Ukraine d’un jour

22 novembre 2007 – 17:41

Sans enjeu, Ukraine-France se termine sur un 2-2 essentiellement marqué par la bourde de Sébastien Frey, titularisé dans les cages.

C’est Mankowski qui m’a raconté, moi j’étais parti me geler le fondement à Kaunas pour superviser l’Ukraine. Quand on nous a annoncé que l’avion allait peut-être atterrir à 250 kilomètres de là, à cause du brouillard, j’ai pensé que le dieu de la météo me faisait payer la fois où j’ai fait du rentre-dedans à Évelyne Dhéliat dans les studios de FR3 Alsace en 1979. Je suis quand même arrivé à l’heure. Ils m’ont collé dans un virage avec un bonnet et une couverture. Tout ça pour apprendre que Panucci nous avait qualifiés. Dans ce job, c’est quand j’essaie de me rendre utile que j’ai le plus le sentiment de ne servir à rien.

On a intensifié le reconditionnement de Ben Arfa en lui infligeant des épreuves psychologiques terribles. Par exemple, on lui a dit: « Même si on te dit le contraire, tu joues à deux touches de balle maximum ». Au bout d’un quart d’heure, je lui dis que c’est bon, qu’il peut arrêter. Évidemment, il se remet à tricoter et je l’engueule: « Même si on te dit le contraire, bon sang, Hatem! Même si c’est moi qui te dis le contraire! » À la fin du match, je le sentais bien ce 2-2, alors j’ai fait un dernier changement. J’ai dit à Hatem: « Tu gardes la balle, hein? » Il m’a regardé en souriant: « Ah non, pas deux fois dans le même piège, coach! »

Le principal enseignement du match, n’en déplaise aux sceptiques, c’est que l’astrologie, ça marche. La preuve avec Frey : avant de le titulariser, j’ai attendu la conjoncture astrale la plus défavorable pour lui depuis cinq ans. Et il n’a pas raté mon coup: ça restera comme le fait du match, cette espèce d’entrechat. On aurait dit un patineur en train de tenter un salto dans du gravier.

Fratelli d’Italia

20 novembre 2007 – 23:18

Le dernier round des éliminatoires se joue finalement… à Glasgow, où les Italiens qualifient les Français en battant les Écossais par un but dans les dernières minutes.

Je ne voulais pas que les gars perdent de l’influx en supportant les Italiens comme des dingues. Je ne voulais pas qu’ils supportent les Italiens, de toute façon. Eux, c’est comme les Portugais, je peux pas les blairer. Et les Stéphanois. Quand je me mets à en parler, c’est comme si Guy Roux ou Thierry Roland s’emparaient de mon esprit. Déjà que Kouchner, ça fait peur pour la diplomatie française, il faut éviter d’en rajouter. C’est ce qu’ils m’avaient expliqué, au Quai d’Orsay, quand ils m’avaient convoqué après ma sortie sur Gattuso et ses amis – tous ces gars qui se lubrifient le torse avec leur excédent de graisse capillaire. Ils sont marrants, moi, mon boulot, c’est de les battre, pas de maintenir la paix. Le seul casque bleu que j’ai vu à la Fédé, c’était la coiffure de Mme Escalettes.

Je leur ai donc interdit de regarder le match, on a enlevé les câbles des télés dans les chambres et coupé Internet. C’était sans compter sur leur imagination. Ils se sont regroupés dans la suite de Thierry, et ont rejoué le match en live, sur console vidéo, d’après les commentaires de RMC. Pour bien faire, en guise de rite vaudou, ils ont aussi criblé Mickaël Landreau d’épingles après lui avoir enfilé le maillot de McFadden.

La vérité sur Rothen

18 novembre 2007 – 22:21

Un jour à l’entraînement, on a fait un exercice de précision. Jérôme la mettait tout le temps dans la cible. « Tu as vraiment une main à la place du pied », l’a félicité Landreau. L’autre est devenu tout rouge et lui a demandé pourquoi il disait ça, avant de partir précipitamment. Plutôt bizarre, parce Rothen est assez sociable d’habitude: il fait la bise à tout le monde dans le vestiaire, sauf à Gallas parce qu’il le trouve vraiment trop rugueux.

On a eu le fin mot par hasard, un jour que je prenais l’apéro au PC sécurité de Clairefontaine, avec les flics qui assurent encore la filature d’Abidal et les mecs de la DST responsables de la sécurité de l’équipe de France. Un des écrans était connecté à la caméra du vestiaire, où Rothen, seul, était sur le point d’enlever ses chaussures. Ç’a attiré mon attention parce qu’on le voit jamais faire ça quand il y a du monde autour de lui. Il ne prend même pas sa douche avec les autres. Et là, quand il a enlevé sa chaussure et sa chaussette gauches, j’ai eu un moment de stupeur: à la place du pied, il a vraiment une main! Plus proche du chimpanzé que de l’homo erectus, mais une main. Il faut que je me renseigne pour savoir si on a le droit d’inscrire un mutant sur la feuille de match.

L’unijambiste

18 novembre 2007 – 21:41

rayb_rothen-centre.jpgFrance et Maroc se séparent sur un match nul (2-2) au cours duquel Jérôme Rothen, à la peine avec le PSG, est titulaire.

Rothen, je l’aime bien, quand même. C’est le gars qui va tout droit dans les emmerdes, panache blond au vent. Le mec, il joue une finale de Ligue des champions, il devient international, et tout ce qu’il trouve à faire, c’est de signer au PSG. De la C1 à la CFA sans palier de décompression. En plus, il n’a pas de bol. C’est dingue qu’un mec aussi simple d’esprit ait des blessures aussi compliquées. Le doc a dû acheter un dictionnaire médical en trente-cinq volumes, il n’y en a plus que deux qui n’ont pas encore servi pour les diagnostics de Jérôme. « On peut pas te soigner, on n’a pas le matériel pour ça », lui a dit le doc aujourd’hui. Ses gros yeux bleus se sont embués et il a dit qu’on était des salauds de le laisser mourir tout seul. L’après-midi, il y avait quartier libre, alors il est parti en annonçant qu’il allait acheter une voiture pour se calmer.

J’aime bien le regarder jouer aussi. C’est très divertissant, cette façon de ne se servir que de son pied gauche. Rothen, c’est une sorte de footballeur unijambiste qui utilise sa jambe droite comme une béquille. Forcément, comme un chien à trois pattes ou un dahu, il a tendance à tourner en rond, mais hop, il repart et décoche un centre qui fait regretter à chaque fois qu’on n’ait pas un avant-centre fort de la tête devant le but.

Je dis ça, mais contre le Maroc, il s’est retrouvé à devoir centrer du droit, à un moment. On a senti sa panique, et la balle est allée mollement dans les bras du gardien, mais Jérôme il était content: une frappe cadrée du droit, c’est un exploit pour lui.

Peur des fantômes

16 novembre 2007 – 21:21

Le match amical contre le Maroc doit permettre de préparer l’ultime match du groupe B. L’heure de vérité approche et à Clairefontaine, elle est déjà grave.

ll y a eu un moment de tension au dessert. Les anciens étaient en train de raconter comment Zidane jouait et à quel point c’était un enchantement d’être sur le terrain avec lui, quand Samir s’est levé, tout rouge, en disant qu’il en avait marre qu’on le compare à Zidane et que ce n’était pas la peine de faire comme les journalistes en lui parlant tout le temps de lui. Il était au bord des larmes.

« Arrêtez d’emmerder Samir avec l’ombre tutélaire de Zidane! » j’ai gueulé. Mais Samir s’est mis à pleurer, il avait compris qu’il n’était que l’ombre de Zidane quand il était titulaire. Quand il s’est repris, je lui ai expliqué qu’il ne devait être que lui-même, ne pas écouter les flatteries ni les critiques. Je n’aurais pas dû ajouter que si Zidane avait joué à l’OM, lui aussi il aurait eu du mal à s’en sortir.

Double portion

18 octobre 2007 – 20:33

En arrivant à l’hôtel après le match, Ribéry en avait encore sous la semelle, et il a proposé qu’on fasse un petit tournoi à trois contre trois sur le parking. Impossible de le raisonner. Vexé, il a dit qu’il allait repartir tout de suite à Munich, où Oliver Kahn lui organisait des séances de penalties dans son jardin en pleine nuit, même qu’ils jouaient aussi aux chevaliers teutoniques avec des haches dans la forêt. Le doc lui a dit qu’il voulait d’abord examiner son genou: « Je crois que tu as un problème d’articulation », il a dit. « Je sais, c’est pour ça que je vais chez l’orthophoniste », qu’il a répondu. Le doc a patiemment commencé à lui expliquer la notion de cartilage, mais Franck l’a tout de suite interrompu: « Je connais, on en mangeait à la maison quand j’étais petit ».

Tout le monde était sidéré de voir Titi sourire à tout bout de champ. Il nous a donné l’explication lui-même : « Ça fait six ans qu’avec mon agent, on essayait de signer un contrat avec Colgate. le dentifrice de mon enfance, celui qui m’a fait rêver. On vient enfin d’y arriver ». Il a ensuite demandé au kiné de soigner son élongation des muscles de la joue. Le lendemain matin, il a débarqué au petit-déjeuner, tout fier: « Vous avez vu, j’ai encore fait un doublé », il a dit en brandissant L’Équipe pour qu’on voie bien les deux pleines pages de pub pour Reebok et Gillette qui saluaient son record.

Hatemisés

18 octobre 2007 – 18:31

rayb_benarfa-banc.jpgL’équipe de France s’impose en fin de match grâce à un doublé de Thierry Henry, qui devient le meilleur buteur de l’histoire de la sélection avec 43 réalisations. Pendant ce temps, l’Écosse a perdu en Géorgie: il suffira d’un match nul en Ukraine, dans un mois, pour se qualifier.

Contre la Lituanie, j’ai fait entrer Ben Arfa, après avoir hésité entre lui et Piquionne. Ça va, je déconne. Hatem, il est de la génération fascinée par les équipements sportifs, du coup son regard quitte rarement ses chaussures et le ballon quand il l’a. C’est un peu comme si les joueurs de la réalité se mettaient à ressembler à ceux des jeux vidéo. Hatem, quand il part en dribbles, il a un détecteur de collision, une sorte de radar qui lui indique la présence de corps étrangers sur le terrain pour en faire le tour. Malheureusement, ils n’ont pas paramétré la position des cages. Et il lui manque une touche sur la télécommande. Du coup, il ne fait des passes que lorsqu’il marche sur le ballon, et la majorité va à l’adversaire.

On lui a fait une formation intensive à tous les entraînements, en le menaçant de le mettre dans la chambre de Thuram, qui fait toujours un sermon avant de dormir et qui ronfle ensuite comme un bûcheron, s’il ne donnait pas la balle au bout de cinq secondes. Ensuite, il a fallu lui expliquer qu’il fallait la donner à ses partenaires. « J’ai du mal à les reconnaître », il a dit. Le docteur Paclet s’est demandé s’il ne serait pas daltonien. J’ai dit à Escalettes que la fédération devrait investir dans le jorky foot, on serait champion du monde. Il a fallu un tacle du défenseur et une déviation de Benzema pour qu’il fasse une passe décisive, mais on va pas se plaindre.

Landreau, titulaire indiscutable

18 octobre 2007 – 18:31

Enfin, le bon côté de ce pèlerinage, c’est que Coupet n’est pas encore revenu dans le groupe. Il aurait demandé à tout bout de champ où la roue avant droite de Barthez a été agressée, sur quel but il a encaissé le centre de Ducourtioux, de quel terrain d’entraînement il est parti fâché parce qu’il prenait des mines, etc.

Landreau est meilleur esprit, jamais une embrouille, un Nantais bien élevé. Pour moi, c’est lui le titulaire indiscutable au poste de troisième gardien. La preuve: il faut un Jérôme Alonzo pour lui barrer le banc à Paris. Être international pour Landreau, ça consiste essentiellement à porter les vêtements officiels. Ça a d’ailleurs été la même chose contre la Lituanie: il n’a tellement rien eu à faire qu’il est allé chercher un tir non cadré à deux minutes de la fin, histoire d’être filmé au moins une fois.

Micka, c’est le vrai pro, celui qui n’a jamais eu d’enfance. De la Jonelière à Clairefontaine, sa carrière a été une longue mise au vert, avec pour seuls contacts avec le monde réel les rencontres avec les journalistes en salle de presse. Ça finit par déformer votre vision des choses. Et des trajectoires, on dirait. Depuis la praline de McFadden, on sent que ce n’est plus le même.

Avant de repartir vers le bus, alerté par des bruits sourds dans un couloir, je l’ai retrouvé dans un local technique en train de se taper la tête contre le mur. « J’en profite, parce qu’au Camp des loges, si tu fais ça, la cloison s’écroule et tu te retrouves nez à nez avec un journaliste du Parisien« .

Mayo jaune

15 octobre 2007 – 18:29

rayb_nantes.jpgDe retour en France, les Bleus atterrissent à Nantes car c’est au stade de la Beaujoire qu’ils vont affronter la Lituanie. La victoire est obligatoire pour espérer voir la Suisse et l’Autriche l’été suivant.

On avait fait tellement d’avion que plusieurs ont eu le mal de terre en débarquant. Il fallait soigner le moral des troupes, mais le cadre ne s’y prêtait pas trop. Nantes côté foot, ça rappelle Saint-Étienne, avec ce côté Jurassic Park et tous les fantômes qui font peur aux vivants. D’ailleurs, notre car est passé devant les ruines de Marcel-Saupin. Par association d’idées, ça m’a fait penser à Marcel Desailly. Et puis j’ai eu une pensée émue pour tous les crampons que j’y ai laissés dans les tibias de ces graciles attaquants nantais, avec leurs pattes de canaris.

Le FC Nantes, c’est un club dévoré par les mythes. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre sur Coco Suaudeau, on en parle comme de Gandhi ou de maître Yoda. Franchement, j’ai l’impression d’avoir un Suaudeau dans chaque hémisphère. Dommage que j’aie aussi un Luis Fernandez qui surgit au milieu, de temps en temps. Mais le jeu à la nantaise, pitié! Des Nantais qui alignent trois passes, et on crie au génie. Si c’est des Parisiens, on crie au miracle. Comme si ça servait à quelque chose, de nos jours. Ma tactique pour les Bleus, c’est de multiplier les passes qui ne servent à rient en attendant qu’un ou deux mecs se débrouillent pour aller marquer. Pas la peine de faire des émissions là-dessus, et je ne demande à personne de parler de « jeu à la Domenech ».

L’élan de la jeunesse

14 octobre 2007 – 22:24

 

Les gamins, ils sont contents de marquer, au moins. Ça fait plaisir en comparaison des mecs qui donnent l’impression de t’apporter une facture quand ils courent vers le banc après avoir mis un but. Les journalistes s’étonnent que j’aligne des joueurs aussi jeunes, mais je suis bien obligé: les mecs, à vingt-cinq ans, ils serviront de cobayes à des expériences sur l’arthrose, alors il faut en profiter avant. Et puis, ils tentent des trucs, ils dribblent – comme des pilotes de F1 qui croiraient encore que le but, c’est de doubler les autres.

Ça me fait penser aussi à Platini qui disait après France-Écosse qu’il n’avait pas vu un dribble. J’espère qu’il a regardé le match, parce que là, il en a vu au moins un: celui de Rothen, plusieurs fois. Et tant pis si c’était toujours le même.

On peut compter sur les anciens pour les encadrer les novices. Au repas du soir, Henry s’est assis à côté de Benzema. « L’essentiel, c’est de rester humble », il lui a dit. Karim l’a regardé avec de grands yeux. L’autre a pris ça pour de l’admiration. Henry, pour Halloween, il lui suffit de se peindre le visage en orange et sa lumière intérieure fait le reste.