Je reçus exactement cent soixante-dix-sept SMS après ma participation au Canal Football Club, quatre cent trente-et-une notification Facebook, quinze mails et une demande en mariage par l’une des filles du public ; pas la plus belle, malheureusement. Dans leur immense majorité, ces SMS émanèrent d’anciens camarades d’école souhaitant subitement renouer le contact, voire même d’ex-professeurs. Sur Youtube, un fan du PSG s’amusa à compiler les extraits les plus virulents de ma joute verbale. Le montage atteignit rapidement les soixante-dix mille vues et me permit d’occuper la deuxième place du classement NRJ 12 des plus gros buzz de la semaine, derrière le « Allô ? Non mais allô quoi ! » de Nabilla mais devant la vidéo du nain qui mangeait son caca.

La propagation de l’information sur internet fonctionne de la même manière qu’une course de demi-fond. Quand le lièvre s’élance, les suiveurs n’ont pas d’intérêt immédiat à le dépasser ; ils se contentent de copier sa cadence pour bénéficier de son aspiration. Le premier, L’Équipe.fr publia un résumé de mon passage télévisé. Ses concurrents l’imitèrent en greffant le montage à leurs papiers puis ce fut le tour des médias non spécialisés de reprendre les phrases de ma nouvelle page Wikipédia, judicieusement mise à jour par John-Hugh. Écharpe au vent, Christophe Barbier, le patron du magazine L’Express, salua mon courage dans un édito révolutionnaire tourné au dernier étage d’une somptueuse résidence du deuxième arrondissement de Paris. Grâce à lui, j’appris que j’avais du courage.

Interrogé par Télé Z, Pierre Ménès se déclara « déçu » par le manque de soutien des autres participants du Canal Football Club et menaça en représailles de démissionner de la chaîne cryptée. En m’opposant à lui avec sarcasme, j’avais semble-t-il récupéré une partie de ses fans et conquis l’amitié de ses détracteurs. Fâché de longue date avec Ménès, Leonardo m’avait appelé pour me remercier d’avoir pris sa défense durant l’interview. Il promit de me rendre la pareille dès que l’occasion se présenterait, mettant ainsi de côté nos divergences passées pour le bien du club. Son coup de fil fut bien plus long que celui de papa. Mon père réservait généralement les siens pour les évènements de première importance, tels que les décès familiaux (tante, oncle, chien) ou les anniversaires. Nous ne nous étions plus parlé de vive voix depuis très longtemps. J’étais jeune au moment du divorce et la distance, même relative, avait suffi à nous éloigner. L’été dernier, je n’étais même pas allé le voir alors qu’il n’habitait qu’à vingt kilomètres de la maison. Ses louanges me firent chaud au cœur. Les commentaires de maman, bien que plus retenus, me surprirent positivement. Antoine, par contre, ne prit pas la peine de me contacter.

Lors d’une interview accordée au Parisien, j’avais répété à quatre reprises que je venais d’une petite ville de l’Auvergne où les gens possédaient la notion de l’argent, de la famille et de l’amitié. Ils pouvaient me faire confiance. Par ma présence, ils excusaient l’arrogance de Zlatan et le merchandising autour de Beckham. J’apportais de la chaleur humaine à un club où régnait un cynisme froid en m’attirant la bienveillance d’un public jusqu’alors réfractaire aux sportifs. En marchant dans la rue, je recevais l’accolade de personnes de tous âges, supporteurs occasionnels ou simples défenseurs de la morale. Quand ils me rencontraient, ils me disaient que j’avais eu du cran d’avoir dénoncé la corruption, « comme ça, à la télé », d’avoir révélé en direct ces choses « insoupçonnées ». Je n’hésitais pas à dire tout haut ce qu’ils ne pensaient pas. Pourtant tout était là, devant leurs yeux, depuis une éternité.

Très vite, alors que nous réfléchissions au développement de notre stratégie, John-Hugh me conseilla d’insister sur cette posture de « footballeur au grand cœur », à l’âme belle et innocente. Mon agent me fit signer des pétitions contre le racisme, contre les violences adressées aux femmes, contre l’inceste, le cancer, Dieudonné, les offenses vestimentaires, la prostitution, la maltraitance infantile, les cochons d’Inde, les surfeurs, les Roumains du métro, les agences immobilières, les livres sur DSK, les bouchons sur l’autoroute, les lundis, la neige et la pluie. Il fallait me montrer sensible aux problèmes de société alors même que je la considérais comme morte-vivante. Il activa ses réseaux pour me trouver une association à parrainer. L’erreur consistait à prendre la première venue. Or, dans ce domaine-là, le choix était lourd de conséquences. Par exemple, s’afficher aux côtés de malades du sida était devenu un geste assez banal mais qui garantissait un bon retour sur investissement puisqu’il pouvait impliquer émotionnellement aussi bien les 15-24 ans que les ménagères de plus de cinquante ans. Pour autant, il aurait été stupide de négliger la trisomie 21. Poser entouré de jeunes trisomiques vous faisait passer pour un être profondément humain. Comment des adultes pouvaient-ils lutter face à des sourires d’adolescents en fin de vie ? Fallait-il jouer la sécurité ou bien privilégier l’audace ? Un ou deux attaquants ? Dans l’idéal, John-Hugh désirait une association venant en aide aux trisomiques malades du sida.

Jérémy Ménez m’avait conseillé d’opter pour la mucoviscidose mais je ne comptais pas empiéter sur ses plates-bandes. Mon apparition au CFC avait provoqué suffisamment de jalousie pour ne pas rajouter inutilement de l’huile sur le feu. Mes coéquipiers n’avaient pas accepté que je brise un tel tabou mais, plus grave encore, ils n’avaient pas compris que Canal+ puisse inviter un simple remplaçant, titulaire depuis peu. Mon cas servit de prétexte à un déballage général. Gameiro se plaignit à Leonardo de son faible temps de jeu. Matuidi insulta Motta parce qu’il le considérait surestimé comme milieu défensif. Sakho accusa Maxwell et Alex d’entretenir une logique de clan. Sirigu descendit Ménez parce qu’il ne faisait aucun effort défensif. Le staff m’ayant autorisé à sécher plusieurs entraînements, je pus heureusement m’extirper de ces minables déchirements pour répondre aux sollicitations. Un éditeur m’avait par exemple proposé de sortir une biographie. Mon agent considérait qu’un bouquin permettait de prolonger l’état de grâce tout en me faisant apparaître comme un footballeur « intelligent » – l’une de ses obsessions. Néanmoins, l’élaboration d’un tel ouvrage impliquait de publier des documents aussi embarrassants que des photos de classes. L’éditeur souhaitait une bio « décalée, marrante et rigolote » ; répétitive, donc. Ses collègues ne s’illustraient pas par leur intelligence mais tous étaient vifs et sympathiques. Ils travaillaient déjà sur un autre projet, une sorte de « conte à la Zola sur une personne de petite taille ». Ils ne comprenaient absolument rien au football mais ils adoraient mon « swag ». Ce mot n’avait aucun sens. Il était parfaitement approprié à la situation.

Une semaine durant, cette troupe m’emmena dans des endroits encombrés d’esprits critiques dénonçant la suffisance du monde contemporain. Leurs bouches souillées de champagne rejetaient la culture de masse, la violence des jeux vidéo et la vulgarité des séries télés. Certains se disaient « poètes », les autres « romanciers ». Ils étaient tous imbus d’eux-mêmes, convaincus de la nécessité de leurs actes. L’arrogance ne menait à rien mais nous n’allions précisément nulle part.

En quelques jours à peine, j’avais rejoint l’acmé et le paradis, la paresse sans répit. On ne riait plus de moi mais de la bêtise du football. Plus rien ne me faisait peur. J’assistais au spectacle délicieux des corps en exhibition. J’ignorais les noms de ceux qui me flattaient : ils étaient les acteurs de ma figuration. Des pseudo-célébrités m’embrassaient chaudement sans savoir à quel poste j’évoluais. Selon mon humeur, je décidais de leur sort en choisissant entre l’autographe et le mépris. Tout n’était que plaisir, ombres heureuses et filles de joies.

J’avais longtemps cru que les compliments, l’orgueil et les drogues douces constituaient des notions éphémères et bien moins enrichissantes que la politesse et la modestie. J’en étais toujours aussi persuadé mais je n’avais désormais plus de honte à les rechercher. J’avais longtemps pensé que le jour n’existait pas, qu’il n’était qu’un prolongement douloureux de la nuit. J’en avais maintenant acquis la certitude. D’une limousine, profitant de ma vie sabbatique, je narguais la beauferie des Champs-Élysées et contestais aux vitrines le monopole du luxe. L’Arc de Triomphe disparaissait. J’étais devenu attraction.

37 commentaires

  1. Armandinõ dit :

    Cool!!!

  2. Baptiste dit :

    Très en verve l’ami Kevin. Désabusé sans être cynique, mélancolique sans être pathétique, comme on l’aime quoi…

  3. Baptiste dit :

    Ah, et une question au passage: un lien (même lointain) avec AppAs? Je viens de lire un bouquin de lui autour du foot, et il y a des similarités (je dis pas que c’est pareil hein!)

  4. Chiti dit :

    Attention, le retour sur terre risque d’être douloureux, tu t’éagares de plus en plus Kévin, il est devenu quoi le plaisir de jouer même au PSG (Paris Sans Génie)!!!
    Pourquoi ne pas pousser le cynisme jusqu’à signer à l’OM, le nouveau club pauvre de L1

  5. maxime dit :

    @Baptiste quel bouquin précisément ?

  6. Captain Rai dit :

    Bravo
    Avec telle prose tu pourrais écrire toi même ton bouquin.

  7. ouioui dit :

    Et comment va Chiara, tu la délaisse pas trop avec toutes ces sollicitations ?

  8. Raspou dit :

    Une bonne fournée, bravo!

  9. C. Moa dit :

    Superbe. C’est un plaisir de te lire Kévin/Maxime.

    (En lieu et place de ta bio, fais-leur lire le blog !)

  10. Marti dit :

    Un des meilleurs épisodes, assurément!

  11. obigero dit :

    « à quelle poste j’évoluais » … t’es facteur en plus ? ^^

  12. maxime dit :

    @obigeo Corrigé, merci

    Je vais demander à Kevin de nous parler de sa vie de couple avec Chiara. Visiblement elle vous intrigue

  13. El Caballero dit :

    Délicieusement cynique cet opus (et plein d’humour noir) ! Une fois de plus, bravo.

  14. Baptiste dit :

    Ça s’appelle (précisément): « Si le gardien de but arrête la balle dans laquelle tu viens de shooter, ne te décourage pas et pense plutôt au mignon girafon en caoutchouc qui t’attend dans ta baignoire pour le bain du soir ». Par moment ça m’a fait penser à certains délires surréalistes que j’avais lu ici.

  15. PhB dit :

    « Je n’hésitais pas à dire tout haut ce qu’ils ne pensaient pas. »

    vraiment ++++

  16. Benjamin dit :

    En lisant ce texte j’ai l’impression qu’Albert Camus s’est réincarné en footballeur désabusé, mais lucide, du 21ème siècle.
    Bravo à l’auteur.

  17. Kireg dit :

    Kevin, j’adore ton swag !

  18. iPee dit :

    Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on lit du Camus, mais vraiment la plume est belle. Encore un article qui offre un plaisir terrible.

    C’est un vrai talent de savoir écrire des choses intéressantes et en plus de les rendre agréables. Merci pour ça.

  19. C.Moa dit :

    Ceci n’est pas de la pub : un ancien de l’AS Moulins, Pierre Bouby, a répondu au Proustballe de Horsjeu.net

    Un ancien coéquipier ? 😉

  20. Observateur dit :

    Et pourquoi Kevin ne parle t il pas du pape ???
    hein , pourquoi ?
    Ezequiel, lui , il n’a pas peur de s’engager et il en parle….mais Pocho … il n’a pas peur de Kevin, lui …
    hinhinhin

  21. Kevin Kohler dit :

    Pierre est parti de Moulins bien avant que j’arrive mais ça reste une légende au club. Il a son portrait sur des stylos-souvenirs

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    “à quelle poste j’évoluais” … t’es facteur en plus ? ^^

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Kevin Kohler