Posts tagged ‘Tommy Smith & Ardiles’

Le football, science occulte diablement inexacte, a érigé la prophétie fumeuse au rang d’art. De quoi rendre jaloux les économistes, politologues et autres bullshitologues, longtemps les maîtres en la matière. Mais surtout de quoi faire notre bonheur.

Suite et fin de notre show « Voyance & Prédictions en béton ».

Accrochez-vous bien, prévoyez un sofa et un large Whisky en cas de malaise car ça envoie du encore plus lourd qu’en première partie. Oh yes.

# 6. « Je ne vois vraiment pas David Silva réussir en Angleterre. »

Daniel Riolo, début de la saison 2010-11, au micro des Drôles de Dames.

Philippe Auclair : « Silva n’a pas très bien joué, etc. »

D. Riolo : « Normal, de toute façon, je ne vois vraiment pas Silva réussir en Angleterre, il n’a pas du tout le jeu et le profil pour faire grand chose dans le foot anglais et pis (etc. etc. etc. etc. etc. etc. ettttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttttc….) […] Non mais ça, pfff, écoute, moi j’ t’ le dis hein. »

Et ouais, notre Daniel national a dit ça, oubliant que le foot anglais de championnat a bien changé depuis le kick and rush de son enfance (because grosse influence des étrangers, joueurs et managers). Un football où les petits gabarits légers peuvent parfaitement briller dorénavant. Rétrospectivement, un grand moment de radio que ce collector.

Inutile d’épiloguer sur la carrière de Silva à Man City, il a collectionné les louanges et sa vitrine à trophées est pleine à craquer (maintes fois élu Man of the Match et Player of the Month, également Man City Player’s Player of the Year 2011-12 ; deuxième Meilleur Citizen saison 2010-11 ; inclus dans l’équipe Premier League de la saison 2011-12 par la PFA, syndicat des joueurs).

[Félicitations à Coach et Pougli Kun qui ont trouvé la réponse. Après tirage au sort dans les règles de l’art, Coach remporte le cadeau. Merci à tous et toutes pour votre participation – Pougli, ne sois pas trop triste, c’est pas grand chose non plus… Allez, je vais être grand prince et te proposer le chantage suivant : si tu continues à nous lire et nous féliciter régulièrement dans les commentaires jusqu’au début juin – ensuite, TK prendra ses quartiers estivaux -, tu recevras toi aussi ton cadeau]

# 7. « C’est un championnat d’hommes, ils [Osvaldo Ardiles et Ricardo Villa] auront quitté l’Angleterre aux premiers flocons de neige. »

Tommy Smith sur les recrues Ossie et Ricky, été 1978.

L’arrivée des champions du monde argentins dans un Tottenham nouvellement promu en surprit plus d’un. Nombre d’observateurs doutèrent même ouvertement des capacités physiques d’Ardiles (1m69 et frêle) à réussir dans un championnat aussi rugueux. Parmi les plus sceptiques, Tommy Smith, défenseur emblématique de Liverpool de 1962 à 1978 et notoire grande gueule (voir Hall of Fame Liverpool sauce TK).

La suite donna évidemment tort aux doom merchants (Cassandre). Les qualités techniques d’Ardiles et sa vision du jeu firent vite taire ses détracteurs, voir Hall of Fame Tottenham sauce TK). Il resta dix ans à Tottenham (il vit d’ailleurs toujours en Angleterre) et fut même intronisé au English Football Hall of Fame en 2009. Ricky Villa, après une acclimatation difficile, réalisa cinq belles saisons chez les Spurs et entra au Hall of Fame Spurs en 2008.

L’imbécile cliché « de l’étranger exotique [non nordique] trop fragile pour le climat et le foot britanniques » perdurera encore deux décennies ; David Ginola, pour ne citer que lui, entendra le même genre de remarque à son arrivée en Angleterre en 1995.

Pour l’anecdote, Smith affronta Ardiles et Villa fin août 1978 en League Cup (avec Swansea City, D3, où il finit sa carrière), le premier match anglais de coupe du duo argentin. Dès la deuxième minute, en guise de « Welcome to English football », Smith mit un tel tampon à Ossie qu’il dut sortir peu après.

# 8. « Qu’on ne s’inquiète pas, le prix des billets Premier League se maintiendra à un niveau raisonnable. »

Bobby Charlton (et d’autres), vers 1993-94, par voie de presse.

Au décollage de la fusée Premier League en 1992, certains subodorent une flambée des prix et s’en inquiètent ouvertement. Le rapport Taylor (post-Hillsborough) a recommandé « que la structure du prix des billets soit maintenue à un niveau raisonnable, pour permettre à tous les spectateurs actuels de continuer à assister aux matchs » mais visiblement, les clubs n’ont pas lu le pavé, trop occupés qu’ils sont à transformer leurs stades en all-seaters. Les associations de supporters craignent que le prix sympa du sésame ne s’envole dans la stratosphère (un billet coûtait alors autant qu’une place de cinéma : 3,5 £ dans les kops d’Old Trafford et d’Anfield en 1990-91 par exemple, 60 £ pour un abonnement LFC – le moins cher cette saison est à 710 £).

Un pressentiment non partagé par nombre « d’experts » de l’époque. Le raisonnement de ces grands oracles est que les clubs se contenteront de la forte hausse des revenus médias (multipliés par six en quelques années – deal Sky en 1992 – et l’avenir £ s’annonce bandant) pour se financer et, respectueux de leur fanbase, continueront leur politique de prix abordables. Le bisournousisme ne date donc pas d’aujourd’hui.

Les deux assos nationales de supporters, la Football Supporters’ Association et la National Federation of Supporters’ Clubs (qui fusionneront en 2002), observent de près l’évolution de la situation – et des mentalités – et tirent la sonnette d’alarme (surtout la FSA, plus militante) : tous ces experts se trompent royalement et le supp de base risque de devenir bientôt une espèce en voie d’extinction. Peine perdue, personne ne les écoute et surtout pas les instances. Le reste, on le connaît (presque 1 000 % d’augmentation en moyenne depuis la création de la PL).

# 9. « Je ne vois pas Dennis Bergkamp réussir à Arsenal. »

Stuart Pearce, été 1995, dans les colonnes du Daily Mirror (ci-dessous). Voir # 10.

Trouage d’anthologie de Psycho. L’article est ici si vous voulez lire le truc, c’est marrant (Psycho qui devrait d’ailleurs être nommé manager de Forest d’ici peu, plutôt apparemment au démarrage de la saison prochaine. Il signerait alors son grand retour chez les Tricky Trees après 17 ans d’absence).

# 10. « Arsenal a foutu son argent en l’air en achetant Dennis Bergkamp. Nous [Tottenham], on a recruté un meilleur joueur, Chris Armstrong, pour bien moins cher. »

Alan Sugar, propriétaire de Tottenham de 1991 à 2001 (fortune faite dans l’informatique, Amstrad), en remet une couche pour notre bonheur, comme il sait si bien le faire. Il avait dû trop lire le Mirror cet été-là, c’est pire que fumer la moquette ce truc (surtout l’été, la « silly season »), ça ne pardonne pas.

Nul besoin de vous faire l’article, on sait tous ce que donna le Néerlandais chez les Gunners, il a même sa statue devant l’Emirates, du jamais vu pour un floppeur. L’attaquant Chris Armstrong, acquis pour la somme record (du club) de 4,5m £, fit une honnête carrière Spur avant de disparaître aussi rapidement que le vol MH370, pour finalement réapparaître sur les radars à 32 ans, mais à Wrexham (alors D3-D4).

Il était plus marrant quand il nous refourguait ses ordis tout pourris

Il était plus souriant quand il essayait de nous refourguer ses ordis tout pourris

Alan Sugar, lui, est resté toujours aussi miserable, on se demande si le gars a rigolé un bon coup une fois dans sa vie. Ne prend jamais de vacances et semble passer sa vie à s’écharper avec Donald Trump ou ce clown de Piers Morgan sur Twitter. Triste existence.

Enfin, tout n’est pas si négatif chez Lord Sugar, il a embauché Christian Gross comme manager, il a donc beaucoup d’humour. Bah, les tweetfights le changent de ses méga clashs avec Jurgen Klinsmann – qu’il recruta – et le monde professionnel footeux (florilège : « Je ne laverais même pas ma voiture avec un maillot porté par Klinsmann » et : « Les footballeurs sont tous des crevures finies, encore de plus belles ordures que les journalistes, ce sont les plus grosses saloperies qui marchent sur cette planête. Ils ne connaissent ni honnêteté ni loyauté et la plupart seraient en prison s’ils n’étaient pas sportifs professionnels. »).

Aujourd’hui très pris par ses multiples business (immobilier surtout) et vedette de l’émission à grande écoute The Apprentice sur BBC1. Ex groupie de Thatcher dans les Eighties, anobli par son pote Blair en 1999 (il donna ensuite 200 patates au parti travailliste), il siège aussi à la Chambre des Lords où je doute fortement qu’il traîne souvent.

# 11. « On va terroriser ces couards d’Européens. »

Malcolm Allison, manager-adjoint de Man City, en mai 1968.

11 Mai 1968, Man City vient de remporter le titre, devançant un Man United qui deviendra champion d’Europe deux semaines plus tard. A sa tête, en tandem avec le manager Joe Mercer, le flamboyant et visionnaire Malcolm Allison (ci-dessous, voir article TK de 2010).

Le foot british est alors au pinacle ; l’Angleterre est championne du monde et le Celtic et Man United ont brillamment remporté la C1 en 1967 et 1968 respectivement. Le zeitgest est clairement au patriotisme sévèrement burné. Non seulement Man City se la pète mais les Citizens croient dur comme fer que rien ne leur résistera et surtout pas ces tafioles de Latins, avec leur bouffe molle et leurs coutumes efféminées. Aux cuisses de grenouilles et castagnettes des Continentaux, les Britanniques répondent avec les Highlands Games et un hooliganisme naissant (le contexte politico-sociétal favorisait également cette méfiance envers l’étranger ; mais c’est un autre sujet, sur lequel je reviendrai dans un gros dossier à l’automne).

Manque de bol pour Allison, Man City giclera dès le premier tour de C1, sorti par le Fenerbahçe. Il leur faudra attendre 2011 pour revoir cette compétition, retrouvée surtout à la force du larfeuille (641m £ dépensés ces cinq dernières saisons rien qu’en transferts – pour seulement 161m £ de ventes joueurs -, de loin le solde le plus élevé de Premier League).

# 12. Deux-en-une :

1) « Ça devrait aller Stan, ils [les Hongrois] n’ont même pas une tenue réglementaire. »

2) « Regarde-moi ce petit gros là-bas [Ferenc Puskás]… On va les massacrer. »

1) Billy Wright, juste avant le mythique Angleterre-Hongrie du 25 novembre 1953, à son coéquipier Stan Mortensen.

2) Jimmy Andrews à Malcolm Allison (le chambreur du # 11), même match.

Fin 1953, le contexte anglais est à l’autosatisfaction méprisante. Les Anglais ont un terme pour décrire cette situation : « smugness », une extrême suffisance matinée de dédain affiché (« offensive satisfaction » et « irritatingly pleased with oneself » nous disent les dicos unilingues). Un complexe de supériorité malsain en quelque sorte – le type même de sentiment capable de transcender l’adversaire.

Outre le contexte historique de l’époque, deux raisons expliquent cet excès d’orgueil. D’une part, les Anglais n’ont encore jamais perdu à domicile contre une sélection non-britannique ou irlandaise (même si ça chauffe pour leur matricule, effarante défaite 1-0 contre les USA par exemple à la Coupe du monde 1950 et 2-2 chanceux contre la France à Highbury en 1951). D’autre part, domestiquement, Wembley vient de vivre sa plus belle finale de FA Cup, la fameuse Matthews Final de mai 1953, entre Blackpool et Bolton (4-3), illuminée par le génie de Stanley Matthews et l’efficacité de Stan Mortensen, auteur d’un hat-trick (le seul jamais inscrit à ce jour en finale FA Cup à Wembley). Quatre joueurs de Blackpool sont dans le Onze contre la Hongrie.

C’est l’ère de l’Angleterre qui se croit invincible, s’appuyant sur ses ailiers superstars même si vieillissants (Matthews, Tom Finney, etc. – c’est l’âge d’or de l’ailier) et sur son vieux W-M développé trente ans auparavant par Herbert Chapman… Un dispositif dépassé qu’exposeront dans toute son obsolescence les Hongrois. Mais ça, à une heure du coup d’envoi, les Anglais – joueurs, spectateurs, journalistes – sont très loin de se l’imaginer.

Dans le tunnel de Wembley, les deux équipes s’observent. En voyant la tenue peu orthodoxe des Magyars Magiques, Billy Wright, capitaine et taulier des Trois Lions, esquisse un sourire moqueur. Toisant de haut la bande à Ferenc Puskás et Sándor Kocsis, il invite ses coéquipiers à examiner ces joueurs qui portent « un maillot bizarre et des chaussures légères découpées comme des pantoufles basses » [voir article TK sur ce sujet]. Avant d’envoyer à Mortensen l’immortel : « Ça devrait aller Stan, ils n’ont même pas une tenue réglementaire. »

[We should be all right here Stan, they haven’t even brought the proper kit]

Puis, alors que les Hongrois s’échauffent, Jimmy Andrews se tourne vers Malcolm Allison (joueurs de West Ham assistant au match) en montrant Puskás du doigt et lui fait :

« Regarde-moi ce petit gros là-bas… On va les massacrer. »

[Look at that fat little chap there… We will murder that lot]

Pourtant, les Hongrois ne sont pas n’importe qui : champion olympique 1952 et invaincus depuis 24 matchs (dont 20 victoires). On connaît la suite, les arrogants Anglais se prendront une magistrale claque tactique et la raclée de leur vie (6-3, un score très flatteur pour les Trois Lions diront les Anglais eux-mêmes). L’humiliation fut complète pour le grand Billy Wright quand Puskas le mit dans le vent d’un gracieux râteau avant de marquer dans la foulée. Ce qui valut à un journaliste du Times ce célèbre passage :

« Au moment où Billy Wright courut pour le contrer, Puskás, d’une majestueuse pirouette, fit glisser le ballon sous son autre pied. Wright fut mystifié par la feinte et continua sa course, tel un camion de pompier fonçant vers le mauvais incendie. Puskás, lui, pivota et planta le ballon au fond des filets pour le troisième but hongrois. […] Les Hongrois ont marqué six buts mais auraient aisément pu en inscrire le double. »

Six mois plus tard, rebelote, en pire : pilée 7-1 au Nepstadion de Budapest.

Kevin Quigagne.