Le Sud-Soudan vu du ballon
Au lendemain d’une indépendance aussi historique que folklorique, essayons d’en savoir plus sur ce tout nouveau pays qu’est le Sud-Soudan, à travers son football…
Auteur : Vapi
le 12 Juil 2011
[Texte d’inscription soumis par Vapi]
Le Sud-Soudan n’est en paix avec le Nord-Soudan que depuis 2005, date de signature par les deux parties du Comprehensive Peace Agreement, qui marquait la fin de décennies de guerre. Après un référendum le 9 janvier qui a acté les velléités d’indépendance de la population (99% de Oui, a priori sans fraude), l’indépendance s’est préparée, comme stipulé dans l’accord de paix, pour le 9 Juillet 2011. Dans un tel contexte, le développement du football n’a clairement pas été la priorité au Sud-Soudan ces dernières années.
Plutôt le basket
Plusieurs raisons peuvent expliquer le piètre niveau constaté. Déjà, le football n’est pas nécessairement le sport de prédilection des jeunes Sud-Soudanais. Une grande partie d’entre eux, disons ceux qui s’exportent le mieux, sont issus de l’ethnie Dinka, considérée comme le deuxième "peuple" le plus grand du monde [1]. Du coup, le Sud-Soudanais, malin et conscient qu’on ne peut pas faire une équipe avec onze défenseurs centraux, se tourne plutôt vers le basket, ou, ce qui est peu commun pour un pays africain, vers le volley. Voire le mannequinat. Mais ça vient plus tard. Et puis on y perd en termes de ferveur nationale. Cela dit, cette préférence pour le basket est très relative: on reste malgré tout dans un pays africain, avec cette quasi-constante: sortir un ballon de foot de son sac sera toujours un gage de succès et de socialisation.
Un football à construire
Le fonctionnement du championnat local est assez peu clair (ce qui est une marque de fabrique dans le coin), et sera bien évidemment modifié avec la naissance du pays, mais apparemment, jusque-là, les équipes sud-soudanaises s’affrontaient dans un championnat, et le vainqueur de ce championnat gagnait le droit de jouer dans la division supérieure, constituée exclusivement d’équipes nord-soudanaises, plus riches et bien meilleures. La plus grande partie des équipes du Sud viennent de Juba, la capitale. Elles sont amateurs, et fédèrent très peu de supporters, au contraire des deux équipes de Khartoum, au Nord, dont chaque match devient l’unique sujet conversation de toute la ville et donne lieu à une rivalité assez poussée.
Colonisés par la Premier League
Les Sud-Soudanais ne supportent donc ni les équipes du Sud, ni celles du Nord. On n’est d’ailleurs autorisé à ne soutenir que quatre équipes au Sud-Soudan: Manchester United, Chelsea, Liverpool ou Arsenal (Manchester City commence doucement à s’immiscer), et comme la coutume le veut en Afrique de l’Est, un certain nombre de chauffeurs de taxi ou de bus affichent leur préférence à l’arrière de leur véhicule. Ce sont les seuls clubs dont la quasi-intégralité des matches sont diffusés dans les bars et restaurants, via la chaîne Supersport. Le nombre de téléviseurs étant assez limité, chaque diffusion rassemble toujours un grand nombre de personnes. Le faible niveau de jeu explique ce manque de ferveur autour des équipes locales.
La sélection sud-soudanaise préparant son match amical contre le Nigeria (AFP Photo / United Nations Mission in Sudan - UNMIS / Paul Banks)
Une équipe nationale à inventer
Aucun Sud-Soudanais ne joue dans l’équipe nationale, bien que l’on puisse aisément imaginer que cela tienne autant à des raisons politiques qu’à une question de niveau. Une équipe nationale tout à fait honorable, puisqu’elle est parvenue en demi-finale du Championnat d’Afrique des Nations, bien aidée par le fait qu’aucun de ses joueurs ne joue en Europe. Tous viennent en effet exclusivement des deux clubs rivaux de Khartoum susmentionnés, Al Hillal et Al Merreikh. L’équipe soudanaise ne sortira donc pas affaiblie de cette séparation politique. Parmi les pays les plus sous-développés du monde (malgré ses revenus générés par le pétrole, quasi exclusivement investis dans l’armée), le Sud-Soudan ne dispose que d’un stade, à Juba, assez peu utilisé, et d’aucune infrastructure digne de ce nom pouvant permettre une formation des jeunes… ni d’ailleurs d’aucune politique allant en ce sens.
Un ballon, un coach
Cela n’empêche pas la grande majorité des jeunes de Juba de jouer, après l’école, pas spécialement parce qu’ils y vont, mais parce qu’entre 9h et 16h, il fait beaucoup trop chaud. Juba compte un certain nombre de terrains de foot, tous utilisés non-stop pendant les heures "jouables", malgré l’état déplorable dans lequel ils se trouvent. Il m’arrive ainsi, assez souvent, d’aller jouer avec eux, quand une crise de palu ou autre maladie exotique ne m’en empêche pas (une fois sur deux, donc). En espérant tomber sur un jour où le coach a décidé de venir, les entraînements n’étant évidemment pas planifiés. Des équipes de quartiers se forment, sans autre structure qu’un coach, plus âgé, un ballon, rarement plus, et un terrain. S’y intègrent ceux qui souhaitent, qui habitent dans le coin. Avec un seul ballon, les entraînements s’adaptent: entraînement physique au début pour les plus ponctuels, puis opposition, où le but de chaque équipe est de garder le ballon avec un minimum de touches de balle.
(AFP Photo / United Nations Mission in Sudan - UNMIS / Paul Banks)
Terrains disputés au bétail
Les rencontres sont souvent jouées le samedi, matin ou soir. Les distractions étant rares dans la ville, les matches de foot un minimum organisés (sous-entendu, avec deux équipes définies, des maillots et des chaussures) attirent toujours un public d’enfants et de passants, qui voient là un moyen comme un autre d’occuper leur fin de journée. Concernant le jeu lui-même, il est difficile d’y voir des particularités proprement nationales. Un engagement physique certain, mais pas spécialement l’individualisme que beaucoup prêtent aux jeunes joueurs africains. Disciplinés en début de rencontre, on voit cependant les joueurs, le match avançant et l’intensité physique faiblissant, s’essayer à quelques grigris, pas toujours efficaces, mais souvent salués par l’approbation du public. Il faut composer avec un terrain souvent médiocre (l’une de mes dernières courses sur l’aile droite de l’attaque s’est finie avec une épaule déboîtée), abîmé par le bétail qui vient y chercher en saison sèche les dernières réserves d’herbes… parfois pendant un entraînement ou un match, ce qui n’est pas sans créer quelques soucis logistiques.
J’ai pour ma part le plus grand mal à saisir les subtilités tactiques, ne parlant pas un mot de la langue dans laquelle mon coach et mes partenaires persistent à vouloir me conseiller…
[1] En premier viennent les Tutsis, nous dit Wikipédia, si ça intéresse quelqu’un.