Archive for janvier, 2012

a première mesure de Carlo Ancelotti en rentrant du Qatar fut d’appeler Valérie Damidot. La compréhension de la langue posa quelques problèmes en raison du français bancal de l’animatrice mais, très vite, le Camp des Loges fut rénové selon les désirs de l’Italien. On maroufla les murs, on remplaça les canapés usés par un carré de poufs, extérieur design, intérieur billes en polystyrène – les copines de Matuidi, de Lugano, de Camara et de Sirigu. Le coach demanda à ce que l’on transforme la salle de réunion en dortoir pour son staff, nombreux et fatigué par un long voyage. L’aménagement prit peu de temps : les réunions, ici, ne servaient déjà qu’à dormir.

A la fin, quand Kombouaré nous réunissait pour discuter du prochain match, les gars en profitaient pour lui laisser les gosses, un doudou et un oreiller puis filaient en centre-ville faire du shopping.

Sur les clichés, depuis le départ d’Antoine, le Camp des Loges paraît différent. Ancelotti a repeint les préfabriqués en rouge et noir, les couleurs du Milan. « Et celles de Rennes », remarqua Douchez avant que le coach ne l’oblige à se laver la bouche avec du savon. Rose. « Commbbpup la coubmlleur de Toubmpplouse ? » Oui. Rose. Avec des bulles. Plus discrètement, Carlo a changé les portraits des anciens joueurs affichés dans le hall. Luis Fernandez a ainsi laissé sa place à Paolo Maldini. Au niveau de l’image, c’est plus présentable.

Il a beaucoup été question d’image cette semaine.

En haut à gauche de cette photo, prise à Doha, un journaliste nous shoote. Il travaille au Parisien. Nous lui avons reparlé de la Une de son journal annonçant la signature de David Beckham. « Pourquoi tu as écrit ça? Pourquoi? » « Nous avons seulement dit que Beckham était d’accord pour venir, jamais que le contrat était signé. » Il avait raison. Nous n’avions retenu que l’image. Trois mots écrits sur un bout de papier. Des flashs.

Au club, tout le monde pensait que Beckham signerait. Nasser avait pris les mesures. Des maillots, 400.000, allaient être mis sur le marché. Roselyne Bachelot en avait commandé 80.000.

J’ai cru comprendre que le transfert avorté de David Beckham avait énormément fait parler, vendre et réagir. Pour certains, l’image du club en aurait été affectée. J’ai lu cette chronique de François Bégaudeau, dans le Monde, où il explique qu’un supporteur se fout bien de l’identité d’un club, tant que la victoire est là. Il cible le PSG, que les Qatariens dénatureraient, mais il ne cite pas les joueurs. Que pensons-nous de tout cela? Quand Jallet dit avoir le sentiment d’évoluer dans un club étranger, il faut le prendre comme un compliment.
Oui, l’argent, les rumeurs, la presse qui s’emballe, un staff cosmopolite, tout cela donne l’impression que le club ne nous appartient plus. Mais depuis quand un club appartient-il aux joueurs?

Sur cette photo, Bisevac apparaît plus concerné que les autres. Ancelotti a très vite été séduit par son professionnalisme. Ils ont passé énormément de temps ensemble, à discuter, à échanger sur la tactique. Cela ne saute pas forcément aux yeux mais Bisevac est quelqu’un de très intelligent. Il sent le football. Alors que Ménez, par exemple, il sent juste la transpiration.

Tiéné s’efface, en partie dissimulé par Ancelotti. En match, il voit bien qu’on préfère perdre la balle plutôt que de lui adresser une passe. A la cantine, les gars en viennent même à prévoir un pantalon de rechange avant de lui demander de servir à boire. Tiéné fut soulagé de nous quitter pour partir disputer la Coupe d’Afrique des Nations avec la Côte d’Ivoire. Il aimerait partir définitivement. Il en a marre de se faire lyncher par les supporteurs. Les journaux, encore, il s’en fout ; il ne les lit pas. Mais les supporteurs, impossible de ne pas les entendre. On lui a répété que Maicon pourrait arriver fin janvier. « Mais c’est pas un arrière gauche! » « Toi non plus », a répliqué Leonardo.

Des gens partent, d’honnêtes serviteurs, sans qu’on les remercie. D’autres restent, comme Makelele, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Parce qu’on les juge importants, j’imagine.

En préparant le match de Coupe de France, vendredi, le coach a pris le temps de s’attarder sur mon cas. Au cours d’un arrêt de jeu, il m’a interrogé sur mes préférences en matière de poste. « Milieu offensif ou attaquant!« , que j’ai dit, juste avant de retourner m’entraîner, le moral gonflé à bloc. Ancelotti nous découvre. Il nous observe. Nous savons qu’il nous observe. Il sait que nous savons qu’il nous observe. Nous savons qu’il sait que nous savons qu’il nous observe – sauf Ménez, que la phrase précédente donne trop mal à la tête pour réfléchir.

Quand arrive un nouveau coach, les joueurs cherchent toujours à l’impressionner. Ancelotti est difficilement impressionnable. Quand on le déçoit, il nous recadre. Au fond, il n’est pas très différent de Kombouaré. Il nous fait juste bosser en 4-3-2-1, sa fameuse tactique en arbre de noël. Elle demande beaucoup d’application.

A un moment, oubliant les consignes, Hoarau a tenté un dribble. Ancelotti s’est frotté les yeux. Puis il l’a engueulé.
« Jouez simple! Simple! Comme Kohler! »

Il l’a carrément pourri à la mi-temps contre Locminé, lui donnant quinze minutes pour réagir. Et il m’a fait entrer à la reprise. Nous avions travaillé l’arbre de noël la semaine en imaginait qu’accrocher un ballon sur la tête de Hoarau suffirait pour l’illuminer. Mais c’était comme si l’arbre avait perdu ses épines et que nous marchions dessus, pieds nus. Quand Erding a remplacé Hoarau, nous n’avions pas été particulièrement rassuré. Les amateurs nous harcelaient. Devant. Derrière. Ils ne semblaient pas fatigués. Devant. Derrière. Un porno amateur. Ils jouaient en équipe. L’instituteur de CM1 taclait comme un fou. Bodmer n’avait jamais aimé l’école. Il était servi. Pour nous, la saison démarrait. Une rentrée des classes. Je connais ce monde amateur. Je sais que la rage, parfois, permet de renverser des montagnes.

Nene demandait le ballon. Il me le passait rarement. Pastore ne le demandait pas. Il me le passait encore plus rarement. Javier ne savait pas où se situer sur le terrain. De temps en temps, il redescendait très bas. Il cherchait Sirigu, son pote, son confident, l’homme qui le réconfortait dans les coups durs. Les attaquants adverses s’approchaient de lui et l’insultaient, en Français. Javier ne répondait pas et fronçait les sourcils ; en Argentin. Nous ne savions plus quoi faire. Je regardais Ancelotti. Il tirait pas une gueule pas possible. Comme sur toutes les photos. Sur les photos, l’équipe semble avoir changé. La réalité est plus floue.

Antoine Kombouaré fut licencié le 22 décembre. Le 23, le PSG convia ses joueurs, leurs agents, leurs comptables, les membres de leur famille – dans cet ordre, selon la disponibilité des places – à un arbre de Noël. Ma mère déclara rapidement forfait. Accaparé par une mission d’intérim, mon frère l’imita très vite. Hoarau, Sirigu, Sissoko, Chantôme, Bisevac, Matuidi, Nene et Ceara se firent tour à tour porter pâles. Jallet rentra chez lui, Gameiro et Bodmer en boîte de nuit. Leurs absences conjuguées poussèrent Leonardo à aménager une pièce du Camp des Loges plus petite, plus intimiste, moins chaleureuse. Ce ne fut pas un arbre de Noël. Ce fut un bonsaï de Noël.

Le 30, nous nous envolâmes à destination du Qatar où nous devions enterrer Kombouaré et l’année 2011. Son successeur se montra le lendemain, une heure avant le coup d’envoi d’une rencontre amicale disputée au Google Chrome Arena, bijou technologique de quatre-vingt-dix mille places surplombant le désert. Durant sa causerie, Carlo Ancelotti nous expliqua s’attendre à une défaite avec au moins deux penaltys généreusement accordés par l’arbitre ; l’équipe adverse, propriété d’un ami de l’émir, ne pouvait se permettre de perdre la face. Nous nous inclinâmes quatre buts à trois. Le troisième penalty fut transformé par un spectateur tiré au sort à la mi-temps : à l’aide du joystick implanté à son siège, le veinard plaça le ballon télécommandé en bas à droite des cages de Sirigu.

Ce lundi 2 janvier, nous découvrons l’académie Aspire, l’INSEP local, l’usine à champions programmés pour la Coupe du Monde de 2022 organisée au pays. À l’extérieur du dôme, un match réunissant les meilleurs élèves sert de démonstration. « Ils viennent d’horizons variés. Les Ivoiriens sont les plus nombreux. Ils en veulent. La plupart seront naturalisés », me confie Hakim, un médecin passé par le PSG et le Stade Français. Le terrain synthétique facilite les contrôles de balle. Un Arabe tente de dribbler un défenseur mais il se fait chiper son bien puis mettre à terre d’un coup d’épaule. Hakim me devine songeur. « T’as remarqué, hein ? Les Qataris sont dépassés par l’engagement physique des Africains. Ils n’ont pas la rage, ces gosses. Ils ont trop été habitués au confort. » À leur décharge, il est difficile de se motiver pour percer comme footballeur professionnel quand tu peux devenir du jour au lendemain président de club et recruter tes joueurs préférés.

Un but est marqué. Nous applaudissons poliment. Des cheikhs nous imitent avant d’avancer vers l’un de nos préparateurs physiques. Ils lui disent bonjour, le confondant avec un joueur. Nene, le meilleur buteur de l’équipe, intervient pour réparer cette étourderie et signer les autographes réclamés. Je tourne la tête de gauche à droite pour chercher des supporteurs mais n’en distingue aucun. J’ai tendance à croire Hakim quand il me dit que ce qu’il manque à ce pays si riche, au fond, c’est l’émotion. Le football en apporte. Il est rassembleur. Tout près de tribunes en béton, un échafaudage annonce des travaux d’envergure. Alors que mes coéquipiers se dirigent vers le complexe en traînant la jambe, je me rapproche d’un camion qui déverse du gravier dans un trou énorme. Des ouvriers se font engueuler par leur chef de chantier. M’apercevant, le contremaître cesse de les apostropher et s’adresse à Hakim. « Qu’est-ce tu fais là ? Allez, suis-moi », me corrige ce dernier. Je jette un dernier regard sur ces hommes battus. De la main, ils me saluent avec un mélange de tendresse et de panique.

Les conditions d’entraînement à l’académie font franchement rêver. Chaque jeune est suivi par un diététicien, un préparateur technique et un médecin particulier. Hakim nous explique le fonctionnement de ce caisson antigravité qui permet à son utilisateur amoché de ne ressentir que 20 % de son poids et ainsi de pouvoir courir, malgré la blessure, sur le tapis roulant. À l’étage, les chambres d’altitude, au niveau d’oxygène raréfié, simulent une plongée à quatre mille cinq cents mètres sous l’eau. Cinq minutes de marche sont nécessaires pour atteindre le laboratoire de chimie et de microbiologie. Au centre de clonage, un ancien attaquant du Real Madrid, aujourd’hui en pré-retraite, est attaché à un brancard. Des scientifiques lui plantent des seringues dans l’arrière-train. Un chercheur étudie des amibes au microscope. « Nous essayons de créer le footballeur parfait. Nous prélevons sur ce monsieur les fameuses gênes du buteur. » Le futur du football est au Qatar mais il vaut mieux que le football l’ignore.

Mes coéquipiers sont partis. Ne sachant où aller, je descends dans le hall. La lumière des lustres aveugle si puissamment l’entrée que les formes sont des mirages. Leonardo discute avec un Qatari. Dissimulé derrière une brochette de plantes artificielles, je ne loupe rien de leur conversation.

« L’équipe du cheikh ne marque pas assez. Il nous faut un attaquant.

– Kohler est plutôt doué.

– Est-il intéressé pour venir jouer au Qatar ?

– Nous le payons mal.

– Alors il le sera.

– Peut-être.

– Combien veux-tu pour le transfert ?

– Nous verrons ça plus tard, Houssam. Et ne parle pas si fort. »

Un transfert au Qatar ?

Notre tour, trois cents mètres de haut, projette des faisceaux bleus et verts. À son sommet, un halo jaune vif concurrence le soleil. L’hôtel ressemble à un pénis multicolore, comme frappé de maladies exotiques. Je lui tourne le dos. Des chauffeurs de taxis me hèlent dans un anglais bancal. Trente-huit degrés. Aux terrasses, l’eau est plus cher que le litre de super. Les plats des restaurants n’ont pas d’identité propre : ils sont américains, italiens, français ou espagnols ; ils dégagent des arômes similaires et rassurants pour plaire au plus grand nombre. J’espère trouver de la nourriture locale en me dirigeant vers un souk. Des vieillards fument une shisha à l’intérieur d’une maison en bois. Une odeur de poissons emplit la rue. À l’aide d’un marteau, des femmes concassent des crabes. Les commerçants brocantent des casseroles, des marteaux, des CD, des épices. Un casque militaire m’intrigue. Soixante euros. Le marchandage dure plusieurs minutes. Je l’obtiens à soixante-quinze. Les étrangers se promènent manteau noué autour du cou, les poches ballantes. Ils ne semblent pas se méfier d’éventuels pickpockets. Un vendeur tente de me refourguer un équipement artisanal pour monter à dos de chameau. Il n’est pas très cher. J’ai cinq mille euros en liquide. Je le prends et l’essaye sur la plage voisine. Le balancement de l’animal est marqué. Je contracte les muscles pour ne pas tomber. La surface de la mer est lisse, satinée, seulement éclaboussée par l’ombre des immeubles et les vibrations d’un obèse sortant des flots. Revenant vers le City Center, le plus grand centre commercial de Doha, je vois des sourires sortir des gratte-ciels. L’existence est si simple, ici, agréable par instant. Je gare mon chameau sur la place prévue à cet effet. La tour paraît soudain un peu moins élevée. Mes coéquipiers ont préféré rester dans leur chambre plutôt que de visiter cet endroit. Ils doivent probablement se goinfrer de dattes. Je ne les comprends pas. Ils auront le temps de ne rien faire lorsqu’ils seront à Paris. J’ai l’impression qu’ils se satisfont du vide.

Une berline s’arrête. Une femme de petite taille, chinoise ou japonaise, en sort avec son fils. Foulard rose sur l’épaule. Sac à main doré. Bijoux fantaisies. Elle s’approche d’un magasin, reluque les dernières nouveautés – des godes et des œufs vibrants, essentiellement – puis crache sur le trottoir. Elle remonte dans la voiture après avoir embrassé le chauffeur sur la bouche. Son enfant se penche à son tour sur la boutique érotique, l’attention captée par les vagins artificiels. Il hésite. Il pourrait entrer à l’intérieur du magasin que sa maman, occupée à téléphoner, ne le remarquerait pas. Finalement, il choisit de s’en aller. Il aurait pu entrer pour échapper à la rue, à ce luxe et à la tronche de l’acteur Robert Pattinson collée aux panneaux publicitaires mais, de toutes ces vulgarités, il préféra sa mère.

CDF
Kevin Kohler