante, et aujourd’hui il n’est « que » l’attaquant le plus complet de l’effectif, ce qui le conduit à être baladé un peu partout en attaque, pour des réussites inégales : c’est principalement dans sa position d’attaquant de soutien qu’il s’exprime le mieux, et lui aussi semble peu à l’aise dans les expérimentations tactiques de son entraîneur.

Autour d’eux, les anciens tiennent leur rôle (Barry, Zabaleta), certains surprennent par leur bonne forme (Tevez, Milner) tandis que d’autres semblent avoir du mal à confirmer (Nasri). Hormis Dzeko ou Kolarov, on voit assez peu de remplaçants faire la différence et les principales qualités de Manchester City semblent contenues dans une petite quinzaine de joueurs. Les recrues qui avaient été enrôlées comme potentiels titulaires n’ont pas vraiment gagné leur place, et les jeunes ne paraissent pas en mesure de bousculer la hiérarchie, à l’exception notable de Nastasic qui s’est fait une place de titulaire pour former l’une des meilleures charnières de Premier League. Une belle affaire pour Mancini, point qui doit être relevé.

Mancini brillant, ni pertinent

On peut néanmoins considérer que Roberto Mancini porte une grande part de responsabilité dans les performances de son équipe cette saison, et pas seulement parce qu’il est commode de pointer du doigt l’entraîneur. Lui aussi était tiraillé entre la stabilité et le changement et il a décidé de couper la poire en deux en changeant de tactique avec le même effectif.

La première sortie de la saison lors du Community Shield a ainsi vu les Mancuniens évoluer dans un 3-5-2 séduisant et efficace sur le papier, mais moins convaincant sur le terrain. Dispositif hybride entre le 3-5-2 à l’italienne et le 3-4-3 de Guardiola-Kolarov jouant le rôle de Dani Alves – ce schéma n’a jamais donné tout ce qu’on était en droit d’espérer, mais n’a jamais été complètement abandonné non plus, Mancini l’utilisant à plusieurs reprises comme plan B [3]. Utilisé dès le départ, il présente le bilan assez médiocre d’une victoire, deux nuls et une défaite. Utilisé en cours de match, c’est déjà mieux, avec six victoires, un nul et deux défaites.

Ces chiffres positifs sont toutefois à pondérer : le changement tactique n’a conduit que deux fois à renverser le score (notamment contre Tottenham), étant la plupart du temps inoffensif pour l’adversaire. Le recrutement de Maicon a été réalisé dans cette optique : chacune de ses entrées sur le terrain avait pour but de passer dans une défense à trois. Cependant, Maicon ne semble jamais s’être remis de sa rencontre avec Gareth Bale et en défense centrale seul Kompany est à l’aise dans ce dispositif. Tout n’est pas perdu pour le 3-5-2 pour autant, car Javi Garcia a certainement été recruté pour son profil lui permettant de descendre au niveau des défenseurs, assez utile avec une telle tactique. Il reste néanmoins une solution de rechange, ce qui laisse penser que le championnat anglais demeure assez hermétique à certains systèmes et profils.

Au-delà de cette innovation qui ressemble davantage à une manœuvre de Mancini pour se donner une image de coach créatif que comme une réflexion tactique sur son effectif et sur ses adversaires, c’est un ensemble de décisions qui peut être pointées du doigt. A commencer par son obsession ridicule pour les attaquants, qui a pu le conduire à finir un match contre Fulham dans un 4-3-3 si offensif et bling-bling que la valeur totale des attaquants présents sur le terrain était quasiment égale au budget annuel du club. Il peut remercier Dzeko de savoir marquer sur une demi-occasion, sans quoi le ridicule eut été total. On peut aussi parler de sa gestion d’effectif, dont le cas Balotelli cristallisait les contradictions [4].

Plus récemment, ses interventions médiatiques mourinhesques ont été  désastreuses : « Ceux qui me critiquent ne comprennent rien au football », « Je suis le meilleur coach d’Angleterre » ou encore « Pour l’instant Manchester United a été très chanceux », estimant que l’écart avec le voisin ne reflétait pas les performances de son équipe. Toute cette agitation de surface rappelle que Roberto Mancini n’est pas, au contraire d’autres entraîneurs, rompu aux titres et à leur gestion. Champion d’Italie dans un championnat qui se remettait du Calciopoli, il a remporté ses titres dans un contexte plutôt favorable – sans retirer quoi que ce soit à ses réussites – et peine à garder la barre de son navire dans l’adversité.

Manque d’expérience ?

Finalement, le principal facteur d’explication des difficultés mancuniennes cette saison n’est peut-être pas à chercher à l’intérieur du club mais à l’extérieur. En effet, si Manchester City marque beaucoup moins que la saison dernière, sa défense reste tout de même l’une des meilleures d’Europe. Et s’il est vrai que l’équipe semble fébrile, ses résultats sont globalement dans la continuité de la saison dernière.

Ce que Manchester City n’avait pas prévu, c’était que ses adversaires l’affronteraient désormais le couteau entre les dents. Manchester United en premier lieu, car les Red Devils avancent à un rythme plus vu en Premier League depuis le Chelsea de Mourinho, une cadence beaucoup plus soutenue que celle de City l’an dernier. De même, en Ligue des Champions, l’expérience de clubs comme le Real et l’Ajax s’est ressentie, tout comme le talent d’un coach tel Jurgen Klopp.

Les dirigeants de Manchester City se sont crus déjà arrivés avec le titre de champion de Premier League. Seulement, les lignes du palmarès ne sont qu’une condition nécessaire mais non suffisante pour devenir un grand club. Il ne s’agit pas de dire qu’il aurait mieux valu tout bouleverser, simplement il était naïf de ne rien changer, comme si le club avait déjà atteint le sommet.
Premier club racheté par des investisseurs du Golfe et premier club à traduire cette puissance par un titre, Manchester City est désormais en quête d’expérience, chose que seul le temps peut lui offrir. Reste désormais à savoir si les Emiriens sauront apprécier à leur juste valeur les années à la fois frustrantes et excitantes durant lesquelles un bon club devient un grand club, lorsqu’un échec cachera une forêt de réussites [5].

George T. Newman.

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[1] Lire ici.

[2] Bénéficiant du statut privilégié de gendre de Maradona depuis plusieurs années, sa relation avec la fille du Pibe de Oro s’est achevée cette année, cela s’ajoutant à quelques remarques -assez tristes à entendre pour les supporters- qui laissaient entendre que le Kun aurait préféré rester en Espagne s’il avait pu.

[3] Lire cet article de Zonal Marking écrit juste après le Community Shield, mais dont les réflexions englobent tout ce que l’on peut dire au sujet du projet de Mancini. Tout juste pourra-t-on ajouter une question sur l’intérêt d’utiliser un tel dispositif dans un championnat comme la Premier League.

[4] Lire cet article qui pointe l’échec de Mancini à stabiliser le joueur, ce que d’autres entraîneurs ont réussi par la suite, affectant très négativement l’image du club et de son entraîneur : « The transfer robs the Premier League of one of its great eccentrics but also reflects poorly on coach Roberto Mancini, whose various management methods – lurching between carrot and stick, defending and then attacking the player […] have failed. »

[5] Certains membres du club l’ont déjà bien compris : « We must grow as a group and in mentality, United have built a winning culture over the last 20 years, while City’s project is at the start. » Pablo Zabaleta (The Express)