Afrique du Sud, un air de Coupe du monde (2)
Reportage – Le boom économique du football sud-africain fait lentement progresser son standing et remplit de mieux en mieux des stades paisibles... sans occulter les réalités du pays.
Auteur : Clément Rivière
le 26 Jan 2010
Niveau National ou Ligue 2? Difficile d’émettre un avis sur la PSL tant ce qu’on a vu au stade ou à l’écran pouvait sembler brouillon. Qualités physiques, capacités techniques... mais authentique bordel sur le pré. Donnons d’abord la parole aux optimistes, comme le 9 de l’Ajax Sifiso Vilakasi: "Le niveau est très élevé, man. Et il va être encore beaucoup plus élevé cette saison. Le championnat grandit". Son coach turc Ertrugal prêche pour sa paroisse: "Il y a désormais de très bons entraîneurs qui viennent ici, comme Ruud Krol ou Hristo Stoichkov. Le problème est que le travail tactique n’est pas très développé dans les sections de jeunes, mais cela change progressivement avec l’arrivée d’entraîneurs internationaux". L’effet Mondial se fait sentir: "Beaucoup de stades ont des infrastructures magnifiques, beaucoup d’argent est investi, c’est aussi ça qui attire les étrangers".
Outsider en Afrique
Si Hristo symbolise le buzz sud-africain avec sa signature surprise aux Sundowns neuvièmes l’an dernier avec Henri Michel aux manettes – viré en mars sous la pression des fans –, sa venue ou la victoire des Chiefs en juillet sur Manchester City ne doivent pas faire illusion, comme le montrent les résultats des clubs du cru en Afrique. Les Pirates ont bien gagné la Ligue des champions africaine en 1995 (contre l’ASEC Mimosas) et les Chiefs la C2 en 2001, mais ces succès masquent des résultats dignes de la fréquence des cocoricos en Europe, dans un contexte d’abondance financière relative pourtant plus favorable. L’an dernier les champions de SuperSport Utd se sont fait sortir en seizièmes par les… Ougandais du Kampala City Council, pendant que l’Ajax faisait la même contre les Zimbabwéens de Monomotapa. L’année d’avant, les deux clubs sudaf’ s’étaient fait sortir en huitièmes, comme l’année précédente: seuls les Pirates (2006) ont atteint le dernier carré depuis une finale perdue par les Sundowns contre les Égyptiens d’Al-Ahly en 2001.
Lunga Sokheld, directeur marketing d’AmaZulu: "Au niveau du jeu, on a encore beaucoup de choses à faire pour être au niveau des meilleures équipes d’Afrique. À part les Pirates, nos clubs n’ont jamais réalisé de grandes performances". À Bloemfontein on avance l’explication d’un manque d’intérêt des clubs, qui ne recevraient de l’argent qu’à partir des quarts: "La PSL va renforcer la pression sur les clubs afin qu’ils jouent le jeu dans les compétitions continentales". Insuffisant a priori pour prétendre lutter avec les plus grands du continent, qu’ils soient tunisiens, nigérians ou égyptiens. "Je ne dis pas qu’il y a eu des cas où des équipes de PSL n’ont pas joué le jeu dans les compétitions continentales, glisse Kjetil Siem, président norvégien (sic) de la Ligue, mais l’impact sur les performances locales des clubs qui disputent ces matches peut être très lourd, notamment à cause de l’incroyable longueur des trajets".
Publicité pour les Kaizer Chiefs, Soweto.
"L'enfer" des vuvuzelas
Côté tribunes, les fans sont de plus en plus nombreux à assister aux matches: alors que les saisons 2006/2007 et 2007/2008 ont drainé une assistance moyenne d’environ 6.500 spectateurs payants, la saison dernière a atteint les 7.600 spectateurs de moyenne et les premières journées du championnat en cours dépassent les 8.000 par match. Mais les contrastes entre les clubs restent très marqués, certaines rencontres n’attirant que quelques centaines d’amateurs quand le derby de Soweto (Chiefs vs. Pirates) permet de vendre 60.000 tickets. Stadier pour les matches à domicile de l’Ajax, William observe cet engouement: "Ce n’était pas aussi gros avant, même s’il y avait du monde pour certains matches". Au stade le placement est libre, à l’ancienne. Pas de chants, pas de claquements de mains, juste l’enfer du vrombissement des vuvuzelas. L’impertinence se limite à réclamer le changement d’un joueur à grands moulinets de bras. Plus incroyable, des mecs viennent au stade avec le maillot de l’équipe rivale de l’une des équipes qui joue. Ou avec celui d’une team qui n’a rien à voir. "Cela arrive à tous les gros matches, explique Mark Mayer, l’attaché de presse de l’Ajax, ils viennent supporter le football".
S’ils viennent surtout pour chambrer d’après l’ami stadier, ils viennent aussi "pour apprécier le match". Sa collègue Zoe confirme qu’il n’y a "pas tellement" de problèmes de violence, "sauf que les gens aiment bien s’asseoir dans les escaliers alors qu’ils n’ont pas le droit". So far so good, imaginons qu’un marseillais emmailloté se cale en Boulogne pour un PSG-Lyon, ou inversement… Les Chiefs ont bien écopé fin août d’une amende sans précédent dans l’histoire de la PSL, 500.000 rands pour une interruption de match après des lancers de projectiles sur le terrain, mais la dureté de la sanction et de la position des dirigeants du club indique la rareté des incidents graves dans les gradins de PSL: ce soir-là les supporters se seraient comportés comme les "pires ennemis" du club. Même son de cloche du côté d’AmaZulu: "Il y a très peu de cas de violence, et en général ce ne sont pas des cas sérieux. Nos supporters se comportent très bien, on est probablement parmi les meilleurs au monde concernant le comportement des fans. Ici, ils sont beaucoup plus agressifs au rugby". L’Afrique du Sud, le monde à l’envers?
Match des Kaizer Chiefs
Rainbow Soccer ?
L’abolition de l’apartheid (juin 1991) a-t-elle conduit à une transformation du rapport au foot des sud-africains? Sous l’apartheid, les fédérations de foot étaient séparées par "couleurs " et les matches "interraciaux" interdits, entraînant l’exclusion de l’Afrique du Sud de la FIFA et de la CAF, des années 60 jusqu’à la réunion fin 1991 de toutes les associations de football au sein de l’actuelle South African Football Association (SAFA). "Traditionnellement, les blancs regardent le rugby et les noirs le foot. Mais les choses changent aujourd’hui. Depuis la fin de l’apartheid beaucoup de jeunes noirs vont dans des écoles où ils jouent au rugby, et les blancs se mettent à aimer le football, avec la Coupe du monde à venir leur intérêt grandit. Le foot devient de plus en plus mélangé, cela change lentement", observe le directeur marketing d’AmaZulu, qui compte quatre joueurs blancs dans ses rangs.
Zoe la stadière, noire comme la quasi-totalité de ses collègues, estime que le mélange s’amorce: "Depuis la fin de l’apartheid les choses changent pour le foot, maintenant les blancs viennent aussi, tout le monde vient. Avant ce n’était pas du tout comme ça, le foot c’était pour les noirs. Mais le foot reste beaucoup moins cher que le rugby, c’est vingt rands l’entrée, maximum vingt-cinq". Soit deux euros le ticket pour la PSL, à comparer aux centaines de rands à débourser pour les grands matches des Boks.
C’est que si le foot-business se développe à très grande vitesse, les inégalités sociales demeurent. À Bloemfontein, avant notre visite au siège du Celtic, on avait croisé une manif’ de travailleurs municipaux. Et Vicky, déléguée syndicale, qui comme les autres vidait des sacs d’ordures dans la rue pour attirer l’attention. Leur revendication principale: un salaire minimum de 500 euros, au lieu des 300 actuels. "Nous sommes prêts pour la Coupe du monde, et nous espérons qu’elle améliorera notre économie. Si vous regardez les pancartes, il y en a une qui réclame des augmentations pour pouvoir acheter des tickets pour 2010".
Tous propos recueillis par Clément Rivière, à Jo’Burg, au Cap, à Durban et à Bloemfontein.
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