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Cet article vous est aimablement offert par Chris Garnier, nouvelle recrue de TK. Nantais d’origine, il présente le double handicap de supporter Manchester United et d’aimer Newcastle. Autant dire qu’il a fallu se battre pour convaincre Kevin Quigagne de l’intégrer à l’équipe. Appelons ça la caution COTOREP, si vous voulez.

Avant Arsène Wenger, George Graham régnait en maître à Highbury. Il y a vingt ans cette semaine, le tyrannique manager était pourtant limogé des Gunners pour avoir accepté des pots-de-vin lors de plusieurs transferts.

21 février 1995. Eric Cantona a balancé son yoko-geri sur Matthew Simmons, fan de Crystal Palace, depuis moins d’un mois que la toute jeune Premier League se reprend un scandale en pleine face. George Graham, l’inamovible entraîneur d’Arsenal, est débarqué de son poste par sa direction. La raison du licenciement de celui qui était alors, en terme de trophées glanés, le meilleur entraîneur de toute l’histoire des canonniers [1] ? Une enquête préliminaire de la FA qui accuse l’Écossais d’avoir accepté des « bungs » (pots-de-vin) – s’élevant à 425 000 £ (soit près de 3,5 millions de francs à l’époque, rendez-vous compte !) – sur deux transferts avec l’obscur agent norvégien Rune Hauge.

« M. Graham, connaissez-vous Rune Hauge ? Avez-vous déjà encaissé de l’argent venant de lui ? »

Loin de débuter ce 21 février 1995, l’affaire trouve son origine dans l’arrivée successive de deux Scandinaves. Celle de Paal Lydersen, défenseur norvégien de 26 ans, en 1991 puis John Jensen, milieu défensif danois (vainqueur de l’Euro 92, inscrivant le premier but lors de la finale), un an plus tard. L’emménagement de ces derniers à Highbury s’accompagne de « cadeaux » de la part de leur agent, Rune Hauge, pour Graham, qui reçoit 140 000 £ pour le premier et 285 000 £ pour le second. Les matches et les saisons s’enchaînent. Le manager remporte la Coupe des Coupes (C2) face à Parme en 1994, octroyant à Arsenal son son deuxième titre européen après la victoire en Coupe des villes de foires de 1970.

Pourtant, le goût du succès est amer pour le coach et ses troupes. Quelques semaines avant la finale, des doutes commencent à émerger du côté du district d’Islington. Le 22 avril 1994, les comptables d’Arsenal reçoivent une lettre de l’Inland Revenue [le fisc britannique] faisant part de ses « préoccupations » liées à des preuves qui indiquent que le « staff a reçu des paiements provenant des frais de transferts versés par Arsenal ». [2] Un journaliste danois accoste même l’entraîneur deux semaines avant le match européen : « M. Graham, connaissez-vous Rune Hauge ? Avez-vous déjà encaissé de l’argent venant de lui ? » La réponse laconique de l’Écossais (« Ce sont de très sérieuses allégations ») et le « dégagement » en bonne et due forme du gratte-papier par le service de sécurité vers la sortie alimentent un doute qui ne cesse de croître. [3]

« Je suis encore là ! »

George Graham finit par avouer son méfait au début de la saison suivante (en septembre selon l’enquête de la FA) à son board et au président Peter Hill-Wood. Le manager va même jusqu’à rembourser à Arsenal la somme de 465 500 £, les fameux « bungs » et les intérêts qui vont avec. L’affaire ne se tasse pas pour autant, la presse britannique s’empare du dossier et fait pression sur le club et la FA. Graham croit être soutenu par sa direction, qui lui permet d’acheter des joueurs comme John Hartson, Chris Kiwomya ou l’ailier néerlandais Glenn Helder. « Vous ne donnez pas d’argent à quelqu’un que vous êtes sur le point de licencier », s’extase-t-il avant le match du 21 février 1995 face à Nottingham Forest.

Faux. George Graham est licencié dans l’après-midi précédant la rencontre. La légende veut même que celui-ci ait surpris ses joueurs en passant la tête par la porte du vestiaire pour crier : « Je suis encore là ! », avant d’être escorté hors du stade. Ironie de l’histoire, Arsenal gagna face à Nottingham Forest, mettant ainsi fin à une série de matches sans victoires à domicile depuis le 23 octobre 1994. Kiwomya, qui inscrit le but vainqueur, et Glenn Helder furent particulièrement remarqués.

Un jugement de « kangaroo court »

La réponse de Graham à son éviction ne se fit pas attendre. « J’ai fait du bien-être d’Arsenal mon seul objectif lors des huit dernières années. Mon bilan montre mon succès. Avant cela, j’ai joué pour Arsenal pendant 7 ans donc je peux parler de plus de 15 ans d’engagement total pour le club. Ces allégations sont absurdes. Je regrette profondément que ce jugement de tribunal de pacotille (« kangaroo court » pour les anglophones) ait été rendu en catimini. »

Rune Hauge, l'homme du scandale (et de beaucoup d'autres à son sourire...)

Rune Hauge, l'homme du scandale (et de beaucoup d'autres vu son sourire...)

La défense du manager est simple : pour lui les pots-de-vin n’en sont pas. Il s’agirait de « cadeaux désintéressés » de la part de Rune Hauge pour le remercier « des contacts que je lui ai fait. Il m’a dit que son business allait très bien et que c’était pour montrer sa gratitude ». Des propos qui ne convainquent pas la fédération anglaise de football, qui suspend George Graham pendant un an. Rune Hauge, qui au passage avait négocié l’arrivée de Peter Schmeichel et Andrei Kanchelskis à Manchester United en 1991, fut banni de la Fifa avant de voir sa peine être réduite à deux ans de suspension.

Le Thatcher des Gunners

Si George Graham est l’homme qui a ramené le titre de champion à Arsenal après 18 ans en 1989, dans un final haletant [4], il reste un tyran dans l’imaginaire de certains de ses joueurs. Ces derniers n’ont cessé de faire des rapprochements entre cet originaire de Glasgow et Margaret Thatcher, la Dame de fer, sur la façon de mener le club d’un côté, l’Angleterre de l’autre. « Les joueurs doivent gagner le droit de jouer pour Arsenal », déclare-t-il à son arrivée. Le pauvre Martin Keown, formé au club et qui demandait un extra de 50 £ par semaine fut ainsi vendu à Aston Villa dans la foulée pour son impertinence. « J’ai refusé de le payer plus que Tony Adams ou David Rocastle, et donc il est parti pour Aston Villa », écrira-t-il ensuite dans son livre The Glory and the Grief.

Sa gestion d’un club n’était pas loin du régime autoritaire, comme en témoigne l’ancien milieu offensif suédois, Anders Limpar, dans un entretien à Aftonbladet TV. « Le régime de George Graham, c’était comme vivre en Irak sous Saddam Hussein ». Pourtant, son génie tactique était reconnu de tous. Que ce soit Nevio Scala, l’entraîneur de Parme battu en 1994, ou Giovanni Trappatoni. « Il a montré la clarté de ses pensées, indiquait à l’époque le Trap. Il a résolu tous ses problèmes dans sa campagne européenne. Je l’admire énormément. » [3]

Anders Limpar n'est probablement jamais allé en Irak sous Saddam Hussein.

Information exclusive : Anders Limpar n'est jamais allé en Irak sous Saddam Hussein.

L’arrivée de Graham à la tête d’Arsenal en 1986 s’est toutefois joué à peu de choses. Les dirigeants londoniens avaient au départ deux noms en tête : Terry Venables et Alex Ferguson. L’Écossais devait d’ailleurs avoir comme adjoint… George Graham ! Finalement, l’un ne daigna pas quitter le FC Barcelone alors que l’autre voulu se donner du temps. L’ancien milieu des canonniers fut donc choisi.

« Si George Graham est le seul manager coupable d’avoir accepté un bung lors les dix dernières années, j’en serais absolument stupéfait »

L’affaire entre Hauge et Graham a amené la FIFA et la Premier League à insister auprès des clubs pour qu’ils ne fassent appel qu’à des agents agréés. L’initiative ne dure pas bien longtemps puisqu’en janvier 2006, Mike Newell, l’entraîneur de Luton Town, annonce que des agents ont tenté de lui offrir des bungs. « Si George Graham est le seul manager coupable d’avoir accepté un bung lors des dix dernières années, j’en serais absolument stupéfait », déclare-t-il après son audition par la FA sur le sujet. Déjà en 1998, une enquête sur Brian Clough concluait que ce dernier avait pris des parts, avec son adjoint Ronnie Fenton, sur des transferts à Nottingham Forest. Le nom de Rune Hauge était une nouvelle fois évoqué. L’entraîneur mythique des Tricky Trees n’avait toutefois pas été inquiété en raison de son état de santé.

Pour porter corps aux déclarations de Newell, l’émission « Panorama » de la BBC diffuse en septembre 2006 une enquête sur le sujet. Des agents filmés à leur insu y accablent Sam Allardyce : « Sam, il croque minimum 150 000 £ par transfert ». L’entraîneur, alors à Bolton, passerait par son fils, Craig – lui aussi agent – pour les pots-de-vin. Harry Redknapp est aussi inquiété, notamment pour avoir fait acheter à son club d’alors, West Ham, 144 joueurs en sept ans. Si « Big Sam » et Redknapp s’en sortent grâce à la rétractation des agents, Kevin Bond, adjoint à Newcastle, est licencié des Magpies pour avoir touché des bungs lors de son passage à Portsmouth.

« Arsène Who ? »

L’éviction de George Graham eu pour principale conséquence de laisser le champ libre à Arsène Wenger. Alors que Bruce Rioch avait été nommé pour la saison 1995-1996, son seul fait d’armes a été d’établir un nouveau record dans les transferts anglais en recrutant Dennis Bergkamp pour 7,5 millions £. Avant d’être lui aussi limogé en raison d’un désaccord avec sa direction sur les fonds attribués aux transferts. Les bookmakers et la presse, pariant sur une arrivée de Johan Cruyff, furent surpris de voir débarquer l’Alsacien. « Arsène Who ? », titra même l’Evening Standard.

Un « look de professeur des écoles »

Un « look de professeur des écoles »

Même son de cloche chez ses nouvelles troupes. « Au début j’ai pensé : qu’est ce que ce Français connaît au foobtall, s’interrogea Tony Adams à l’époque. Il porte des lunettes et ressemble plus à un professeur d’école. Il ne va pas être aussi bon que George [Graham]. D’ailleurs, est-ce qu’il parle anglais correctement ? ». Une tirade qui s’avéra fausse (sauf pour l’anglais) mais qui démontre bien la popularité et l’affection dont bénéficiait George Graham à l’époque. Celle-ci s’éroda lorsqu’il prit la direction de Tottenham en 1998, où il fit venir Steffen Freund, milieu défensif allemand, et Oyvind Leonhardsen, international norvégien, deux joueurs liés à… Rune Hauge.

Christophe-Cécil Garnier.

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[1] Lors de l’arrivée de George Graham, Arsenal n’avait plus gagné un trophée depuis une FA Cup en 1978-1979. Le retour du succès intervient en 1987 avec la victoire en League Cup. Les Gunners remportent ensuite leur premier titre national depuis 18 ans (où il évoluait déjà en tant que joueur) en 1989, avant de triompher à nouveau en 1991. S’ajoute à cela une victoire en FA Cup en 1993 avant le deuxième succès continental : la Coupe des Coupes de 1994. Six titres (sans compter le Charity Shield de 1991) qui font de lui, proportionnellement, le meilleur entraîneur sur un ratio titres/années.

[2] Les propos sont issus de l’enquête de la FA racontés par le journal The Independent. Merci par ailleurs à Kevin Quigagne pour son aide précieuse au sujet de l’affaire Mike Newell et de l’émission Panorama (Undercover: Football’s dirty secrets) diffusée le 19 septembre 2006.

[3] Les propos et anecdotes sont issus du livre Red Letter Days.

[4] Lors de la dernière journée de championnat, Arsenal était deuxième avec 73 points, à trois unités du leader Liverpool. Les deux équipes s’affrontaient à Anfield, ce qui n’avait rien d’un hasard, le match était programmé le 23 avril 1989 mais la demi-finale entre Liverpool et Nottingham Forest (le drame d’Hillsborough) repoussa la rencontre à la toute fin de saison. Pour coiffer les Reds au poteau, les Gunners avaient besoin d’une victoire par deux buts d’écarts. La partie fut engagée. Arsenal marqua un premier but à la 52e mais alors que la fin du match approchait, le score était toujours de 1-0. Ce n’est qu’à 25 secondes du coup de sifflet final que Michael Thomas inscrit le second but, synonyme de titre.

Euro 1992, 17 juin 1992. Tomas Brolin signale son entrée fracassante sur la scène internationale en éliminant l’Angleterre d’un but classieux. Quelques années plus tard, le golden boy du foot suédois deviendra l’un des transferts les plus calamiteux de l’histoire du football anglais. Avant l’Angleterre-Suède de ce soir, retour sur les années fish & chips du poupin suédois.

Veni, vidi, floppi. Il est venu, il a vu, il a coûté la peau du cul et il a spectaculairement déçu. Brolin, c’est l’histoire d’un mec qui, à force de malbouffe et d’embrouilles ahurissantes avec le staff de Leeds United, a fini par se crasher dans la vitrine Hall of Shame du foot briton, la bedaine la première. L’Angleterre devait être sa consécration, elle sera son tombeau. Une consolation : Brolin mettra à profit ses foireuses années anglaises pour accoucher d’une après-carrière baroque ‘n’ roule.

Suite et fin de la mini-saga Brolin. Pour le premier épisode, cliquez à droite.

Brolin, interdit de stade

Quand Brolin arrive enfin à Elland Road, l’irascible George Graham n’est pas d’humeur à lui demander des nouvelles du pauvre caribou suédois. L’Écossais confisque son passeport et l’enferme dans le coffre-fort du club ! Le Suédois réussit toutefois à obtenir un passeport de remplacement et repart illico au pays pour se remettre du choc psychologique. Graham l’apprend et vire au vert. Au retour de l’opprimé, l’ex manager d’Arsenal refuse de lui donner une tenue d’entraînement et l’interdit de stade. Comble de l’humiliation, Brolin doit désormais payer sa place pour voir Leeds jouer à domicile ! En prime, il ne figurera pas non plus sur la photo d’équipe de début de saison.

Bien entendu, Brolin ne sera pas de la tournée en Suède. Au retour de Scandinavie, Leeds tente désespérément de le refourguer en prêt. Graham, pas le plus finaud des entraîneurs, se tire une balle dans le pied en vendant l’article comme un mauvais camelot :

« Si quelqu’un veut Brolin, qu’il me téléphone ! Si un footballeur ne veut pas rester ici, OK. Moi, je veux des joueurs talentueux qui ont la gnaque. »

Évidemment, personne ne veut du boulet nordique. Son manque criant de fitness et ses dispositions à l’embrouille tarabiscotée effraient. Même l’Écosse ignore le cri de désespoir des Whites.

Brolin est alors envoyé perdre du poids avec la réserve mais les relations se dégradent à vitesse grand V avec le club. Tubby continue à vertement critiquer Graham dans les médias et zapper les entraînements. Un jour, il « oublie » même de se pointer à un match, préférant aller faire la nouba en famille. Le club le mitraille d’amendes mais rien n’y fait.

Yes ! Yes ! Yes ! il s'est barré, enfin !!!

Yes ! Yes ! Yes ! il s'est barré, enfin !

Au contraire, la situation s’envenime. Brolin menace de poursuivre Leeds en justice pour « harcèlement » et parle en interne de « révéler les pratiques du club à la BBC » (le Suédois déclarera plus tard que le club admit ses erreurs et lui reversa une partie des amendes, le tout accompagné d’une compensation et d’une lettre l’exonérant de toute responsabilité).

Le 28 octobre 1997, Leeds United casse son contrat et lui verse 140 000 £ d’indemnités (économisant ainsi plus de 400 000 £ sur le reste du contrat). Pour fêter son grand départ, Brolin invite les médias à une farewell party organisée dans un hôtel de Leeds. George Graham n’est pas invité, mais il n’aurait probablement pas dit non.

Pas l’as attendu

Brolin n’en a pas cependant pas fini avec l’Angleterre. Début janvier 1998, c’est gavé de mince pies qu’il roule-boule dans un Crystal Palace en perdition (saison apocalyptique pour les Eagles). Il arrive en même temps que Valérien Ismaël, acheté à Strasbourg pour presque 3M de £. Le manager, l’étrange Steve Coppell, lui fait cependant confiance après un match amical de son équipe en Suède, où Brolin tentait de maintenir sa forme entre deux Smörgåsbord XL. Le ridiculement optimiste Coppell n’hésite pas à déclarer :

« Physiquement, c’est sûr qu’il n’est pas encore prêt, mais je suis certain que dès qu’il aura quelques semaines d’entraînement dans les jambes, il redeviendra le grand joueur qu’il a été. Il y a deux ans, il coûtait 5 millions, et on l’a eu pour pas un sou. On aurait tort de se plaindre ! »

Brolin ne se plaint pas non plus. Son rebondissement à Palace était inespéré. Il signe un contrat de six mois et dispute 13 matchs – 11 défaites, zéro but – en position d’avant-centre (tous les attaquants sont blessés). Il pèse bien sur la défense, mais dans le sens Weightwatchers du terme. Mi mars, à l’ébahissement général, il est même bombardé adjoint du nouvel entraîneur-joueur (!), Attilio Lombardo, lui-même scié de se retrouver si subitement aux commandes. Brolin lui sert aussi d’interprète-factotum.

Un tandem aussi comiquement expérimental qu’affreusement inexpérimenté (installé dans l’extrême urgence par le notoirement incompétent Ron Noades, propriétaire-président surtout connu en Angleterre pour son sens inné de la magouille et ses opinions Atkinsonesques sur les joueurs noirs. Noades, en 1991 : « Les joueurs noirs dans ce club [Crystal Palace] apportent leur forte technique et leur talent à l’équipe ; mais le collectif a aussi besoin de joueurs blancs pour équilibrer les choses et injecter de l’intelligence et du bon sens dans le jeu. »).

Le duo Lombardo-Brolin est l’illustration parfaite du blind leading the blind, selon l’expression anglaise consacrée. Un drôle d’attelage qui navigue à vue et va vite finir dans le fossé.

Le 27 avril 1998, Brolin dispute son dernier match professionnel contre Manchester United (0-3). Malgré la relégation en D2, il empoche une mystérieuse prime de 70 000 £ (réservée aux « vedettes » du club). Ses partenaires lambda enragent, eux qui doivent encaisser sèchement la descente, sans liquide pour faire passer l’amère pilule.

Un après-football à la hauteur

Une fois rentré au bercail, Brolin troque sa femme pour une Miss Suède et se reconvertit en homme d’affaires multi-cartes. Il investit tous azimuts : immobilier avec le daron, crèmes de beauté, entreprise de traiteur, chevaux de course, vente de chaussures à son nom sur internet… Il met même des billes dans Twinnovation AB (ici) un brevet d’aspirateur censé faire un malheur grâce à ses embouts révolutionnaires (et se fait dûment sucer son investissement).

En 2001, fatalement, il assouvit sa vocation : il ouvre un restaurant, le Undici (Onze, son numéro à Parme). Cuisine italo-scandinave, salades mozzarella-phoque, pizzas au renne, pâtes au bœuf musqué, dans ce style. Il déclare (extrait de l’Observer) :

« C’est un grand moment pour moi, c’est un vieux rêve que j’avais, en fait depuis l’Italie. J’ai tout choisi ici, même les couverts, et j’en suis fier. Quand je vivais en Italie, j’ai dégusté des plats merveilleux et c’est comme ça que l’idée a germé. J’ai aussi mis des plats du nord de la Suède au menu, des mets que ma maman m’a fait découvrir. »

Touchant. Brolin fait aussi dans le créatif lourdingue. Avec le groupe Doctor Alban et Björn Borg, il sort un morceau intitulé « Friends in need » (voir clip, funeste mais immanquable) et apparaît dans des publicités, dont une pour une marque de jacuzzi.

En 2006, il s’achète une grosse paire de lunettes noires et s’étale autour des tables de poker, où il croise souvent le fer avec d’anciens footeux, comme Tony Cascarino et Teddy Sheringham. Encore une histoire de chips, servis sans le poisson cette fois.

Début 2010, on reparle de lui dans les médias foot. Bizarrement, il réclame la paternité d’un but contre la Norvège attribué à un autre joueur (Roland Nilsson, Sheffield Wednesday Legend), erronément à ses yeux. Et peu importe que le match (amical) date d’août 1991, pour un gambler, un pion, c’est un pion.

Un panel d’experts de la déviation involontaire du dos a promis de se réunir un jour pour réparer cette flagrante injustice (il y a bien eu déviation de Brolin). « Bon, faudra qu’on discute de ça avec les statisticiens et on verra », a mollement commenté un membre de la fédération suédoise.

Il manque donc un but à sa belle vendange internationale (26 réalisations en 47 matchs avec la Suède). Il ne manquerait plus que le spectre de Tomas Brolin, honni et bouté hors d’Angleterre, plane ce soir sur la pelouse de l’Olympic Stadium de Kiev et plante ce pion manquant. Et, tout comme il y a vingt ans, scelle le sort des Anglais.

Kevin Quigagne.

Euro 1992, 17 juin 1992. Tomas Brolin signale son entrée fracassante sur la scène internationale en éliminant l’Angleterre d’un but classieux. Quelques années plus tard, le golden boy du foot suédois deviendra l’un des transferts les plus calamiteux de l’histoire du football anglais. Avant l’Angleterre-Suède de vendredi, TK revient sur les années fish & chips du poupin suédois.

Veni, vidi, floppi. Il est venu, il a vu, il a coûté la peau du cul et il a spectaculairement déçu. Brolin, c’est l’histoire d’un mec qui, à force de malbouffe et d’embrouilles ahurissantes avec le staff de Leeds United, a fini par se crasher dans la vitrine Hall of Shame du foot briton, la bedaine la première. L’Angleterre devait être sa consécration, elle sera son tombeau. Une consolation : Brolin mettra à profit ses foireuses années anglaises pour accoucher d’une après-carrière baroque ‘n’ roule.

Le nouveau Billy Bremner

Euro 1992. L’Angleterre s’incline face à la Suède (2-1), sur un joli but d’un minot de 22 ans, très technique et extrêmement prometteur : Tomas Brolin. Ce dernier évolue à Parme et finit co-meilleur buteur de la compétition, avec trois réalisations. Le Guldbollen (meilleur joueur suédois) 1990 et 1994 brillera également à la Coupe du Monde états-unienne (où la Suède finira troisième) et figurera dans l’équipe Fifa du tournoi (ici).

En Italie, Brolin permet aux Parmesans d’atteindre les sommets européens (deux coupes européennes en 1993 et 1995, une finale en 1994, ici).

L’ambitieux Leeds United flashe alors sur l’élégant et combatif Scandinave et, le 7 novembre 1995, l’affaire est dans le (gros) sac. Les supporters des Whites s’emballent et certains journalistes lui collent l’étiquette facile du « nouveau Bremner » (élu Leeds United Greatest Player il y a quelques années). Un label-fardeau qui fait aujourd’hui sourire.

Certes, on se dit bien dans le Yorkshire que quelques séances au WeightWatchers local ne feraient pas de mal au boudiné Scandinave (les blessures aidant, il a dégusté toutes les variétés de prosciutti di Parma) mais on semble sûr de tenir l’affaire du siècle. Même si Brolin traîne divers pépins physiques (dont les séquelles d’une sérieuse blessure à la cheville de novembre 1994 qui l’immobilisera cinq mois), les dirigeants du club se disent que quelques entraînements bien ciblés corrigeront tout ça.

C’est donc un Howard Wilkinson (manager) radieux qui récupère Brolin, en espérant l’associer à Tony Yeboah. Wilko déclare :

« C’est un joueur de grande classe et je suis sûr qu’il s’avérera être une superbe acquisition pour Leeds. Je suis persuadé qu’il sera un excellent partenaire pour Tony Yeboah. »

L’attaquant ghanéen surenchérit :

« Je suis certain que Tomas et moi, on s’entendra super devant. C’est véritablement un joueur de classe mondiale. Il sait tout faire, combiner, marquer et faire le lien avec les autres joueurs. Nos adversaires auront beaucoup de mal à défendre contre nous. »

Homard ‘n’ chips m’a tué

Les deux premiers mois sont conformes aux prévisions, même si sa première réalisation, un but gag, pourrait laisser planer le doute. Brolin joue en 10 derrière Yeboah et les supporters Whites chantent son nom. Le 24 décembre 1995, Leeds bat Manchester United 3-1, avec un Brolin de feu, impliqué dans les trois buts. Il marque aussi, dont un beau doublé contre West Ham le 13 janvier 1996 (Homme du match).

Tout se présente donc idéalement. Sauf que pendant les fêtes, Tomas a découvert le fish ‘n’ chips. Il a d’abord fait connaissance avec le cabillaud-frites de base, puis, en fin gourmet, il s’est mis à la version upmarket. Les ennuis sérieux commencent alors pour celui que les supporters surnomment désormais « Tubby » (le potelé). C’est le début d’une invraisemblable saga.

Le club essaie de le mettre à la diète mais rien n’y fait. Leeds-Bradford est LA mecque du combo cabillaud-frites-purée de petits pois (la célèbre chaîne Harry Ramsden’s est née ici) et notre Brolin devient accro aux produits du terroir.

La forme déclinant, Brolin s’embrouille régulièrement avec l’intransigeant Howard Wilkinson, surtout pour des histoires de positionnement. Le Suédois rechigne à jouer milieu excentré. En janvier 2012, revisitant son passé, il déclare au magazine Suédois Offside :

« A Leeds, au bout de six ou sept matchs, Wilkinson m’a dit de coulisser à droite et faire la mobylette comme un idiot. Je n’aimais pas ça alors j’avais décidé d’être nul à chier le match suivant, contre Liverpool. »

Un défi largement réussi, Leeds se prend 5-0 contre les Reds et Brolin, comme il l’avait rêvé, sort un vrai shocker (prestation de boulet).

Le divorce est consommé (avec beaucoup de rab)

Entre autres critiques, Wilkinson lui reproche son manque de travail défensif. Brolin réplique qu’il est milieu offensif créatif et lui fait comprendre qu’il ne sera jamais trop partant pour participer aux vulgaires besognes défensives. Wilko insiste mais rien n’y fait. Les deux hommes vont au clash.

Leeds perd patience et, en fin de saison 1995-96, le club décide de le prêter, non sans que Brolin ait voulu jouer au plus malin lors d’un poisson d’avril qui s’est mordu la queue… Brolin avait en effet arrangé une fausse interview avec une télé suédoise où il annonçait son prêt au IFK Norrköping (la hiérarchie de Leeds n’avait guère goûté le gag).

Problème : on ne se bouscule pas au tourniquet pour le récupérer. Leeds, exaspéré, arrête carrément de lui verser son salaire (60 000 £ / mois). Finalement, le 20 août 1996, le FC Zurich prend pitié et lui offre gîte et gros couvert, dans le cadre d’un court prêt (initialement prévu pour durer six semaines). Mais la miséricorde se paie cash, son salaire hebdomadaire dégringole au Smic suisse du footballeur : 800 £. Brolin en est arrivé à un point de non-retour avec Leeds et veut rester chez les Helvètes, au moins jusqu’à la trêve hivernale.

Début octobre 1996, après avoir fini à une décevante treizième place (en Premier League) la saison précédente, Leeds flirte désormais avec la zone rouge. L’heure est aux mesures de desperado et George Graham, le nouvel entraîneur, a besoin de toutes les forces vives et molles pour améliorer la situation. Localement, la grogne monte. Après un début de décennie fulgurant (dont le titre en 1992), Leeds est en perdition et il faut reconstruire l’édifice.

Le seul élan qu’il prend, c’est dans le pare-brise

Même si Graham nourrit de sérieux doutes sur le niveau de commitment de Brolin, l’Écossais souhaite lui donner sa chance. Il compte l’associer à Tony Yeboah et au vieillissant Ian Rush. Quelques joueurs clés sont partis (dont Gary Speed et Gary McAllister) et Graham s’agite pour récupérer Brolin. Mais ce dernier fait de la résistance en Suisse où il a découvert l’Emmental et les joies de la raclette (il ne joue quasiment pas).

Pendant des semaines, Leeds ne parvient pas à contacter directement le joueur (tout passe par son agent) et le club, qui veut lui faire passer un examen médical approfondi, menace de le poursuivre en justice s’il ne rapplique dans le Yorkshire avant le 6 novembre. Toutefois, au lieu de prendre la direction du nord, Brolin file en Italie pour un examen médical en vue d’un prêt à la Sampdoria (recalé). Décembre arrive et toujours pas de Brolin dans le « Comté de Dieu » (God’s own county, surnom occasionnel du Yorkshire).

Brolin, au téléphone avec son entraîneur : « Désolé coach, impossible de vous rejoindre, un oiseau m’a éclaté le pare-brise en allant prendre mon avion. »

Oui, oui coach, je vous assure, un gros oiseau...

« Si, si coach, je vous assure, énorme l'oiseau, on aurait dit un wapiti... »

Noël 1996, Le Suédois se signale enfin, lourdement : il sort 500 000 £ de sa poche pour retourner à Parme (en prêt) au lieu de regagner Leeds. Il ne jouera qu’une dizaine de matchs en Italie. Le torchon (et toute la cuisine) brûle désormais entre lui et George Graham (Brolin, sur l’Écossais : « Il est encore plus con que Wilkinson. »).

Fin juin 1997, son prêt transalpin expiré, Brolin est dans l’obligation contractuelle de retourner à Leeds pour être de la tournée suédoise des Whites. Mais à la reprise de l’entraînement au premier juillet, point de Tomas…

Ce dernier explique avoir raté son avion à cause d’un oiseau qui lui a éclaté le pare-brise en se rendant à l’aéroport (ce qui semblera se vérifier). Les tabloïds anglais, guère portés sur la zoologie analytique, rapportent que Brolin est entré en collision avec un élan…

Un incident qui déclenche l’hilarité générale. Sauf à Elland Road. Au bout du fil, George Graham n’est ni d’humeur à lui refiler le numéro du Carglass local ni enclin à prendre des nouvelles du pauvre caribou distrait. L’irascible Scot est au bord de l’explosion.

A suivre…

Kevin Quigagne.