Euro 1992, 17 juin 1992. Tomas Brolin signale son entrée fracassante sur la scène internationale en éliminant l’Angleterre d’un but classieux. Quelques années plus tard, le golden boy du foot suédois deviendra l’un des transferts les plus calamiteux de l’histoire du football anglais. Avant l’Angleterre-Suède de ce soir, retour sur les années fish & chips du poupin suédois.

Veni, vidi, floppi. Il est venu, il a vu, il a coûté la peau du cul et il a spectaculairement déçu. Brolin, c’est l’histoire d’un mec qui, à force de malbouffe et d’embrouilles ahurissantes avec le staff de Leeds United, a fini par se crasher dans la vitrine Hall of Shame du foot briton, la bedaine la première. L’Angleterre devait être sa consécration, elle sera son tombeau. Une consolation : Brolin mettra à profit ses foireuses années anglaises pour accoucher d’une après-carrière baroque ‘n’ roule.

Suite et fin de la mini-saga Brolin. Pour le premier épisode, cliquez à droite.

Brolin, interdit de stade

Quand Brolin arrive enfin à Elland Road, l’irascible George Graham n’est pas d’humeur à lui demander des nouvelles du pauvre caribou suédois. L’Écossais confisque son passeport et l’enferme dans le coffre-fort du club ! Le Suédois réussit toutefois à obtenir un passeport de remplacement et repart illico au pays pour se remettre du choc psychologique. Graham l’apprend et vire au vert. Au retour de l’opprimé, l’ex manager d’Arsenal refuse de lui donner une tenue d’entraînement et l’interdit de stade. Comble de l’humiliation, Brolin doit désormais payer sa place pour voir Leeds jouer à domicile ! En prime, il ne figurera pas non plus sur la photo d’équipe de début de saison.

Bien entendu, Brolin ne sera pas de la tournée en Suède. Au retour de Scandinavie, Leeds tente désespérément de le refourguer en prêt. Graham, pas le plus finaud des entraîneurs, se tire une balle dans le pied en vendant l’article comme un mauvais camelot :

« Si quelqu’un veut Brolin, qu’il me téléphone ! Si un footballeur ne veut pas rester ici, OK. Moi, je veux des joueurs talentueux qui ont la gnaque. »

Évidemment, personne ne veut du boulet nordique. Son manque criant de fitness et ses dispositions à l’embrouille tarabiscotée effraient. Même l’Écosse ignore le cri de désespoir des Whites.

Brolin est alors envoyé perdre du poids avec la réserve mais les relations se dégradent à vitesse grand V avec le club. Tubby continue à vertement critiquer Graham dans les médias et zapper les entraînements. Un jour, il « oublie » même de se pointer à un match, préférant aller faire la nouba en famille. Le club le mitraille d’amendes mais rien n’y fait.

Yes ! Yes ! Yes ! il s'est barré, enfin !!!

Yes ! Yes ! Yes ! il s'est barré, enfin !

Au contraire, la situation s’envenime. Brolin menace de poursuivre Leeds en justice pour « harcèlement » et parle en interne de « révéler les pratiques du club à la BBC » (le Suédois déclarera plus tard que le club admit ses erreurs et lui reversa une partie des amendes, le tout accompagné d’une compensation et d’une lettre l’exonérant de toute responsabilité).

Le 28 octobre 1997, Leeds United casse son contrat et lui verse 140 000 £ d’indemnités (économisant ainsi plus de 400 000 £ sur le reste du contrat). Pour fêter son grand départ, Brolin invite les médias à une farewell party organisée dans un hôtel de Leeds. George Graham n’est pas invité, mais il n’aurait probablement pas dit non.

Pas l’as attendu

Brolin n’en a pas cependant pas fini avec l’Angleterre. Début janvier 1998, c’est gavé de mince pies qu’il roule-boule dans un Crystal Palace en perdition (saison apocalyptique pour les Eagles). Il arrive en même temps que Valérien Ismaël, acheté à Strasbourg pour presque 3M de £. Le manager, l’étrange Steve Coppell, lui fait cependant confiance après un match amical de son équipe en Suède, où Brolin tentait de maintenir sa forme entre deux Smörgåsbord XL. Le ridiculement optimiste Coppell n’hésite pas à déclarer :

« Physiquement, c’est sûr qu’il n’est pas encore prêt, mais je suis certain que dès qu’il aura quelques semaines d’entraînement dans les jambes, il redeviendra le grand joueur qu’il a été. Il y a deux ans, il coûtait 5 millions, et on l’a eu pour pas un sou. On aurait tort de se plaindre ! »

Brolin ne se plaint pas non plus. Son rebondissement à Palace était inespéré. Il signe un contrat de six mois et dispute 13 matchs – 11 défaites, zéro but – en position d’avant-centre (tous les attaquants sont blessés). Il pèse bien sur la défense, mais dans le sens Weightwatchers du terme. Mi mars, à l’ébahissement général, il est même bombardé adjoint du nouvel entraîneur-joueur (!), Attilio Lombardo, lui-même scié de se retrouver si subitement aux commandes. Brolin lui sert aussi d’interprète-factotum.

Un tandem aussi comiquement expérimental qu’affreusement inexpérimenté (installé dans l’extrême urgence par le notoirement incompétent Ron Noades, propriétaire-président surtout connu en Angleterre pour son sens inné de la magouille et ses opinions Atkinsonesques sur les joueurs noirs. Noades, en 1991 : « Les joueurs noirs dans ce club [Crystal Palace] apportent leur forte technique et leur talent à l’équipe ; mais le collectif a aussi besoin de joueurs blancs pour équilibrer les choses et injecter de l’intelligence et du bon sens dans le jeu. »).

Le duo Lombardo-Brolin est l’illustration parfaite du blind leading the blind, selon l’expression anglaise consacrée. Un drôle d’attelage qui navigue à vue et va vite finir dans le fossé.

Le 27 avril 1998, Brolin dispute son dernier match professionnel contre Manchester United (0-3). Malgré la relégation en D2, il empoche une mystérieuse prime de 70 000 £ (réservée aux « vedettes » du club). Ses partenaires lambda enragent, eux qui doivent encaisser sèchement la descente, sans liquide pour faire passer l’amère pilule.

Un après-football à la hauteur

Une fois rentré au bercail, Brolin troque sa femme pour une Miss Suède et se reconvertit en homme d’affaires multi-cartes. Il investit tous azimuts : immobilier avec le daron, crèmes de beauté, entreprise de traiteur, chevaux de course, vente de chaussures à son nom sur internet… Il met même des billes dans Twinnovation AB (ici) un brevet d’aspirateur censé faire un malheur grâce à ses embouts révolutionnaires (et se fait dûment sucer son investissement).

En 2001, fatalement, il assouvit sa vocation : il ouvre un restaurant, le Undici (Onze, son numéro à Parme). Cuisine italo-scandinave, salades mozzarella-phoque, pizzas au renne, pâtes au bœuf musqué, dans ce style. Il déclare (extrait de l’Observer) :

« C’est un grand moment pour moi, c’est un vieux rêve que j’avais, en fait depuis l’Italie. J’ai tout choisi ici, même les couverts, et j’en suis fier. Quand je vivais en Italie, j’ai dégusté des plats merveilleux et c’est comme ça que l’idée a germé. J’ai aussi mis des plats du nord de la Suède au menu, des mets que ma maman m’a fait découvrir. »

Touchant. Brolin fait aussi dans le créatif lourdingue. Avec le groupe Doctor Alban et Björn Borg, il sort un morceau intitulé « Friends in need » (voir clip, funeste mais immanquable) et apparaît dans des publicités, dont une pour une marque de jacuzzi.

En 2006, il s’achète une grosse paire de lunettes noires et s’étale autour des tables de poker, où il croise souvent le fer avec d’anciens footeux, comme Tony Cascarino et Teddy Sheringham. Encore une histoire de chips, servis sans le poisson cette fois.

Début 2010, on reparle de lui dans les médias foot. Bizarrement, il réclame la paternité d’un but contre la Norvège attribué à un autre joueur (Roland Nilsson, Sheffield Wednesday Legend), erronément à ses yeux. Et peu importe que le match (amical) date d’août 1991, pour un gambler, un pion, c’est un pion.

Un panel d’experts de la déviation involontaire du dos a promis de se réunir un jour pour réparer cette flagrante injustice (il y a bien eu déviation de Brolin). « Bon, faudra qu’on discute de ça avec les statisticiens et on verra », a mollement commenté un membre de la fédération suédoise.

Il manque donc un but à sa belle vendange internationale (26 réalisations en 47 matchs avec la Suède). Il ne manquerait plus que le spectre de Tomas Brolin, honni et bouté hors d’Angleterre, plane ce soir sur la pelouse de l’Olympic Stadium de Kiev et plante ce pion manquant. Et, tout comme il y a vingt ans, scelle le sort des Anglais.

Kevin Quigagne.

6 commentaires

  1. MLDB dit :

    Excellent article comme toujours! Je savais que Brolin avait ete un flop en Premier League mais je n’etais pas au courant de ses frasques extra sportives. Un grand merci!

  2. redingue dit :

    Effectivement relaté comme cela, c’est bien plus intéressant que Wikipédia(là, c’est la chambreuse ! ). Un drôle d’énergumène, mais tout de même un businessman accompli. Et réclamer 20 ans après la légitimité d’un but, incroyable. Mais bon, pour gagner une place dans le classement des meilleurs buteurs de l’histoire de l’équipe de suède, gonflé mais why not.

    Et sans ironie, billets toujours aussi excellents, captivants…

  3. Pablo dit :

    En fait, comme dans d’autres anti-success stories de ce blog, on attend un rebondissement heureux mais au final, rien… juste une descente aux enfers et une pizza caribou-phoque un peu difficile à digérer.

    Sinon, il a un petit air modern-talking quand il n’a pas la coupe mulet! marrant!

  4. redingue dit :

    Pablo tu es trop sentimental! sincèrement,très drôle tes allusions à différents articles.

  5. Kevin Quigagne dit :

    Merci à tous.

    « A career of two halves », pourrait-on dire sur la carrière de Brolin (pour paraphraser l’expression anglaise – devenue cliché – « a game of two halves », un match avec deux mi-temps totalement différentes).

    C’est assez dingue à quel point le contraste entre la première partie de sa carrière (Parme & Suède, 1990-95) et la deuxième (Leeds & Crystal Palace, 1995-98) est brutal. Difficile de faire plus contrasté.

  6. Olivier dit :

    Excellent article, brillamment rédigé et illustré.
    Mention spéciale pour la pizza au renne & le clip on ne peut plus kitsch ;o)

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