Episode XXIII: Où le jeu de balle est victime de raquette

(Si vous n’avez pas lu les épisodes précédents, c’est mal, allez les lire… Oui oui, maintenant.)

Le lendemain, les badauds entassés virent arriver le Roi et un membre de sa suite, en chemises et chausses, portant des battoirs qu’ils appelaient raquettes et une petite balle qu’ils dénommaient esteuf… Ils se mirent de part et d’autre d’un filet tendu et commencèrent à s’échanger l’esteuf avec une énergie et une habileté qui très vite déclenchèrent les exclamations… C’est sous un tonnerre de vivats que la partie s’acheva – le jeu de paume venait de conquérir durablement le coeur des sujets du bon Roi Henri.

La mode, bientôt, submergea le Royaume. Les nobles se disputaient le titre de paumier le plus assidu, et il n’était pas rare d’entendre dans les salons « Madame, veuillez avoir la bonté d’excuser notre retard; le Marquis et moi nous sommes un peu paumés aux Tuileries en chemin ». Les bourgeois se joignirent à l’élan, et il était fréquent d’entendre une épouse se plaindre: « Ah, ma chère! Mon mari m’inquiète: il est encore en train de paumer… Et comme il intéresse ses parties, je crains que nous n’en sortions ruinés. » Jusque dans les campagnes, la nouvelle folie fit tourner les têtes: « Le Jacquou? Ouh, il est parti aux paumes et j’savons point quand il s’en va revenir, ça lui met la tête tout en compote! ».

La paume était une lame de fond – que dis-je! – c’était un raz de marée. Les autres jeux tombèrent en désuétude… Les successeurs d’Henri IV maintinrent le cap de sa saine politique: d’une part, renforcer l’unité du Royaume de France et le pouvoir de la maison royale; d’autre part, continuer à vanter les mérites du jeu de paume, exutoire du peuple et ciment de la Nation… C’est droit sur ces deux jambes-là que l’Ancien Régime marchait vers son destin.