Coach Potato le 03/07/2014 à 21h19
Hommage à l'Andalousie
Il existe une fraternité invisible entre ceux qui ont connu pire que la défaite : Le désespoir. Je ne parle pas des gens bien mis qui s'inclinent pour la révérence décennale au monument aux morts. Ceux là pratiquent la mention passable à l'histoire pour mieux poursuivre la chimère de la construction du supporteur conforme à leur goût.
Au front, sur son canapé, le supporteur aura besoin de crakers trop salé, de chips au glutamate goût bacon, de bière fraîche, d'un adversaire bien détestable, d'une compagne qui aura piscine loin de la télécommande et de potes avec qui partager la promesse d'une désespérance abyssale plus sure que des lendemains qui klaxonnent aux niveau des tempes migraineuses. Ailleurs, aux terrasses des cafés, l'angoisse d'un sort funeste abolit les classes. Une proximité sérieuse du front frappe la toile bleue comme le col blanc. Dans les pires moments d'allégresse, on s'y tutoie. On fraternise. Mais rien ne sera plus fondateur que ce silence de l'amer qui suit le tumulte des batailles perdues où l'on entend râler les blessés restés sur le pré.
Le football n'est pas qu'une histoire de vie ou de mort mais bien plus que ça. Au-delà du sophisme, on devine une culture du supporteur qui se bâtit par par l'agrégat de mille petites histoires qui créent leur Histoire personnelle. Aux institutions d'écrire l'histoire officielle qui forgera l'allégeance à l'oligarchie et décide lorsqu'il sera opportun d'aller pendre notre linge sur la ligne Siegfried. Les peuples subissent les guerres toujours tragiques au profit des états-nations. Le supporteur choisit ses batailles à sa convenance ; il a donc une responsabilité assumée dans ses drames. Aux supporteurs de gérer leurs moments de joie partagée, les larmes qui précèdent de peu l'envie de revanche légitime, s'il en décide ainsi.
Ainsi le fan de foot reste un agent conservateur. Son présent est déterminé par la succession d’événements parfois traumatisants qu'il a vécu directement ou par procuration. Sa condition lui commande d'assumer la continuité historique de ses aînés pour en porter le poids. En effet, le hasard facétieux des compétitions internationales impose de patienter une génération avant de proposer une revanche ou une belle. Les fringants combattants de la veille, avec leurs volonté farouche pour bagage, leurs muscles grecs ... en muscle, ne craignait pas l'épreuve de consommer sans modération les jours de matches; nulle crainte de grignoter trop salé trop sucré, seulement de manquer de chips goût paprika. Lorsque la partie la plus vieillissante des amateurs de football se meurt, c'est une vidéothèque VHS qui brûle. Ainsi, nos souvenirs douloureux perdureront en nos descendants pour les guider vers un futur dont ils héritent mais qui leur appartient. Nos défaites comme nos joies représentent les griffes du collier de Craô transmis à Rahan pour que le fils des âges farouche n'oublie jamais la condition de ceux qui marchent debout. Il existe une griffe pour Séville, une pour Harald Schumacher, une griffe pour Monsieur Corver. M. Foot fut un salaud éphémère, M. Corver un €#c_£é perpétuel de l'académie des €#c_£é$.
A l'arrière, on croise aussi des footix. Eux aussi ont tâté du front pour savoir qu'on y perd autant les batailles que les grandes illusions. Au front, il n'y a pas de bons combattants, que des vieux combattants. Au moment de s'engager, ils imaginait des grands soirs qui klaxonnent, des lendemains qui chantent les trois zéros. Maintenant ils savent évaluer l'endurance des nouvelles recrues et mesurent l'inanité des slogans des équipementiers. Ils mesurent le dérisoire d'une Ola factice télécommandée. La tribu de Danette reprend son indépendance et boude le produit dérivé parfois à moins de sept millions de téléspectateurs. Le footix se retrouve à la croisée des chemins pour éprouver son engagement : La voie tracée pour eux par les rentiers lumineux du storytelling qui leur implante des souvenirs sélectionnés ou rejoindre ceux qui marchent debout pour tracer la route de leur choix.
L'histoire ne se construit pas à coup de séquences destinées à se voir archiver au profit d'une nouvelle. L'histoire se vit en continuité pour éclairer les choix personnels, en conscience. Ainsi, la partie la plus vieillissante des amateurs de football peut choisir de remiser Knysna, Séville, Harald Schumacher et M. Corver, cet €#c_£é de M. Corver. Libre de mon choix et globalement hermétique au constructivisme, je choisi de ne pas archiver ces souvenirs. Comme dernières volontés avant de monter au front, je demande expressément à ne pas être ranimé en cas de coma éthylique et d'overdose de chips goût moutarde à l'ancienne.
Demain, je monterai avec le calme des vieilles troupes. J'ai lu les déclarations de Harald Schumacher, cet €#c_£é de Harald Schumacher. Dans ma palette de souvenirs de partie la plus vieillissante des amateurs de football, j'ai ressenti le goût métallique du sang qui se répand dans la bouche éprouvé à l'occasion de chocs au visage. J'ai repensé à Patrick Battiston et aux images de Séville. Puis j'ai ressenti le goût des rutabagas. Le goût du rutabaga m'a été transmis culturellement par mon grand-père sans que j'aie à en manger. Classe 36, revenu en 45 sous uniforme canadien, il n'a jamais envisagé de me priver des saveurs subtiles et rustiques des légumes oubliés. Il voulait que j'ai le choix et qu'on ne m'impose plus de devoir en manger par la force. Harald Schumacher a une belle tête de rutabaga. Lorsque je l'entends, j'ai envie d'occuper la Ruhr et d'aller pendre mon linge sur la ligne Siegfried. Ça se commande pas !
Et sinon, ma canne de partie la plus vieillissante des amateurs de football, vous l'avez vu ma canne ? Les vieux sont incontinents et ont une fâcheuse propension à pisser quand bon leur semble, surtout à la raie de la tribu de Danette. Vous me direz, c'est facile, ils se lèvent tous ensemble quand on le leur demande. Qui sait demain, à l'issue de la bataille, je choisirai de remiser l'Andalousie. Ce sera du passé quand JE l'aurai décidé. Et les France Allemagne redeviendront des matches normaux. Ou pas. En attendant :
No Pasaran !
Excuses à la famille de George Orwell, toussa.