Episode XXIX: Où au Sud-Ouest, il y a du nouveau

(Si vous n’avez pas lu les épisodes précédents, c’est mal, allez les lire… Oui oui, maintenant.)

Sitôt la Constitution adoptée, les promoteurs du jeu de plante se mirent dans leurs villes respectives à rassembler des équipes pour pratiquer la nouvelle discipline. L’échéance était fixée au 14 juillet 1792: à cette date, sur le modèle de ce qui s’était passé en 1790, une Fête de la Fédération devait être organisée. Des milliers de délégués des 83 départements seraient là, on demanderait au désormais « Roi des Français » de faire coucou au balcon, et, clou du spectacle, on organiserait la partie finale du tournoi visant à désigner la meilleure équipe de jeu de plante du Royaume – gloire à notre Nation indivisible et à notre Révolution si belle.

Des équipes, il s’en créa beaucoup, la plupart du temps de bric et de broc – il paraîtrait même que Metz tenta d’en avoir une. Mais seules quatre furent constituées dans les règles de l’art, avec une chance d’emporter la victoire finale.

Commençons par celle du fougueux orateur à la moustache imposante. Dès la fin de la Constituante, Claude Bezrissot sauta dans son carrosse rose et rejoignit Bordeaux avec la ferme intention d’y monter une redoutable escouade. Il commença par repérer un beau château dont le propriétaire, noble ruiné, était en haillons, et dont le parc était assez vaste pour accueillir un terrain respectant les normes récemment édictées. Il le racheta pour une poignée d’assignats, fêta son acquisition en vidant quelques bouteilles de la cave et en fumant de gros cigares importés du nouveau monde, et se mit à faire le tour du propriétaire. Il était déjà en train de prendre des mesures pour installer les buts quand il aperçut au milieu du pré ce qu’il prit d’abord pour un jeune garçon, et qui en fait était un nain assis dans l’herbe.

– Et toi là, dit Bezrissot, tu crois peut-être que notre belle Révolution a aboli la propriété privée? Tu te trompes de siècle, citoyen, dégage de chez moi.

– C’est que Monseigneur…

– Monseigneur! Non mais je rêve, non mais qu’on me pince! Ce temps-là n’est plus! Appelle-moi citoyen, enfin!

– C’est que, citoyen, j’avons travaillé tout’ not’ vie au château, où c’est-y donc que pourrions-je aller?

– Oh ça, je n’en Lescure! Va où tu veux, mais dégage de chez moi!

– Foutredieu pas question, hurla le nabot… J’y suis, j’y resse!

– OK OK, J’y resse, pas la peine de trépigner, tenta de le calmer Bezrissot… Bon, dis-moi, que faisais-tu dans ce château?

– J’étions jongleur, Mons… euh, citoyen.

– Jongleur?

– Oui, jongleur avec les pieds… On me lançoit une balle, deux balles, trois balles, je devions jongler sans les toucher avec les mains. Je pouvons vous jurer sur la Sainte Vierge qu’à ce petit jeu-là, y en a pas un aussi habile que moi de tout le Royaume de France!

Bezrissot sourit: pour un début, c’était un bon début… Il avait déjà un terrain, une cave, un château et une première recrue.