Pas de bus mais un traître, en jet privé, qui tente de buter la date butoir. Et Dallas, son univers plus impitoyable que jamais. Voyage étourdissant dans l’œil du cyclone Red. Comme si vous y étiez.

Dimanche 3 octobre

Défaite 2-1 à domicile contre le minus Blackpool. Manifestations autour de « Yankfield ». Le Kop veut le retour du King Kenny (Dalglish). Liverpool est reléguable. Pire début de saison depuis 1953 (relégués en D2 cette saison-là, pour 8 ans).

Lundi 4 octobre

La presse parle de deux repreneurs potentiels, l’un américain (New England Sports Ventures), l’autre asiatique (Meriton). Ils proposeraient la même somme, 300 millions de £, soit la moitié de ce que voulaient les doux rêveurs Tom Hicks et George Gillett (H & G), les Tom & Jerry du foot anglais.

200 millions iraient de suite à la Royal Bank of Scotland et à Wells Fargo (banque du Far West) pour rembourser une partie du prêt de 237M de £ ainsi que les charges et frais (petits agios et commissions de 40M).

La question du « nouveau stade » redevient brûlante. Liverpool ne tire actuellement d’Anfield que 42M de £ en billetterie (saison 2008-09), quand Manchester Utd et Arsenal sont à plus de 100M chacun.

Mardi 5 octobre

Réunion extraordinaire du directoire du club (et un peu en douce quand même – H & G affirment ne pas avoir été prévenus – ils ont envoyé leurs avocats sur place). Meeting en anticipation de la date butoir de remboursement du prêt, fixée par la banque RBS au 15 octobre 2010. En principe, le directoire doit retenir l’offre américaine (l’autre, celle de Peter Lim, société Meriton, est rejetée, sans explication – certains actionnaires chouinent).

Le directoire est composé de cinq membres : Martin Broughton (British Airways), président du club depuis avril 2010 – installé par la RBS avec l’ordre express de vendre ; ses deux alliés, le directeur général Christian Purslow, et le dircom Ian Ayre ; et les minoritaires, les vils coyotes H & G, les Américains les plus détestés d’Angleterre (sauf, peut-être, autour de Goodison Park et d’Old Trafford).

NESV n’offrirait rien à H & G pour leurs actions, précipitant une perte sèche de 144M de £ pour le duo américain. On fête la nouvelle au champagne du côté d’Anfield (ou plutôt au « cheap cider » de contrebande).

Les deux Américains avaient acheté le club début 2007 pour 220M de £, financé à 97 % par des prêts (H & G n’auraient mis que 7M de leur poche dans le club). Ils tablaient sur l’explosion supposée des droits TV de la Premier League (surtout les droits étrangers) pour revendre le club et faire un malheur.

L’achat s’était fait de manière plus que folklorique, et dans la précipitation (club acquis à la famille Moores – loto foot, immobilier, chaîne de magasins, etc. – bien contente de se débarrasser du truc dès les premiers indices de crise apparus… en empochant une belle plus-value de 90M de £).

Le duo avait emprunté 185M à la RBS pour douze mois seulement (avec rallonges). Gillett avait persuadé Hicks de se joindre à lui (il possède des franchises sportives aux USA). Hicks admit d’abord qu’il ne connaissait rien de Liverpool, mais qu’il « allait se renseigner » (comprendre, qu’il allait étudier les revenus TV et autres).

Les droits médias ont effectivement augmenté, mais la crise étant passée par là (gonflant avec elle les dettes du club), le club ne vaut plus que 300M de £ (loin des £800M que H & G comptaient en tirer en avril 2010 !).

Les Ricains ne comprennent pas cette forte baisse et brandissent le magazine Forbes (grand spécialiste de football, comme chacun le sait), qui a récemment, dans son édition « Soccer team valuations », évalué le club à 822M de $ (535M de £ – hors dettes !). Ce qui placerait Liverpool et ses 185M de £ de CA au sixième rang mondial de la Football Money League. En 2009, Forbes avait évalué LFC à 704M de £…

H & G font une fixation sur cette évaluation (fantaisiste) de 822M de $ et n’ont plus que ça à la bouche pour justifier leur courroux.

La liste des proprios qui s’en sont mis plein les poches dans le foot anglais cette dernière décennie est longue. Parmi les heureux élus, David Moores (Liverpool, en 2007), Alan Sugar (Spurs), Martin Edwards (Man Utd), David Dein (Arsenal), Ken Bates (Chelsea), Thaksin Shinawatra (Man City) et Freddy Shepherd (Newcastle).

Mais la liste des losers est encore plus longue. Rien qu’hier, on apprend que Simon Jordan a perdu 47M de £ à Crystal Palace (D2), en 9 ans. Elle sera grossie par H & G, qui comptaient faire un « fast buck » et ajouter ainsi leur nom au palmarès des gagnants.

Quinze minutes avant le meeting, H & G tentent un putsch de desperados, à la Bob Denard.

Contrairement à leur engagement d’avril 2010 de garder le même Board (lors du troisième prolongement de prêt), les cowboys H & G s’octroient les pleins pouvoirs et tentent d’éjecter du board Purslow et Ayre au lasso, pour y installer le fiston Mack Hicks et Lori McCutcheon, une business associate (pas le même fils qui avait envoyé un courriel de bonne année à un supporter le 10 janvier 2010, le priant d’aller se faire empapaouter chez les Papous).

Le directoire de Liverpool repousse vigoureusement le dernier baroud de déshonneur des coyotes et les boute hors de la ville. H & G contestent la légitimité du directoire. OK Corral peut vraiment commencer. On est parti pour 10 jours de feu nourri. Lieu du prochain combat : la Haute Cour de Justice de Londres.

Mercredi 6 octobre

Il se confirme que NESV, consortium américain composé de dix-sept investisseurs (et propriétaire des baseballeux du Boston Red Sox), veut racheter le club, pour environ 300M de £. Il s’engagerait à rembourser la majorité de la dette de suite. Le boss s’appelle John Henry (61 ans) et ses cigares rendent Fidel Castro fou de jalousie. Après Thierry, Karl et Paul* encore un Henry qui fait l’actualité cet été.

(*présentateur du Télé-matin néo-zélandais. Ses commentaires liés aux Jeux du Commonwealth cette semaine ont créé un incident diplomatique – il a fait toute une série de jeux de mots bien lourds, en s’étouffant de rire, sur le nom d’une ministre indienne, Sheila Dikshit. Il a été viré).

Les supporters de Liverpool sortent un clip (Dear Mr Hicks), on ne peut plus clair sur leurs sentiments dans cette triste affaire.

Sky News produit un résumé de la situation.

Le SoS (Spirit of Shankly – groupe de supporters qui ont mis la pression et avaient eux-mêmes tenté de bloquer H & G avec le ShareLiverpoolFC, mais en vain) ne s’emballe pas :

« Nous sommes prudemment optimistes » déclarent-ils. Ils publient une belle galerie de supporters.

Le Guardian rappelle que H & G promettaient également la lune à leur arrivée (nouveau stade, investissements). Les titres de presse en février 2007 : « Nous sommes entre de bonnes mains. Les nouveaux propriétaires veulent ‘the best’ pour le club. » (Benitez) Et parmi les fameuses promesses du duo yankee, celle-ci : « La première pierre du nouveau stade sera posée dans les deux mois à venir. Faites-nous confiance.« 

Jeudi 7 octobre

Confirmation que l’affaire se réglera à la High Court de Londres, le 12 octobre. L’un des nombreux problèmes de cette vente, dès le début, tourne autour de l’ownership du club. Qui a le dernier mot final sur cette vente ? Martin Broughton, mandaté par la banque, pense que c’est lui. Les deux Américains disent niet.

« I have the legal right to sell the club. » déclare Broughton. « No you haven’t, we have – see you in court. » réplique l’impayable duo ricain.

Vendredi 8 octobre

Il se dit que l’affaire pourrait finalement se régler à l’amiable, hors tribunal.

Tout se passe en fait comme dans une mauvaise partie de poker. H & G, qui risquent 144M de £ dans cette vente, tentent le tout pour le tout, et cherchent à gagner du temps en causant le maximum de zizanie. Sur un malentendu, dans la confusion et la débandade, ils se disent qu’ils peuvent peut-être en tirer un quelconque avantage.

Au mieux, cela pourrait faire capoter la vente et forcer RBS à leur offrir un prolongement de prêt ; au pire, la stratégie du « damage limitation » leur fera perdre moins. Ils semblent être convaincus que plus ils s’agitent, moins les pertes seront élevées, car ils savent que la banque RBS doit vendre coûte que coûte d’ici le 15 octobre.

La menace du redressement judiciaire (au moins temporaire) se profile, avec déduction de neuf points à la clé.

En fin de journée, plus question de deal à l’amiable. La Haute Cour de Londres est saisie par tout le monde.

Samedi 9 octobre

La municipalité de Liverpool s’accroche avec les futurs propriétaires, NESV au sujet du stade.

NESV s’oriente plutôt vers un agrandissement d’Anfield (à 60 000 places). La mairie enrage : les Ricains s’étaient engagés cette semaine à mettre au moins 100M de £ dans la construction d’un nouveau stade (l’une des conditions du rachat).

Joe Anderson, le leader du conseil municipal (équivalent du maire) reste ferme : la ville doit avoir son nouveau stade. Le permis de construire expire en avril 2011 et il faut absolument que l’Anfield Plaza démarre au plus vite. Le AP est un projet gigantesque (boutiques, hôtels, appartements, bureaux) qui occuperait le site actuel du stade d’Anfield et serait relié par des passerelles au nouveau stade (situé sur Stanley Park) .

La mairie veut absolument profiter de cette aubaine pour régénérer ce coin sinistré de Liverpool (l’AP créerait environ 1 000 emplois permanents).

Les plans du nouveau stade avaient été lancés vers 1999, et réaffirmés dans le cadre d’un grand programme européen de régénération de la Merseyside (Merseyside regeneration programme – European Union, Objective 1 status).

Lundi 11 octobre

Il se dit qu’en cas de retrait de 9 points, NESV annulerait le deal.

Peter Lim, le businessman de Singapour, revient à la charge et propose 320M de £, cash. Lim, initialement accueilli les bras ouverts par Broughton, s’est fait finalement renvoyer à ses chères études de karaoké, sans explication. Il remet un coup de pression en promettant 40M de £ supplémentaires dès le mercato d’hiver. En outre, il affirme qu’il maintiendra son offre même si le club se retrouvait (temporairement) en redressement judiciaire.

Le deal de NESV n’est valable que jusqu’au premier novembre et il faut bien sûr attendre la décision du tribunal londonien. Mais on pense que Lim a ses chances. Après le Far West, le Far East.

L’Asiatique veut, lui aussi, aller en justice. Il déclare dans une lettre envoyée à la Haute Cour que la veille de la réunion du board du 5 octobre, Broughton lui avait assuré que son offre était « preferred and superior« .

Peter Lim possède une chaîne de « themed bars » en Asie. Le thème-décor est Manchester United ! Il déclare qu’il ne renouvellera pas le contrat des bars en 2012. On serait tenté de lui conseiller de ne pas fondamentalement changer la déco, juste le nom du club, les glory hunters locaux n’y verraient que du feu.

Un troisième investisseur potentiel se fait connaître, Mill Financial, un hedge fund américain qui affirme avoir acquis la part de Gillett le mois dernier quand ce dernier avait « omis » de régler des échéances sur un prêt de 75M. Mill Financial se dit prêt à aligner 400M sur le comptoir du saloon, mais sans donner de détails. On ne sait pas grand-chose d’eux et ils ne sont pas du genre bavard. The plot thickens.

Kevin Quigagne

5 commentaires

  1. Charterhouse11 dit :

    Passionnant et très instructif. Merci msieur!

  2. Jack Cashquart dit :

    Toujours aussi fluide et fourni : du grand art !

    Keep up the good work !

  3. Gurney dit :

    Très agréable a lire. On se croirait dans un faites entrer l’accusé!!

  4. Teenage Kicks » Blog Archive » Février dans le foot anglais (2/4) dit :

    […] Gillett, H & G, les Tom & Jerry du foot anglais. Comme nous l’avions écrit lors de l’incroyable vente de LFC en octobre dernier, H & G avaient promis de contre-attaquer, se considérant victimes […]

  5. Teen Dating dit :

    You actually make it appear so easy along with your presentation but I to find this topic to be really one thing which I feel I might by no means understand. It kind of feels too complex and very large for me. I’m looking forward for your next submit, I’ll attempt to get the dangle of it!

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