Publics ennemis

Après le livre co-signé par Michel Houellebecq et Bernard Henri-Lévy, c’est un autre ouvrage à quatre mains qui défraie la chronique littéraire: intitulé « Publics ennemis », il est l’oeuvre de Mahmoud Ekraz Libri, un supporter tunisien de nationalité française, et de Guy Naisse, un indépendant de la tribune Boulogne du Parc des Princes. Comme dans le cas de l’écrivain réactionnaire et du pseudo-philosophe gauche caviar, tout semblait pourtant opposer les deux auteurs… C’est pour mieux comprendre les motifs de cette improbable union que la cellule « Anthropologie urbaine et connaissance des grands primates » de Paris Sonne le Glas a rencontré Mahmoud et Guy pour une interview exclusive.

Votre titre est un clin d’oeil direct au pamphlet de Houellebecq et BHL… Vous vous situez dans la même démarche qu’eux?

Guy: Euh… En fait, euh… C’est notre éditeur qui a choisi le titre…

Ah… Vous voulez dire que vous n’avez pas lu le livre « Ennemis publics »?

Mahmoud: Ben non… Faut dire, un bouquin écrit par un raciste et par un Juif, ça donne pas trop envie… [Rires]

Bon, venons-en à votre ouvrage… D’où vous est venue l’idée de « Publics ennemis »?

Guy: C’est vrai qu’à la base, on n’a rien pour être potes… Et on n’est pas potes, d’ailleurs! [Rires] Mais ça nous empêche pas d’avoir des points communs et d’avoir eu envie d’en parler.

Quels points communs?

Mahmoud: Ben déjà, tout le monde nous déteste… Lui et ses potes ils allument les cas sociaux du Nord, bam! C’est un deuil national… Moi et mes sosses on te fracasse la Marseillaise, bingo! C’est un scandale d’Etat.

Guy: Ouais! Nobody likes us and we don’t care!

Et à part ça?

Mahmoud: Ben c’est déjà pas mal, comme point commun… Et puis imagine: moi j’ai 18 ans, Guy il en a 21, et on fait la Une des journaux, y a Sarkozy qui parle de nous, tous les pingouins à la télé qui te prennent leur vieil air de la République en danger et qui viennent faire des leçons de morale… C’est trop énorme – chacun à notre manière, on a grave représenté.

Bon, d’accord… Mais politiquement, tout vous sépare…

Guy: Alors là je t’arrête: nous, à Boulogne, on fait pas de politique… Disons au maximum qu’on est des patriotes, mais c’est tout.

Pour un patriote, le non-respect de la Marseillaise, c’est grave…

Guy: Bien sûr que c’est grave, on ne dit pas le contraire! On a même toujours dit ça, nous: Mahmoud et ses potes, ils respectent pas la France, ils ont rien à y foutre… Quand on les entend siffler la Marseillaise, on est content: ils montrent qu’on avait raison.

Et vous, Mahmoud: alimenter les thèses de l’extrême-droite, ça vous fait quoi?

Mahmoud: Franchement? Je m’en bats la race. Au moins, les gars comme Guy, on sait qu’ils nous aiment pas… Avec eux, c’est cartes sur table, c’est pas comme avec tous les connards hypocrites qui nous parlent d’égalité et qui glissent notre CV en bas de la pile…

Mais vous êtes nés en France, vous êtes français…

Guy: Arrête, t’as vu la gueule qu’il a? [Rires]

Mahmoud: On rigole, mais il a raison… Comment tu veux que je me sente français si tous les mecs que je croise me font comprendre que je le suis pas?

Alors vous vous sentez quoi? Tunisien?

Mahmoud: Bien sûr que je me sens tunisien, c’est mes racines, tu vois, le sang, il oublie pas…

Guy: Eh beh encore une fois, on est d’accord: lui aussi il est patriote… C’est juste que je préfèrerais qu’il soit patriote chez lui… [Rires]

Mais la Tunisie, vous y êtes allés souvent? Vous parlez arabe?

Mahmoud: Euh ça va, je me débrouille… Je sais dire chouia, barcha, la bèsse et d’accordo… Pas mal, non? Faut dire que j’y vais quinze jours tous les deux ans, quand même…

Et vous envisagez d’aller y vivre?

Guy: Pfff, me donne pas de faux espoirs…

Mahmoud: Vivre en Tunisie? Mais ça va pas, c’est trop la galère, là-bas… Je te jure, les cousins ils seraient prêts à venir à la nage… Non non, la Tunisie, c’est bon pour les vacances.

Guy: Ah ouais, c’est vrai que pour les vacances, c’est bien cool… Je suis allé y a cinq ans avec mes vieux à Hammamet, on s’est régalé.

Mais alors Mahmoud, chez vous, c’est où?

Mahmoud: Comment ça, c’est où? Ben c’est au quartier, où veux-tu que ce soit? C’est là qu’y a la famille, c’est là qu’y a les potes, elle est là ma vie…

Et le quartier c’est pas la France?

Mahmoud: Eh ben quoi, c’est un scoop pour toi? Tu fais comme les politicards, tu fais style ça t’étonne, tu fais style ça te choque? Putain de bouffon hypocrite, va… La France elle nous fout au quartier et elle veut pas qu’on en sorte, alors OK on reste au quartier mais nous on veut pas qu’elle y entre.

Dans votre livre, vous vous en prenez particulièrement à Hatem Ben Arfa… Pourquoi?

Guy: Parce que c’est un enculé de Marseillais! [Rires]

Mahmoud: Parce que c’est un traître, voilà pourquoi. Lui il est sorti de la cité, il a quitté les siens, et il a préféré défendre les couleurs de la France que celles de la Tunisie… On aime pas ça, nous, les frangins qui nous disent qu’on peut réussir dans ce putain de pays raciste, les frangins qui nous disent que notre place elle est ici et que le bled c’est qu’un mythe à la con… Font chier, les mecs comme ça.

Guy: Tu m’étonnes, ils nous font grave chier aussi! Si tous les bougnoules étaient comme le Ben Arfa, ou comme son pote Abdel Malek, tu sais, le bamboula intello qui se prend pour Jacques Brel, ben ce serait coton pour nous, hein… Ces mecs-là ils nous contestent la France, dis donc, ils disent qu’ils en font partie, et même pleinement, et même mieux que nous! C’est super re-lou, on préfère se coltiner des racailles gueulardes qui sifflent la Marseillaise, c’est plus facile pour nous.

Mahmoud: Ouais, c’est plus facile pour tout le monde… Chacun à sa place, chacun à sa peur, et les boeufs sont bien gardés.