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Ça y est, les hommes en blanc du Team TK viennent de l’extraire de la salle capitonnée. Après l’intouchable Lars Elstrup en février 2012, ce bon Chic mauvais genre est donc le deuxième spécimen à illuminer notre galerie d’allumés. Chic Charnley aurait pu devenir une figure du foot écossais où il sévit de 1982 à 2003. Au lieu de ça, il sera son enfant terrible et restera comme l’un des plus grands originaux du foot britannique.

Suite et fin de la première partie.

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Avec un plot, il corrige un branleur armé d’un samouraï

Un jour, à l’entraînement, dans ce coin mal famé de Glasgow (Maryhill) où il était courant de voir les pit bulls des dealers locaux se dégourdir les mollets ou crotter sur les terrains de foot, il s’embrouille avec deux cailleras qui traversent nonchalamment une pelouse.

« Et les gars, passez pas là, on s’entraîne » leur crie-t-il. Pour toute réponse, il se prend quelques noms d’oiseaux et insultes personnelles.

« Va t’faire Charnley, t’es qu’un putain de nul », braille l’un d’eux.

« OK, revenez dans une heure, on aura terminé l’entraînement, on pourra mieux en discuter », leur balance-t-il.

Loin de se dégonfler, les types se pointent au rendez-vous à l’heure dite. Mais ils ne sont pas venus les mains vides : l’un est armé d’un énorme sabre japonais et l’autre d’un poignard XXL. Ils ont aussi amené avec eux un pit bull.

En les voyant, la plupart des joueurs s’enfuit. Trois restent pour leur faire face, dont Chic, évidemment. Il s’empare d’un plot d’entraînement et s’avance lentement vers celui qui agite le samouraï au-dessus de sa tête, façon Maître Po dans Kung Fu. Le clébard, pas fou, est le premier à détaler. Tandis que ses deux coéquipiers règlent son compte au Petit Scarabée de kermesse armé de l’énorme couteau, Chic fonce sur le faux moine shaolin et lui assène un bon coup de plot. Dans la bagarre, l’assaillant lui plante le sabre dans la main. Malgré le sang qui gicle et la douleur intense, Chic arrive à lui coller une droite qui le désarme. Chic fait ensuite « le nécessaire », comme il écrit. En clair, il lui refait le portrait et le laisse gémir sur place. Les agresseurs repartent salement amochés et la police les interpelle quelques minutes plus tard.

Au commissariat, Chic refuse de porter plainte et d’identifier les agresseurs lors du tapissage. « D’où je viens » dit-il aux flics, « on ne balance pas, même les pires crapules, on règle nos comptes entre nous. » Charnley porte toujours la cicatrice de l’attaque.

Old Trafford scande son nom

En juin 1991, il quitte Partick Thistle pour rejoindre St Mirren (D1), le club de ses débuts. Il est ensuite prêté brièvement à Bolton (D3) et de retour à St Mirren ses bonnes performances sont récompensées par le brassard de capitaine.

Las, de nouveau, il gâche la fête par son indiscipline sur le terrain et en dehors (notamment un week-end en cellule – conduite en état d’ivresse, délit de fuite et tribunal en comparution immédiate le lundi matin : amende et suspension de permis de deux ans). Mais c’est un incident purement sportif et quelque peu déshonorant qui précipite sa fin chez les Saints : il crache sur un adversaire et se fait expulser (il écrit regretter amèrement ce geste dans son autobio). C’en est trop pour le directoire qui le licencie (l’affaire finira au tribunal).

Grâce à un ami, il atterrit ensuite à Djurgardens, en Suède, où il gagne correctement sa vie (3 000 £/mois) et empoche une belle prime à la signature (Charnley précise dans son autobio avoir touché environ 300 000 £ en signing-on fees au cours de sa carrière).

Pour montrer son amour du Celtic, il arrivait à Charnley de se moucher avec les drapeaux de corner d’Ibrox

En 1993, il est de retour à Partick Thistle (D1), là où il avait trouvé une certaine stabilité quelques saisons plus tôt. Chez les Jags, Chic reprend des couleurs. Le 16 mai 1994, Manchester United affronte le Celtic à Old Trafford pour le jubilé de « Sparky », Mark Hughes. L’ex Red Devil Lou Macari, manager des Hoops, invite Charnley à la fête, en dernière minute. Macari lui demande d’aller rejoindre illico les autres joueurs dans le bus en partance pour Manchester. Problème : au moment du coup de fil, Chic est ivre et retrouver le groupe serait un suicide professionnel car il a entendu dire que Macari s’intéresse à lui. Il prétexte un empêchement pour se rendre par lui-même à Old Trafford le lendemain, jour de match.

Une fois au Théâtre des Rêves, il constate que le stade est bourré de supporters Bhoys. Pendant l’échauffement, il entend un chant s’élever puissamment des tribunes sur l’air de Guantanamera :  « One Chic Charnley, there’s only one Chic Charnley, there’s only ooooooonnnne, there’s only one Chic Charnley. » Charnley a toujours parlé de son amour pour le Celtic, jusqu’à parfois illustrer graphiquement ses sentiments (très poétiquement bien sûr, par exemple en se mouchant avec les drapeaux de corner d’Ibrox, temple des Rangers), et les supps profitent de cette soirée de fête pour le remercier. L’émotion est trop forte pour le dur de Possilpark qui éclate en sanglots.

Malgré sa gueule de bois, Chic se défonce, fait quelques misères à Cantona (ci-dessus) et est élu Homme du Match. Le Celtic l’emporte 3-1. Charnley échange son maillot avec Ryan Giggs car il avait promis à son gamin qu’il récupérerait la liquette du Gallois ; puis dix minutes plus tard, il va revoir Giggsy et lui fait : « Désolé Ryan, ça te dérange pas si on ré-échange nos maillots… A la réflexion, je n’arrive pas à me séparer de mon maillot du Celtic. »

Et la soirée est encore longue. Ce soir-là, dans les entrailles d’Old Trafford, il va toucher du doigt ses rêves les plus fous.

Il dit No au Celtic pour aller teufer avec ses potes

Une fois les célébrations terminées, Lou Macari le prend à part : « Ecoute Chic, tu me plais, et j’aimerais que tu viennes avec nous en tournée cet été. Trois semaines avec le Celtic en Amérique du Nord, ça te dit ? »

Chic est sur le cul. Le grand Celtic qu’il adore depuis toujours le veut ! A 31 ans, il tient enfin l’opportunité de sa vie. Le Celtic est peut-être son prochain club, i-ni-ma-gi-na-ble. Il se voit déjà patrouillant l’entrejeu avec John Collins et Paul McStay, deux Celtic & Scotland legends. Macari lui laisse quelques jours de réflexion.

Entre-temps, ses coéquipiers de Partick Thistle mettent la touche finale à leur grande beuverie de fin de saison, au Portugal, une semaine de fun au soleil.

On ose à peine deviner la suite, et pourtant, si, et oui : l’incroyable Chic Charnley préfèrera partir avec ses potes faire le Jackass en Algarve… Macari ne le contactera plus jamais. Il sera d’ailleurs viré en septembre après une dispute avec le nouveau propriétaire.
Plus tard, Macari s’étonnera : « Je ne comprends pas Charnley, s’il avait vraiment voulu porter le maillot du Celtic, il serait venu avec nous. »

Justement, personne ne comprend Chic, à commencer par lui-même. Avec le recul, il s’auto-analyse : « Dans mon for intérieur, j’étais convaincu que Macari ne voulait pas vraiment de moi, il m’a juste invité, sans insister. Mais c’est vrai qu’en revenant du Portugal, j’ai un peu gambergé. Je n’avais pas les idées claires alors. » Pour conclure, lucidement : « Finalement, j’ai vraiment été con de refuser. J’avais vraiment rien dans la cervelle. »

Eté 1995, Partick Thistle le libère.

Une superbe demi-saison puis retour des embrouilles

A 32 ans et avec sa réput’ d’ingérable complètement barré, les offres ne se bousculent pas. Pour relancer sa carrière, il doit s’exiler à Cork en Irlande, où il fait connaissance avec l’excellente stout du coin, la Murphy’s. Puis il est recruté par Dumbarton FC, un mal classé de D2 écossaise, qui lui propose un deal original : son salaire variera en fonction des recettes machines à sous que Dumbarton exploite dans son social club ! (il réussira finalement à obtenir un salaire régulier).

Huit mois et seulement trois victoires de toute la saison plus tard, les Sons (surnom du club) descendent en D3 avec 11 points. Mais Chic n’a pas démérité et c’est dans le bon club de D2 de Dundee FC qu’on le retrouve été 1996. Il y fait une superbe saison (27 matchs, 6 buts – dont un tir de 60 mètres), les Dees ratent les play-offs de montée en D1 de très peu.

Eté 1997, sur la base de ses performances à Dundee, un gros du foot écossais le recrute : Hibernian FC, D1. Certes, Hibs ne s’est maintenu en D1 qu’à la grâce des play-offs mais l’ancien club de Frank Sauzée (1999-2001) est d’un calibre supérieur à ses ex. L’offre est à l’avenant, très correcte (3 500 £/mois + 500 £ par match et une jolie prime à la signature). Et c’est chez les Hibees d’Edimbourg que Chic va réaliser la meilleure (demi) saison de sa carrière, à 34 ans.

Dès son premier match, contre Celtic début août 1997, il se distingue en marquant le but victorieux. Et quel but ! A 30 mètres des cages, il intercepte une mauvaise passe d’Henrik Larsson (qui fait ses débuts écossais) et plante une mine dans le petit filet ! (à 6 minutes dans ce clip). Les médias déclinent leur une du lundi sur le thème de la Belle éclipsée par la Bête : Chic la brute a volé la vedette au classieux Suédois qui a foiré son baptême du feu (il se rattrapera : 242 buts en 313 matchs pour les Bhoys). Le compte-rendu du match de The Independent est dithyrambique envers Chic (titre : Celtic terrassé par un classieux Chic Charnley, le tout accompagné d’éloges tels que « Charnley, 34 ans, a dirigé le jeu avec l’aisance technique et la créativité qui ont manqué au Celtic dans l’entrejeu, couronnant sa prestation d’un but victorieux. »).

Hibs carbure jusqu’en octobre (3è) avec un Chic qui affiche de superbes stats : 4 buts en 7 matchs et autant de passes décisives. On parle même de lui en équipe d’Ecosse ! Puis patatras, 7 défaites d’affilée, suivies peu après d’une autre série noire, font dégringoler Hibs à la dernière place à Noël.

Le 11 février 1998, exit le manager, remplacé par le morose Alex McLeish. Ce dernier connaît Chic et ne l’apprécie guère. Le sentiment est mutuel et Chic se distingue d’entrée en zappant les deux premiers entraînements. Quand il réapparaît enfin, McLeish va droit au but : il lui demande de quitter le club immédiatement, sans faire de vagues. Chic refuse et un bras de fer s’engage. Finalement, le club lui verse des indemnités de départ pour s’en débarrasser. A 35 ans, sa carrière en D1 est définitivement terminée.

Petits clubs aux fabuleux écussons en guise de dessert

Cinq saisons et cinq clubs mineurs suivront, dont le très obscur mais comiquement blazé Kirkintilloch Rob Roy FC, un minot nommé d’après un guerrier des Highlands, et feu le minuscule Tarrf Rovers (deux clubs aux merveilleux écussons terroir !), où l’excentrique propriétaire millionnaire lui offre un contrat très juteux dans le contexte du foot amateur : 10 000 £ à la signature, 1 800 £/mois plus primes de match. A 40 ans, Chic raccroche les crampons là où il avait commencé, Partick Thistle (il y retrouve son père spirituel, John Lambie, celui qui aime balancer des pigeons aux joueurs-boulets). C’est son quatrième passage chez les Jags !

Dans son autobiographie survitaminée, Chic Charnley dit tout regretter ; son indiscipline chronique, son hygiène de vie aléatoire, ses choix de carrière, ses emportements légendaires contre les arbitres, son manque de self-control, les incessantes provocations, les bagarres et peut-être la sélection nationale ratée de peu (il écrit toutefois qu’il « se serait probablement fait virer dès le premier rassemblement »). Mais ce qu’il regrette par-dessus tout, c’est d’avoir décliné l’offre du Celtic pour aller faire le mariole au Portugal. Comme l’écrit The Independent dans le compte-rendu sus-cité « Chic Charnley would have sold his granny to play for the Parkhead side », Chic aurait vendu sa grand-mère pour porter la tunique Bhoys.

Une chose est certaine : ce n’est pas le talent qui manqua à Charnley pour devenir un Bhoy. Il le sait car il l’a appris de source « officielle », bien des années plus tard. De la bouche de Billy McNeill, Celtic legend (élu Plus Grand Capitaine de l’histoire du club) et manager des Hoops de 1978 à 1983, puis 1987-1991. Un jour, à la faveur de l’une de ces réceptions vespérales propices aux réminiscences et aux confidences, l’illustre Billy lui glissa, ému :

« Tu sais fiston, je ne te l’ai jamais dit mais je voulais vraiment te recruter au Celtic. Ma main droite me disait « fais-le signer bon Dieu, vas-y » mais ma gauche me disait de ne pas le faire. Pour tout t’avouer Chic, je ne t’ai pas recruté car j’aimais la tranquillité et je crois que si tu avais été au club, je n’aurais jamais fermé l’oeil de la nuit ! »

Chic n’a jamais réalisé son rêve d’enfance, mais c’est (presque) tout comme. Une légende Bhoy le lui a dit, par une belle soirée d’été, des larmes dans la voix. Et c’est bien l’essentiel pour lui.

Kevin Quigagne.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup