Archive for février, 2013

John-Hugh voulut absolument fêter mon anniversaire. Il proposa de l’organiser chez lui en me demandant d’inviter toutes les personnes auxquelles je tenais. Appeler Zlatan et Laure n’aurait eu aucun sens, connaissant la jalousie de Chiara. Les dernières nouvelles en date de Medhi n’étaient pas rassurantes : au vu de son insistance à m’évoquer par SMS ses « problèmes de fric », il allait fatalement m’en réclamer si j’acceptais de le revoir. J’avais donc soufflé mes vingt-deux bougies seulement entouré de ma copine et de mon agent. John-Hugh m’offrit un maillot de Diego Maradona d’une valeur inestimable. Chiara se coucha tôt en prévision d’une séance photo pour un magazine de mode italien prévue le lendemain, et nous profitâmes de son sommeil pour revenir sur mes titularisations contre Sochaux et l’OM, confinées dans une obscurité décevante. J’étais pourtant été tout sauf ridicule. L’envoyé spécial de L’Équipe m’avait filé un 4/10 – l’une de ses meilleures notes – lors de la défaite dans le Doubs. D’abord sceptique, Leonardo avait fini par admettre que j’étais supérieur à Jallet et à Van der Wiel à ce poste d’arrière droit, pourtant nouveau pour moi. Suivant les ordres de Zlatan, il demandait à Ancelotti de m’offrir du temps de jeu. J’avais gardé secret les magouilles autour du transfert de Pastore. Notre relation s’apaisait.

Toutefois, si je disposais du soutien de la star de l’équipe, je ne parvenais à me sentir complètement libéré. Un latéral célèbre risquait de débarquer d’un jour ou l’autre. Sans une hypothétique sélection en équipe de France, j’allais fatalement devoir céder ma place à un international qualifié, probablement étranger. Un club de football était une entreprise : sans piston, tu pouvais difficilement réussir ta carrière ; sans une rencontre marquante, ton talent ne s’exprimait pas. Que se passera-t-il si jamais Zlatan décidait de partir ? « Si tu souhaites devenir indispensable, tu dois exister dans les médias, m’énonça John-Hugh en croquant un morceau de gâteau. Plus on te verra à la télé, plus ta présence s’imposera d’elle-même auprès des dirigeants et des supporteurs. Il sera alors impossible de te déloger. Les foules ne pensent pas par elles-mêmes : elles sont conditionnées. Lorsqu’elles regardent dix fois une publicité pour un yaourt, elles finissent par avoir envie de l’acheter. Tu dois être ce yaourt. »

Pour appuyer sa démonstration, il prit exemple sur un ex-joueur de Marseille dont il s’occupait autrefois, un jeune défenseur remplaçant à la marge de progression limitée. Un jour, en discutant avec un reporter de la Provence, il laissa traîner un intérêt imaginaire d’Arsenal pour son client. L’information fut publiée puis parvint jusqu’à l’oreille de José Anigo, le directeur sportif de l’OM, qui s’empressa d’accorder une augmentation à son joueur pour l’encourager à rester. Courtisé par une équipe prestigieuse, ce défenseur devint soudain un membre respecté du vestiaire. Très vite, Anigo obligea l’entraineur en place à l’aligner afin de faire monter les enchères. « Alors, j’ai à nouveau fait circuler une rumeur le reliant à Arsenal. Le lendemain, un recruteur d’une formation britannique de second plan me téléphona pour faire le transfert. Mon gars quitta l’OM au mercato suivant avec une prime conséquente et un salaire quadruplé. »

Seulement, John-Hugh avait sondé plusieurs journalistes d’importants médias et mon cas ne les passionnait pas. Lancer une fausse rumeur de transfert sur un footballeur n’était rentable que si ce footballeur était déjà identifiable du grand public. Le label PSG séduisait des sites internet mais les interviews accordées sur le web avaient peu d’impact. Clairement, il fallait viser les télévisions et L’Équipe. Certes, j’étais un ancien amateur qui perçait doucement en Ligue 1 mais ce parcours méritait-il mieux qu’un quart de page ? « Non », m’assura John-Hugh vers deux heures du matin. « Tu as les défauts de tes qualités. Tu es trop propre, trop lisse. Joey Barton, par exemple, est une pipe avec un ballon mais c’est un excellent communiquant. Il s’est battu avec des coéquipiers, il vanne tout le monde sur Twitter, il ne laisse pas indifférent. Sa notoriété fait vendre des maillots et les présidents acceptent de le payer uniquement pour ça. Ce type a tout compris à son époque. Il montre qu’un footballeur n’a pas forcément besoin du football pour être connu. Toi, qu’as-tu d’exceptionnel ? »

Je sortais avec un mannequin. Je vivais même avec elle depuis peu. J’étais footballeur et je ne la trompais pas. La femme de Zlatan acceptait que son mari couche avec Laure Boulleau du moment qu’elle pouvait continuer à profiter de la piscine. La jalousie de Chiara dépassait l’Etna en intensité. Draguer les groupies était obligatoire pour se faire accepter des autres en soirées. En Ligue des Champions, lors des déplacements, on trouvait toujours le moyen de retenir des filles du coin dans une chambre d’hôtel payée par le club ; au moins, les dirigeants savaient où nous trouver. Par respect envers elle, je n’allais jamais plus loin que des caresses.

« Oui, ta copine est jolie mais elle ne fait pas l’actu. Pour Closer, ça passe, mais c’est insuffisant. »

J’étais pote avec Zlatan. Mes coéquipiers mettaient ma promotion inattendue sur le compte de la répétition des rencontres dans un calendrier chargé mais je savais que je lui devais tout. Ils persistaient à me considérer comme un feu de paille. Des pensées individualistes brouillaient leur vue. En contact avancé avec Newcastle, Ménez prenait des cours de français pour faciliter sa future intégration. Sakho avait relancé les négociations avec le Bayern Munich depuis qu’il avait refusé de prendre le brassard de capitaine, qu’Ancelotti avait finalement donné à Thiago Silva, son concurrent direct.

« Téléfoot pourrait éventuellement t’utiliser comme intervenant dans des reportages sur Ibrahimovic mais cela te reléguerait au second plan. »

Je donnais la réplique à David Beckham dans une sitcom actuellement diffusée en Chine. Le tournage des deux cents premiers épisodes avait eu lieu la semaine dernière, après un entraînement, durant trois heures. Je jouais un musicien chevelu dans un groupe de rockeurs. « David et les garçons » captivait les adolescentes. Notre dernière recrue allait prochainement devenir l’ambassadeur du championnat local. Malgré ses réticences, il se pliait en bon professionnel aux demandes de la direction. On l’apprêtait comme un dieu mais cet homme, derrière le maquillage, était une personne parfaitement normale, assez effacée, mesurée dans ses actes et dans ses discours, au caractère pas si différent du mien.

« Les Chinois ont quinze ans de retard. Les boys band marchent bien là-bas.

– Je sais. Ménez vient d’enregistrer un album.

– Autre chose ? »

Dimanche soir, j’avais vu Nicolas Sarkozy fêter avec nous la victoire contre l’OM. L’ancien président de la République avait été très impressionné de rencontrer Zlatan, même si le Suédois l’avait confondu avec l’un de ces enfants que les joueurs tiennent par la main au moment d’entrer sur le terrain. Il nous avait déclaré vouloir se représenter en 2017. Il cherchait d’ores et déjà des footballeurs pour intégrer sa future équipe de campagne.

« Tu t’es proposé ?

– Non.

– Tant mieux. Tu n’es pas assez connu pour qu’un engagement en politique te soit profitable.

– Ouais.

– Est-ce que tu t’es fait insulter par des supporteurs marseillais avant ou après le match ?

– Non.

– Personne n’a tenté de voler ta voiture ?

– Non plus.

– Tu t’es déjà fait agresser depuis que tu joues au PSG ?

– Jamais.

– Fais chier ! Ca aurait pu faire une bonne histoire à raconter. »

Je recevais des mails dérangeants qui détaillaient mon emploi du temps de la veille avec une précision diabolique ou qui ne comportaient qu’une seule phrase, du type « On te surveille, sois discret ». Un par semaine, pas davantage. Ils n’étaient jamais signés.

« Tous les footballeurs en reçoivent, Kevin. Ce sont souvent des coéquipiers qui cherchent à déstabiliser un concurrent. Avec toi, cela fonctionne, visiblement. »

J’avais refusé de truquer un match.

« Comment ça ?

– J’étais à Eurodisney en train de bouffer un hamburger. Je suis parti aux chiottes et, à mon retour, il y avait une valise pleine de billets sur ma chaise.

– Qu’as-tu fait ?

– Je suis revenu à l’heure du rendez-vous, j’ai jeté un œil sur la table, je n’ai vu personne et je suis reparti.

– Tu as touché à cette valise ?

– Elle n’était plus là.

– Qui est au courant ?

– Personne.

– Pas même ta famille ?

– Non.

– Bien. Très bien.

– J’ai pas vraiment de preuve. Ca se trouve, un touriste l’avait oubliée. Elle ne m’était pas destinée, cette valise.

– Le footballeur qui a refusé de truquer un match… Oui… L’idée me plaît beaucoup ! Et je pense qu’elle plaira à Leonardo !

– Il ne sera jamais d’accord.

– T’en fais pas. J’ai deux joueurs sous contrat qu’il souhaite m’acheter. Il ne prendra pas le risque de se fâcher avec moi. »

Je ne fis rien de très marquant le lendemain : des longueurs à la piscine et une sortie au cinéma avec Chiara, prolongée d’un Macdo. Par manque de place, nous avions dû partager notre table avec des barbus emportés dans une discussion autour du ballon rond. Ils trouvaient, je cite de mémoire, les footballeurs « complètement débiles, plus cons encore que des serveurs ». Le plus petit des trois s’amusait à planter des frites dans ses narines. Les deux autres ramassaient puis mangeaient les rondelles de cornichon qu’ils faisaient accidentellement tomber sur le sol. Ils ne me reconnurent pas. Cela me blessa profondément.

En rentrant du fast-food, je m’étais enfermé dans la salle de bain pour m’épiler le sexe. L’idée me trottait dans la tête depuis que j’avais vu David Beckham prendre sa douche. Il avait gagné le respect du vestiaire à la faveur de son œuvre d’art, tatouée de haut en bas. Chantôme et Gameiro avaient carrément applaudi l’engin en la découvrant. Mine de rien, les poils faisaient perdre facilement deux à trois centimètres. Une simple tondeuse à barbe suffisait. Deux centimètres, ce n’était pas négligeable, tout de même. John-Hugh me téléphona à mi-rasage. Le Canal Football Club voulait m’avoir comme invité principal.

Mardi 5 février, 14 heures 11.

78, Boulevard de Grenelle. Un bâtiment à la façade constipée et cette devise ridicule affichée à l’entrée : On vit ensemble, on meurt ensemble. Les locaux de la FFF. Une collection de croulants à la démarche rendue difficile par les excès en tous genres. Je zigzague entre les flaques de pisse. « Ah mais pas du tout, vous êtes dans une maison de retraite », m’indique une femme de ménage.

Mardi 5 février, 14 heures 20.

87, Boulevard de Grenelle. Un bâtiment moins vétuste que le premier mais avec des personnes plus vieilles encore. Je zigzague entre les flaques de Romanée-Conti. Noël Le Graët me reproche un léger retard, tousse, tousse une seconde fois, tousse encore mais de manière plus prononcée puis me fait entrer dans un amphithéâtre. Présentations officielles : Alexandre Lacombe et Jacques Rousselot, présidents de Sochaux et de Nancy, Bernard Desumer, vice-président délégué du comité exécutif, Denis Trossat, le trésorier général, Brigitte Henriques, une copine, Daniel Gacoin, « dont la réputation de la cave à vins n’est plus à faire », Lilian Thuram, caution intellectuelle, Noël Le Graët, donc, président de la FFF (Fédération Française de Football) et Patrick Sayrat, président de la FFF (Fédération Française de la Franchise). Les bourgeois écarlates – climatisation probablement réglée sur 39° – sont alignés derrière un pupitre. Notre grève dans le bus est à l’ordre du jour.

« Cette affaire aurait pu devenir le second plus grand scandale du foot français après Knysna, déclare Le Graët. Si le transfert de David Beckham au PSG n’avait pas distrait les journalistes, nous aurions été dans une merde noire. Passez-moi l’expression, Lilian.

– Vous êtes trop loin, président. »

Leonardo ne nous a pas sanctionné – sans doute pour ne pas froisser les stars – mais il nous a rappelé les exigences qu’un footballeur doit respecter : arriver à l’heure aux entraînements, dire bonjour, dire bonsoir, ne pas brûler de journalistes. Dans la foulée de l’énumération, il avait supplié Zlatan d’arrêter de pouffer puis il s’était éclipsé alors que les rires se propageaient dans tout le vestiaire. Nos dirigeants sont paradoxaux. Ils veulent recruter Cristiano Ronaldo mais ils nous demandent de nous comporter comme Lionel Messi.

« Kevin, confirmes-tu que ton coéquipier Nicolas Anelka a joué un rôle actif au cours de cette mutinerie ?

– Il n’est même pas au PSG !

– Selon mes informations, il se serait exilé quelque part en Italie. Il a sûrement quelque chose à se reprocher.

– Il a signé à la Juventus. On ne lui a pas proposé de contrat.

– Turin ? Intéressant… Notez-le, Brigitte. »

En regardant de plus près ce vieux monsieur de soixante-dix ans, je saisis immédiatement le cœur du problème. Que peut-il comprendre aux délires de jeunes gens devenus footballeurs au sortir de l’adolescence ? Comment serait-il apte à nous juger ? Footballeur, il ne l’a jamais été. Jeune, seulement au siècle précédent. Il ne doit même pas savoir allumer un ordinateur.

« En quoi cette histoire vous concerne, d’abord ?

– On a reçu des consignes très claires d’en haut et…

– Ta gueule, Denis. »

Le Graët donne un coup de poing dans le bas-ventre de son trésorier puis s’explique :

« Nous représentons le CHMFF, le conseil de la haute moralité du football français, un organisme indépendant de la FFF et de la LFP, aux pouvoirs élargis, crée après le Mondial 2010. Nous défendons les valeurs du football français.

– Comment ça ?

– Le grand public en a assez de vos conneries. Vous devez être des exemples.

– Nous ? Des exemples ?

– Parfaitement.

– Je ne crois pas.

– Nous avons reçu plusieurs de tes camarades. Ils ont tous nié la présence d’Anelka dans ce foutu bus. Dans quelques semaines, un journaliste plus malin que la moyenne sortira fatalement cette histoire de l’oubli ; il sera alors préférable pour tout le monde qu’un seul individu en endosse toutes les responsabilités.

– Je n’y suis pour rien.

– Je le sais. Nicolas Anelka est entièrement fautif. Nous attendons des excuses de sa part.

– Sinon, nous lui infligerons deux cent huit matches supplémentaires de suspension en équipe de France.

– Tout à fait, Bernard.

– Pourquoi prendrait-il pour le reste de l’équipe ?

– Laisse-moi te poser une question, mon petit : que veulent les supporteurs ?

– Des buts ?

– Un métier ?

– De la franchise.

– Merci, Patrick. Ils veulent de la franchise. Des footballeurs qui assument leurs erreurs. C’est de cette manière que nous regagnerons leur confiance et que nous remplirons les stades. »

Inutile de parlementer avec eux alors qu’une partie de Football Manager m’attend.

« Qu’est-ce que je dois faire ?

– Nicolas Anelka était-il présent dans ce bus ?

– Il était là, ouais.

– A-t-il été votre meneur ?

– Ouais…

– S’est-il attaqué à un journaliste ?

– En le brûlant.

– En le brûlant, oui, merci Bernard.

– Il… Ouais…

– Bien.

Ouais, il a fait ça. Il a fait tout ça. Et même le reste.

– Parfait.

– C’est tout ?

– C’est tout.

– Vous ne me punissez pas, donc ?

– Considère l’affaire close. »

Mardi 5 février, 21 heures 32.

142, rue Houcine Camara. Un bar. Une meuf me mate, catégorie Arsenal. Elle risque donc de me décevoir mais l’arrogance de sa poitrine mérite indulgence. Je pourrais lui dire que je suis footballeur. Éventuellement, ouais… Cette stratégie fonctionne pour draguer les filles jouant le milieu de tableau mais là, il s’agit d’un niveau supérieur. Pour coucher avec une Arsenal, il faut au moins passer au Canal Football Club ou, à défaut, présenter l’émission. Quand je serai international, ce seront les filles qui me noteront. Comment me débarrasser de ses potes ? Ah, tiens, ils m’ont remarqué. Avec politesse, ils m’invitent à leur table et je leur réponds que tout va bien, ouais, que tout est merveilleux, finalement, que cette journée est faste et inoubliable, finalement.

Mardi 5 février, 22 heures 16.

Tout en branlant le verre de ma bière, je leur raconte que ce qu’il manque au PSG, au fond, ce sont des joueurs intelligents. Des gars avec un cerveau susceptible de tenir une conversation construite plus de quinze secondes. Et j’en suis justement un. Édouard, bermuda en lin blanc, chic, « chemise Tommy Hilfiger, cent euros », partage mon avis. Il étudie à Sciences Po et se verrait bien avocat. Dans un coin de l’établissement jouent les Pierres qui Roulent, un groupe parisien dont le chanteur, Étienne, se trouve être un ami d’Édouard. Nous reprenons en chœur le refrain de Je n’ai pas de satisfaction puis faisons de même avec The man who sold Yvan Le Bolloc’h, une libre reprise de Nirvana. « Une putain de sérénade ! », gueule Arsenal en se curant la narine. Elle est mignonne, pas atomique mais mignonne, mieux en tout cas que la troisième chanson, un slow fiévreux intitulé Angine. À la fin du mini-concert, nous nous marrons franchement. Édouard m’instagrame en utilisant sa tablette pendant qu’Étienne me fait partager sa sueur, sa joue collée à la mienne. J’offre une tournée générale puis verse quelques considérations sur les goûts musicaux exécrables de mes coéquipiers (Jay-Z, Michel Telo, The Black Eyed Peas, Booba, David Guetta). Ils m’approuvent. J’ai les mains sales et la salle à ma main.

Mardi 5 février, 22 heures 42.

Je mets en bière ma quatrième Heineken et, ne tenant pas l’alcool, ou l’alcool ne parvenant pas à me suivre, plutôt, commence à déblatérer sur la vie, les otaries, ce beau gosse de David Beckham, la sexualité de Zlatan, tout ça, puis plonge mon doigt dans la Piña Colada de ma voisine en chemise soignée. Christelle souhaite que je lui chante un poème avant d’accepter de coucher avec moi. Mais bien sûr, salope !

« Des ponts de la seine se jettent les clodos.

Ils font plouf, ils font plaf, des bulles près des bateaux.

Je ramasse leurs dépouilles et fouille les manteaux.

Pas de montres ni d’argent, simplement des tourteaux. »

Mardi 5 février, 23 heures 09.

Je leur propose d’essayer les pilules vertes que me prescrivent les docteurs. « Elles améliorent la résistance physique », leur dis-je après en avoir avalé une. Édouard me demande si je me dope. « Bien sûr que non. Personne se dope. Personne. C’est comme Beckham : le mec débarque pile quand le Qatar est accusé d’avoir acheté la Coupe du monde 2022 ! Et soudain, plus personne n’en parle ! C’est un magicien, ce gars ! Tu vois pas le rapport ? Bah… C’est facile, pourtant : Depardieu se barre en Belgique, Beckham arrive en France. Hollande doit être content de voir que la France est attractive ! Tu sais quoi ? Je suis sûr qu’il a appelé la FFF pour pas que le PSG ait des emmerdes avec notre grève. Ca arrange tout le monde que le Qatar soit bien vu. Non car un club de foot, c’est pas seulement du foot, hein ! C’est de la politique. C’est politique, tout ça ! Hé ouais ! Ca te la coupe, hein ? Hé, pour la grève, tu répéteras pas ? » Édouard pense que je suis bourré. Possible.

Mardi 5 février, 23 heures 45.

Réveil douloureux sur un banc du métro. On m’a piqué trois cents euros et ma carte de fidélité Subway. J’ai reçu un SMS sur mon téléphone portable : CALME LE JEU OU ON VIENDRA TE CALMER. Numéro masqué. Sûrement mon Chinois qui me menace de mort si je parle de cette tentative de corruption à quelqu’un. Comme si c’était grave ! Quatre cents matches truqués depuis 2008 ! Un de plus ou de moins… ! Ca doit être vrai, je l’ai lu sur internet ! Je regarde à gauche, à droite, à droite, à gauche, à droite, à droite – il y a une Inter Milan à ma droite – et à gauche. J’ai l’impression qu’on me suit. Un homme s’approche. Je me tasse sur le banc. Pardon ? Si j’ai besoin d’aide ? Moi ? Il semble grand et gentil. J’ignore où j’ai rangé ma voiture. Il souhaite me raccompagner à la maison. Portière. Ceinture. Je lui parle de ma vie, des otaries, de ce blaireau de David Beckham et de la sexualité de Zlatan tout en vérifiant le trafic dans le rétroviseur. Une fois parvenu à destination, ce monsieur me souhaite bonne nuit mais j’insiste pour qu’il rentre boire un dernier verre en souvenir de notre amitié. Je m’écroule sur le canapé avant de pouvoir atteindre la cuisine.

Mercredi 6 février, 10 heures 55.

Mes gestes sont patauds, ma bouche pâteuse, mon haleine pâtée. Le gars d’hier traverse le salon en baissant les yeux. Sous l’effet de ma torpeur, sa marche semble durer une éternité. Je saisis mon portable sans même savoir pourquoi, plus ou moins mécaniquement. Un message de Zlatan. Il m’apprend que Laure a accepté de le revoir et il m’en remercie.

« C’est Ibrahimovic ?

– Euh, ouais.

– Il te dit merci ?

– Comment tu le sais ?

– J’ai envoyé un SMS à cette fille pendant que tu dormais. Avec ton téléphone.

– À Laure ? Tu la connais ?

– Je me suis fait passer pour toi.

– Quoi ? T’es taré !

– Tu m’as beaucoup parlé de lui cette nuit. De manière positive.

– Mais… T’es con ! Pourquoi t’as fait ça ?

– J’ai simplement dit à ton amie combien Ibrahimovic était charmant en dépit des apparences.

– Putain ! T’es un mongol, sérieux ! J’hallucine ! Tu sais qui je suis ? Je suis footballeur, moi !

– Oui.

– Et toi t’es qui, putain ?

– Ton nouvel agent. »

CDF
Kevin Kohler