Ligue des dindons
En Ligue des champions comme en F1, la course se gagne dans les stands. Les "exploits" des clubs français ne comptent pas, et la chute du Bayern confirme paradoxalement l'absurdité de cette compétition et son écrasante importance.
Auteur : Jamel Attal
le 4 Nov 2002
L'insistance avec laquelle les clubs français font de grosses performances contre des cadors européens pour échouer ensuite plus banalement est troublante. Nous avions failli briser, il y a une dizaine de jours et dans l'euphorie d'une série de belles performances des clubs français, notre boycott implicite de la Ligue des champions. Las, une semaine plus tard, ces prouesses apparurent trompeuses à tous les observateurs, infirmées par les déceptions lyonnaise et auxerroise. On sait malheureusement que les poules ont pour effet de limiter l'impact de chaque match au profit d'un nivellement qui favorise généralement la régularité des clubs à gros effectifs. Les clubs français sont capables d'élever leur niveau pour des rendez-vous au sommet, mais ce n'est plus ce qui est valorisé en coupe d'Europe, car le critère discriminant est la capacité à retrouver la même intensité d'une semaine à l'autre, c'est-à-dire à survivre à ces lourdes charges physiques et mentales. Bien sûr, la messe ne sera dite qu'au terme de la dernière journée, mais les enseignements de cette première phase, à défaut d'être nouveaux, sont clairs quoi qu'il arrive ensuite. L'ironie veut que l'AJA et l'OL aient effectué consécutivement le déplacement et la réception d'Arsenal et de l'Inter, selon le scénario d'un match par aller-retour. En poussant jusqu'au bout cette simulation, on se rend compte que dans les deux cas, nos représentants seraient passés, en éliminant définitivement leurs prestigieux adversaires. Mais c'est bien cela qui est impensable, et c'est pour cela que la compétition est organisée autrement. Voilà de quelle nature sont les "exploits" en Ligue des champions, dépouillés de leur pleine importance sportive et vite effacés des mémoires par le verdict du classement de la poule. C'est une des raisons pour lesquelles la LdC est si chiante, ne laissant les vrais matches à enjeu qu'à une élite au sein de laquelle se glissent bien peu d'outsiders. Finie l'émotion des rencontres à élimination directe, ces deux semaines d'attente et d'impatience entre les deux rendez-vous, fini le sursis d'une qualification acquise qui faisait monter une marche en attendant le tirage au sort de la prochaine confrontation. Les gros également en danger La Ligue des champions n'est tout de même une assurance tous risques pour les gros clubs européens, le Bayern de Munich en étant déjà exclu, ratant même le repêchage en Coupe de l'UEFA. Ironiquement encore, c'est précisément le Bayern qui avait été le seul club du G14 s'étant ouvertement élevé contre cette formule de la compétition, ses dirigeants dénonçant notamment le nombre excessif de rencontres et la dilution de l'intérêt sportif. Et voilà tout à coup le club bavarois en difficulté financière, probablement contraint de vendre des joueurs au mercato, alors même qu'il était un modèle de gestion économique et sportive. C'est bien cette brutale relégation qui prouve l'importance excessive prise par la LdC pour les finances des grands clubs, totalement obligés d'y participer sous peine de se retrouver avec le couteau sous la gorge et une sévère révision de leur train de vie. Une seule saison blanche (et même pas, dans le cas du Bayern qui aura disputé six rencontres), et les équilibres comptables sont compromis, la continuité sportive remise en cause. Cette situation profondément absurde est bien la conséquence d'un système de répartition des ressources qui crée un football européen à deux vitesses, dont la désaffectation à l'égard de la Coupe de l'UEFA est une autre preuve (il paraît qu'y participer "coûte de l'argent" aux clubs). On comprend bien pourquoi l'objectif des promoteurs d'une ligue européenne élitiste semi-fermée — dont le modèle avait inspiré la formule actuelle à deux tours de poules — est d'une part de parvenir à garantir aux élus des revenus maximaux, d'autre part d'en garantir l'accès systématique à un cercle restreint d'équipes. L'UEFA semble prendre un autre chemin depuis qu'elle a décidé d'alléger sa compétition reine, mais c'est l'étouffante primauté de cette dernière qu'il faudrait réduire, tout en la faisait renouer avec son véritable prestige.