Episode XXVI: Où se forme le club des quatre

(Si vous n’avez pas lu les épisodes précédents, c’est mal, allez les lire… Oui oui, maintenant.)

La diatribe de Francis Borespierre fut accueillie de manière variable par l’Assemblée. Vue l’heure avancée, une majorité de délégués dormait; parmi les éveillés, certains étaient joueurs de paume et n’étaient pas enthousiasmés par la proposition; quelques-uns, au contraire, avaient été soulevés par l’art oratoire de Borespierre; de nombreux, enfin, n’en avaient globalement rien à foutre.

On allait passer à un autre sujet quand un délégué bordelais à l’imposante moustache noire demanda la parole:

« Délégués, dit-il, je me nomme Claude Bezrissot et souhaite apporter tout mon appui aux propos qui viennent d’être prononcés. La France a besoin de se renouveler jusque dans ses plaisirs quotidiens, c’est un fait. Plus important encore: elle a besoin de se fédérer. Quel meilleur symbole qu’une joyeuse activité publique, pratiquée par tous, ouverte au riche comme au nécessiteux, qui rassemblerait en joutes communes les différentes provinces qui composent notre Nation? Cette idée du jeu de plante est plus que pertinente: elle est salutaire. De Bordeaux à Grenoble, de Marseille à Valenciennes, de Brest à Metz, tout le pays vibrera bientôt d’une passion partagée. »

Voyant qu’une seconde voix s’était élevée pour défendre le jeu de plante, et de crainte qu’un troisième illuminé n’apporte une nouvelle pierre à cet édifice dispensable, les délégués s’empressèrent d’adopter cette proposition, qui devait d’ailleurs être l’une des seules rapidement acceptées par Louis XVI (lequel rechignait quelque peu à dépouiller noblesse et clergé de leurs privilèges mais se souciait comme d’une guigne de l’avenir du jeu de paume, qu’il ne prisait guère).

Dans l’assistance vite passée à un autre sujet, deux personnes avaient attentivement écouté la proposition de Borespierre: l’un était un jeune officier corse nommé Bernardo Bonapartapi qui se rêvait un destin grandiose; l’autre était un noble vendéen, Jean-Claude-Athanase Charette de Suaudeau, quelque peu effrayé par la tournure que prenait la Révolution. Le premier se dit « Eh, avec ce jeu de plante, l’Europe parlera corse »; le second pensa «Parfait, voici l’occasion de montrer à tous ces républicains fanatiques la supériorité du sang bleu sur le tout-venant et la roture ».

Et tous les quatre, Borespierre, Bezrissot, Bonapartapi et Charette de Suaudeau se mirent à élaborer leur stratégie…