La faillite disciplinaire du foot français
L'affaire des faux passeports a mis sur le gril les différentes instances de la Ligue (en particulier son Conseil d'administration et ses Commissions de discipline et juridique), contraintes de gérer un dossier explosif et politiquement miné, qui se résume par cette question: "Comment sauver le foot d'élite et nous avec?". Elles y jouent une crédibilité déjà fort atteinte par ailleurs dès qu'il s'agit de faire respecter un minimum de discipline, et qui risque bien d'être emportée par le scandale si le scénario d'une amnistie très sélective l'emportait. Dans ce dossier, on verra dans les semaines qui viennent si la Ligue a restauré ses principes ou simplement et provisoirement fait illusion (voir Faux passeports et vrais procès et Sanctions: les Verts en enfer…).
Les doutes sur la gestion de ce dossier s'ajoutent à la longue liste des dysfonctionnements de l'appareil de la justice sportive, et les conflits qui s'accumulent depuis quelque temps témoignent que le "seuil de tolérance" est largement dépassé, comme l'ont indiqué eux-mêmes des arbitres très remontés.
Une commission d'appel ridicule
Nous en avons souvent parlé sur ces pages, la vilainement nommée "Commission d'appel et de l'éthique" a pris pour habitude de réduire systématiquement les sanctions prises par la Commission de discipline, ruinant totalement leur crédibilité, qu'elles touchent les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants ou les clubs, qu'elles s'évaluent en amendes ou en jours de suspension.
Le rôle d'une commission d'appel n'est pourtant pas d'élargir systématiquement les prévenus, mais de réexaminer les éléments de l'accusation. Elle peut tout à fait alourdir une peine et sanctionner ainsi les recours abusifs, renforcer la jurisprudence. Celle que préside Laurent Davenas fait tout le contraire, et ne consiste que dans une chambre d'allègement, devant laquelle il suffit de se présenter pour obtenir gain de cause. Cette situation a conduit à une tolérance lamentable pour les actes de violence commis sur le terrain ou dans les tribunes. Elle a surtout entraîné l'isolement croissant du corps arbitral dont l'autorité, déjà contestée au moment de l'exercice de leurs fonctions, est annihilée par le laxisme institutionnel.
Sur le sujet, voir dans nos archives : Arbitrage et discipline: une faillite bien organisée (1) et (2), février 2000, et les plus récentes Gazettes 24 et 25.
Les clubs, sociétés à responsabilités très limitées
Dernière preuve du n'importe quoi actuel, les "sanctions" prises dans l'affaire du Strasbourg-Metz ayant vu la blessure de Nelly Viennot ont une nouvelle fois suscité la perplexité. Alors qu'à peu près partout en Europe un tel incident aurait sans discussion possible entraîné la perte du match, assortie d'une suspension du stade avec ou sans sursis, la Commission a pris une décision aussi bancale que faible, le match devant être rejoué à huis clos et un match de suspension étant infligé au Racing. Quelques jours après avoir retiré 7 points à l'ASSE, la Ligue retrouve ses réticences à trancher dans le vif du classement. Récemment, le PSG avait vu son amende de 500 000F (pour le jet de siège de PSG-OM) commuée en provision de 300 000F pour un audit sur la sécurité... Autre exemple moins dramatique: le jet de pile au Vélodrome ayant atteint le gardien monégasque a valu 50 000F d'amende à l'OM. A ce tarif, on voit mal ce qui retiendra le bras du prochain crétin.
Et l'on reparle des sanctions qu'il faudrait appliquer quand les gestes habituels (jets d'objets divers) ont des conséquences dramatiques. Et l'on répète: tant que des mesures injustes, mais seules efficaces, comme la suspension des stades ou des amendes très lourdes ne seront pas prises, il faudra s'attendre à la répétition de ce genre d'incidents, totalement banalisés. Et l'on entendra indéfiniment des responsables comme Patrick Proisy déclarer "Notre responsabilité ne peut être mise en question dans cette affaire".
Car le problème est bien là: la Ligue dégage les clubs de leurs responsabilités, à l'égard leurs joueurs et de leurs cadres comme de leurs supporters, elle est prête à jurer de l'innocence et de la bonne foi des dirigeants avant même que leur cas ne soit examiné. Elle les protège en fait d'une véritable justice sportive.
À trop tirer sur l'arbitre…
La mansuétude des Commissions a logiquement conduit une dégradation progressive du climat, avec des dirigeants qui se permettent des pressions de plus en plus explicites, prennent en otage les arbitres ou les soumettent à la suspicion (voir la polémique Aulas-Courbis). Tout est permis, et les pressions verbales, voire physiques, exercées sur le terrain ou au bord de la touche par l'entraîneur ou le banc sont elles aussi gentiment tolérées…
La décision se rejouer Strasbourg-Metz a contresigné le mépris dans lequel est tenu le corps arbitral, composé d'emmerdeurs qui ont le tord de se trouver sur la trajectoire de la haine, sacrifiés sur l'autel du spectacle-qui-doit-continuer, abandonnés à eux-mêmes, chaînons faibles du foot pro qu'il convient de maintenir en état d'impuissance (pour mieux faire pression sur eux ou les accuser de tous les maux).
Aujourd'hui les arbitres, après avoir une nouvelle fois déclaré leur ras-le-bol en début d'année, ruent plus sérieusement dans les brancards, UNAF et CCA en tête (Union nationale des arbitres de France, présidée par Bernard Saules et Commission centrale de l'arbitrage, présidée par Michel Vautrot). Ils ont ainsi signifié leur refus collectif d'arbitrer le Strasbourg-Metz à huis clos, et menacé de retarder le coup d'envoi de la prochaine journée de championnat. Surtout, des voix s'élèvent pour demander à ne plus dépendre de la Ligue, qui leur semble incapable de garantir des conditions de travail satisfaisantes et dont la partialité menace leur propre indépendance. Cette gifle symbolique devrait faire rougir quelques joues au sein du CA de la Ligue, sachant que la Fédération (Simonet ayant fait de l'arbitrage un chantier prioritaire de son nouveau mandat) sera prête à étudier, avec le ministère, des solutions pour séparer les arbitres d'une tutelle désormais suspecte…
Tout le monde peut aujourd'hui constater l'incapacité de la Ligue à assurer des fonctions qui requièrent une impartialité et une rigueur sans faille. La mainmise des dirigeants sur la LNF, du clan "élitiste", a déjà compromis certains rapports au sein de la "famille" du foot pro, et fait naître la crainte de la dérive d'un foot pro auto-géré. Au moment où un certain laxisme est condamné au travers avec l'affaire des faux passeports, les indulgences de la Ligue sont d'autant plus inacceptables. N'importe quel audit sur sa politique disciplinaire concluera à sa faillite intégrale, sur tous les tableaux. C'est peut-être une telle étude que Bourgoin et consorts devraient s'offrir avec les amendes collectées.