Aux armes

13 octobre 2007 – 23:48

En voyant le stade, Mexès a dit qu’il refusait de jouer là-dedans. Je lui ai dit « Ça tombe bien, tu joues pas ». J’ai aussi fait jouer le moins de Lyonnais possible, et j’ai donné à Toulalan la consigne de rester dans l’axe, où il y avait moins d’ornières. S’il se blesse en équipe de France, Escalettes fait sauter mon treizième mois pour provisionner les frais de justice. Toulalan, il m’inquiète, justement : on dit que l’OL fait mûrir les joueurs, mais là, après une saison à Lyon, il a l’air d’avoir quarante ans. Duverne m’a dit qu’il ne se souvenait déjà plus d’avoir joué à Nantes.

Déjà que les gars n’étaient pas très concentrés, mais alors, cette Marseillaise interprétée à la trompette en plastique a failli tout foutre en l’air. J’en ai vu deux ou trois se retenir de pouffer, tandis que sur le banc, les autres partaient d’un fou rire en voyant Lilian, imperturbable, massacrer l’hymne national sans se rendre compte que cette fois, tout le stade l’entendait. Les spectateurs ont dû croire qu’il leur déclarait la guerre, ou un truc comme ça.

Bref, ça a été vite plié et on a tous eu envie de repartir à la mi-temps, après un accord à l’amiable. Je crois que je suis meilleur que leur arrière gauche. En tout cas, je n’aurais pas laissé centrer Ribéry avec ses deux jambes valides sur le premier but. Un attaquant rapide, ça va toujours moins vite qu’un tacle au genou.

Premiers pas sur une nouvelle planète

13 octobre 2007 – 23:45

Bizarrement, il n’y avait du brouillard que sur l’aéroport, mais ça ne nous a pas remonté le moral. En voyant défiler le paysage derrière les vitres du bus, ceux qui n’étaient jamais venus ont mieux compris pourquoi les autres n’avaient pas si envie d’atterrir que ça. Risquer sa vie de star du foot pour disputer un match contre des amateurs dans une île qui sent le hareng mariné et le mouton qui se néglige, ça fait ressortir l’ironie de la vie. Mais des mecs qui ne fréquentent plus que des boutiques de luxe et des quartiers riches de haute sécurité, je comprends que ça les fasse flipper.

C’est pas un paradis fiscal, les Féroé. D’ailleurs, Frey a demandé à Martini s’ils ne risquaient pas de se faire prendre en otage, vu la misère extérieure et le fait que ça avait l’air compliqué de s’évader d’un endroit pareil. Martini a desserré les lèvres pour lui raconter que la dernière fois, l’avion était reparti juste après nous avoir déposés, et qu’on était restés bloqués deux jours. Frey a blêmi et je crois que Bruno a eu un imperceptible rictus sadique.

On s’est quand même détendu avec Franck, ravi, qui a détaillé les caractéristiques techniques des mobylettes utilisées par notre escorte de motards. Il avait le visage collé à la vitre. À un feu rouge, on a constaté deux évanouissements parmi les piétons et une crise d’épilepsie quand Gallas l’a rejoint.

Un atterrissage mouvementé

12 octobre 2007 – 18:08

Tout le monde a arrêté de rigoler quand le pilote a annoncé qu’il allait essayer d’atterrir à Thorshavn et que les hôtesses ont sorti leurs chapelets. Après deux tentatives, on a enfin vu la terre sous le brouillard, mais elle penchait tellement qu’on a cru notre dernière heure venue. J’ai pensé à tous les envoyés spéciaux en train de filer la scène du bord de la piste avec leurs téléphones portables, eux qui ont tellement attendu que je me plante.

Gallas a fait une crise d’hystérie. Il a détaché sa ceinture et gueulé: « On va devenir mythiques, comme les Busby Boys et l’équipe du Torino! » C’est là que l’avion a fait une embardée et qu’il s’est assommé sur un casier à bagage qui s’est ouvert sous le choc et lui a fait tomber dessus le manteau en fourrure de Méxès. C’est devenu franchement surréaliste quand on a vu que Ribéry essayait d’ouvrir la porte de l’appareil. On s’est mis à plusieurs pour le ceinturer. Il a ensuite crié que c’était moi qui lui avais dit d’aller jouer sur l’aile. Je l’ai pris à part en lui disant qu’il n’était quand même pas aussi con. Il m’a dit que non et j’ai vu un sourire machiavélique s’élargir lentement sur son visage.

On a quand même fini par atterrir, dans un grand bouillonnement. Partis comme on était, on a cru que c’était le liquide de frein qui se déversait sur la piste, avant de comprendre que c’était Abidal qui venait de se vider. Quand j’ai regardé les visages des joueurs sur leurs sièges, j’ai regretté que Finkielkraut n’ait pas été avec nous, il aurait vu une équipe de France entièrement blanche.

Tactique de haut vol

12 octobre 2007 – 18:01

Le lendemain matin, on a vu Henry arriver très énervé au petit-déjeuner, en demandant qui lui avait piqué son nécessaire de rasage. Tout le monde a regardé Ribéry, puis chacun a vérifié qu’il n’avait pas de mousse à raser dans son bol. Henry a gueulé qu’il allait perdre sa prime Gillette s’il jouait avec une barbe de deux jours.

Pour gagner du temps, j’ai fait la séance vidéo pendant le vol. Le technicien de la fédé a voulu passer les images sur les écrans de l’avion, mais il n’a réussi qu’à s’électrocuter. Il n’a pas trop progressé depuis l’annonce des 23 de la Coupe du monde à Clairefontaine. Heureusement, on avait emporté le paper-board de Santini, avec ses compos d’équipe de 2002. On a d’ailleurs perdu dix minutes à expliquer aux jeunes qui était Christanval, et à les convaincre que Marlet, Brechet et Bruno Cheyrou avaient vraiment été internationaux à cette époque. « C’est aussi à ce moment-là que j’ai eu ma première sélection », s’est exclamé Govou. Il y a eu un silence gêné.

J’ai quand même pu commencer mon speech, mais ça n’a pas duré longtemps. Au début, je me suis dit qu’ils étaient simplement heureux d’entendre des consignes tactiques plus claires que jamais, mais j’ai vite constaté qu’ils rigolaient franchement. C’était Mexès, derrière moi, qui m’imitait en faisant l’hôtesse de l’air avec son sac Vuitton sur la tête. Assez sexy, en fait. Ben Arfa et Benzema le regardaient d’un drôle d’air, je n’étais pas complètement rassuré pour lui.

Détournement d’avion

12 octobre 2007 – 17:55

rayb_avion.jpgLes Bleus s’envolent pour les Îles Féroé, où les attend, cette semaine-là, le premier de leurs deux matches qualificatifs pour l’Euro 2008. Ainsi que quelques péripéties.

Déjà, partir de l’aéroport de Villacoublay, c’était provoquer la scoumoune en lui faisant des bras d’honneur. C’est quand même là que reviennent les otages français et les corps des soldats morts pour la patrie ou pour l’ONU. Escalettes était tout content de dire que notre avion venait de Suède, avec des pilotes spécialement préparés aux amerrissages dans les fjords et aux atterrissages sur des parkings de supermarchés, mais ça jeté un froid.

La tension est montée d’un cran quand on a été obligés de se poser à Aberdeen. Le pilote voulait s’assurer qu’on aurait assez d’essence pour tourner autour des Féroé ou pour se réchauffer sur la banquise en cas de crash. Makelele s’est tourné vers moi: « Comme ça on pourra dire qu’on a fait le plein en Écosse, hein, coach? »

Après avoir vainement essayé de se poser, on a dû se replier sur Bergen vers 23 heures. « On n’a pas d’hôtel », m’annonce l’intendant. « Il n’y a plus de chambres libres nulle part? », je demande. « Non, il n’y a pas d’hôtel dans cette ville ». Govou a suggéré de loger chez l’habitante en allant « pécho en boîte », vu que c’était l’heure.
Finalement, on a dégotté une auberge de jeunesse, qui nous a fait payer un supplément pour Makelele. Ribéry a été infernal: de voir des dortoirs avec des lits superposés, ça lui a mis en tête de faire des lits en portefeuille et des batailles de polochons. J’ai menacé de ne plus l’appeler en équipe de France s’il continuait à faire le zouave. Il m’a dit « Ça m’étonnerait. Si Trezeguet dit qu’il a sa place, moi aussi j’ai la mienne ». J’ai laissé tomber. Il a fallu faire taire Mexès et Rothen qui parlaient encore de la fashion week, mais tout le monde a vite sombré dans le sommeil.