Archive for juin, 2012

Bien avant les chinoiseries de Nicolas Anelka, un autre pékin de renom défricha le terrain chinois pour tous les cadors pré-retraités : un certain Paul Gascoigne. Un séjour court mais ô combien mémorable.

Suite de la première partie et fin. Voir introduction ici.

La route de la soif

Paul est un client rêvé pour les médias et la BBC le suit partout. La Beeb produit même un documentaire sur son séjour. Au fil des semaines, il s’ouvre.  Avec émotion et une sensibilité à fleur de peau, il s’exprime sans filtre :

« Ce qui me tue ici, c’est de diriger les entraînements… Et ouais, parce que j’avais oublié en signant que je m’engageais à gérer l’effectif, et ça me flingue. Au début, ça me plaisait, puis maintenant ça me fait paniquer à mort. Parfois je flippe tellement que j’ai du mal à respirer, je me sens comme prisonnier, je tremble et tout, je n’entends plus rien. Je me fais un mourron de chien parfois. J’en fais des cauchemars ! J’ai toujours eu peur de l’avenir, dès l’enfance. Tout ce que les gens voient c’est le Paul Gascoigne clown et con comme un putain de manche mais j’ai des sentiments profonds. »

En attendant le début de la saison (mi-mars), l’équipe dispute quelques matchs amicaux mais l’ennui devient vite pesant. Plus que trois longues semaines à tenir. Seul. Côté divertissement, amateur de dolce vita, passe vite ton chemin. La ville de Lanzhou où est basé le club se trouve aux portes du désert de Gobi et s’enorgueillit du titre de ville la plus polluée de la planète…

Fatalement, l’alcool redevient son meilleur ami. Paul s’envoie souvent une bonne dose de whisky avant l’entraînement et même trois boutanches certains jours. Les hallucinations et délires sont fréquents. Parfois, il est persuadé d’entendre des voix lui ordonnant de « boire, boire, boire ».

Un passage chez Susan Boyle

Autant dire que le football passe au second plan. Les entraîneurs et préparateurs physiques se plaignent ouvertement du lifestyle de Paul, eux qui ont jusqu’alors toléré ses excès et vite archivé son passé éthylique au rang des dossiers classés (« Gascoigne a réglé ses problèmes d’alcolisme avant de venir » avait assuré le manager, Zhong Bohong). Le ton a changé, « Il faut vraiment qu’il bosse bien plus dur » se plaignent les dirigeants à la presse.

« Je me suis retrouvé chez moi, à poil… Je tenais une bible en chinois et je n’arrêtais pas de pleurer devant la glace. Je demandais à voix haute qu’on m’aide, j’étais paumé et je voulais mourir. »

Gazza est très proche de sa famille et il vit mal cette séparation. Une famille si soudée que Paul leur a offert cinq maisons pratiquement côte à côte, dans sa ville natale de Dunston, pour y loger confortablement ses parents – divorcés -, ses deux soeurs et son frère.

La grosse dépression compliquée reprend le dessus. Début mars 2003 :

« Un jour, je marchais dans la rue et j’ai été pris de panique… Je me suis senti totalement étranger à cet environnement et me suis dit qu’il fallait vraiment que je me barre rapidement, sinon j’allais me retrouver coincé ici pour toujours dans cette putain de ville fantôme et je risquais d’en mourir. Peu après, je me suis retrouvé chez moi, à poil… Je tenais une bible en chinois et je n’arrêtais pas de pleurer devant la glace. Je demandais à voix haute qu’on m’aide aussi, j’étais paumé et je voulais mourir. Mon meilleur ami de toujours, Jimmy « Five Bellies«  Gardner, venait de partir et je paniquais. »

[…]

[…]

Là, j’ai recommencé à avoir des crises d’angoisses aiguës. Faut dire que les somnifères n’aidaient pas vraiment, ni les anti-dépresseurs, sans parler de la quantité d’alcool que je m’envoyais. Je tremblais et j’étais parano. Sheryl [son ex femme] m’a alors conseillé d’appeler le thérapeute qui m’avait aidé lors de mon séjour à la Priory Clinic [Clinique de désintox pour people et accessoirement résidence secondaire de « SuBo » – Susan Boyle, ndlr]. Ce dernier m’a dit d’essayer de tenir bon jusqu’ à la trève de mai et qu’il essaierait de me rendre visite. J’ai réussi à ne pas boire pendant dix jours mais ensuite, j’ai eu des gros problèmes de respiration. Je voulais vraiment mourir. »

Enfin, le championnat démarre

Le 22 mars 2003, la saison commence enfin mais sans Paul, Gansu préférant le réserver pour le premier match à domicile. L’attente est énorme.

Le samedi suivant, pour la première sortie, devant un stade plein à craquer, Paul frappe fort. A la 14è minute, il élimine deux adversaires au milieu du terrain, accélère et plante une mine de 20 mètres dans la lucarne gauche. Les 20 000 spectateurs exultent. Cinq minutes plus tard, il fait obtenir un pénalty (manqué) à sa nouvelle équipe et offre ensuite la passe décisive pour le deuxième pion. Victoire 2-0 sur Hailifeng. C’est sûr, se réjouit-on, Paul va tout casser (voir article).

Las ! Inévitablement, son hygiène de vie suicidaire va faire dérailler le scénario. Paul ne se pointe plus qu’occasionnellement aux entraînements et la dépression devient permanente. En tout, il ne disputera que quatre matchs.

Le 18 avril, les dirigeants chinois du club déclarent aux médias que Paul s’est volatilisé sans prévenir personne ! Reuters titre : « Chinese club in hunt for Gazza ». Paul écrira plus tard qu’il était parti avec l’accord du club. Selon certaines sources, il aurait disparu pour une destination inconnue. Toutefois, on a bon espoir de le revoir, une rumeur persistante l’annonçant de retour sous dix jours.

Mais Paul ne remettra plus jamais les pieds en Chine. Il s’est envolé vers l’Arizona, pour soigner son état dépressif (et cocaïneux) à la Cottonwood Clinic. C’est son deuxième séjour là-bas (le précédent datait de juin 2001). Il avait également séjourné deux fois auparavant dans des établissements anglais pour des cures de désintox liées à son addiction à l’alcool, devenue inquiétante depuis ses deux saisons à Middlesbrough (1998-2000 – divorce compliqué avec Sheryl en août 1998).

Une parenthèse Middlesbrough s’impose. Le début de son passage à Boro fut particulièrement arrosé. Et pour cause : de mars à juin 1998, Gazza partagea une maison avec Paul Merson !

Tous deux entretenaient alors un réél espoir de faire partie du groupe England pour la Coupe du Monde 1998. La dive bouteille et les noubas médiatisées se chargèrent de plomber leurs rêves. Comme cette fameuse virée à Londres en mars 1998 où, sous les flashs des paparazzi, Gazza déambula à deux heures du mat’ dans les rues de Soho accompagné de people (dont le célèbre Chris Evans), kebab et bière à la main…

Au final, Glenn Hoddle préféra se passer de Paul (une décision qui mit Gazza dans un tel état qu’il vandalisa la chambre d’hôtel de l’ex Monégasque à la Manga, Costa Blanca).

A ce jour, ce house-share compte probablement comme la plus énorme bourde commise par un club de toute l’histoire des colocations du football anglais. Le chapitre 13 de l’autobiographie de Merson (How not to be a professional footballer) s’intitule « Do not let Gazza move into your house »  – Merson fut vite expédié à Aston Villa).

Après la Chine, retour chez Jimmy Cinq Ventres

Sur ce séjour américain de 2003, Gazza écrit :

« Juste avant de partir en Chine, comme je savais que je reviendra probablement pas et que je partais pour Cottonwood, j’en ai profité pour picoler non-stop pendant huit jours. C’était ma deuxième visite et j’ai pris ça beaucoup plus sérieusement que la première fois. C’est la-bas que j’ai commencé à ecrire sur ma vie, ma carrière. Mettre sur papier tous les trucs horribles que j’ai commis et ceux que j’ai subis m’a aidé à surmonter mes difficultés, je me suis senti mieux. J’y ai passé 33 jours exactement, et ça m’a couté que 16 000 £ cette fois-là, 5 000 £ de moins que pour mon premier séjour, pourtant moins long de presqu’une semaine. On m’a accordé la réduction habitué. »

Fin mai 2003, Paul est de retour en Angleterre. Contractuellement, il est tenu de retourner en Chine le 10 juin, mais il fait savoir au club qu’il n’est pas au mieux psychologiquement. L’affaire traîne et automne 2003, il confirme son refus de repartir en Chine : « Le seul Chinois que je vais m’envoyer dorénavant, c’est au takeaway du coin. » lance-t-il finement à un journaliste. Pour justifier sa décision, il invoque de grosses sommes que lui devrait le club (des primes liées à des apparitions commerciales).

L’affaire s’envenime, le club chinois fait intervenir la fédération. L’agent de Paul contre-attaque en mêlant la FA et la Fifa au contentieux. Entre-temps, la grippe aviaire chinoise frappe durement le pays et le championnat est reporté. Le 16 octobre 2003, Gazza part s’entraîner chez les Wolves histoire d’entretenir sa forme et peut-être y gratter un contrat. Paul Ince (son ex coéquipier de Boro) est là pour l’aider et il joue parfois avec la réserve. Au bout de quelques mois, on arrête les frais et Gazza disparaît un bon moment de la circulation.

Pendant six mois, il se terre chez son vieux pote Jimmy. Même s’il avoue au Daily Mail avoir dépensé 90 % des sommes gagnées durant sa carrière (qu’il estime à 20M £), financièrement, il ne se plaint pas. Il a eu la bonne idée de mettre à l’abri ses signing-on fees (primes à la signature) à Jersey et a de quoi voir venir. Quelques offres médiatiques juteuses le tentent, dont un combat contre Vinnie Jones dans l’émission Gladiators et divers contrats publicitaires (rien de tout cela n’aboutira).

Un contrat Premier League et Ligue des Champions inédit

Paul nourrit toujours l’ambition d’entraîner professionnellement un jour et, entre deux reunions d’Alcoholics Anonymous, il potasse ses bouquins pour espérer passer les examens d’entraîneur.

Belle Vue, le stade de Rhyl, sur pilotis donc.

Belle Vue, le stade de Rhyl FC, sur pilotis donc.

Quelques clubs avides de publicité le contactent. Comme Rhyl FC, une grosse cylindrée de Premier League. De la Welsh Premier League. Rhyl vient de signer un quadruplé totalement bluffant : Championnat-Welsh League Cup-Welsh Cup-North Wales Coast Challenge Cup.

Ergo, Rhyl est européen et doit recruter du lourd pour disputer sa toute première Ligue des Champions. Surtout que Andy Moran, leur buteur vedette, vient de tester  positif à la Nandrolone. Le scandale a éclaboussé le foot du pays-Dragon et son Soulier d’or lui a été dûment retiré. D’autres joueurs de Rhyl sont fortement soupçonnés d’avoir aussi avalé des produits illicites. Et ouais, c’est ça le très haut niveau gallois, si on se dope pas, aucune chance (Rhyl se fera sortir par le Skonto Riga au tour préliminaire, 7-1).

Alors, tout naturellement, Rhyl a pensé à Gazza. Mais le deal proposé par les Gallois fait pouffer de rire le Geordie : 250 £ par semaine. Hébergement et frais de déplacement en sus. S’il acceptait, Gazza y serait de sa poche. Un first dans le football britannique « d’élite ».

Finalement, Gazza trouve preneur. Fin juillet 2004, il signe pour le petit mais ambitieux Boston United en D4, comme entraîneur-joueur (entraîneur dans le sens anglais du terme – coach -, le notoire Steve Evans étant le manager). Le genre d’offre qui ne se refuse pas : 15 000 £ par mois, plus un pourcentage sur les affluences supérieures à 3 500 (sa présence dans l’équipe attirera jusqu’à 7 500 spectateurs).

En contrepartie du salaire mirobolant, il devra s’occuper des équipes de jeunes et des stagiaires du mini centre de formation. Paul est motivé mais l’expérience tourne court. Il ne s’adapte ni à ce coin reculé du Lincolnshire ni à l’ambiance particulière du club. Il a aussi du mal à encaisser les trois heures quotidiennes que Boston United exige de lui le matin en tant qu’entraîneur, en plus de son entraînement comme joueur l’après midi. Quatre matchs et trois mois plus tard, il démissionne mais répète à l’envi qu’il compte bien faire son trou dans le manageuriat.

Dans la foulée, il révèle aussi avoir changé son nom en… G8 (procédure aisée et courante en Angleterre). Paul serait-il devenu un fan des grandes puissances industrielles ? Que nenni. Il s’explique :

« G8, c’est le nom qu’il me faut. J’ai souvent eu ce numéro de maillot et ça sonne un peu comme « great« . Je veux me débarrasser de mon nom. Paul, c’est trop lié au passé, et je veux tourner la page. Je n’ai pas bu depuis six mois. »

Et G20 pour Nico, ça serait sympa, non ?

Kevin Quigagne.

Bien avant les chinoiseries de Nicolas Anelka, un autre pékin de renom défricha le terrain chinois pour tous les cadors pré-retraités : un certain Paul Gascoigne. Un séjour court mais ô combien mémorable.

Fin 2002, Gazza est un retraité de 35 ans. Après deux saisons quelconques à Everton (2000-02) et une pige de prêté à Burnley au printemps 2002, on pense que le « Clown Prince of football » a définitivement clos une longue et tortueuse carrière commencée en avril 1985 à Newcastle sous Jack Charlton, alors manager des Zébrés. L’été 2002, le Geordie a refusé des offres provenant de D4 anglaise, de Malte et du Pays de Galles. Et, cerise sur le cocktail, des essais en MLS (D.C. United) et en D3 écossaise (Berwick Rangers) se sont avérés non concluants.

Paul a aussi joué les consultants sur ITV pendant la Coupe du monde 2002. Une expérience « mitigée » dont les Britanniques se souviennent bien (il avait parfois l’air bien pompette à l’antenne). Tout comme le service Notes de frais de la célèbre chaîne télé : Paul leur a laissé une facture bar d’hôtel de 9 000 £. En trois semaines de présence sur le sol japonais, soit une bonne petite moyenne de 450 £ par jour (il avancera pour sa défense que ses confrères Ally McCoist et Andy Townsend l’avaient bien aidé à drink the bar dry mais que, grand seigneur, il avait tout mis son ardoise).

Pour beaucoup, la fabuleuse épopée de Gazza-le-joueur est donc terminée. C’est alors que L’Empire du Milieu a la bonne idée de le contacter…

[propos de Gazza tirés principalement de son autobiographie My Story, ainsi que d’interviews d’époque, tirées essentiellement de l’Observer, de l’Independent et du Daily Telegraph. Gazza en Chine : galerie de photos]

Pékin express

Novembre 2002, Paul reçoit un coup de fil enthousiasmé de son agent qui lui apprend que plusieurs clubs chinois voudraient s’attacher ses services. Parmi eux, le Liaoning FC, dont l’un des ex protégés, Li Tie, porte les couleurs d’Everton, que Paul a quitté six mois plus tôt. Les Chinois semblent vouloir Gazza pour les mêmes raisons qu’ils ont déroulé le tapis rouge pour Nico : rehausser le profil de leur football. Ou en jargon média optimiste, « to put Chinese football on the map ».

Vu de 2012, cette opération de profile-raising paraît éminement saugrenue et vouée à un cuisant échec. Dans quel sens les Chinois tenaient-ils cette foutue carte ? Le recrutement d’Anelka montre aussi combien les Chinois ont appris depuis 2003 en matière de marketing et brand awareness. Hier, on fait venir un Gazza titubant et esquinté (3 cures de désintoxication, 27 opérations) ; aujourd’hui, on choisit un Nicolas Anelka frais et dispo. En attendant Drogba & co.

Face aux scandales qui secouent régulièrement le foot chinois – corruption, matchs truqués, dirigeants suspendus, etc. – la Chine, qui sera absente de la Coupe du Monde 2014, avait besoin de frapper un grand coup (après les arrivées médiatiques de Jean Tigana, Dario Conca et d’une poignée d’Occidentaux relativement cotés – tel le serbo-brésilien Cléo ou le Français Matthieu Manset, prêté par Reading).

Décembre 2002, Paul part effectuer plusieurs essais en Chine. Il déclare à l’Independent :

« C’est un défi pour moi et je me rends là-bas sans idée préconçue. Je ne sais vraiment pas à quoi m’attendre mais j’ai hâte de découvrir ce football chinois et de retrouver le terrain. Tout ce qu’on m’a dit, c’est que leur bière est bonne […] Ce que je veux surtout, c’est de jouer, en Chine où ailleurs. »

Gazza arrive gonflé d’espoir (une lager à 8 %, le pied) mais les clubs de D1 le trouvent vieillissant et dans un état physique alarmant. C’est finalement Gansu Tianma, ou plus précisèment Gansu Tianma Agricultural Land Reclamation Flying Horses, qui le recrute comme joueur-entraîneur après trois jours d’essai. Gansu est un club englué dans les profondeurs de la D2 mais financé par un multi-milliardaire basé à Hong-Kong. Les « Chevaux Volants » sont persuadés d’avoir réalisé un bon coup, même à 500 000 $ l’année (325 000 £ de l’époque). Gazza signe un contrat d’un an, renouvelable.

Un Noël bien arrosé

L’ex Laziale retourne en Angleterre pour Noël. Fin janvier 2003, il repart en Chine, sans trop savoir où il va. Ce qui l’amuse follement :

« Je n’arrive toujours pas à situer Lanzhou sur une carte… [ville où Gansu Tianma est basé]. Surtout si c’est épelé dans leur langue bizarre avec tous ces griffonnages et ces foutues lignes. De toute manière, peu importe où je me retrouve, tout ce qui m’intéresse et me rend heureux c’est de jouer au foot. »

Les festivités de Noël et autres Foires de la bière ayant fait leur effet, c’est en petite forme que notre Gazza se pointe à l’entraînement fin janvier 2003. Malgré son manque de fitness Adrianoesque et l’alcoolisme chronique qui le mine, Paul se dit très confiant. En le voyant en chair et en os, ses nouveaux coéquipiers le sont moins. L’un deux : « Quand j’étais gamin, Paul Gascoigne était mon idole. Mais je dois dire qu’en vrai, il fait bien plus vieux qu’à la télé. »

A peine débarqué, Paul déchante. Pas niveau football, mais bouffe :

« Dès que j’ai posé le pied en Chine et aussi pour mon premier entraînement, y’avait plein de reporters chinois et anglais. J’étais partout dans la presse sportive. On racontait que je n’avais pas l’air d’être en forme, que j’avais l’air lessivé au possible, etc. Ce qui était vrai bien sûr mais bon, je venais de passer trois jours à voyager aussi. Au début, j’ai détesté ce pays, surtout la bouffe. On mangeait de la tête de canard, des yeux de canard, des pieds de poulet et pas mal de chauve-souris. »

Niveau communication, tout n’est que chinois pour Gazza :

« Je ne parlais pas la langue et personne là-bas ne causait anglais, même le personnel de l’hôtel où je logeais. Quand je voulais un verre d’eau, fallait que je montre le frigo en mimant une bouteille d’eau. »

De l’eau pour Paul ? Pas étonnant que les Chinois ne comprirent rien à ses gesticulations.

Côté nourriture, Paul finit par trouver quelque chose à son goût : des calamars sêchés. Il en devient même accro, jusqu’à s’en enfiler trente paquets par jour. Et bonjour la soif avec ces calamars, des beer snacks au poil pour Paul.

La déconne pour s’évader

Le culture shock ne s’arrête pas là :

« Une fois installé, le gros problème c’est que je m’ennuyais ferme. Hormis les entraînements, y’avait rien à faire. Dès le départ, je me suis dit qu’il fallait vite partir de Chine, sinon j’allais mourrir. C’était comme d’être enfermé dans une grotte. A cause du décalage horaire, quand je téléphonais à mes proches pour tuer le temps, je les réveillais. Ils me disaient « Putain, enfoiré, pourquoi tu nous reveilles à c’t heure-là ? » »

Il décide alors de tuer l’ennui en déconnant. Et ça marche :

« Un jour où je m’ennuyais encore plus que les autres, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire avec le bassin plein de carpes Koi devant l’hôtel. J’ai dit à Wes Saunders [son agent], « Allez viens, on va à la pêche« . Il m’a répondu que j’étais timbré et que de toute manière je n’avais pas de materiel. […]

Là je lui ai fait : « attends, tu vas voir« . Je retourne dans ma chambre et, avec le kit de couture qu’on file dans les hôtels, je commence à bidouiller un truc. J’envoie Wes chercher un morceau de bamboo tandis que je dégote un appat de mon côté, un morceau de biscuit chinois. Une fois la canne montée, on est allé pêcher dans ce bassin. Et là, ça mord, je chope une carpe ! J’étais aux anges. Après ça, j’ai commencé à mieux me sentir là-bas. »

Nous sommes mi février 2003 et la saison ne débutera que dans un petit mois. Pas une éternité mais 25 jours en Gazza time, ça peut faire des dégâts. Wes et son fidèle compagnon de déroute Jimmy « Five Bellies » Gardner, s’apprêtent à repartir au pays après avoir installé Paul dans sa nouvelle vie.

Jimmy (à gauche sur la photo), ce vieux poteau inséparable. Un phénomène ce Jimmy. Adolescent, il laissait Gazza lui dégommer des fruits sur la tête à l’arbalète et l’encourageait à lui tirer dans les fesses à la carabine à air comprimé pour quelques livres sterling par hit. « Son cul ressemblait souvent à un arrosoir ! » en rigola Gazza quand un journaliste lui remit en bouche les bonnes frasques d’antan.

Mais l’heure n’est plus à la rigolade. Paul sent l’angoisse monter. Bientôt, ni Wes ni l’imposant Jimmy ne seront là pour lui tenir compagnie. Le « Clown Prince of football » va se retrouver seul, dangereusement livré à lui-même et de plus en plus oisif.

A suivre…

Kevin Quigagne.

Euro 1992, 17 juin 1992. Tomas Brolin signale son entrée fracassante sur la scène internationale en éliminant l’Angleterre d’un but classieux. Quelques années plus tard, le golden boy du foot suédois deviendra l’un des transferts les plus calamiteux de l’histoire du football anglais. Avant l’Angleterre-Suède de ce soir, retour sur les années fish & chips du poupin suédois.

Veni, vidi, floppi. Il est venu, il a vu, il a coûté la peau du cul et il a spectaculairement déçu. Brolin, c’est l’histoire d’un mec qui, à force de malbouffe et d’embrouilles ahurissantes avec le staff de Leeds United, a fini par se crasher dans la vitrine Hall of Shame du foot briton, la bedaine la première. L’Angleterre devait être sa consécration, elle sera son tombeau. Une consolation : Brolin mettra à profit ses foireuses années anglaises pour accoucher d’une après-carrière baroque ‘n’ roule.

Suite et fin de la mini-saga Brolin. Pour le premier épisode, cliquez à droite.

Brolin, interdit de stade

Quand Brolin arrive enfin à Elland Road, l’irascible George Graham n’est pas d’humeur à lui demander des nouvelles du pauvre caribou suédois. L’Écossais confisque son passeport et l’enferme dans le coffre-fort du club ! Le Suédois réussit toutefois à obtenir un passeport de remplacement et repart illico au pays pour se remettre du choc psychologique. Graham l’apprend et vire au vert. Au retour de l’opprimé, l’ex manager d’Arsenal refuse de lui donner une tenue d’entraînement et l’interdit de stade. Comble de l’humiliation, Brolin doit désormais payer sa place pour voir Leeds jouer à domicile ! En prime, il ne figurera pas non plus sur la photo d’équipe de début de saison.

Bien entendu, Brolin ne sera pas de la tournée en Suède. Au retour de Scandinavie, Leeds tente désespérément de le refourguer en prêt. Graham, pas le plus finaud des entraîneurs, se tire une balle dans le pied en vendant l’article comme un mauvais camelot :

« Si quelqu’un veut Brolin, qu’il me téléphone ! Si un footballeur ne veut pas rester ici, OK. Moi, je veux des joueurs talentueux qui ont la gnaque. »

Évidemment, personne ne veut du boulet nordique. Son manque criant de fitness et ses dispositions à l’embrouille tarabiscotée effraient. Même l’Écosse ignore le cri de désespoir des Whites.

Brolin est alors envoyé perdre du poids avec la réserve mais les relations se dégradent à vitesse grand V avec le club. Tubby continue à vertement critiquer Graham dans les médias et zapper les entraînements. Un jour, il « oublie » même de se pointer à un match, préférant aller faire la nouba en famille. Le club le mitraille d’amendes mais rien n’y fait.

Yes ! Yes ! Yes ! il s'est barré, enfin !!!

Yes ! Yes ! Yes ! il s'est barré, enfin !

Au contraire, la situation s’envenime. Brolin menace de poursuivre Leeds en justice pour « harcèlement » et parle en interne de « révéler les pratiques du club à la BBC » (le Suédois déclarera plus tard que le club admit ses erreurs et lui reversa une partie des amendes, le tout accompagné d’une compensation et d’une lettre l’exonérant de toute responsabilité).

Le 28 octobre 1997, Leeds United casse son contrat et lui verse 140 000 £ d’indemnités (économisant ainsi plus de 400 000 £ sur le reste du contrat). Pour fêter son grand départ, Brolin invite les médias à une farewell party organisée dans un hôtel de Leeds. George Graham n’est pas invité, mais il n’aurait probablement pas dit non.

Pas l’as attendu

Brolin n’en a pas cependant pas fini avec l’Angleterre. Début janvier 1998, c’est gavé de mince pies qu’il roule-boule dans un Crystal Palace en perdition (saison apocalyptique pour les Eagles). Il arrive en même temps que Valérien Ismaël, acheté à Strasbourg pour presque 3M de £. Le manager, l’étrange Steve Coppell, lui fait cependant confiance après un match amical de son équipe en Suède, où Brolin tentait de maintenir sa forme entre deux Smörgåsbord XL. Le ridiculement optimiste Coppell n’hésite pas à déclarer :

« Physiquement, c’est sûr qu’il n’est pas encore prêt, mais je suis certain que dès qu’il aura quelques semaines d’entraînement dans les jambes, il redeviendra le grand joueur qu’il a été. Il y a deux ans, il coûtait 5 millions, et on l’a eu pour pas un sou. On aurait tort de se plaindre ! »

Brolin ne se plaint pas non plus. Son rebondissement à Palace était inespéré. Il signe un contrat de six mois et dispute 13 matchs – 11 défaites, zéro but – en position d’avant-centre (tous les attaquants sont blessés). Il pèse bien sur la défense, mais dans le sens Weightwatchers du terme. Mi mars, à l’ébahissement général, il est même bombardé adjoint du nouvel entraîneur-joueur (!), Attilio Lombardo, lui-même scié de se retrouver si subitement aux commandes. Brolin lui sert aussi d’interprète-factotum.

Un tandem aussi comiquement expérimental qu’affreusement inexpérimenté (installé dans l’extrême urgence par le notoirement incompétent Ron Noades, propriétaire-président surtout connu en Angleterre pour son sens inné de la magouille et ses opinions Atkinsonesques sur les joueurs noirs. Noades, en 1991 : « Les joueurs noirs dans ce club [Crystal Palace] apportent leur forte technique et leur talent à l’équipe ; mais le collectif a aussi besoin de joueurs blancs pour équilibrer les choses et injecter de l’intelligence et du bon sens dans le jeu. »).

Le duo Lombardo-Brolin est l’illustration parfaite du blind leading the blind, selon l’expression anglaise consacrée. Un drôle d’attelage qui navigue à vue et va vite finir dans le fossé.

Le 27 avril 1998, Brolin dispute son dernier match professionnel contre Manchester United (0-3). Malgré la relégation en D2, il empoche une mystérieuse prime de 70 000 £ (réservée aux « vedettes » du club). Ses partenaires lambda enragent, eux qui doivent encaisser sèchement la descente, sans liquide pour faire passer l’amère pilule.

Un après-football à la hauteur

Une fois rentré au bercail, Brolin troque sa femme pour une Miss Suède et se reconvertit en homme d’affaires multi-cartes. Il investit tous azimuts : immobilier avec le daron, crèmes de beauté, entreprise de traiteur, chevaux de course, vente de chaussures à son nom sur internet… Il met même des billes dans Twinnovation AB (ici) un brevet d’aspirateur censé faire un malheur grâce à ses embouts révolutionnaires (et se fait dûment sucer son investissement).

En 2001, fatalement, il assouvit sa vocation : il ouvre un restaurant, le Undici (Onze, son numéro à Parme). Cuisine italo-scandinave, salades mozzarella-phoque, pizzas au renne, pâtes au bœuf musqué, dans ce style. Il déclare (extrait de l’Observer) :

« C’est un grand moment pour moi, c’est un vieux rêve que j’avais, en fait depuis l’Italie. J’ai tout choisi ici, même les couverts, et j’en suis fier. Quand je vivais en Italie, j’ai dégusté des plats merveilleux et c’est comme ça que l’idée a germé. J’ai aussi mis des plats du nord de la Suède au menu, des mets que ma maman m’a fait découvrir. »

Touchant. Brolin fait aussi dans le créatif lourdingue. Avec le groupe Doctor Alban et Björn Borg, il sort un morceau intitulé « Friends in need » (voir clip, funeste mais immanquable) et apparaît dans des publicités, dont une pour une marque de jacuzzi.

En 2006, il s’achète une grosse paire de lunettes noires et s’étale autour des tables de poker, où il croise souvent le fer avec d’anciens footeux, comme Tony Cascarino et Teddy Sheringham. Encore une histoire de chips, servis sans le poisson cette fois.

Début 2010, on reparle de lui dans les médias foot. Bizarrement, il réclame la paternité d’un but contre la Norvège attribué à un autre joueur (Roland Nilsson, Sheffield Wednesday Legend), erronément à ses yeux. Et peu importe que le match (amical) date d’août 1991, pour un gambler, un pion, c’est un pion.

Un panel d’experts de la déviation involontaire du dos a promis de se réunir un jour pour réparer cette flagrante injustice (il y a bien eu déviation de Brolin). « Bon, faudra qu’on discute de ça avec les statisticiens et on verra », a mollement commenté un membre de la fédération suédoise.

Il manque donc un but à sa belle vendange internationale (26 réalisations en 47 matchs avec la Suède). Il ne manquerait plus que le spectre de Tomas Brolin, honni et bouté hors d’Angleterre, plane ce soir sur la pelouse de l’Olympic Stadium de Kiev et plante ce pion manquant. Et, tout comme il y a vingt ans, scelle le sort des Anglais.

Kevin Quigagne.

Euro 1992, 17 juin 1992. Tomas Brolin signale son entrée fracassante sur la scène internationale en éliminant l’Angleterre d’un but classieux. Quelques années plus tard, le golden boy du foot suédois deviendra l’un des transferts les plus calamiteux de l’histoire du football anglais. Avant l’Angleterre-Suède de vendredi, TK revient sur les années fish & chips du poupin suédois.

Veni, vidi, floppi. Il est venu, il a vu, il a coûté la peau du cul et il a spectaculairement déçu. Brolin, c’est l’histoire d’un mec qui, à force de malbouffe et d’embrouilles ahurissantes avec le staff de Leeds United, a fini par se crasher dans la vitrine Hall of Shame du foot briton, la bedaine la première. L’Angleterre devait être sa consécration, elle sera son tombeau. Une consolation : Brolin mettra à profit ses foireuses années anglaises pour accoucher d’une après-carrière baroque ‘n’ roule.

Le nouveau Billy Bremner

Euro 1992. L’Angleterre s’incline face à la Suède (2-1), sur un joli but d’un minot de 22 ans, très technique et extrêmement prometteur : Tomas Brolin. Ce dernier évolue à Parme et finit co-meilleur buteur de la compétition, avec trois réalisations. Le Guldbollen (meilleur joueur suédois) 1990 et 1994 brillera également à la Coupe du Monde états-unienne (où la Suède finira troisième) et figurera dans l’équipe Fifa du tournoi (ici).

En Italie, Brolin permet aux Parmesans d’atteindre les sommets européens (deux coupes européennes en 1993 et 1995, une finale en 1994, ici).

L’ambitieux Leeds United flashe alors sur l’élégant et combatif Scandinave et, le 7 novembre 1995, l’affaire est dans le (gros) sac. Les supporters des Whites s’emballent et certains journalistes lui collent l’étiquette facile du « nouveau Bremner » (élu Leeds United Greatest Player il y a quelques années). Un label-fardeau qui fait aujourd’hui sourire.

Certes, on se dit bien dans le Yorkshire que quelques séances au WeightWatchers local ne feraient pas de mal au boudiné Scandinave (les blessures aidant, il a dégusté toutes les variétés de prosciutti di Parma) mais on semble sûr de tenir l’affaire du siècle. Même si Brolin traîne divers pépins physiques (dont les séquelles d’une sérieuse blessure à la cheville de novembre 1994 qui l’immobilisera cinq mois), les dirigeants du club se disent que quelques entraînements bien ciblés corrigeront tout ça.

C’est donc un Howard Wilkinson (manager) radieux qui récupère Brolin, en espérant l’associer à Tony Yeboah. Wilko déclare :

« C’est un joueur de grande classe et je suis sûr qu’il s’avérera être une superbe acquisition pour Leeds. Je suis persuadé qu’il sera un excellent partenaire pour Tony Yeboah. »

L’attaquant ghanéen surenchérit :

« Je suis certain que Tomas et moi, on s’entendra super devant. C’est véritablement un joueur de classe mondiale. Il sait tout faire, combiner, marquer et faire le lien avec les autres joueurs. Nos adversaires auront beaucoup de mal à défendre contre nous. »

Homard ‘n’ chips m’a tué

Les deux premiers mois sont conformes aux prévisions, même si sa première réalisation, un but gag, pourrait laisser planer le doute. Brolin joue en 10 derrière Yeboah et les supporters Whites chantent son nom. Le 24 décembre 1995, Leeds bat Manchester United 3-1, avec un Brolin de feu, impliqué dans les trois buts. Il marque aussi, dont un beau doublé contre West Ham le 13 janvier 1996 (Homme du match).

Tout se présente donc idéalement. Sauf que pendant les fêtes, Tomas a découvert le fish ‘n’ chips. Il a d’abord fait connaissance avec le cabillaud-frites de base, puis, en fin gourmet, il s’est mis à la version upmarket. Les ennuis sérieux commencent alors pour celui que les supporters surnomment désormais « Tubby » (le potelé). C’est le début d’une invraisemblable saga.

Le club essaie de le mettre à la diète mais rien n’y fait. Leeds-Bradford est LA mecque du combo cabillaud-frites-purée de petits pois (la célèbre chaîne Harry Ramsden’s est née ici) et notre Brolin devient accro aux produits du terroir.

La forme déclinant, Brolin s’embrouille régulièrement avec l’intransigeant Howard Wilkinson, surtout pour des histoires de positionnement. Le Suédois rechigne à jouer milieu excentré. En janvier 2012, revisitant son passé, il déclare au magazine Suédois Offside :

« A Leeds, au bout de six ou sept matchs, Wilkinson m’a dit de coulisser à droite et faire la mobylette comme un idiot. Je n’aimais pas ça alors j’avais décidé d’être nul à chier le match suivant, contre Liverpool. »

Un défi largement réussi, Leeds se prend 5-0 contre les Reds et Brolin, comme il l’avait rêvé, sort un vrai shocker (prestation de boulet).

Le divorce est consommé (avec beaucoup de rab)

Entre autres critiques, Wilkinson lui reproche son manque de travail défensif. Brolin réplique qu’il est milieu offensif créatif et lui fait comprendre qu’il ne sera jamais trop partant pour participer aux vulgaires besognes défensives. Wilko insiste mais rien n’y fait. Les deux hommes vont au clash.

Leeds perd patience et, en fin de saison 1995-96, le club décide de le prêter, non sans que Brolin ait voulu jouer au plus malin lors d’un poisson d’avril qui s’est mordu la queue… Brolin avait en effet arrangé une fausse interview avec une télé suédoise où il annonçait son prêt au IFK Norrköping (la hiérarchie de Leeds n’avait guère goûté le gag).

Problème : on ne se bouscule pas au tourniquet pour le récupérer. Leeds, exaspéré, arrête carrément de lui verser son salaire (60 000 £ / mois). Finalement, le 20 août 1996, le FC Zurich prend pitié et lui offre gîte et gros couvert, dans le cadre d’un court prêt (initialement prévu pour durer six semaines). Mais la miséricorde se paie cash, son salaire hebdomadaire dégringole au Smic suisse du footballeur : 800 £. Brolin en est arrivé à un point de non-retour avec Leeds et veut rester chez les Helvètes, au moins jusqu’à la trêve hivernale.

Début octobre 1996, après avoir fini à une décevante treizième place (en Premier League) la saison précédente, Leeds flirte désormais avec la zone rouge. L’heure est aux mesures de desperado et George Graham, le nouvel entraîneur, a besoin de toutes les forces vives et molles pour améliorer la situation. Localement, la grogne monte. Après un début de décennie fulgurant (dont le titre en 1992), Leeds est en perdition et il faut reconstruire l’édifice.

Le seul élan qu’il prend, c’est dans le pare-brise

Même si Graham nourrit de sérieux doutes sur le niveau de commitment de Brolin, l’Écossais souhaite lui donner sa chance. Il compte l’associer à Tony Yeboah et au vieillissant Ian Rush. Quelques joueurs clés sont partis (dont Gary Speed et Gary McAllister) et Graham s’agite pour récupérer Brolin. Mais ce dernier fait de la résistance en Suisse où il a découvert l’Emmental et les joies de la raclette (il ne joue quasiment pas).

Pendant des semaines, Leeds ne parvient pas à contacter directement le joueur (tout passe par son agent) et le club, qui veut lui faire passer un examen médical approfondi, menace de le poursuivre en justice s’il ne rapplique dans le Yorkshire avant le 6 novembre. Toutefois, au lieu de prendre la direction du nord, Brolin file en Italie pour un examen médical en vue d’un prêt à la Sampdoria (recalé). Décembre arrive et toujours pas de Brolin dans le « Comté de Dieu » (God’s own county, surnom occasionnel du Yorkshire).

Brolin, au téléphone avec son entraîneur : « Désolé coach, impossible de vous rejoindre, un oiseau m’a éclaté le pare-brise en allant prendre mon avion. »

Oui, oui coach, je vous assure, un gros oiseau...

« Si, si coach, je vous assure, énorme l'oiseau, on aurait dit un wapiti... »

Noël 1996, Le Suédois se signale enfin, lourdement : il sort 500 000 £ de sa poche pour retourner à Parme (en prêt) au lieu de regagner Leeds. Il ne jouera qu’une dizaine de matchs en Italie. Le torchon (et toute la cuisine) brûle désormais entre lui et George Graham (Brolin, sur l’Écossais : « Il est encore plus con que Wilkinson. »).

Fin juin 1997, son prêt transalpin expiré, Brolin est dans l’obligation contractuelle de retourner à Leeds pour être de la tournée suédoise des Whites. Mais à la reprise de l’entraînement au premier juillet, point de Tomas…

Ce dernier explique avoir raté son avion à cause d’un oiseau qui lui a éclaté le pare-brise en se rendant à l’aéroport (ce qui semblera se vérifier). Les tabloïds anglais, guère portés sur la zoologie analytique, rapportent que Brolin est entré en collision avec un élan…

Un incident qui déclenche l’hilarité générale. Sauf à Elland Road. Au bout du fil, George Graham n’est ni d’humeur à lui refiler le numéro du Carglass local ni enclin à prendre des nouvelles du pauvre caribou distrait. L’irascible Scot est au bord de l’explosion.

A suivre…

Kevin Quigagne.

L’effervescence footballistique des derniers mois a balayé un évènement remarquable : Vincent Péricard a raccroché les crampons.

Fin février, celui que les médias anglais aiment à présenter comme un « ex Juventus striker » a dit stop. Basta. A seulement 29 ans. Ou plutôt c’est son club de Havant & Waterlooville (mini cylindrée de D6 anglaise) qui l’aurait envoyé à la retraite anticipée en décidant, fin décembre 2011, de ne pas prolonger son contrat de trois mois. Une fin brutale pour un chasseur de buts qui fit jadis rêver dans certaines chaumières reculées de l’Angleterre profonde.

Suite et fin de la saga. Résumé de la fin de l’épisode précédent (ici) : Vince s’est relancé chez les routiers trempés de Carlisle United et a refusé leurs avances pour signer au pays du sens giratoire déjanté, Swindon (D3).

Charlie Austin à défaut de Steve Austin

Mi janvier 2010, Vince n’a même pas eu le temps de faire sécher ses fringues de Carlisle que cette foutue poisse frappe à nouveau : il se claque juste avant son arrivée à Swindon Town. Le club est ambitieux (ex PL – saison 1993-94 -, des structures et un public de D2) et la pression est prégnante. Vince estime avoir précipité son retour sur les terrains (ici) :

« Je voulais absolument faire bonne impression et j’ai repris trop tôt. Je sentais et entendais la frustration des supporters à mon égard, surtout que dans le même temps mes deux coéquipiers Charlie [Austin] et Billy [Paynter] affolaient les compteurs. C’est sûr qu’à ce niveau-là, je n’avais aucune chance de soutenir la comparaison avec eux. »

Analyse ô combien lucide. A défaut de se métamorphoser en Steve Austin, comme lui avait prédit le grand expert Julien Courbet (voir première partie), Vince est associé à Charlie Austin, buteur prolifique qui évoluait l’année précédente en D9. Mais si Austin et Paynter (l’autre canonnier de service) cartonnent, Vince reste muet pour sa première saison avec les Robins (16 matchs, dont 14 comme remplaçant).

Le public le prend sérieusement en grippe. Le manager (Danny Wilson) et ses coéquipiers doivent régulièrement monter au créneau dans la presse locale pour défendre le Soldat Péricard. Tout le club se mobilise pour appeler les supporters à la patience et l’indulgence.

Les bons résultats du club finissent par étouffer la grogne anti-Vince. Grâce aux 46 buts d’Austin et Paynter, Swindon finit 5è et accroche les play-offs pour la montée en D2 (défaite contre Millwall en finale).

Intersaison 2010-2011. Billy Paynter parti à Leeds United, Vince est pressenti pour être titularisé devant avec Austin. Après une montée en D2 ratée d’un cheveu, l’attente est forte. Enfin, en août 2010, le déclic. A l’occasion d’un match de la Football League Trophy (coupe entre clubs de D3 et D4), Vince ouvre son compteur Robin d’une belle reprise de volée et en plante un deuxième dans les arrêts de jeu. L’international togolais Thomas Dossevi vient de débarquer au club et sa présence donne des ailes à notre Vince, qui va se déchaîner. Brièvement.

Les ronds-points psychédéliques remplacent les camions

Mi septembre, il inscrit le but victorieux contre Walsall en championnat. Il marque ensuite à trois reprises en octobre et début novembre (le dernier but de sa carrière). Associé à Dossevi, Vince est regonflé à bloc et en profite pour régler ses comptes dans la presse locale avec les boo boys, ces supporters qui l’ont copieusement sifflé de janvier à septembre. Il est tellement confiant qu’il déclare que Charlie Austin, blessé, devra peut-être bien ronger son frein sur le banc à son retour tant Dossevi et lui tournent fort.

Cependant, la saison des feuilles mortes arrivée, il flétrit à son tour. Il ne parviendra plus à retrouver sa forme de Carlisle. Après une énième blessure (adducteurs), il revient timidement, semblant aussi déboussolé qu’un automobiliste devant le fameux Magic Roundabout de Swindon, situé tout près du County Ground. Une aberration vénérée par l’auguste UKRAS (UK Roundabout Association) qui refourgue ses calendriers de rond-points déjantés par milliers chaque année. Une ville davantage bâtie  pour Raymond Devos que pour les anciens de la Ligue 1.

Dossevi, lui, confie à Four Four Two qu’il ne connaît absolument pas cette ville qui fait une fixette sur le rond-point tordu. Rien d’étonnant à cela : il prend le premier Eurostar pour Paris dès le coup de sifflet final. Visiblement, l’adaptation au manège enchanté lui donne le tournis.

Mi janvier 2011, Vince se blesse sérieusement au genou, saison terminée. Le 25 avril 2011, le club abrège les souffrances de Dossevi en écourtant son contrat « par consentement mutuel », mettant ainsi définitivement fin au duo infernal Péricard-Dossevi (44 matchs, 5 buts). Sarcastiques et un poil amers, les supporters du club sont à deux doigts d’élire Vince Swindon Town Player of the Year dans le journal local (il rate la récompense de quelques votes).

Mai 2011, Swindon est relégué en D4. L’ère Di Canio peut commencer, sans Vince. Le 30 juin, le Franco-Camerounais est officiellement libéré de la cage aux Robins.

Son Waterloo durera 149 minutes

Été 2011, Vince s’entraîne chez les Cherries de Bournemouth où il espère se refaire la cerise et peut-être plus si affinités. En vain. Le club d’Eddie Mitchell (co-président) lui joue la dernière séance.

Des mois durant, Vince attend le coup de fil providentiel, celui qui l’enverra chez une grosse cylindrée de D4, ou soyons fou, un club de D3. Hélas, personne ne veut de notre Vince national. Le 6 octobre, en désespoir de cause, il signe un contrat de trois mois à Havant & Waterlooville, club semi-pro de D6 perdu en grande banlieue de Portsmouth. Il dit vouloir se relancer dans l’espoir de retrouver la Football League. Le 19 octobre, il renaît et tweete :

« Je ne remercierai jamais assez Havant & Waterlooville de me permettre actuellement de réaliser mon ambition de rejouer à un niveau supérieur plus tard. J’ai encore énormément à donner. »

Comme à Carlisle deux ans auparavant, il n’en faut pas plus pour embraser le club. Les supporters des Hawks exultent et les internautes du forum salivent déjà à l’arrivée d’un ex Bianconero.

Ces mêmes supporters déchantent quand ils s’aperçoivent que Vince s’entraîne toujours… avec l’AFC Bournemouth et ne se pointe chez eux que pour disputer nonchalamment quelques bouts de match.

Il ne joue quasiment pas et ses rares apparitions dans le money time ne font guère vibrer les 700 habitués de West Leigh Park. On le juge lent, sans percussion et désintéressé. Il joue son dernier match pour les Hawks le 19 novembre 2011 et n’aura disputé en tout et pour tout que 149 minutes de football non-league (divisions inférieures à la Football League, D5 et en dessous).

Fin février 2012, Vince confirme l’impression générale en annonçant officiellement sa retraite sportive (ici), à 29 ans :

« Je raccroche les crampons, je n’ai plus la passion. Pour moi, le foot est devenu une corvée. Je nourris un tas de regrets. Je sais que j’aurais pu être au top mais je suis loin de même m’en être approché. »

Le Red Adair des footballeurs paumés et fêtards déprimés

Depuis quatre mois, Vince se consacre à temps plein à Elite Welfare Management (« A social enterprise to promote and protect foreign players welfare »), une agence de dépannage médico-culturel qui remplace sa création initiale, l’Elite Professional Management (« Unlocking potential and maximising talent – Lifestyle Management that allows overseas athletes to remain focused on their sport to maximise their performance »). Une structure destinée à, dixit Vince, « aider les footballeurs étrangers à s’adapter à l’Angleterre et son football, leur éviter le stress, la solitude et la depression. »

Dans The Independent de novembre 2011, il expliquait pourquoi il tient tant à empêcher les jeunes footballeurs étrangers de s’égarer :

« Je veux laisser une trace, je vois des jeunes joueurs ici qui ont du mal à s’acclimater. Ils sont seuls et ont besoin de quelqu’un de confiance pour les aider, que ce soit pour acheter une maison, apprendre la langue ou s’intégrer à leur nouvel environnement. Je suis proche des gens et j’aime m’en occuper. Je serais extrêmement touché si, dans cinq ans, ne serait-ce qu’un seul joueur venait me trouver pour me remercier de l’avoir aidé. »

On peut désormais suivre de près sa mission de travailleur social pour privilégiés sur son compte Twitter qu’il alimente généreusement. Entre deux tweets sur le trublion Leon Knight (ex cador anglais forcé à l’exil en Irlande du Nord) et les frasques de l’ex buteur de Premier League Leon Mc Kenzie (emprisonné il y a trois mois pour le même genre de ruse routière foireuse que Vince ! ici), on peut y lire que les affaires sont florissantes pour Vince (« Business is going great and keeping me very busy »).

Il livre également quelques interviews aux médias radio pour faire connaître son projet (dont celle-ci et celle-là, en anglais). Dans ces deux clips en français (ici et ici – à voir absolument !), il revient sur sa vie et sa carrière. Avec ce bijou, dans le premier clip :

« Je m’entraînais avec les Zidane, Davids, Buffon, tout ça, et j’étais au même niveau qu’eux. »

Docteur Péricard aurait déjà un patient

Quelques joueurs l’auraient approché. Ou plutôt l’inverse. Vince a accroché son convoi médical à la PFA (syndicat des joueurs) et ratisse large pour traquer les potentiels déprimés du ballon rond. Quitte à les persuader qu’ils ne s’en sortiront pas sans lui. Tel l’international uruguayen Diego Arismendi, un mal acclimaté de Stoke City souvent prêté en Football League (aucun match de Premier League en trois ans).

Selon Vince, le Sud-Américain n’arrive pas à s’intégrer et souffrirait d’une dépression carabinée. Vince a immédiatement proposé ses services au joueur et au club. Il expose ici son plan infaillible pour ressusciter la carrière d’Arismendi :

« Si Stoke City nous autorise à intervenir, et avec l’accord de Diego, nous réglerons ses problèmes psychologiques et nous nous pencherons sur son style de vie pour lui faire retrouver le bonheur, lui et sa famille. Grâce à ce plan et son talent, il pourra ensuite pleinement s’exprimer. »

Peut-être Vince pourrait-il commencer par se pencher sur la santé des voisins du Sud-Américain, qui se plaignaient en 2010 de ses noubas et son lifestyle bruyant dans la résidence de luxe (ici). Le locataire du dessous, un chirurgien privé de sommeil et à cran :

« Je n’arrive plus à trouver le sommeil et la paix nécessaires à mon travail. Je suis à bout. Il [Arismendi] met la musique à un tel volume que mon plafond vibre, à croire qu’un troupeau d’éléphants habite au-dessus. Des fois, on dirait qu’il joue au foot dans son appartement car la lumière chez moi n’arrête pas de clignoter. C’est tous les soirs pareil et c’est pire le week-end. Je lui en ai parlé deux fois mais il m’a juste expliqué qu’il s’agissait d’une fête d’anniversaire d’un ami. […] Je vais devoir quitter mon appartement, le bruit est devenu insupportable. »

Vince a souvent déclaré que sa carrière aurait été différente et qu’il n’aurait pas connu la prison si un ange gardien éclairé l’avait pris par la main (« If I had been guided by somebody I trusted, which is what we want to do for players, then I wouldn’t have gone to prison. »). Peut-être. Mais le monde du football aurait perdu un bon Samaritain hors pair. Good luck Vince, and all the very best. N’écoute pas les mauvaises langues, c’est bien toi le meilleur.

Kevin Quigagne.