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Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le chemin parcouru ces dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

Voir introduction du dossier.

On estime qu’entre 1875 et 1914, les années formatives du football britannique, une vingtaine de joueurs noirs ou métis/non-blancs évoluèrent dans des clubs de Football League anglaise et écossaise (D1 et D2). Parmi eux, Andrew Watson, Arthur Wharton et Walter Tull sont, de loin, les plus connus. L’histoire du football britannique antérieure à la Première Guerre mondiale n’a malheureusement gardé aucune ou peu de trace des autres (hormis John Walker, les Frères Cother à Watford, Fred Corbett et Hassan Hegazi), simplement quelques noms (et encore) dans les listes de joueurs.

Aujourd’hui, le daddy de tous les pionniers : Andrew Watson.

# 1. Andrew  Watson (1856-1921)

Né le 24 mai 1856 à Georgetown, Guyane britannique (aujourd’hui Guyana), fils d’un riche planteur écossais de sucre à canne et d’une Guyanienne.

Premier football joueur métis au monde à décrocher une sélection internationale, pour l’Ecosse en 1881, Watson, principalement arrière, était considéré à son apogée comme l’un des tous meilleurs footballeurs de l’époque. Il est également le premier métis à avoir joué en FA Cup, en 1882, avec le club de London Swifts FC. Et contrairement à ce qui est communément admis, il est probable que ce fut Andrew Watson et non Arthur Wharton qui devint le premier footballeur professionnel noir du football britannique.

Élémentaire mon cher : Watson était un vrai crack

Scolarisé à Londres où il pratique assidûment le football, à 19 ans, Andrew Watson démarre des études combinées de mathématiques, ingénierie et philosophie naturelle [sciences] à l’université de Glasgow mais abandonne rapidement son cursus pour se spécialiser dans la mécanique navale.
Arrière central, latéral ou milieu de terrain (généralement dans un dispositif 2-3-5 en Ecosse et 2-2-6 en Angleterre où il partit jouer à partir de 1882 – grosse évolution par rapport au 1-1-8 des années 1860-70 !), il entame en 1874 un parcours ascendant dans les principaux clubs de Glasgow. Après un bref passage au Maxwell FC, il est recruté par l’ambitieux Parkgrove FC où il restera jusqu’en 1880. Le Scottish Football Association annual de 1878-79 classe Watson parmi les meilleurs joueurs en activité.


QPFC et leur belle devise : « Jouer pour le plaisir de jouer » (voir article “Les plus insolites écussons du foot british”).

En avril 1880, Watson est logiquement recruté par le plus grand : les Glasvégiens du Queen’s Park FC [1]. QPFC, déjà quadruple vainqueur de la Scottish Cup, est alors le plus important club du pays et même du Royaume-Uni, un club au rayonnement extraordinaire (« l’équivalent de Man United, Juventus et Real Madrid réunis », nous précise cet intervenant – de 50 secondes à 1’55 – dans ce fascinant clip qui retrace la vie d’Andrew Watson).

En tant que factotum et match secretary, Watson s’occupe également activement de la gestion du club, notamment de l’organisation des matchs à l’extérieur – y compris en Angleterre –, tâche ô combien compliquée à l’époque ! (il n’était pas rare que la moitié des joueurs s’égare en route ou arrive le soir pour un coup d’envoi prévu en début d’après-midi. Sans parler des risques et accidents en tout genre ; selon une blague de l’époque, il était fortement conseillé de souscrire une assurance-vie avant tout déplacement en train ! Rien que pour l’année 1872 par exemple, 1 100 personnes décédèrent dans des accidents ferroviaires – principale raison de ce carnage : les sociétés de chemin de fer traînaient les pieds pour investir dans la sécurité – e.g, dans des systèmes de frein efficaces ! – et la signalisation indiquant la présence de deux trains sur la même voie ne fut rendue obligatoire qu’à partir de 1888. Sujet passionnant mais rassurez-vous, TK ne s’est pas associé à La Vie du Rail alors passons).

Départ pour l’Angleterre

Le 12 mars 1881, Watson décroche sa première sélection pour un Angleterre-Ecosse à Londres (1-6, devant 8 500 spectateurs) où il est d’ailleurs nommé capitaine. Il ne sera capé que trois fois par l’Ecosse (re-victoires fleuves 5-1 sur l’Angleterre et le Pays de Galles) car il partira jouer – et travailler – en Angleterre en 1882 et le réglement de la fédération écossaise interdisait la sélection de joueurs non résidents en Ecosse.


A. Watson, 1880, premier debout en partant de la gauche

S’il est impossible d’établir avec certitude les raisons de son départ d’Ecosse, on peut supposer que l’aspect financier fut étranger à cette décision car Watson était déjà fortuné [2] et épousait vraisemblablement les principes prônés par Queen’s Park FC, le club qui le fit connaître, ainsi que son pendant anglais, le fameux Corinthian FC où il évoluera plus tard [3] (club dont la réincarnation moderne, Corinthian-Casuals – D8 – affrontera les Corinthians de São Paulo dans deux mois au Brésil, ici).

Toutefois, l’argent commençait à irriguer le football et la question financière ne saurait être éludée. En effet, au moment où Watson émergea en tant que joueur de haut niveau, il pouvait être lucratif d’évoluer en Angleterre, bien que le professionnalisme n’y soit pas encore établi… officiellement du moins. Dans la pratique, les paiements se généralisèrent dès la fin des années 1870 (quelques billets étaient glissés dans les chaussures après le match – c’est l’ère du shamateurism, l’amateurisme marron), avec souvent, pour les meilleurs, une offre d’emploi en sus. Il arrivait même que des joueurs écossais, lors de ces fréquentes tournées de matchs amicaux dans le Nord de l’Angleterre [4], disparaissent en plein tour et signent pour un club anglais qui leur faisait miroiter une vie facile ! (un travail peu contraignant, ou même parfois fictif, avec de belles primes de match à la clé, comme ce fut le cas en 1879 pour deux joueurs du club glasvégien de Partick Thistle FC qui signèrent sur le champ à Darwen FC, un club de Blackburn qui leur offrait un job reposant dans le textile et de généreux émoluments – c’est l’un des tous premiers cas avérés de défection).

Fortement poussée par une trentaine de clubs influents de l’époque (Preston North End, Accrington FC et Aston Villa en tête) qui menaçaient de créer leur propre fédération et championnat professionnel, la Football Association anglaise officialisa le professionnalisme en 1885. Mais ce dernier n’arriva en Ecosse qu’en 1893, ce qui explique la prolifération de joueurs écossais à l’époque en Angleterre, surtout dans le Nord (ils étaient aussi recherchés pour leurs qualités de passeur, ayant développé le jeu de passe, principalement grâce à Queen’s Park FC – voir ici et la footnote [1] plus bas).

Sa position sociale le préserve du racisme

Alors qu’il évolue depuis deux saisons aux London Swifts (1882-1885), Watson fait un crochet par le Corinthian FC de Londres. Avec lui, en décembre 1884, Corinthian étrille Blackburn Rovers 8-1, alors tenant de la FA Cup et considéré comme le meilleur club anglais.

Après un retour aux Queen’s Park de Glasgow saisons 1885-87 (où il en profite pour décrocher sa troisième Coupe d’Ecosse), Watson est recruté par feu Bootle FC en 1887, club ambitieux de la banlieue de Liverpool et grand rival d’Everton (LFC n’avait pas encore été créé). Un club qui offrait salaires et primes aux meilleurs joueurs de l’époque, dont Watson faisait partie. S’il n’a jamais été établi qu’il toucha de l’argent de Bootle, on peut légitimement le penser. A Liverpool, il reprend ses études en mécanique navale et obtient son diplôme en 1892. Il raccroche alors les crampons pour parcourir les mers du globe.

Aucun fait de racisme ne semble avoir été relevé à son encontre pendant sa carrière, même si les préjugés de l’époque en matière raciale étaient virulents – thème que nous aborderons dans le prochain volet, sur Arthur Wharton (il convient aussi de souligner la rareté ou brièveté des comptes-rendus de match entre 1880 et 1890, surtout dans les clubs où Watson évolua. La presse foot ne se développera réellement qu’à l’avénement du professionnalisme à partir de 1885 et à la création de la Football League en 1888).
A ce sujet, une thèse intéressante est développée dans le clip sus-cité (à 2’00) : c’est très probablement l’effet de nouveauté (l’un des rares Noirs de Glasgow) ainsi que son standing social élevé qui préservèrent Watson du racisme, au contraire des milliers d’Irlandais paupérisés dont l’ostracisme était le lot quotidien.

On sait peu de choses sur sa vie après le football. Jusqu’à la mi 2013, nombre d’historiens du football (dont ceux du Scottish Football Museum d’Hampden Park) pensaient que Watson avait émigré en Inde puis en Australie où il aurait disparu vers 1900. Toutefois, de récentes découvertes montrent qu’il est mort d’une pneumonie à Londres en 1921. Il est enterré au cimetière de Richmond, sud-ouest de la capitale. Il a été intronisé au Scottish Football Hall of Fame en 2012.

Kevin Quigagne.

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[1] J’ai pas mal écrit dans TK sur Queen’s Park FC et le passing game révolutionnaire qu’ils développèrent, en particulier dans cet article de 2013 (footnote [5]) et ici. Leur surnom, The Spiders, a probablement été inspiré par leur jeu de passe caractéristique « en toile d’araignée », cette toile qu’ils tissaient pour étouffer leurs adversaires (il existe une autre version, voir footnote [5]).

Watson mit un point d’honneur à porter les couleurs de Queen’s Park FC, club de Glasgow originellement « élitiste » (pour l’élite). Les Spiders, éternels tenants d’un amateurisme pur et dur, ont toujours obstinément refusé de passer professionnel. QPFC, aujourd’hui en D4 écossaise, a la particularité d’évoluer à Hampden Park à Glasgow (53 000 places) devant… 600 spectateurs en moyenne. Jusqu’à l’ouverture du Maracana en 1950, Hampden Park était le plus grand stade au monde, pouvant accueillir 150 000 personnes. QPFC, dix fois vainqueur de la Scottish Cup, est le seul club ayant atteint à la fois une finale de Scottish Cup et de FA Cup.

[2] Très jeune, à 13 ans, Watson hérita de son père d’une vaste fortune tirée de l’actionnariat dans les nombreuses compagnies florissantes de chemin de fer (35 000 £, l’équivalent d’environ 20m £ aujourd’hui)

[3] Belle et noble histoire que celle du Corinthian FC, extraordinaire club multisport fondé en 1882 (dissous et amalgamé avec les Casuals en 1939), partiellement en réaction à l’insolente santé du foot écossais national et de club, surtout le Queen’s Park FC. Corinthian était composé d’amateurs aisés, et tout comme leur modèle des Queen’s Park FC, ces gentlemen prônaient un amateurisme absolu et un degré de fair-play sans doute unique dans l’histoire du football. Malgré leur supériorité durable sur des clubs pros et huppés qu’ils affrontaient en amical (en 1904, ils fessèrent même Manchester United – D2 – 11-3 !), ils rejetaient toute idée de compétition, sauf à partir de 1923, où ils acceptèrent à contrecoeur de disputer la FA Cup. Dans cette coupe, ils attirèrent des affluences considérables, jusqu’à 60 000 spectateurs, e.g contre Chelsea en 1930 (voir ce court historique).

Les joueurs du Corinthian FC refusaient également de tirer ou marquer les pénaltys (et leur gardien quittait son but quand ils concédaient un pénalty) et, chose extraordinaire, si un adversaire s’était blessé ou fait expulser, ils renvoyaient l’un des leurs au vestiaire pour équilibrer les débats ! (pas de remplacement à l’époque bien sûr, c’est venu bien plus tard, années 1960). Ils s’interdisaient aussi de protester auprès de l’arbitre. La première guerre mondiale eut largement raison de leur existence (ils perdirent 22 joueurs) et le club périclita même si une version moderne existe toujours (Corinthian-Casuals, sud de Londres, évoqués dans l’article. Evidemment, eux tirent les pénos et jubilent quand un adversaire est expulsé).

En 1910, une tournée du Corinthian FC au Brésil donna l’idée à des cheminots de São Paulo de fonder leur propre club, le Sport Club Corinthians Paulista. Cet article traite en partie de ces tournées des clubs britanniques, d’une importance essentielle pour le développement du football à travers le monde.

[4] En l’absence de tout championnat organisé (jusqu’en 1888 en Angleterre, 1890 en Ecosse), les clubs disputaient des coupes locales/régionales, la FA Cup ou la Scottish Cup, de nombreux matchs amicaux ainsi que des matchs internationaux pour les meilleurs, contre les autres « nations » britanniques (l’Irlande avait alors une équipe unifiée, jusqu’en 1924), notamment lors du British Home Championship – 1884-1984 – premier tournoi international de football au monde. Les championnats structurés n’avaient pas encore vu le jour – le premier fut la Football League, en 1888 – et les clubs s’affrontaient dans les nombreuses coupes (parfois 4 ou 5 coupes coexistaient par ville/région) ou en amical, particulièrement s’ils étaient éliminés de toutes les coupes.