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Quand la branche routarde du foot français se la péte avec Xavier Gravelaine et ses 16 clubs, son homologue anglaise se marre : outre-Manche, on a produit des wagons de joueurs qui feraient presque passer l’ancien Hornet pour un sédentaire. Vive le nomadisme.

L’anglais a un terme pour désigner un footballeur-voyageur : un journeyman [1]. Les joueurs à plus de 15 clubs en Angleterre sont légion, surtout en Football League (D2 à D4) où les prêts sont monnaie courante et les contrats souvent courts et précaires, surtout en D3-D4. Au cours de la saison 2012-13, on a enregistré presque 3 200 mouvements de joueurs parmi les 72 clubs de Football League ! (en comptant les prolongations de contrat).

Le gros problème d’un article sur ce sujet et que si l’on s’attarde un minimum sur la carrière de chacun des intéressés, le lecteur devra poser une RTT pour tout ingurgiter. Car ça envoie du pâté, ou plutôt du corned beef en ration XXL : les 18 joueurs sélectionnés ci-dessous cumulent 366 clubs. Yep, 366 (pour la liste, cliquez sur leur nom).

Contraint et forcé, j’ai donc dû me contenter de vous livrer l’essentiel sur ces phénomènes qui se sont forgés des carrières improbables, chacun dans un style bien à lui. Mais rassurez-vous, ça tartine quand même car, forcément, avec de tels personnages aux parcours chaotiques, les croustillades ne manquent pas. Ces hyperactifs sont souvent de grands originaux…

Allez zou, on the road.

[Nb : 1) le terme Football League dans cet article peut aussi englober la D1 s’il s’agit de la période pré-Premier League (avant 1992) puisque la FL regroupait alors D1 à D4. La Football League depuis le big bang de 1992 = D2 à D4. Voir dossier TK. 2) Non-League = les échelons inférieurs à la Football League, donc D5 et au-delà. Depuis une dizaine d’années, la D5 s’est largement professionnalisée. Environ deux tiers de ses clubs sont aujourd’hui entièrement pros – surtout ceux soutenus par des propriétaires aisés et les anciens de Football League, grosses affluences – et le tiers restant compte une majorité de pros dans l’effectif de base ou est semi-pro].

# 1. John Burridge – 29 clubs

Burridge, c’est une invraisemblable carrière qui s’étira de 1969 à 1997 dans 29 clubs (dont 20 de Football League anglaise et écossaise, un record) et qui fait de cet ancien portier d’Aston Villa le taulier british de l’écumage. Un personnage fantasque qui incarne à merveille l’image azimutée qui sied à ce poste à part ; You don’t have to be mad to be a goalkeeper but it helps, disent les Anglais.


Ce grand excentrique faisait aussi des saltos (sans doute pionnier en la matière). Il s’assit un jour sur la barre en plein match !

Connu en Angleterre pour être un original d’une grande honnêteté ou modestie, c’est selon (« A la vérité, je n’étais pas très bon » a-t-il parfois lâché), Burridge a raconté son parcours dans une fascinante autobiographie sortie en 2013. Budgie est le plus vieux pro à avoir gardé des cages de Premier League, à 43 ans passés avec Man City en mai 1995, et si on l’avait laissé il n’aurait jamais raccroché. Jamais. Et cette fameuse petite mort souvent évoquée par les anciens champions prit une résonance presque fatale pour lui. Ce monomaniaque qui aimait dormir avec la tenue complète en guise de pyjama – gants, short, maillot et ballon collé à l’oreiller – vécut si douloureusement l’après-football qu’il échoua à la Priory Clinic fin 1997, célèbre établissement psy londonien, où il resta cinq mois. Extrait-résumé tiré de son autobio :

« J’ai ressenti comme un vide énorme en arrêtant le foot pro, l’adrénaline de la compétition me manquait terriblement. Il m’arrivait de m’enfermer dans ma chambre des jours durant et pleurer. Je ne me rasais plus, je ne me lavais plus, je ne ressemblais plus à rien. Je suis devenu suicidaire. Ce sont ma femme et Kevin Keegan* qui m’ont sauvé. Je rejetais toute idée de soins alors ils ont employé les grands moyens : ils m’ont fait interner de force en unité psychiatrique. Ce fut violent. Un jour, une équipe médicale est venue me chercher chez moi et comme je refusais de sortir de ma chambre, trois gaillards ont défoncé la porte et m’ont maîtrisé. Je me suis débattu vigoureusement mais ils ont réussi à me planter planté une aiguille dans le cul et ça m’a endormi. Quand je me suis reveillé, j’étais au Priory.

Et là, gros choc : au premier étage, y’avait les dépressifs. Au deuxième, les alcooliques et au troisième, les adolescentes toxicos. On aurait dit des zombies pour certains. Tous se trouvaient dans des situations bien pires que la mienne, comme cette femme qui venait de perdre son mari et ses deux enfants dans un accident routier. Alors, mes petits problèmes de footballeur qui vivait mal sa retraite sportive m’ont paru soudain bien minables à côté des leurs. Tout ça m’a ouvert les yeux et fait relativiser. Cela dit, je savais qu’à ma sortie il me serait trop pénible d’aller voir de la Premier League sans pleurer alors j’ai décidé de quitter le pays pour me débarrasser de cette frustration. »

Budgie va beaucoup mieux aujourd’hui et a travaillé dans le Golfe Persique comme entraîneur de gardien et consultant TV ces dix dernières années. A notamment découvert, à Oman, le gardien Ali Al-Habsi (Bolton, Wigan) qu’il persuada de tenter sa chance en Angleterre.

[*Les deux hommes s’étaient connus en 1993 quand Keegan, alors manager de Newcastle, recruta Burridge (supporter Magpie depuis l’enfance) comme préparateur spécifique et troisième gardien à l’occasion (0 match, 3 fois remplaçant). Quatre ans plus tard, Burridge retourna à NUFC comme entraîneur à temps partiel des gardiens, tout en étant entraîneur-joueur à Blyth Spartans, club de non-League du coin. NUFC régla la facture du Priory].

# 2. Frank Worthington – 24 clubs

Ah, « Worthy », un autre grand fada du foot anglais… Inconnu en France et même relativement méconnu outre-Manche – surtout chez les jeunes, incultes les djeuns d’aujourd’hui. Et c’est déplorable. Il me fallait donc réparer cette scandaleuse lacune car cet attaquant, culte chez les quinquas +, mérite un focus francophone, tant pour ses prouesses que son lifestyle à la George Best, auquel il piquait les nanas, et inversement. Alors Padawans épicuriens de tous pays et quadras hipstérisants accrochés à votre lointaine jeunesse dissolue, lisez attentivement ce qui suit : je vous ai peut-être trouvés votre nouvel Héros.


Si t’aimais Adamo ou Engelbert Humperdinck, t’étais foutu : lors des déplacements, le DJ du bus c’était Worthington et le King squattait les hauts-parleurs. Un jour, lors d’une tournée en Allemagne avec Bolton, le manager des Trotters en eut tellement assez après 9 heures d’Elvis non-stop qu’il balança les cassettes par la fenêtre. Les deux hommes restèrent brouillés toute une semaine.

Après avoir largement contribué à la montée en D1 d’Huddersfield Town en 1970, la cote du surdoué Worthington flamba. A 23 ans, l’été 1972, le Liverpool de Bill Shankly le recruta pour 150 000 £, record du club (photo ci-dessous).

Par deux fois, Worthington fut recalé pour hypertension à sa visite médicale à Liverpool. Raison probable : il baisait trop. Comme motif de recalage, ça déchire un peu plus qu’un gros orteil en souffrance ou une dentition suspecte.

Problème : cet inconditionnel d’Elvis rata sa visite médicale pour cause de forte tension artérielle. Par deux fois. Non que Frankie ait souffert d’hypertension ou d’une anomalie cardiaque quelconque mais, conclurent les toubibs, sa vie débridée menée à toute zingue au volant de ses bolides (pas toujours sobre – retraits de permis, accidents) et son activité sexuelle démentielle, le mettaient dans des états pas possibles. A son tableau de chasse : Miss Grande-Bretagne et Miss Barbade, entre autres reines de beauté (et à l’époque, y’avait pas de Madame de Fontenay hein, une Miss, ça couchait). Certains tabloïds en chaleur attribuèrent son échec à un combo hypersexualité-MST. Loin de démentir, Worthington s’en amusera. Tout en monnayant grassement ces potins lubriques via des « exclusives ».

Dépité mais têtu, Shankly insista. Il voulait Worthington et lui recommanda le repos total pendant deux semaines avant de retenter le coup. Bah, après quinze jours de lecture-jardinage-Scrabble ça devrait le faire, raisonna Shankly.

Sauf que l’époque footeuse était au fun insouciant et à la jouissance débridée. Alors au lieu de rester sagement chez lui à contempler ses roses, Worthy partit teufer à Majorque entouré de potes soiffards et touristes peu farouches (anecdote sympa d’une petite triangulaire avec deux Suédoises, racontée dans son autobio One Hump or Two? Titre en référence à un petit déjeuner coquin avec deux autres Suédoises, mère et fille ; les anglicistes apprécieront le calembour, les autres regretteront d’avoir somnolé près du radiateur).

Au retour de sa « cure de repos » majorquine, notre serial queutard faillit faire exploser le tensiomètre. Quand Liverpool lâcha finalement le morceau, Leicester City sauta sur l’occasion. Et bingo : le chaud-lapin leur claquera 72 pions en 210 matchs. Pas dégueu pour un gus qui jouait souvent la gueule enfarinée et se tapait les femmes de chambre lors des mises au vert d’avant-match, jusqu’à quelques heures du coup d’envoi. Et sans embrouilles lui.

Worthington, ce n’est pas qu’un style nourri et forgé dans la glorieuse tradition sex, drugs & rock ‘n’ roll du foot britannique, qu’il se chargea d’alimenter copieusement. C’est aussi une longévité et des stats canons malgré les excès : 236 buts – dont 150 en D1 – en 757 matchs de Football League (record pour un attaquant), dont 22 saisons consécutives en FL. Et une sacrée technique, comme sur ce but d’anthologie où même l’arbitre applaudit ! (à 15 secondes).

Et pourtant, seulement huit capes en équipe d’Angleterre… Total misérable au vu de son immense classe. Manque de bol pour Frankie, alors qu’il cartonnait à Leicester (38 buts D1 sur les deux saisons 1973-75) et avait impressionné avec la sélection nationale de l’intérimaire Joe Mercer (l’ex architecte, avec Malcolm Allison, du football chatoyant du Man City de la fin des Sixties), le rigide Don Revie remplaça Mercer à la tête des Trois Lions en juillet 1974. Son sort était scellé. L’ex sorcier des Whites ne goûtait guère les artistes rebelles dans son genre et ne le convoqua qu’à deux reprises, au tout début de son règne fade. Sa réputation de cintré ingérable continua d’effrayer les dirigeants et sélectionneurs du foot anglais, tel Ron Greenwood, le frileux patron des Three Lions de 1977 à 82. Même sa superbe saison 1978-79, meilleur buteur de D1 avec Bolton (24 buts), laissa Greenwood de marbre, et ce malgré les échecs successifs de l’Angleterre.

Après un mariage houleux, avec une Suédoise bien sûr, suivi logiquement d’un divorce acrimonieux, Worthy se remaria à une ex Page Three girl du Sun. Evidemment. Sévit aujourd’hui sur le lucratif circuit de l’after-dinner speech où ses anecdotes salaces passent impeccablement entre la poire et le Stilton.

# 3. Trevor Benjamin – 31 clubs

Depuis peu retraité, « Benji » est la star britannique incontestée et le recordman des journeymen joueurs de champ. Un temps Espoir anglais, avec John Terry, Joe Cole et Jermain Defoe pour coéquipiers (mais aussi David Prutton et Francis Jeffers… Comme quoi la routourne tourne, vite parfois).

En 2000, Leicester (Premier League) l’acheta à Cambridge United (D3) pour 1,3m £ – toujours le transfert record de l’histoire des U’s. Il formera avec Ade Akinbiyi, # 4, un duo aussi mythique que mutique : une petite quinzaine de buts en plus de quatre-vingt matchs à eux deux. Prêté huit fois pendant son quinquennat chez les Foxes, il partit ensuite pour un interminable trek dans les divisions inférieures, pros et semi-pros.

Benjamin, c’est un genre particulier de journeyman, celui du « voyageur casanier », l’anti Pfannenstiel par excellence : avant sa retraite professionnelle en 2009, quasiment tous les clubs de cet ex international jamaïcain se concentraient dans un rayon de 150 kms autour d’Oxford.
Après un aller-retour express en Australie en 2010 dans un obscur club provincial, il s’établit dans le North East (Newcastle) avec sa famille, à l’âge de 31 ans, non sans un énième détour par le Norfolk, à 500 kms de là. Tout là-haut, il enfila la tunique de minots de D8 ou D9, pour à peine 1 000 £/mois, plus quand il managea aussi l’équipe. « J’y suis surtout allé pour l’expérience et me maintenir en condition, a-t-il expliqué dans les médias régionaux, j’ai toujours aimé les expériences nouvelles et être entraîneur-joueur procure cette sensation de nouveauté. »

Personnage attachant, il entraîne désormais l’équipe féminine de Newcastle United et soutient activement plusieurs assos antiracistes et oeuvres caritatives locales.

# 4. Ade Akinbiyi – 15 clubs

Associé à Trevor Benjamin au tout début des années 2000 à Leicester City et recruté de Wolves pour 5,5m £, le monocapé des Super Eagles était censé remplacer Emile Heskey, parti au Liverpool de Gérard Houllier pour le double. Son tandem avec Akinbiyi fera pschitt (voir # 3) et il sera rapidement surnommé « Akinbadbuyi », la mauvaise affaire.

Parmi les souvenirs mémorables, un grandiose moment de télévision repassé en boucle par Match Of The Day et Sky : quand Akinbiyi inscrivit son premier but de la saison le 3 novembre 2001 contre Sunderland. Une célébration de but explosive à la mesure de la délivrance, intense (photos ci-dessus et clip). Las, ce fut son dernier pion à Filbert Street. Trois mois plus tard, direction Crystal Palace, abandonnant Leicester à une inéluctable descente en D2. Hormis une réapparition en D1 à Sheffield United d’août 2006 à janvier 2007, on ne le revit plus parmi l’élite après Leicester.

# 5. Leon Knight – 16 clubs

Cousin de l’ex international anglais Zat Knight, ce touriste a déjà figuré plusieurs fois dans Teenage Kicks pour ses frasques badass qui lui valurent le surnom de « Neon Light ».

Tout commença pourtant idéalement pour ce roi de la nuit, à Chelsea, où Gianfranco Zola le prit sous son ailette. Knight intégra même les U20 anglais, furtivement cela va sans dire. Mais l’Italien n’étant pas trop calé en night-clubs ou en bagouzes bling bling et ayant la street cred d’un clochard des Pouilles, comme aurait balancé Pat Evra, leur amitié fit long feu.

Malgré des qualités évidentes (32 buts/106 matchs en D2 à Brighton, et 19/25 en D3 à Swansea), le p’tit teigneux ne perça jamais durablement, la faute à une hygiène de vie douteuse et de gros, gros problèmes d’attitude. A Brighton, un jour de janvier 2006, en route pour Southampton, il gonfla tellement le manager, Mark McGhee, que ce dernier l’éjecta manu militari du bus en pleine forêt par un froid glacial (j’avais raconté cet épisode en 2011, ici). Quatre jours plus tard, il sera transféré à Swansea, d’où il se fera éjecter neuf mois après, non sans avoir récolté l’équivalent de 5 mois de salaire en amendes !

L’explosion des réseaux sociaux provoquera chez notre caillera des cyber-orgasmes mais sonna surtout le glas de ses vagues espoirs de réhabilitation. Le self-control n’étant pas son fort, il y apparut souvent surexcité et éparpilla ses dernières miettes de respectabilité sur Twitter et Facebook, ou même directement dans des forums de supporters à régler ses comptes.

Devenu footballeur non grata en Angleterre et forcé à l’exil, il partit se faire voir chez les Grecs, puis chez les Ecossais, pour finir en D1 nord-irlandaise, tout en vivant la vida loca à Londres la semaine. Protégé par ses bonnes perfs et son statut de mégastar chez les minots d’Ulster, Knight ne mit pas longtemps à choper le boulard et, fatalement, à repartir en sucette. Viré de Coleraine pour « continual breach of contract », il continua son errance rebelle à Glentoran avant de se faire serrer par la patrouille pour cet énième dérapage d’un goût douteux.

Quand le bouquet final arriva, il ne déçut pas : notre Leon s’était improvisé pornographe, sans l’avis des intéressées, après avoir pourri Danielle Lloyd, l’ex über-Wag de l’ancien milieu Spur Jamie O’Hara (elle a dû le laisser sur les rotules, le pauvre galère désormais chez ces clowns de Blackpool – bientôt D3). Lloyd étant à la Wagitude ce que la gare de Perpignan est aux cheminots d’obédience dalíenne, à savoir le centre de l’univers, l‘affaire fit grand foin et dépassa largement le cadre Wago-ferroviaire.

Définitivement grillé sur tout le réseau après ce grandiose feu d’artifice nord-irlandais, l’irrépressible Knight a dû arrêter les frais l’été dernier, à 31 ans, après une dernière pigette en D9 du côté de Manchester. Son site Internet est mort depuis six mois et son nouveau compte Twitter, en sommeil, s’accompagne de ce profil aux allures d’épitaphe : Retired footballer. Once played for Chelsea in the UEFA cup. Une conclusion bien tristounette au regard de sa carrière si fertile en pitresqueries de toutes sortes.

# 6. Steve Claridge – 21 clubs

Claridge, c’est du lourd, du giga : 21 clubs en 25 ans de carrière (dont 22 en pro), plus de 300 buts en 1 017 matchs dans toutes les divisions professionnelles (et quelques semi-pros sur la fin).

Lui aussi connut son heure de gloire à Leicester City, véritable base arrière des journeymen anglais de la génération précédente. Peu après son arrivée, Claridge y claqua le but victorieux de la finale des play-offs de D2, à la dernière minute, celui qui fit monter Leicester en Premier League (alors Premiership) et révéla Neil Lennon et Emile Heskey. Autre temps fort chez les Foxes : ses 12 réalisations la saison suivante en championnat. Mais surtout le genre de fait d’armes qui vous propulse instantanément cult hero de club : il inscrivit le seul but du replay de la finale de League Cup 1997 contre Middlesbrough, en prolongations. Les supps Foxes chantaient encore “Super Stevie Claridge” devant Wembley deux heures après la fin du match.

Ce passage qui dura une éternité, deux saisons, arriva malheureusement un peu tard (la trentaine passée) pour le natif de Portsmouth et fut suivi d’un zigzag en profondeur à travers la Football League.

Dans le zig, quelques piges express : 2 jours à Crystal Palace avant d’être transféré à Aldershot ; à Millwall, il signa pour deux ans mais resta un mois – zéro match. Dans le zag, des moments virils. A Cambridge United par exemple où, remplacé après seulement 12 minutes de jeu contre Ipswich en mars 1992, Claridge se frita avec son manager, John Beck, et son adjoint dans les vestiaires à la mi-temps. Baston générale. La raison : il ne supportait plus le kick and rush forcené prôné par Beck et ce dernier l’addiction au jeu de Claridge, accro aux bookmakers. Le board soutint Beck, qui avait fait monter les U’s consécutivement de D4 à D2 et fonçait vers la Premier League. Sanction immédiate pour Claridge : transféré à Luton dans la semaine en compagnie d’une autre forte tête, John Taylor, refourgué à Bristol Rovers. Cambridge, alors 2è du championnat, venait de se tirer une belle bastos dans le pied vu que Claridge et Taylor étaient les cracks du club – avec Dion Dublin. Bilan des courses : les U’s ratèrent la montée de peu en PL en mai 1992. A l’intersaison, Luton, fauché, revendit Claridge à… Cambridge. Mais pas de clash avec Beck cette fois, le manager sera rapidement limogé après un mauvais début de saison. Trois ans plus tard, ils étaient redescendus en D4, puis en D5 où il végéteraient neuf longues saisons.

Paradoxalement, c’est à John Beck et ses méthodes que Claridge attribue sa longévité, comme il l’expliquait en 2009 dans le magazine FourFourTwo : « Niveau suivi alimentaire et préparation physique, Beck était fort. Si j’ai pu jouer aussi longtemps, c’est beaucoup grâce à lui. »

Claridge se lança ensuite dans le management, sans succès. Qu’à cela ne tienne, à 39 ans, il rechaussa les crampons et repartit fouler les terrains pros et semi-pros pendant encore sept saisons. Sévit aujourd’hui sur la BBC TV & Radio, notamment comme consultant au Football League Show.

# 7. Fred Eyre – 20 clubs

Peut-être le plus original des journeymen du foot british : en vingt ans de vadrouille débutée à Manchester City, cet ex latéral-ailier a changé vingt fois de crémerie, la plupart de non-League, souvent comme entraîneur-joueur.

Mais sa singularité est ailleurs : Eyre n’a disputé qu’un seul match officiel en six saisons professionnelles !  (« J’étais souvent blessé ou envoyé en réserve, a-t-il expliqué, et bon, je ne jouais pas super bien non plus. »).

Après une carrière pro pas trop fatiguante sur laquelle n’aurait pas craché Winston Bogarde, Eyre resta dans le football (manager-adjoint, scout) et les médias foot tout en montant une petite chaîne de papeteries et une boîte de fournitures pour entreprises. Reconversion réussie puisqu’il fit fortune (la Rolls Royce sur la jaquette, c’est la sienne).

Lui aussi est très actif sur le circuit de l’after speech dinner depuis 1978 et commente sur BBC Manchester. Il a raconté son parcours atypique dans l’amusante autobio Kicked into touch, sortie en 1981, rééditée en 1991 et ressortie en Kindle récemment. Avec une telle carrière (29 managers, 82 entraîneurs), les tranches de rigolade ne manquent pas, comme dans ce petit club amateur où il eut un manager… totalement bègue. Bonjour les causeries d’avant-match et les instructions du bord de touche ! « De loin le livre sur le football le plus drôle que j’ai lu », écrit le critique de l’Observer. Et un énorme succès de librairie : selon l’éditeur, le livre s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires (39 réimpressions !).

# 8. Richard Pacquette – 23 clubs

Attaquant de non-League de 32 ans qui commença sa bourlingue en Football league. Vu qu’il nous case en moyenne deux clubs par an, cet international dominiquais peut raisonnablement viser les 30 d’ici sa retraite sportive.

Alors qu’il évoluait à Havant & Waterlooville en D6, il connut son quart d’heure warholien, littéralement, lors d’un 16è de FA Cup contre Liverpool en janvier 2008. A la 8è minute, il scotcha tout Anfield en donnant l’avantage aux minots. Puis 1-1 et rebelote six minutes plus tard, 1-2 (csc)… En même temps, c’était Charles Itandje dans les buts hein.

Même si les Reds l’emportèrent 5-2, cette perf est régulièrement rediffusée dans les émissions vintage sur les giant-killers, les tombeurs de gros. Aussi pour ces deux images fortes : le maillot des joueurs Hawks, avec la mention “Probably” au lieu du sponsor (cocasse histoire expliquée ici) et le Kop debout, avec les 6 000 supps Hawks, chantant “Havant, Havant” longtemps après le coup de sifflet final.

# 9. Keith Alexander – 23 clubs

Décédé en 2010 à l’âge de 53 ans juste après un match alors qu’il manageait Macclesfield Town (D4), cet attaquant a porté la tunique de 23 clubs dont la moitié en non-League.

Connut les joies du football pro à temps plein sur le tard, à 31 ans, en atteignant la Football League. Et il ne déçut pas : 26 buts en deux saisons avec Grimsby Town (D4), preuve que ce late developer avait sans doute les qualités pour réussir à un niveau supérieur. Devint ensuite entraîneur-joueur et directeur sportif.

A été le premier Noir à manager à temps plein en Football League, en 1993 à Lincoln City, D4 (Tony Collins l’avait précédé de trente-trois ans mais d’abord en tant qu’entraîneur-joueur – un an – puis entraîneur. Portraits de ces deux pionniers à venir dans le cadre de la série TK sur le football noir britannique débutée en novembre dernier).

# 10. Rohan Ricketts – 16 clubs

Fameux globe-trotter du foot anglais âgé de 31 ans. Eut droit à sa ration de hype au début des Noughties à Tottenham où les allumeurs d’enflammades professionnels le voyaient intégrer l’équipe d’Angleterre. Les spotlights définitivement éteints, il prit son sac à dos et sa pile de Lonely Planet : 11 pays visités en 7 ans.

A déclaré dans FourFourTwo et sur Talksport fin 2010 (ici, à 1’20) qu’il recherchait surtout à travers ses pérégrinations « un club qui pratique un beau football, un football de puriste » et que « si c’était pour jouer en D3 ou D4 anglaise, ça ne l’intéressait pas ».

Depuis ces déclas amusantes, on l’a vu passer en coup de vent en D3 anglaise, D4 allemande, Moldavie, Irlande, Inde, Equateur et Thaïlande. Poursuit sa flânerie à Hong-Kong où il vient de débarquer. Que du foot de puriste donc.

# 11. Marcus Bent – 15 clubs

Dont 8 de Premier League : Crystal Palace, Blackburn, Ipswich, Leicester, Everton, Charlton, Wigan and Wolves. Googlez pas, c’est un record. A surtout flambé à Ipswich et dans les tabloïds pour sa collection de Wags. Et avant que vous ne me demandiez dans les commentaires, oui, Danielle Lloyd était dans le lot (silly question).


Terminus Indonésie pour M. Bent, en 2012.

Remplaçants :

# 12. Dave Beasant – 13 clubs

Certes, Beasant fait figure de pantouflard avec « seulement » 13 clubs mais impossible d’omettre l’emblématique gardien du Wimbledon FC de la grande époque Crazy Gang, première mouture (années 1980), acheté 100 £ à un club amateur ! Déroula la suite de sa carrière chez quelques grands du football anglais (Chelsea, Wolves, Forest) et aussi des petits (Grimsby, Newcastle).

# 13. Guy Branston – 19 clubs

Défenseur central qui a longtemps ferraillé dans les lower leagues (divisions pros inférieures). A roulé sa bosse en disséminant généreusement sa gnaque (18 cartons rouges !) et son savoir-faire aux quatre coins du pays, tel un Compagnon du Devoir du ballon rond. Sa relative lenteur et sa technique limitée l’ont privé d’une carrière plus mémorable. A raccroché l’an dernier, à 36 ans, après des problèmes de cheville. La bonne tête de pitbull ci-dessous, c’est lui.

# 14. Jefferson Louis – 29 clubs

Il ne doit pas rester beaucoup de régions anglaises où le Londonien de 36 ans (et accessoirement cousin de R. Pacquette, # 8) n’a pas posé ses crampons. La highlight (télévisuelle) de l’incroyable odyssée de ce supp Gunner ? Danser à poil devant les caméras de la BBC en décembre 2002 après avoir tiré Arsenal en FA Cup.

# 15. Drewe Broughton – 21 clubs

Attaquant (retraité) qui s’est bâti une honnête carrière dans les tréfonds de la Football League, surtout D4, et en non-League sur la fin. Causa un certain émoi il y a quatre ans en s’alignant pour l’AFC Wimbledon… après un passage aux MK Dons. Mais vu qu’il avait crapahuté dans la moitié des habituels pensionnaires des bas étages et qu’un bug était donc probable, on lui pardonna cet écart.

# 16. Leon Clarke – 18 clubs

Attaquant de 30 ans et l’un des grands footeux-baroudeurs en activité. Prêté le mois dernier à Wigan Athletic en D2, sa 18è paroisse. Starifié étant jeune et plusieurs fois invité des rubriques légèrement kiss of death du magazine FourFourTwo, tel One to watch et The Boy’s a bit special (aujourd’hui disparues, trop poissardes). Malgré une belle pointe de vitesse et de grosses qualités athlétiques, il ne confirma jamais son potentiel. Souvent considéré comme un impact player très inconstant, l’archétype du journeyman qui peut flamber sur une courte période, comme à Coventry, D3 il y a deux ans (23 buts/35 matchs) mais aussi se vautrer inexplicablement dans la foulée, comme dans son club formateur de Wolves la saison dernière.

# 17. Jamie Cureton – 14 clubs

Presque 40 ans et toujours prolifique : 10 buts cette saison à Dagenham & Redbridge (D4). L’increvable goal poacher a renardé dans toutes les divisions de League Football (PL + Football League). Déjà succinctement présenté dans les preview D4 de TK en 2013 et 2014. Aimerait atteindre les 300 buts avant de raccrocher, dans deux ans espère-t-il.

# 18. Jason Lee – 19 clubs

Ex attaquant de Nottingham Forest dans les Nineties, brièvement starifié (forcément brièvement, vous avez dû remarquer comme tout est super éphémère dans cet article). Surtout connu en Angleterre pour avoir raté sa carrière à cause… de sa coupe de cheveux.

On aurait pu doubler cette liste de 18 (il me reste pas mal de pros du foot anglais à + de 15 clubs en magasin) et je publierai peut-être un autre volet Journeymen un d’ ces quatre.

Parmi les grands journeymen du foot british en activité, signalons le Guadeloupéen Mickaël Antoine-Curier (31 ans, 19 clubs), qui nous revient en Angleterre après un long périple plein d’exotisme et de harengs fumés.

Et si on faisait un Spécial vedettes-voyageurs, on pourrait avoir :

Nicolas Anelka (13 clubs), Craig Bellamy (10), George Best (17), Andy Cole (13), Stan Collymore (10), Robbie Fowler (9), Robby Keane (10), David James (10), Mário Jardel (20 – et ouais il a joué en Angleterre, à Bolton), Andrei Kanchelskis (11), Kevin Phillips (10), Teddy Sheringham (9), Juan Sebastián Verón (9). Manager : Roy Hodgson (19, avec sélections nationales).

Kevin Quigagne.

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[1] Le journeyman est un joueur aux multiples facettes, parfois contradictoires. Naturellement, ce terme polysémique s’accommode mal d’une définition standard et univoque (ce genre de définition est insatisfaisant). Disons cependant que dans son acception la plus fréquente et large, il désigne grosso modo un joueur d’un niveau suffisamment honnête pour faire carrière mais trop moyen/instable/irrégulier (voire trop souvent blessé) pour convaincre sur la longueur. Le terme est parfois connoté négativement (joueur limité, peu professionnel, mercenaire, etc.) et certains joueurs, tel le # 6 Steve Claridge, détestent l’étiquette journeyman.

On ne présente plus le fil culte des Cahiers JRMV, ce repaire malsain du souvenir où de douteux hommages sont régulièrement rendus à ces étoiles filantes qui ont brièvement illuminé notre ciel footballistique avant d’exploser en vol. Et ben v’là sa version TK, sauce british évidemment.

C’est à l’Anglais Jason Lee que revient l’immense honneur d’inaugurer le Panthéon TK de ces carrières placées sous le signe de la « fall from grace ». Jason Lee est un ex-buteur (brièvement) vedette de Nottingham Forest dans les années 90 qui se perdit ensuite dans les tréfonds du foot anglais. Trajectoire banale me direz-vous. La raison de sa présence ici est ailleurs : Jason Lee est le seul footballeur au monde à avoir attribué l’échec de sa carrière prometteuse à sa coiffure. Et ça, c’est pas banal.

Tout pour réussir

Jason Lee naît paisiblement dans un quartier agité du sud de Londres en mai 1971, à un pouf de bulle savonnée d’Upton Park. Les Hammers n’en veulent pas mais Millwall et Charlton Athletic (D2) lui font les yeux doux. Ce sera Charlton.

Malgré ses qualités offensives, son engagement et sa carrure de déménageur de surface (1m91, 86 kilos), Lee ne perce pas chez les Addicks. En 1991, à 20 ans, il est vendu à Lincoln City (D4) où il se révèle : 21 buts en 93 matchs de championnat.

En 1993, rançon du succès, l’excentrique Barry Fry le fait venir à Southend United (D2) pour remplacer Stan Collymore, parti affoler les compteurs à Nottingham Forest. Chez les Shrimpers (Crevettiers), sans forcément déraciner les arbres, Lee fait son trou. Été 1994, une belle écurie de retour parmi l’élite après une saison en D2 l’acquiert, pour 200 000 £ : Nottingham Forest.

Le mythique Brian Clough a quitté le club un an auparavant et cela vaut mieux pour le bon Jason : jamais le « traditionnaliste » Cloughie ne l’aurait laissé pénétrer dans le temple Forest avec sa protubérance xérophyte plantée sur le crâne. Car, un an après son arrivée, Jason adoptera une coupe de cheveux des plus fantasques : une coiffure « ananas ».

Le classieux effectif du promu Forest (Stuart Pearce, Scot Gemmill, Kevin Campbell, Stan Collymore, Steve Stone, Bryan Roy, etc.) sort une saison 1994-95 de feu en Premier League : 3è et qualification pour la C3. Lee a surtout joué les bouche-trous mais le départ de Collymore pour Liverpool à l’été 1995 va lui permettre de faire fructifier son capital. Il a 24 ans et une belle carrière devant lui. En principe.

Le chant qui fait déchanter

En 1995-96, à la faveur d’un superbe début de saison (6 buts en 11 matchs), il devient un cult hero au City Ground. Tout baigne pour Jason qui rêve de consécration nationale avec Forest, 3è début novembre. Toutefois, quelques chants de tribunes et moqueries à son égard l’ébranlent. Certains supporters Reds le surnomment désormais Jason « Pineapple Head » Lee et les fans adverses le chambrent avec jubilation. Il commence à gamberger.

Désormais, quand Jason est dans les parages, tous les stades anglais résonnent du chant « He’s got a pineapple on his head », entonné sur l’air de « He’s Got the Whole World in His Hands », chanson américaine popularisée en Angleterre à la fin des Fifties, puis reprise (en l’adaptant) par les joueurs de Forest eux-mêmes en 1978, quelques mois avant le seul titre de champion d’Angleterre du club et les triomphales campagnes européennes de 1978 à 1980.

Tout cela aurait pu s’arrêter là, aux travées des stades anglais, et l’on se serait contenter d’ajouter un tableau truculent à la riche fresque du folklore footballistique britannique. Mais une émission de télé va venir bouleverser l’univers de Jason Lee et propulser le Londonien de la simple popularité gérable à la stratosphère de la notoriété déstabilisante (et, ce faisant, causer sa perte sportive, selon lui).

En effet, avec ces sombres Eighties désormais loin dans le rétroviseur et la Premier League lancée comme un TGV, le milieu des Nineties signale l’apparition d’émissions de football d’un type nouveau à la télévision. Celles-ci sont humoristiques, irrévérencieuses, débridées, parfois improvisées et surfent sur le zeitgeist du laddism (jeunes déconneurs attardés), telles Under the Moon et surtout Fantasy Football League.

L’émission qui allume la mèche

FFL est une émission très décalée qui s’est fichée de manière fracassante dans la petite lucarne un an plus tôt. Animée par un célèbre duo comique à l’esprit potache et l’imagination fertile, David Baddiel et Frank Skinner, elle sera diffusée de janvier 1994 à mai 1996 chaque vendredi soir après 23 h 30, à l’heure où les lads rentrent bourrés du pub. Jetez un œil sur ces deux extraits décapants : Jason Lee et Frank Clark (alors manager de Forest) et La revanche de Jason Lee.

L’avant-centre va alors voir ses rêves de gloire s’envoler dans l’enfer infrutescent qu’il s’apprête à vivre. Baddiel et Skinner font de lui l’une de leurs « mascottes » fétiches. Ils déclinent la coupe ananas sous tous ses angles, n’oubliant pas de tacler Jason Lee dès que ses performances manquent de pulpe (voir ces compilations). Lee se plaint ouvertement du rôle d’emblème souffre-douleur que l’émission lui colle (il parle de « vendetta » contre lui), estimant que cet acharnement fruto-sadique lui fait perdre ses moyens.

Le pire est cependant à venir. La pineapple fever met le feu à la région de Nottingham et au-delà. Le sujet enflamme les phone-ins des radios locales et cette foutue pineapple mania annonce un déchaînement fruitier irrationnel. Les boîtes du coin organisent des « soirées ananas », les médias se l’arrachent et campent devant chez lui (et sa famille), les grosses sociétés de fruits et légumes veulent lui faire tourner des publicités, le Télématin anglais en fait son idole, l’animateur vedette Chris Evans lui déroule le tapis rouge et les émissions foot radio & TV ne se lassent pas de nous servir du Jason Lee, l’homme-ananas qui plante. De moins en moins d’ailleurs.

Le jusqu’au-boutisme fruitier fait une victime

Tout s’accélère en 1996. En cette année d’Euro anglais (et apogée de l’ère lad), le show Baddiel-Skinner est devenu très populaire et la fixette Jason Lee croît, naturellement, sans pesticides. La culture intensive vire à l’obsession pour les deux comiques qui ne font pas un show sans un sketch où l’attaquant est ridiculisé. Le délire monoïdéique des deux empêcheurs-de-vendanger-en-rond va bien au-delà de la simple mise en boîte (d’ananas ?) : ils ont développé une vaste thématique Jason Lee. Tels deux lourdingues d’obédience jackassienne résolus à pousser le bouchon toujours plus loin, ils encouragent activement les téléspectateurs à envoyer photos ou clips en rapport avec l’ananas, ce que ces derniers font sans se faire prier. La BBC recevra mensuellement 200 lettres avec photos d’ananas utilisés dans toutes sortes de situations loufoques.

En mai 1996, Jason Lee craque : il se fait couper les dreadlocks les plus célèbres du foot et pose dans le Sun pour officialiser sa renaissance. Baddiel et Skinner reprennent le surnom que Lee s’est lui-même donné pour célébrer sa boule à zéro : Kiwi Head. Mais la plaisanterie a assez duré et l’émission s’arrête juste avant l’Euro, victime de complications judiciaires (menaces de poursuites) et d’une certaine aseptisation – ou professionnalisation, c’est selon – du paysage télévisuel.

Saison 1996-97, la méforme s’éternise pour Jason Lee (2 buts en 17 matchs). Sur l’année 1996, il n’a marqué que 3 fois en 25 matchs. Il maintient dans la presse que tout ce barnum est responsable de son long passage à vide et que cette foutue FFL a « bousillé sa carrière ». Début 1997, Lee est prêté en D2. Puis, fin mai 1997, tel un vulgaire fruit trop mûr, il est bradé, au prix coûtant. A 26 ans, Jason Lee quitte Forest et les feux de la Premier League, conscient que son heure de gloire s’est volatilisée, définitivement.

La suite aura un goût amer pour notre footeux amateur de broméliacées. Les 30 000 spectateurs d’un City Ground en liesse scandant son nom seront vite remplacés par les dogfights de la D4, disputés devant une poignée de surexcités qui ne manqueront pas de lui rappeler la douloureuse époque fruitière.

Le temps des regrets

Après une brève fulgurance à Watford (D3) en 1997-98 (11 buts et montée du club d’Elton John en D2), Lee sombrera dans l’anonymat de la Football League. Jason s’est vidé de son jus. Des problèmes avec Graham Taylor le feront atterrir à Chesterfield (D3) où la source se tarit (1 but en 28 matchs). Suivra une succession de contrats alimentaires et destinations obscures dix ans durant, jusqu’à l’orée de ses 40 printemps.

Le journeyman Jason Lee, 18 clubs en 22 saisons professionnelles (125 buts en 634 matchs), est persuadé d’avoir raté le coche à cause d’un catogan mal ficelé. D’aucuns trouvent l’argument capillotracté mais pour Jason, c’est clair, ce fut la coupe de trop. Sur cette folle période 1995-97, il déclarait dans une interview de la BBC en 2007 :

« Tout cela m’a beaucoup affecté, les chants, les moqueries, etc. Le truc a pris une ampleur démente, ça n’arrêtait pas, ma famille en a souffert, et ça a atteint son apogée pile au moment où je connaissais une baisse de forme [1996]. Quand tout ça a commencé, ça m’était égal, mais dès que l’entraîneur ne m’a plus titularisé, ça s’est compliqué. J’ai eu l’impression que le club était de plus en plus gêné par cette situation. […].

J’ai le sens de l’humour, mais là, j’ai pris ça comme une attaque personnelle, en plus, avec tout ce que mes amis et ma famille devaient endurer au stade, ça m’a fait encore plus perdre mes moyens. Eux-mêmes, ça les a affectés, et ils étaient constamment sur la défensive. Je n’ai jamais rencontré Baddiel et Skinner, mais j’ai quand même pris ma revanche. Lors d’un match contre Chelsea, j’ai marqué le but égalisateur à Stamford Bridge, et je sais que Baddiel [supporter de Chelsea] était dans les tribunes ce jour-là. Ça m’a tellement euphorisé que j’ai fait durer les célébrations ! »

D. Baddiel et F. Skinner aujourd'hui, la cinquantaine épanouie

Baddiel et Skinner aujourd'hui, un poil plus mûrs

Baddiel et Skinner diront, bien plus tard, regretter leurs puérilités confinant au harcèlement moral. Ce dernier expliquera : « Se foutre de Gazza ou Peter Beardsley comme on le faisait, c’est une chose. Ces joueurs étaient extrêmement talentueux, avaient une énorme confiance en eux et se fichaient pas mal de la critique au fond. Mais Jason Lee était peut-être trop juste pour la Premier League. Il est possible que nos moqueries aient ravivé chez lui une certaine fragilité au point de le faire douter. »

Aujourd’hui, après une formation de journaliste et d’entraîneur (il anime actuellement des écoles de foot pour jeunes), l’attachant Jason Lee n’a plus à se préoccuper de sa tignasse : il a la coupe Kojak. Avec sûrement des regrets au niveau du timing. Ah, si seulement il avait pu être chauve à 24 ans…

Kevin Quigagne.