Archive for novembre, 2012

Troisième tour de la Coupe de l’Allier. L’ASPTT Moulins, la deuxième équipe de la ville, affronte le FC Renardin, première équipe de nulle part. « Le trou du cul du monde contre onze trous du cul », résume le vendeur de sandwich avec un bon sens populaire. « Paraît que leur attaquant touche cent euros à chaque but. Tu te rends compte ! À ce prix-là, moi, j’en marque trois par match ! » poursuit-il avec une verve davantage populiste. Cette bourrique porte le maillot du club, noir rayé de blanc, avec un fourmilier comme écusson. Son client renverse de la sauce sur le sien. La tâche ne se remarque pas ; mieux, elle donne à l’ensemble un style plus contemporain. Patientent dans la file les joueurs du FC Renardin, des êtres au dos voûté, robustes et sans menton, excités comme des babouins ; des Néandertaliens qui ont réussi. Ils seront sur le terrain dans quinze minutes, un peu moins si le service s’accélère. Ici, les hommes acceptent d’attendre dans le froid pour avaler un bout de pain tiède et du saucisson ressemblant à du placenta. La plupart, ensuite, deviennent végétariens. Le simple fait de retrouver des têtes connues réchauffe. Mathias, bénévole, me demande si je veux des frites « en plus de ça ». Il a un père charcutier et des doigts charcutés. Ses ongles sont coupés courts, en souvenir d’un accident de trancheuse. Dans la cour du collège, entre midi et deux, ce mec était le plus doué avec le ballon. Un virtuose du dribble. Il a un peu perdu la main, depuis. La Coupe de l’Allier est une compétition réservée à ceux qui n’ont pas eu la chance de finir footballeur professionnel. À tous ceux qui n’ont pas eu de chance, en général.

« Tu veux quelque chose ?

– Non. »

Mon frère n’a jamais été un bavard. D’ordinaire, il n’est pas à l’aise dans les stades. Ceci n’en est pas un. Aidé par l’absence de tribunes, le vent soulève les feuilles mortes et la perruque d’un retraité. Elle recouvre le point de penalty puis, sous l’effet d’une nouvelle brise, s’envole jusqu’au poteau gauche. En équilibre sur la transversale, un petit oiseau lâche une fiente sur le tapis de poils. Le vieux avance, glisse, tombe, se relève, nettoie sa moumoute en s’aidant d’une écharpe. Antoine se fout de sa gueule pendant que nous prenons place derrière la barrière. Il se sent en sécurité. Nos voisins n’ont peut-être plus de dents mais ils sourient quand même. Ils sont au chômage, célibataires, en colocation chez leur mère, mais ils ne le montrent pas. Ils s’oublient. Tu ne viens pas voir ce genre de match pour le football mais pour l’évasion qu’il te procure durant plus d’une heure. Ton cerveau marque alors une pause. Il supporte enfin la vie. J’imagine qu’en ce moment mon frère ne pense plus à rien et qu’il goûte l’instant présent comme le font les losers qui l’entourent. Il oublie.

Les footballeurs de Moulins déboulent du vestiaire et effectuent un léger détour pour me saluer. Ils veulent parler à la star dont La Montagne relate les performances. Guillaume était dans ma classe en CM2. Difficile de le décrire. Il a la tronche des copains d’enfance effacés par le temps. Disons milieu gauche, petit, guère optimiste sur ses chances de victoire. « On a pris une murge, hier. Fab’ fêtait ses deux ans avec sa conne de copine. Au bar, il a pas arrêté de draguer la serveuse. Du coup, demain, on célèbre sa rupture. » Un certain Yannick me cite en exemple. « Sans ce putain de genou, j’aurais été meilleur que Messi. Le Messi de Montluçon, qu’on m’appelait ! Quand je vois qu’un gars comme toi, plus limité, joue au PSG, ça me donne confiance ! » Je souris sans lui répondre. Surtout ne pas lui faire de peine. J’aurais pu être à sa place.

La sono crache un morceau indéfinissable téléchargé sur un site interdit par le FBI. Le public s’essuie puis réagit aux propos du speaker. La présentation des équipes soulève un tonnerre d’applaudissements. Ici, pas d’orage à l’annonce des joueurs. Ici, les footballeurs sont de votre famille : ils ressemblent aux médiocres partageant vos tables, vos rues, vos plages. Ils sont comme vous. Richard, le président-trésorier-arrière gauche remplaçant de l’ASPTT, me cornaque jusqu’au rond central. Un handicapé moteur profite de la pause des encouragements pour émerger. Il klaxonne afin de s’ouvrir un passage. Arrivé au milieu du terrain, il lâche le ballon qu’il tenait dans ses mains. « D’habitude, c’est vous qui vous vous garez sur ma place », plaisante-t-il. Le coup d’envoi est donné.

1e-15e : rien. 15e-30e : rien. 31e : Yannick, particulièrement mauvais depuis l’entame de la rencontre, se rend compte qu’il s’est trompé d’équipe. Il change de tunique. 31e-45e : rien. 45e-62e : toujours rien. 63e : l’arbitre fait refaire une touche. Comme aucun des joueurs ne maîtrise correctement ce geste, il décide de supprimer purement et simplement les lignes de démarcation. 66e : le pneu dégonflé servant de ballon roule jusque dans un fossé. Patrick Remoulade, le coach du FC Renardin, se propose de le ramener. 81e : Guillaume se propose d’aller chercher Patrick Remoulade, porté disparu. Entre temps, l’arbitre a laissé la rencontre se poursuivre. Les dix-neuf acteurs – trois figurants se sont claqués tôt dans la rencontre, sur leur première accélération – ont donc continué à jouer en courant et en dribblant dans le vide. Ce fut le quart d’heure le plus réussi techniquement. 84e. Corner. Trois joueurs de l’ASPPT Moulins se postent au premier poteau, davantage pour se reposer que par consigne. Un gars se tient les côtes puis rend son repas. Le gardien plonge. Il a le nez dans le vomi mais il est heureux de s’en sortir à bon compte. Contre-attaque. En moins de cinq minutes, la surface de réparation adverse est conquise. « Tire en bas ! Leur goal est obèse ! » C’est manqué. « Oh, le onze ! Même ta grand-mère joue mieux que toi ! » Et la grand-mère en question de lui répondre : « Elle t’emmerde, du con ! » J’aime cette fraîcheur, cette sincérité qui émane des pores de leur peau. J’aime les entendre insulter des proches, des amis et ne rien regretter. Mon métier est si aseptisé qu’il me faut demander la permission pour faire une passe. Je préfère d’assez loin ce mélange de lutte romaine et de pornographie que les populations du coin comparent au football. Ce sport est celui de la grossièreté et de l’abandon de soi, celui qui se rapproche le plus de la nature humaine. Au tennis, par exemple, il est rare que les spectateurs manifestent ; ou alors en toussant un peu trop fort entre les échanges. « Quel match ! » s’exclame Antoine, d’une voix inhabituellement chaude. La surprise passée, je ne peux qu’approuver.

« Au fait, je vais passer quelques semaines à Paris. »

Antoine n’a pas pris la peine de dévier son regard du terrain.

« Tu vas faire quoi ?

– Une formation qui prépare aux concours pour la fonction publique.

– Je te vois mal là-dedans.

– Moi aussi…

– Où habiteras-tu ?

– Je ne sais pas encore. »

La route au loin mène au centre pénitencier. Des chambres se libèreront bientôt. Les détenus les plus anciens seront transférés vers un autre établissement le temps du désamiantage. Les autres seront désamiantés aussi.

« La mère va sans doute te demander de m’héberger.

– C’est normal.

– Je ne te dérangerai pas.

– C’est bon, c’est cool…

– Tant mieux. C’est tellement cher, Paris… Je regardais des annonces sur internet… Neuf cents euros pour un vingt mètres carrés… Les enculés, sérieux !

– J’ai assez de place pour deux. En plus, vu mes horaires, on aura le temps de se voir.

– J’imagine.

– Je t’amènerai revoir le Camp des Loges.

– Ah, non ! Jamais de la vie ! »

Sa réponse ne m’étonne pas. Elle me donne même le courage d’enlever l’épine qui me gêne depuis mon retour.

« Au fait… Je voulais te parler d’un truc…

– Quel truc ?

– Eh bien… Leonardo m’a… Comment dire…

– Quoi ?

– Il m’a avoué qu’on t’avait viré du PSG pour…

– Pour ?

– Pour avoir frappé une journaliste.

– Ah ouais ?

– Ouais.

– Qu’est-ce qu’il t’a raconté exactement ?

– Bah… Que tu lui avais donné un coup de poing. Mais il ne m’a pas expliqué pourquoi. D’ailleurs, il ne se souvient pas de son nom. »

Il fixe à nouveau le terrain, cherchant tout autour des lignes de fuite.

« Et toi ? Tu t’en souviens ?

– Oh… C’était pas le genre de fille qui te le disait. »

Il sourit. Sa légèreté me fout la haine.

« J’hésite à tout raconter à la presse.

– Pour quoi faire ?

– Pour qu’elle se manifeste. Ou avertir la police, peut-être.

– Si tu fais ça, le club te mettra sur la liste des transferts.

– Tu crois ?

– Bien sûr. Les Qataris, ils ne veulent pas d’emmerdes.

– Je sais, mais…

– Si tu sors du rang, si tu l’ouvres, on t’aligne. On te vire. Comme le PSG l’a fait avec moi.

– T’as carrément frappé une meuf… T’aurais pu prendre encore plus cher…

– C’est… C’est plus compliqué que ça.

– Avec toi, c’est toujours la même chose… J’ai envie de savoir comment elle s’appelle ! C’est normal, non ? T’es quand même mon frère ! »

À ma connaissance, Antoine ne possédait pas de casier judiciaire. Il avait bien volé une boîte de Lego à Leclerc quand j’avais dix ans mais c’était parce qu’il me manquait un pompier pour lutter contre les multiples incendies de la ville. Elle s’étendait sur plus de douze plaques, débordait de la chambre pour empiéter le couloir. Sous mon bureau s’élevait un stade où se disputait la finale de la Coupe du Monde. Les bonhommes jaunes ne quittaient jamais l’enceinte. Leur vie se résumait à ce match.

« Écoute…  Tu sais quoi ? On va en parler à Nicolas Anelka !

– À Anelka ?

– Il s’en rappelle forcément de cette fille ! On était au PSG ensemble, lui et moi !

– Je l’ai croisé cet été quand il venait au Camp des Loges. Il m’a dit qu’il ne te connaissait pas.

– Le bâtard. »

L’arbitre siffle. Le FC Renardin l’emporte 2 à 1 ; c’était en tout cas le score avant que le panneau d’affichage ne tombe en panne.

« Le championnat chinois est fini. Il est sûrement rentré à Paris. Organise un rendez-vous, d’accord ?

– Je suis pas son pote. Il voudra jamais.

– Tu veux savoir ce qu’il s’est vraiment passé, oui ou merde ?

– Ouais !

– Débrouille-toi, alors.

– Tu fais chier… »

Dégoulinant de sueur, le président de l’ASPTT Moulins me saute dessus en se réjouissant d’avoir économisé les primes de victoire. Le temps de me relever, Antoine s’est éloigné. Il discute avec un papy qui l’emmène lentement vers la buvette. La pagaille est totale. Les corps se mélangent. Les timides se joignent aux exubérants. Je m’essouffle. Je me perds. Une forme se détache du brouillard.

« Kevin ! »

Ma mère.

« As-tu parlé à ton frère ? »

Jérémy Menez connut un sommeil agité après la défaite contre Saint-Etienne. De retour du Parc, il avait essayé une nouvelle coloration pour sa mèche qui s’était révélée décevante. Le lundi matin, il alla voir le coach pour lui signifier qu’il ne se sentait pas en état de s’entraîner. Ancelotti l’ignora. Dans les autres clubs, l’entraîneur devait être autant tacticien que psychologue. Carlo Ancelotti n’était ni l’un, ni l’autre. Un homme pouvait bien lui paraître médiocre, capable de doubler des petites filles dans la file d’attente du McDo et de rouler en 4×4 en centre-ville : s’il excellait à l’entraînement, sa place au PSG se justifiait. Cela me convenait.

Je n’avais connu jusqu’alors que des managements honnêtes. A l’AS Moulins, José prônait une franchise assumée dans les rapports humains. Il déclamait le onze du prochain match en prenant toujours soin de se justifier auprès des remplaçants. Il les traitait  »d’ivrognes puants’’ ou  »de feignasses alcooliques’’ puis en venait à la mise en place tactique. J’étais souvent titulaire, bien que moi-même peu réceptif à l’effort. Simplement, en fonction des accidents de la route, le faible nombre de joueurs disponibles empêchait José de me reléguer sur le banc.

Ancelotti n’aimait pas annoncer les mauvaises nouvelles. Il préférait vous rencontrer à part, en individuel, au hasard d’un couloir ou dans les toilettes. S’il pissait en vous souriant, votre présence au match était acquise. S’il se perdait en encouragements quelconques en trouvant des façons détournées d’expliquer combien la concurrence était rude et l’urinoir placé trop haut, ce n’était pas bon signe. S’il pissait dans le couloir non plus. Il vous mentait pour son bien.

L’entraînement avait tout juste commencé quand Mamadou Sakho prit soudain la parole, visiblement perturbé par le laxisme général. Pour faciliter la compréhension, j’ai préféré vous traduire les répliques du dialogue suivant.

Mamadou Sakho

 »Alors coach, vous avez parlé de son carton rouge à Zlatan?’’ (Vous vous êtes encore fait dessus?)

Carlo Ancelotti

 »Oui.’’ (Non)

Mamadou Sakho

 »On joue comment contre Zagreb, du coup?’’ (Vous avez prévu un plan B?)

Carlo Ancelotti

 »Je suis en train d’y réfléchir. (Je suis dans une putain de merde). De toute façon, cette défaite n’est pas dramatique. Nous sommes toujours premiers.’’ (Je me suis réveillé avec la tête de Calisto VI dans mon lit, un cheval qui appartient à l’émir)

Gregory Van der Wiel

 »Ouais! (Contre qui on a joué ce week-end, au fait?) L’important, c’est la Ligue des Champions.’’ (Ma mère a pleuré quand elle a su que j’avais signé en Ligue 1)

Carlo Ancelotti

 »Exactement.’’ (Quel est le nom de ce joueur, déjà?)

Mathieu Bodmer

 »Le coach a raison!’’ (Vivement midi, il y a des patates douces à la cantine)

Guillaume Hoarau

‘’Sinon coach, vous avez pensé quoi de notre prestation?’’ (Sinon coach, vous avez pensé quoi de ma prestation? Il est beau mon but, hein?)

Carlo Ancelotti

 »Votre prestation? (Si je les critique, ils me feront la gueule. Si je félicite Hoarau, les autres attaquants vont m’en vouloir. Si je leur parle de ma nouvelle voiture, ils vont savoir que je me fous de leur gueule. Vite, prenons un gars au hasard que tout le monde aime bien) Tu as été parfait, Zoumana. (J’espère que c’est bien lui, je le confonds toujours avec Matuidi)

Zoumana Camara

 »J’étais même pas sur le banc, coach. (Il doit encore me confondre avec Matuidi)

Carlo Ancelotti

 »Tu… euh… Je t’ai vu encourager l’équipe des tribunes quand elle était menée. (Plus c’est gros, plus ça passe)

Zoumana Camara

 »Vous plaisantez? J’ai même prié pour que Sakho se fasse expulser afin d’avoir une chance de jouer! (Euh… Je n’aurais peut-être pas du dire ça)

Carlo Ancelotti

 »Et sinon, je vous ai montré ma nouvelle voiture?’’ (Arrivé sur le parking, je démarre et je me casse)

L’enchaînement des rencontres m’offrait du temps en jeu en championnat mais mon rêve s’écrivait en lettres dorées sur les panneaux publicitaires de la Ligue des Champions. Comment vous expliquer? C’était comme dormir dans la chambre d’une fille mais sur un matelas posé au bas de son lit. Le coach connaissait mon impatience. Il me demandait d’attendre. J’en étais capable. Au lycée, j’avais attendu six mois avant de conclure avec Annabelle. Elle n’était pas très jolie, pas franchement futée. Je me servais de son appareil dentaire pour éplucher mes pommes. On se contente de bien peu quand on est jeune.

Mon but contre Reims – contrôle du droit, coup d’œil rapide, tir croisé à l’entrée de la surface, balancement grotesque des bras pour fêter ça – témoignait de mes progrès. 90minutes.fr me consacrait un papier par semaine, souvent le même, d’ailleurs : cinq lignes d’une biographie dénichée sur Wikipedia et cinq autres de digression sur le prochain match du PSG, entrecoupées par une publicité pop-up sur une mutuelle santé me rappelant qu’à la moindre blessure tout pouvait s’arrêter. Chaque jour, je recevais sur Facebook les photos et coordonnées de filles prêtes à tout pour sortir avec un footballeur ; une ébauche à la débauche. Un soir, j’ai passé plusieurs heures à comparer leurs profils à l’aide d’un tableau Excel avant de finalement jeter l’éponge, exaspéré par la complexité du logiciel. Sans surprise, j’ai découvert en traînant un peu plus tard sur le net que l’augmentation des ventes d’Excel en Europe coïncidait avec la diminution du taux de fécondité.

Je me méfiais autant des compliments de ces chasseresses que de ceux de mes coéquipiers. Le soir du match face à Reims, alors que nous nous rhabillions dans le vestiaire, Pastore me porta un toast. Quelques heures plus tôt, planqué derrière son siège dans le bus, je l’avais pourtant entendu dire à son pote Sirigu qu’il fallait me ‘’neutraliser.’’ Il avait peur que je lui pique sa place. Alors, le misérable volait du fromage au self pour me le glisser dans mes chaussures quand je me douchais. En retour, je le trainais sous l’eau froide. Sirigu rigolait sans lui prêter assistance.

Le club vous apprend à vous méfier de la presse. Il ne vous apprend pas à vous méfier des joueurs.

Pastore continuait malgré tout à me complimenter publiquement, sans doute pour calmer le jeu ; Ancelotti lui ayant reproché son comportement puéril.  »Joli tir, Kevin’’ (J’aurais marqué si tu m’avais fait la passe),  »Joli but, Kevin’’ (J’en aurais marqué deux si tu m’avais fait la passe),  »Jolie ta copine, Kevin’’ (Je l’ai baisée la semaine dernière, celle-là), voilà le genre de déclarations d’amour qu’il m’adressait. Il mentait aussi lorsqu’il disait que Paris était son club de cœur. Il avait eu une attaque cardiaque en découvrant le salaire proposé, c’est tout. La vie au PSG n’était que supercherie et ressemblait aux roman-photos que lisait maman.

Dernière semaine de septembre. J’accompagnais Lavezzi au Forum des Halles quand Nene, invité par l’Argentin à notre petite promenade, voulut entrer chez Uranium Sport. Il s’acheta un sweat Emporio Armani soldé à 80 euros et une ceinture Diesel à 110 euros. En avançant vers la caisse, il s’arrêta devant un pantacourt Redskins à 69,90 euros et me demanda mon avis sur l’objet. Je répondis tout naturellement que si l’espèce humaine avait survécu à deux guerres mondiales, ce n’était pas pour porter ce genre de vêtement. Nene insista pourtant pour me l’offrir.  »Tu déconnes! T’as aucun goût. Fais-moi confiance.’’  »Sérieux, il t’irait bien. ’’  »Laure Boulleau aime bien ceux qui en portent.’’ Le dernier argument me fit céder puis ce fut au tour du rideau de la cabine d’essayage. Nene tira dessus violemment, prit une photo éclair avec son téléphone portable et partagea le butin avec son répertoire. La photographie volée était rapidement devenue le principal sujet de conversation du Camp des Loges.

Trois jours plus tard, Zlatan débarqua lui aussi en pantacourt et les moqueries sur le sujet s’arrêtèrent.

J’avais eu le malheur d’avouer en public mes penchants amoureux pour Laure Boulleau, à nouveau célibataire. Quand elle passait près du terrain numéro 2, Chantôme agitait sa main en prenant une voix très efféminée puis se lançait dans des simulations d’orgasmes très appréciées du groupe. Enfin, il creusait un trou dans le sol, baissait son short et mimait l’autruche. Je finis par craquer et l’interceptai sur le parking.

Elle accueillit ma proposition de ‘ »déjeuner à deux, enfin rien que tous les deux, quoi, tout à l’heure, où tu veux, mais si possible loin d’ici après voilà c’est comme tu le sens’’ avec gêne. Elle me répondit vouloir  »faire une pause avec les mecs’’ puis elle me laissa en plan. Le soir-même, alors qu’un préparateur physique célébrait son anniversaire dans la salle de repos du Camp des Loges, je vis Zlatan poser une main sur son épaule.

CDF
Kevin Kohler