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Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le chemin parcouru ces deux dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

Aujourd’hui considéré comme le plus grand melting-pot footballistique de la planète (une centaine de nationalités sont représentées dans le football professionnel britannique cette saison), une certaine Grande-Bretagne du football a longtemps été hostile aux non-Whites, tout au long du XXè siècle.

On pense parfois (erronément) que le racisme en G-B ne surgit qu’avec l’émergence de joueurs noirs ou métisses [1] au sortir des Sixties. Pourtant, ce poison commença réellement à se manifester il y a plus de cent ans, puis procéda par petites touches hideuses jusqu’aux années 60, avant de se généraliser à partir des années 70, largement porté par la montée du hooliganisme et l’infiltration du National Front dans le football. Dans son livre Colouring over the white line (publié en 2000), Phil Vasili, le plus éminent spécialiste anglais en la matière, écrit ceci (sur la période 1920-1970) : « Depuis les années 20, le racisme ordinaire a confiné des générations de joueurs noirs à la périphérie du football. »

Depuis peu, un indispensable travail mémoriel et d’information, malheureusement insuffisamment relayé, est entrepris pour que les premiers joueurs noirs, ceux qui « paved the way » (ont ouvert la voie), ne soient plus oubliés ou consignés aux zones d’ombre de l’histoire. Car des premières manifestations du racisme à la création de Kick it out et un travail collectif de sensibilisation sur le sujet, le chemin fut long et tortueux.

Ce volumineux dossier, sur lequel je travaille depuis plus de quatre ans [2], s’attachera à présenter chronologiquement et contextuellement une sélection de joueurs qui ont jalonné l’histoire du football noir britannique. En ce sens, il faut comprendre le « premiers » du titre non comme un strict historique des pionniers du genre mais comme un panorama des joueurs qui ont compté dans la trame du football noir/métis britannique (premier footballeur noir professionnel, premier Africain à évoluer au Royaume-Uni, etc.). Ces hommes durent souvent subir le racisme et les préjugés les plus abjects, un ostracisme qui affecta non seulement leur carrière mais aussi leur vie, surtout entre 1960 et 1990. Tous, à leur manière, apportèrent leur pierre à l’édifice du changement.

« Les joueurs noirs dans ce club [Crystal Palace] apportent leur grosse technique et leur talent à l’équipe. Mais le collectif a aussi besoin de joueurs blancs pour équilibrer les choses et injecter de l’intelligence et du bon sens dans le jeu. »

Ron Noades, propriétaire de Crystal Palace, en 1991 dans un documentaire de Channel 4 intitulé GB United [3]. Ce genre de propos, exprimé librement, publiquement et en toute impunité, n’était pas rare il y a peu.

Depuis 2010, après une décennie de relative accalmie [4], de nombreuses « affaires » d’ampleur diverse ont ravivé le spectre du racisme dans le football britannique. Si beaucoup sont ou semblent légitimes (celle-ci, sortie par le Daily Mail, est particulièrement édifiante), certaines résultent purement de l’emballement médiatique et/ou de l’hystérie collective, cf cette pseudo polémique ridicule. Parallèlement, le débat autour de la très faible proportion de managers (et membres du staff) noirs dans le foot british a été relancé [5].

Face à ce tourbillon de controverse et d’agitation permanentes, il m’a semblé opportun de tranquillement remonter le cours de l’histoire jusqu’à sa source. Bien connaître le passé, c’est aussi se donner la chance de mieux interpréter le présent. Une banalité doublée d’une évidence sans doute, mais qu’il convient plus que jamais de marteler.

A venir bientôt.

Kevin Quigagne.

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[1] Certains des footballeurs choisis dans ce dossier (surtout pré-1950) ne sont pas noirs au sens contemporain du terme (de peau noire) mais métis*. Toutefois, ces métis, alors souvent affublés de l’injurieux darkie/dark(e)y (basané, bronzé), étaient considérés comme noirs par la population et la presse. Dans les documents historiques sur le football britannique, c’est l’adjectif black (parfois le substantif Negro) qui est utilisé à propos de ces pionniers, et ce sans doute afin de marquer la différence de perception avec notre époque. Comme l’observait si justement l’écrivain américain Ralph Emerson, « Language is the archives of history ».

[*parenthèse socio-lexicale : métis = of mixed race/heritage ou dual heritage disent les Britanniques, bien que mixed race soit parfois controversé. Le terme half-caste, encore fréquemment utilisé il y a quinze ans par tous, tend à disparaître publiquement car au mieux considéré comme désuet, au pire comme péjoratif, à cause de son origine étymologique – castus = « pur » en latin -, son passé colonial et son sens en Inde ainsi que dans d’autres sociétés].

[2] Ce dossier très volumineux (il devrait dépasser les 200 000 signes) est toujours en cours d’écriture et pourrait ne pas être achevé à temps si j’arrêtais d’écrire pour TK en fin de saison comme c’est probable. Pour faciliter la digestion, je l’ai organisé en volets indépendants et il pourra donc s’accommoder d’une publication partielle le cas échéant. Sa publication s’étalera sur plusieurs mois.

[3] Il peut sembler ironique qu’un personnage connu, investi de responsabilités importantes et larges – professionnelles, morales, humaines – tienne de tels propos (« manque d’intelligence ») d’une manière aussi exposée : publiquement, devant des caméras télés, dans le cadre d’une émission programmée sur laquelle il avait probablement un droit de regard en amont et aval (rendant difficilement crédible l’argument usuel de la « maladresse sémantique »). Manque d’intelligence vous disiez ?

[4] Ou de sous-médiatisation/moindre mise en lumière, tant l’utilisation exponentielle d’Internet et des réseaux sociaux depuis dix ans a profondément modifié les paramètres et circuits traditionnels du traitement de l’information. Simultanément, la multiplication des émissions de type phone-in a amplifié l’effet « caisse de résonance » créé par Internet.

Toutefois, même si notre perception a pu s’en trouver altérée, il n’en demeure pas moins que la question de la discrimination, dans sa globalité, – racisme, xénophobie, homophobie, propagation de stéréotypes raciaux ou nationaux/préjugés douteux/prénotions fortement connotées (ensemble de préconceptions dont le milieu du football en général ne semble guère chercher à s’affranchir), etc. – se pose toujours avec acuité dans le football, cf cet extrait d’une étude de 2011 publiée dans le Journal of Ethnic and Racial Studies : 56 % des 1 000 personnes interrogées (supporters, joueurs, ex joueurs) pensent que le racisme est présent au niveau des directoires de club. Pour la plupart de ces sondés, ce racisme s’exprime surtout insidieusement, sous des formes voilées : « […] most suspect a form of unwitting or institutional racism in which assumptions about black people’s capacities are not analysed and challenged and so continue to circulate. » Sur ce sujet, lire cette brillante analyse de Jérôme Latta.

[5] Seulement 3 managers BME (Black and Ethnic Minority) sur les 92 clubs professionnels de League Football (Premier League + Football League – aucun sur la vingtaine de clubs pros de Conference National, D5) et seulement 19 employés BME dans des senior coaching positions sur les 552 répertoriés par cette étude (page 7). Sans forcément évoquer la Rooney Rule à tout bout de phrase, on peut légitimement s’interroger sur ces chiffres et les raisons de cette sous-représentation. Rappelons que, selon la PFA (l’équivalent anglais de l’UNFP), la proportion de joueurs professionnels BME est de 25-30 % et qu’elle atteint 18 % dans les formations d’entraîneur ou liées au terrain (coaching courses).

Dimanche prochain, à l’occasion du deuxième tour de FA Cup, l’AFC Wimbledon (D4) affrontera sa nemesis, son usurpateur d’identité, Milton Keynes Dons (D3). Une rencontre que toute l’Angleterre du football attend sabre aux dents depuis dix ans.

Le 28 mai 2002 compte parmi les grandes dates séminales du football mondial : une commission désignée par la Football Association autorise la délocalisation de Wimbledon FC à 100 kms de ses bases. Ce panel de trois hommes [1] conclut ses quatre jours de délibération par cette glaciale formule restée funestement célèbre :

« Recréer Wimbledon FC sous l’appellation, par exemple, de Wimbledon Town […], n’est pas dans l’intérêt supérieur du football »

Un déracinement sauvage en forme de vol de club qui balafre le football britannique depuis lors.

Le 21 juin 2004, Wimbledon FC, auteur de l’un des plus beaux contes de fée de l’histoire du football durant la longue ère Crazy Gang (1978-2000), disparaît dans l’indifférence (presque) générale et devient officiellement Milton Keynes Dons FC (ici). Milton Keynes, agglomération nouvelle située à 75 kms au nord-ouest de Londres sans club professionnel et surtout sans scrupules, lui a en effet volé son club. Depuis, Milton Keynes est le club le plus détesté du pays. De loin.

Entre-temps, en juillet 2002, sur les cendres de Wimbledon FC, un phénix avait resurgi : l’AFC Wimbledon (AFC = A Fans’ Club).

Dimanche 2 décembre à 12 h 30, pour le compte du second round de la FA Cup (tour préliminaire aux 32è qui verront début janvier l’entrée des D1 et D2), les deux protagonistes de cette extraordinaire fresque croiseront le fer pour la première fois. Exceptionnellement, cette rencontre sera diffusée sur ITV, la chaîne anglaise la plus regardée.

Le plus simple pour appréhender ce long dossier complexe qui ferait passer le barnum UMP pour une partie de 1000 Bornes entre scouts était d’en faire une frise chronologique verticale. En route donc pour une extraordinaire épopée qui défrise sacrément plus que la Cocoe. [2]

[Cliquer sur les photos procure parfois des sensations]

La frise historique qui défrise…

1889. Création de Wimbledon (d’abord Wimbledon Old Centrals) dans un pub local, le Fox & Grapes. Le club dispute ses matchs sur Wimbledon Common, immense poumon vert de 460 hectares.

Ces deux lieux deviendront intimement liés à l’histoire du club et verront notamment la naissance de l’AFC Wimbledon en juillet 2002 (les statuts du nouveau club seront rédigés au pub et les sélections de joueurs faites sur les terrains de foot du Common – common = terrain communal, souvent un parc municipal).

1912. Wimbledon FC déménage pour le stade de Plough Lane et restera amateur jusqu’au milieu des Sixties (ci-dessous en 1919).

Années 1930. Bien qu’amateur, le club attire régulièrement 10 000 spectateurs à Plough Lane (avec des pointes à 18 000 pour feu la FA Amateur Cup).

1940-41. Plough Lane est partiellement détruit par le Blitz. Le stade ne redeviendra opérationnel qu’en 1950. Rafistolé avec les moyens du bord, hormis la reconstruction d’une tribune et la rénovation d’une autre, il demeurera peu ou prou dans son jus jusqu’à son dernier souffle, en 2001.

1963. Wimbledon remporte la FA Amateur Cup à Wembley, grâce à un quadruplé d’anthologie de leur attaquant nord-irlandais Eddie Reynolds : 4 coups de boule. La résidence construite sur les gravats du mythique Plough Lane porte aujourd’hui son nom, ici.

La FA Amateur Cup, dont la finale attira régulièrement 100 000 personnes à Wembley dans les années 50, sera remplacée par le FA Vase en 1974 (disputé par les clubs de D9 et au-delà, tous amateurs ; les clubs de D5 à D8 – professionnels, en D5, ou semi-pros – disputant eux le FA Trophy).

Eté 1964. Wimbledon passe semi-pro en accédant au championnat de Southern League (D5, alors organisée en poules régionales) et se constitue en limited company. Les choses à moitié sérieuses commencent.

Janvier 1975. Wimbledon devient le premier club de non-league à sortir une D1 à l’extérieur en FA Cup (Burnley, 1-0, 32è). Ce fait d’armes est souvent considéré comme le deuxième plus grand exploit de Dame FA Cup [3].

Au tour suivant, à Elland Road, Wimbledon fera match nul (0-0) contre le grand Leeds de Billy Bremner et Johnny Giles (les Dons s’inclineront 1-0 lors du replay à Selhurst Park, l’antre de Crystal Palace, devant 45 000 spectateurs – Plough Lane était inondé).

1975-1976. On parle de George Best (comme entraîneur-joueur) à la tête d’un consortium désireux de reprendre Wimbledon mais c’est finalement l’homme d’affaires Ron Noades (ci-contre) qui rachète le club en 1976 pour le prix d’un break Morris : 2 782 £ (Noades deviendra un personnage très controversé du football anglais [4], voir notamment notre dossier sur Tomas Brolin, que Noades fit venir à Crystal Palace début 1998, ici).

Mai 1977. Wimbledon FC accède en Football League (premier échelon, D4). Graduellement, tous les joueurs passeront alors professionnels au cours de la saison (certains semi-pros ne touchaient que 15 £ / semaine).

1978. La légende du Crazy Gang naît, officieusement tout du moins (le terme sera inventé en mars 1985 par Tony Stenson, journaliste au Daily Mirror).

Bien que la création du plus célèbre et génial groupe de déjantés du foot britannique (mondial ?) soit généralement attribuée à Wally Downes (aujourd’hui dirigeant à West Ham), rendons à César ce qui lui appartient : c’est à l’obscur ailier Steve Parsons que reviendrait l’honneur d’avoir démarré cette expérimentation guignolo-footeuse digne des Charlots en crampons (ci-dessous, le Crazy Gang fête dignement le testimonial de l’attaquant Alan Cork – 1978-1992, 430 matchs, 145 buts).

le Crazy Gang fête le testimonial d'Alan Cork (1978-1993) à sa manière

Un vrai bon taré comme on en fait plus ce Parsons. Lors d’une fête organisée par Dave Beasant (qui deviendra le gardien emblématique des Dons, 1979-1988), on retrouve l’énergumène à cheval sur une fenêtre du grenier tentant de reprendre de la tête des pots de terre qu’il lance en l’air…

Wally Downes, formé au club et lancé dans le grand bain du foot pro en 1979 (à 18 ans), poursuit brillamment l’oeuvre de Parsons. A peine arrivé chez les grands, lors d’une sortie en bateau, il suspend le kiné du club par dessus bord le plus longtemps possible et chronomètre combien de temps il peut tenir la tête sous l’eau.

Peu après, il bizute un nouveau chauffeur de bus (chauve) en claquant sur sa calotte un poisson chaudement sorti d’un emballage fish & chips alors que le véhicule roulait à 90 kms/h (choqué, le chauffeur refusera ensuite de travailler avec les Dons).

Un bus qui en voit des vertes et des pas mûres. Il arrive aux joueurs de montrer leurs fesses aux automobilistes ou de surfer à poil sur le toit du véhicule (un sketch signalé par un citoyen horrifié et dûment rapporté à une radio nationale qui mentionne l’incident dans un bulletin – selon Ron Noades en tous cas). Ah, si seulement les insurgés de Knysna avaient pu s’inspirer du Crazy Gang !

L’esprit et les frasques du Crazy Gang perdureront plus de deux décennies, la hiérarchie du club laissant faire : elle pensait (à juste titre) que ce foutoir tous azimuts soudait le groupe.

Le Norvégien Egil Olsen sera le dernier manager (1999-fin avril 2000) à souffrir aux mains des Vinnie Jones (parti mais toujours dans les parages !), Ben Thatcher, Carl Cort, Gareth Ainsworth et autre John Hartson (cf juillet 1999, dans un prochain épisode).

Janvier 1978. Le jeune manager Dario Gradi (36 ans) est nommé à la tête des Dons, c’est son premier poste. Il deviendra quelques années plus tard un veritable gourou de la formation à Crewe Alexandra (D2 à D4), une sorte de Guy Roux de Football League (28 ans à la tête des Railwaymen de Crewe, voir notre dossier sur Man United – Fergie est un admirateur – milieu d’article).

Ron Noades profite de l’engouement et le savoir-faire de Gradi pour mettre en place un programme structuré de youth development sur lequel le club devra compter pour progresser, les caisses étant vides.

1979. Noades, en conflit avec le Merton Borough Council qu’il considère anti football (conseil d’arrondissement dont dépend Wimbledon), cherche à établir Wimbledon… à Milton Keynes (déjà !). Il rachète le club amateur de MK City pour 1 £ et y place trois dirigeants de Wimbledon FC en espérant en tirer un bénéfice quelconque à moyen terme.

1980. Le Crazy Gang grandit bien : certains joueurs font venir leur petite amie au stade pour copuler directement sur le bureau de Ron Noades !

Les bizutages sont gratinés et fumeux. Une pratique routinière consiste à mettre le feu au sac du petit nouveau en le faisant danser autour, à poil évidemment. Et dans le vestiaire ! Fatalement un jour l’inévitable se produit : le vestiaire prend feu et les pompiers doivent intervenir. Mais au nom de la cohésion et « l’harmonie » de groupe, tout passe.

1980. Noades cherche à vendre Wimbledon FC… à un autre club. QPR se montre interessé (pour l’utiliser comme pépinière) mais n’offre que 15 000 £, insuffisant.

Début 1981. Noades vend finalement Wimbledon à l’homme d’affaires libanais Sam Hammam (déja dirigeant au club), pour 40 000 £ (le chiffre de 100 000 £ circule aussi). Hammam se passionnant pour le tennis, il s’était installé à Wimbledon à son arrivée en Angleterre en 1975 (sa femme étant enceinte, il fuyait un Liban où la guerre civile venait d’éclater). Et si ce coin ne porte pas le foot dans son ADN, en revanche, il sent bon l’oseille, ce qui n’est pas pour lui déplaire.

Noades rachète Crystal Palace (et se débarrasse de Milton Keynes City dans la foulée, mais la perfide graine Milton Keynes est plantée). Plus tard, Noades et Hammam tenteront l’impensable : réaliser une triple fusion entre Wimbledon, Crystal Palace et Charlton ! (la fraternité supporters fera capoter ce projet totalement insensé).

Sam Hammam, grand déjanté du football anglais devant l’éternel (ci-dessus avant un match à Selhurst Park), fait plus qu’épouser la philosophie punk du Crazy Gang. Le proprio-président à la touche qui détonne (il arpente souvent le bord du terrain portant moumoute en poil de chameau et écharpes improbables) encourage activement les joueurs à la zizanie. Mieux, il met fréquemment la main à la pâte. Petit apercu de ses déviances ribéro-aulassiennes :

– il verse lui-même du sel dans les sucriers des équipes visiteuses

– il force les joueurs à manger toute sorte d’horreur après une défaite (dont des testicules d’animaux, crus de préférence – toujours mieux que la bouffe anglaise diront certains)

– il aime provoquer (et insulter) les supporters adverses devant la tribune extérieure

– il met le chauffage à fond dans les vestiaires visiteurs et bidouillent les wc, encourageant parfois ses propres joueurs à laisser leur petit souvenir dans la cuvette (wc dont la chasse d’eau ne fonctionne évidemment pas)

– il concocte des contrats impossiblement excentriques ou tyranniques (en 1987, dans celui du manager Bobby Gould, il insérera par exemple une clause lui permettant de changer l’équipe jusqu’à 45 minutes du coup d’envoi)

– en déplacement, il lui arrive de gribouiller des graffitis obscènes dans les vestiaires

A son arrivée, Hammam limoge Dario Gradi (qui rejoint Noades à Crystal Palace) et nomme Dave ‘Harry’ Bassett (36 ans), qui deviendra le grand artisan de l’extraordinaire ascension du club jusqu’en D1.

Début années 80. Le club continue brillamment son apprentissage de la Football League. Dave Bassett acquiert des joueurs clés pour une bouchée de pain, dont Nigel Winterburn (futur Gunner) en 1983 et Lawrie Sanchez en 1984 (respectivement pour 15 000 et 30 000 £). De quoi donner le vertige au gardien Dave Beasant, acheté lui pour… 100 £ ! (en 1979)

Le style du crazy gang s’inscrit dans la plus pure tradition kick and rush (surtout niveau kick), brutalité sauvage et intimidation en plus. Le club explose les records de cartons et est régulièrement sanctionné par la FA. Certaines saisons, les deux tiers des buts Dons proviennent de coups de pied arrêtés.

Dans Inverting the Pyramid, l’écrivain du football Jonathan Wilson décrit le football pratiqué par Wimbledon à cette époque comme « nihiliste » ; d’autres observateurs parlent d’une « race de non-football inédite ». Toutefois, pendant que les puristes s’étranglent, Wimbledon avance, à pas de géant. Visiblement, la théorie du chaos fonctionne à merveille : en deux saisons les Dons grimpent de la D4 à la D2 ! (atteinte en 1984).

Les entraînements sont à l’avenant, à la fois (très) rugueux et décalés. Dave ‘Harry’ Bassett ordonne par exemple aux joueurs de…

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Il s’agissait de Raj Parker, avocat d’affaires ; Steve Stride, alors dirigeant à Aston Villa ; et Alan Turvey, président de la Ryman League – championnats de D7 et D8, le seul qui vota contre la délocalisation.

[2] Quatre documents utiles pour mieux comprendre ce dossier :

clip : The rise and fall of Wimbledon FC

– clip : The birth of AFC Wimbledon

–  cet article Teenage Kicks

–  cet article paru en octobre 2011 sur l’excellent site Moustache FC

[3] Le plus grand giant-killing de l’histoire de la FA Cup étant l’élimination de Newcastle par Hereford (D5) en février 1972 – 16è de finales – et le mythique but de Ronnie Radford, une mine de 35 mètres dans la lucarne gauche des Mags, à voir absolument, clip (ne serait-ce que pour l’état du terrain et la réaction du public).

[4] Ce promoteur immobilier empocha 17M £ en vendant Crystal Palace en 1998 et se spécialisa dans « l’achat-vente » de stades, dans des conditions souvent opaques et très controversées. En 1998, il s’auto-nomma même manager de Brentford – D3 – avant de menacer de vendre le stade des Bees et de déménager le club à 30 kms de là. Un Supporters’ trust dut se constituer pour lui racheter le club.

Euro 1992, 17 juin 1992. Tomas Brolin signale son entrée fracassante sur la scène internationale en éliminant l’Angleterre d’un but classieux. Quelques années plus tard, le golden boy du foot suédois deviendra l’un des transferts les plus calamiteux de l’histoire du football anglais. Avant l’Angleterre-Suède de ce soir, retour sur les années fish & chips du poupin suédois.

Veni, vidi, floppi. Il est venu, il a vu, il a coûté la peau du cul et il a spectaculairement déçu. Brolin, c’est l’histoire d’un mec qui, à force de malbouffe et d’embrouilles ahurissantes avec le staff de Leeds United, a fini par se crasher dans la vitrine Hall of Shame du foot briton, la bedaine la première. L’Angleterre devait être sa consécration, elle sera son tombeau. Une consolation : Brolin mettra à profit ses foireuses années anglaises pour accoucher d’une après-carrière baroque ‘n’ roule.

Suite et fin de la mini-saga Brolin. Pour le premier épisode, cliquez à droite.

Brolin, interdit de stade

Quand Brolin arrive enfin à Elland Road, l’irascible George Graham n’est pas d’humeur à lui demander des nouvelles du pauvre caribou suédois. L’Écossais confisque son passeport et l’enferme dans le coffre-fort du club ! Le Suédois réussit toutefois à obtenir un passeport de remplacement et repart illico au pays pour se remettre du choc psychologique. Graham l’apprend et vire au vert. Au retour de l’opprimé, l’ex manager d’Arsenal refuse de lui donner une tenue d’entraînement et l’interdit de stade. Comble de l’humiliation, Brolin doit désormais payer sa place pour voir Leeds jouer à domicile ! En prime, il ne figurera pas non plus sur la photo d’équipe de début de saison.

Bien entendu, Brolin ne sera pas de la tournée en Suède. Au retour de Scandinavie, Leeds tente désespérément de le refourguer en prêt. Graham, pas le plus finaud des entraîneurs, se tire une balle dans le pied en vendant l’article comme un mauvais camelot :

« Si quelqu’un veut Brolin, qu’il me téléphone ! Si un footballeur ne veut pas rester ici, OK. Moi, je veux des joueurs talentueux qui ont la gnaque. »

Évidemment, personne ne veut du boulet nordique. Son manque criant de fitness et ses dispositions à l’embrouille tarabiscotée effraient. Même l’Écosse ignore le cri de désespoir des Whites.

Brolin est alors envoyé perdre du poids avec la réserve mais les relations se dégradent à vitesse grand V avec le club. Tubby continue à vertement critiquer Graham dans les médias et zapper les entraînements. Un jour, il « oublie » même de se pointer à un match, préférant aller faire la nouba en famille. Le club le mitraille d’amendes mais rien n’y fait.

Yes ! Yes ! Yes ! il s'est barré, enfin !!!

Yes ! Yes ! Yes ! il s'est barré, enfin !

Au contraire, la situation s’envenime. Brolin menace de poursuivre Leeds en justice pour « harcèlement » et parle en interne de « révéler les pratiques du club à la BBC » (le Suédois déclarera plus tard que le club admit ses erreurs et lui reversa une partie des amendes, le tout accompagné d’une compensation et d’une lettre l’exonérant de toute responsabilité).

Le 28 octobre 1997, Leeds United casse son contrat et lui verse 140 000 £ d’indemnités (économisant ainsi plus de 400 000 £ sur le reste du contrat). Pour fêter son grand départ, Brolin invite les médias à une farewell party organisée dans un hôtel de Leeds. George Graham n’est pas invité, mais il n’aurait probablement pas dit non.

Pas l’as attendu

Brolin n’en a pas cependant pas fini avec l’Angleterre. Début janvier 1998, c’est gavé de mince pies qu’il roule-boule dans un Crystal Palace en perdition (saison apocalyptique pour les Eagles). Il arrive en même temps que Valérien Ismaël, acheté à Strasbourg pour presque 3M de £. Le manager, l’étrange Steve Coppell, lui fait cependant confiance après un match amical de son équipe en Suède, où Brolin tentait de maintenir sa forme entre deux Smörgåsbord XL. Le ridiculement optimiste Coppell n’hésite pas à déclarer :

« Physiquement, c’est sûr qu’il n’est pas encore prêt, mais je suis certain que dès qu’il aura quelques semaines d’entraînement dans les jambes, il redeviendra le grand joueur qu’il a été. Il y a deux ans, il coûtait 5 millions, et on l’a eu pour pas un sou. On aurait tort de se plaindre ! »

Brolin ne se plaint pas non plus. Son rebondissement à Palace était inespéré. Il signe un contrat de six mois et dispute 13 matchs – 11 défaites, zéro but – en position d’avant-centre (tous les attaquants sont blessés). Il pèse bien sur la défense, mais dans le sens Weightwatchers du terme. Mi mars, à l’ébahissement général, il est même bombardé adjoint du nouvel entraîneur-joueur (!), Attilio Lombardo, lui-même scié de se retrouver si subitement aux commandes. Brolin lui sert aussi d’interprète-factotum.

Un tandem aussi comiquement expérimental qu’affreusement inexpérimenté (installé dans l’extrême urgence par le notoirement incompétent Ron Noades, propriétaire-président surtout connu en Angleterre pour son sens inné de la magouille et ses opinions Atkinsonesques sur les joueurs noirs. Noades, en 1991 : « Les joueurs noirs dans ce club [Crystal Palace] apportent leur forte technique et leur talent à l’équipe ; mais le collectif a aussi besoin de joueurs blancs pour équilibrer les choses et injecter de l’intelligence et du bon sens dans le jeu. »).

Le duo Lombardo-Brolin est l’illustration parfaite du blind leading the blind, selon l’expression anglaise consacrée. Un drôle d’attelage qui navigue à vue et va vite finir dans le fossé.

Le 27 avril 1998, Brolin dispute son dernier match professionnel contre Manchester United (0-3). Malgré la relégation en D2, il empoche une mystérieuse prime de 70 000 £ (réservée aux « vedettes » du club). Ses partenaires lambda enragent, eux qui doivent encaisser sèchement la descente, sans liquide pour faire passer l’amère pilule.

Un après-football à la hauteur

Une fois rentré au bercail, Brolin troque sa femme pour une Miss Suède et se reconvertit en homme d’affaires multi-cartes. Il investit tous azimuts : immobilier avec le daron, crèmes de beauté, entreprise de traiteur, chevaux de course, vente de chaussures à son nom sur internet… Il met même des billes dans Twinnovation AB (ici) un brevet d’aspirateur censé faire un malheur grâce à ses embouts révolutionnaires (et se fait dûment sucer son investissement).

En 2001, fatalement, il assouvit sa vocation : il ouvre un restaurant, le Undici (Onze, son numéro à Parme). Cuisine italo-scandinave, salades mozzarella-phoque, pizzas au renne, pâtes au bœuf musqué, dans ce style. Il déclare (extrait de l’Observer) :

« C’est un grand moment pour moi, c’est un vieux rêve que j’avais, en fait depuis l’Italie. J’ai tout choisi ici, même les couverts, et j’en suis fier. Quand je vivais en Italie, j’ai dégusté des plats merveilleux et c’est comme ça que l’idée a germé. J’ai aussi mis des plats du nord de la Suède au menu, des mets que ma maman m’a fait découvrir. »

Touchant. Brolin fait aussi dans le créatif lourdingue. Avec le groupe Doctor Alban et Björn Borg, il sort un morceau intitulé « Friends in need » (voir clip, funeste mais immanquable) et apparaît dans des publicités, dont une pour une marque de jacuzzi.

En 2006, il s’achète une grosse paire de lunettes noires et s’étale autour des tables de poker, où il croise souvent le fer avec d’anciens footeux, comme Tony Cascarino et Teddy Sheringham. Encore une histoire de chips, servis sans le poisson cette fois.

Début 2010, on reparle de lui dans les médias foot. Bizarrement, il réclame la paternité d’un but contre la Norvège attribué à un autre joueur (Roland Nilsson, Sheffield Wednesday Legend), erronément à ses yeux. Et peu importe que le match (amical) date d’août 1991, pour un gambler, un pion, c’est un pion.

Un panel d’experts de la déviation involontaire du dos a promis de se réunir un jour pour réparer cette flagrante injustice (il y a bien eu déviation de Brolin). « Bon, faudra qu’on discute de ça avec les statisticiens et on verra », a mollement commenté un membre de la fédération suédoise.

Il manque donc un but à sa belle vendange internationale (26 réalisations en 47 matchs avec la Suède). Il ne manquerait plus que le spectre de Tomas Brolin, honni et bouté hors d’Angleterre, plane ce soir sur la pelouse de l’Olympic Stadium de Kiev et plante ce pion manquant. Et, tout comme il y a vingt ans, scelle le sort des Anglais.

Kevin Quigagne.