Ni buts ni soumises » Bergerôo, clap de fin

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Bergerôo, clap de fin

Un mois après les jeux mais dans une impression de précipitation, le sélectionneur Philippe Bergerôo a été remercié et remplacé par Olivier Echouafni, nouveau venu dans le monde féminin.

Le parcours du désormais ancien sélectionneur comporte clairement deux phases avant et après la Coupe du monde canadienne.

Désormais son successeur a près d’un an pour composer une équipe pour un Euro pour lequel elle est déjà qualifiée avec en point de mire la Coupe du monde 2019 à domicile. Cela signifie sans doute rompre avec l’ossature qui constitue l’équipe de France depuis un peu plus de dix ans.

Les Bleues ont ramené de Rio un certain sentiment d’échec qui ne tient pas tant à l’absence de médaille qu’à la manière dont elles sont sorties de la compétition. Le chemin le plus probable sur le papier leur promettait d’avoir à battre les États-Unis ou l’Allemagne pour accéder aux demis-finales. Dans ces conditions un retour sans médaille aurait pu être une déception mais rester conforme à la logique.

Mais l’Allemagne a eu la délicatesse de passer par les chemins de traverses pour aller chercher le titre olympique. Et les Bleues ont eu à affronter le Canada en quart de finale. Malgré leur tournoi très positifs, les joueuses de John Herdman étaient clairement sur le papier à la portée de celles de Philippe Bergerôo. Mais ces dernières n’ont jamais donné le sentiment de jouer un match décisif.

Après la rencontre, le sélectionneur a pointé un problème mental récurrent de son équipe évacuant un peu vite sa propre responsabilité même si son constat n’est pas dénué de tout fondement.

Bien que prolongé jusqu’en 2017, Philippe Bergerôo avait déjà laissé entendre avant les Jeux qu’il pourrait ne pas aller au delà de Rio. L’impression olympique rendait très improbable son maintien à la tête de l’équipe de France. Le calendrier de son éviction est toutefois légèrement étonnant même si la France étant déjà qualifiée pour l’Euro 2017 aux Pays-Bas, les Bleues ne vont jouer que des matchs sans enjeux directs jusque là et ne feront que préparer cette échéance cette saison.

On ne reverra pas Louisa Necib sous le maillot bleu.

On ne reverra pas Louisa Necib sous le maillot bleu.

Il s’est passé près d’un mois entre l’élimination contre le Canada le 12 août et le remplacement de Philippe Bergerôo par Olivier Echouafni le 9 septembre. Cette nomination intervient quelques jours seulement avant les matchs contre le Brésil et l’Albanie. La communication de la liste des joueuses sélectionnées pour ces matchs a même été repoussée de quelques jours à cause de cela et interviendra dimanche, la veille seulement du début prévu du rassemblement.

L’impression qui prédomine est celle d’une grande précipitation : si le sort de Philippe Bergerôo semblait scellé dès Rio (voire avant), le choix de son successeur fleure bon l’improvisation. Il semble que l’absence de candidature interne à la DTN et l’impossibilité de débaucher Corinne Diacre de Clermont ait poussé la FFF à trouver en urgence un candidat qui avait comme qualité d’être disponible.

Sur le papier, le profil d’Oliver Echouafni ne suscite pas un grand enthousiasme. Né à Menton, il débute sa formation dans le club voisin de Monaco et la termine à Marseille. Il profite des affaires qui envoient le club phocéen en D2 en 1994 pour s’y faire une place. Il fait ensuite une honnête carrière de milieu défensif à Strasbourg, Rennes et la termine chez lui à Nice. Titulaire du BEPF, il entraîne ensuite Amiens en National puis Sochaux en Ligue 2 sans particulièrement se faire remarquer par la qualité du jeu pratiqué par ses équipes.

Bref le nouveau sélectionneur des Bleues n’apporte ni une qualité de jeu reconnue, ni une aura d’ancien joueur ou entraîneur à succès ni une quelconque connaissance du football féminin.

Bien sûr il n’est pas question de le discréditer avant même sa première liste, son premier entraînement et son premier match. Mais sa nomination pose quelques questions sur la procédure de désignation du sélectionneur de l’équipe de France par la FFF ou sur l’attractivité du poste, y compris au sein de la DTN. Le calendrier n’aide sans doute pas puisque ce n’est pas en septembre que les entraîneurs sont disponibles en général mais ce point aurait sans doute pu être anticipé.

Et bien que les contrats des sélectionneurs soient faits pour ne pas être respectés (surtout s’ils ont été prolongés peu avant), la durée de deux ans est très étonnante puisqu’elle mène à une période exactement à mi-chemin entre le prochain Euro et la Coupe du monde.

Un bilan contrasté

S’il part sur un échec1, le bilan de Philippe Bergerôo comporte assez nettement deux phases distinctes séparées par la Coupe du monde au Canada. En reprenant la sélection après l’Euro 20132, son apport n’a d’abord pas été dans la constitution du groupe, quasiment identique à celui de Bruno Bini mais dans le choix des adversaires. Sous ses ordres, les Bleues ont affronté six fois les États-Unis dont cinq fois en match amical, trois fois l’Allemagne, l’Angleterre et le Brésil. L’objectif affiché était de préparer l’équipe à aborder et à jouer les matchs qui comptent.

Dans un premier temps les choses ont plutôt bien fonctionné. En dehors d’un nul contre l’Écosse avec une équipe remaniée3 et d’une délicate tournée américaine avec de nombreuses absences et des délais de récupérations trop courts, les Bleues ont tout emporté sur leur passage entre septembre 2013 et mars 2015 en remportant 23 matchs sur 27 contre des adversaires comme les États-Unis, l’Allemagne, la Suède, le Brésil ou l’Angleterre4. Cela leur a permis de passer de la sixième à la troisième place mondiale.

Le premier accroc a été la finale de l’Algarve 2015. Revanche de la victoire contre les États-Unis un mois plus tôt à Lorient, ce sont cette fois les Bleues qui étaient plus diminuées que leurs adversaires et qui n’ont rien pu faire. Curieusement, cette défaite a plus semblé être un coup d’arrêt dans la dynamique des Bleues que n’avait pu l’être celle concédée neuf mois plus tôt contre le même adversaire à Tampa.

Mais c’est peut-être une interprétation a posteriori. Les Bleues ont continué leur route jusqu’à la Coupe du monde au Canada où leur premier tour a été indéchiffrable : une victoire à la Pyrrhus contre l’Angleterre5, une défaite sans conséquence contre la Colombie et une victoire trop facile contre le Mexique. Puis elles ont gagné le deuxième match à élimination directe de leur histoire contre la Corée du Sud avant d’être éliminées aux tirs aux buts contre l’Allemagne à l’issue d’un grand match.

Pour une autre équipe que celle-ci, ce match aurait pu être la promesse de beaux lendemains : il avait montré que la France était désormais capable de jouer les yeux dans les yeux avec les meilleures équipes mondiales et qu’il ne manquait pas grand chose (vingt minutes d’autonomie en plus à Élodie Thomis) pour les battre.

Mais les Françaises sont sans doute trop marquées par les différentes déceptions subies lors des précédentes phases finales pour voir les choses sous cet angle.

La suite du parcours a été nettement moins bonne. Dans les résultats d’abord avec une SheBelieves Cup disputée sans remporter de victoire et sans marquer et surtout dans le jeu. À l’arrivée à Rio, on pouvait encore croire que tout cela était le fruit d’une préparation ciblée sur une compétition dense avec un effectif resserré.

Mais si la victoire contre la Colombie a été très probante, si la défaite contre les États-Unis a été le résultat d’un match finalement assez réussi et si le succès contre la Nouvelle-Zélande n’a pas été le fruit d’un très grand match mais qu’il a été acquis par une équipe très remaniée, tout cela est envoyé aux oubliettes de l’histoire puisque l’objectif était le match suivant, celui qui permet d’entrée dans le dernier carré où tout le monde n’a pas de médaille mais presque. Et ce match charnière – qui n’a donc même pas été joué contre un adversaire supposé plus fort – a très objectivement été raté.

La petite saison des Françaises

Si la responsabilité du sélectionneur dans le jeu et dans l’état d’esprit de son équipe est bien sûr importante, il est possible qu’il n’avait pas tout à fait des joueuses aussi brillantes que leur réputation. Malgré leur importante présence dans la liste finale pour le titre de meilleure joueuse de l’UEFA et malgré le triplé lyonnais, aucune joueuse française n’a fait une grande saison. Les joueuses de base du titre européen de l’OL sont Ada Hegerberg et Saki Kumagai. Amel Majri et Griedge Mbock font aussi une très bonne saison mais ne sont pas encore de vraies cadres chez les Bleues (mais elles ont à cette occasion gagné leurs galons de titulaires, en profitant aussi des blessures de Laure Boulleau et Laura Georges). Camille Abily s’est gérée et n’a plus les jambes pour répéter des matchs de haut intensité tous les trois jours, Louisa Necib a semblé avoir la tête ailleurs, Eugénie Le Sommer a couru après sa forme toute la saison, Amandine Henry et Wendie Renard ont passé une bonne partie de leur année à l’infirmerie, ce qui leur a sans doute accordé un repos nécessaire et explique qu’elles ont été les meilleures françaises à Rio.

La thèse de la fatigue est sans doute recevable. D’ailleurs même à l’étranger les internationales des grands clubs allemands n’ont pas brillé outre mesure : Wolfsbourg a lâché des points un peu partout et a longtemps été portée à bout de bras par Caroline Hansen, le Bayern s’est fait sortir très tôt de la scène européenne par Twente qui n’est pas un ogre, Francfort a alterné le moyen et le médiocre. Mais les Allemandes ont su passer outre la fatigue pour remporter les matchs qui comptent à défaut d’être convaincantes tout au long du tournoi (en particulier au premier tour).

À Lyon, cet état de forme a été masqué par Ada Hegerberg et par l’absence de gros matchs : il y a eu une victoire contre un PSG fantomatique pour assommer le championnat au mois de septembre mais l’OL n’a ensuite battu en championnat ni Montpellier ni le PSG au retour. Et la Coupe d’Europe s’est résumée à la finale après le sabordage du PSG au tour précédent.

Les internationales de l’équipe parisienne n’ont justement pas été beaucoup mieux. Laura Georges et Laure Boulleau ont été blessée à peu près toute la saison et pour les Jeux, Kenza Dali presque autant, Jessica Houara a payé toute la saison d’être utilisée à toutes les sauces, Kheira Hamraoui et Marie-Laure Delie n’ont pas été surmenées mais ont été écartées assez longtemps des feuilles de matchs par Farid Benstiti.

Bref les joueuses de la Coupe du monde (auxquelles ont peut ajouter Clarisse Le Bihan ou Annaïg Butel qui ont aussi connu une saison quasiment blanche) ont raté leur saison à un degré ou un autre. C’est peut-être une des raisons de l’échec. Ou au moins cela a pu masquer au staff les problèmes puisque les difficultés rencontrés pouvaient s’expliquer par ces blessures et ces états de forme et qu’il y avait ensuite deux mois de préparation pour remettre tout le monde en forme.

Que cela diminue la responsabilité du sélectionneur ou pas, cette question de l’état de forme des internationales est un vrai problème que devra résoudre son successeur. D’ici à l’Euro, il n’y aura pas de période de vacances sauf peut-être pour Amandine Henry si elle ne revient pas en Europe pendant l’intersaison américaine.

Le chantier d’Echouafni

La première liste d’Olivier Echouafni va évidemment être très attendue. Non seulement le résultats des Jeux Olympiques et l’horizon de la Coupe du monde font attendre du changement mais la connaissance du nouveau sélectionneur des joueuses qui ne sont pas déjà internationales n’est sans doute pas encyclopédique.

La composition du staff qui l’accompagnera n’a pas encore été annoncée mais il est très probable qu’il se fera aider par des membres de la DTN qui connaissent le sujet et on devrait donc avoir une liste composée à la fois de joueuses déjà vues récemment en A et d’autres issues de la génération des moins de 19 ans championne d’Europe cet été. À moins que la consigne fédérale soit d’éviter de déshabiller totalement l’équipe des moins de 20 ans qui disputera la Coupe du monde de la catégorie en Papouasie-Nouvelle Guinée à l’automne.

L’ossature du groupe sera certainement constituée de Wendie Renard, Griedge Mbock, Amel Majri, Amandine Henry et Eugénie Le Sommer. Jessica Houra et Kheira Hamraoui seront sans doute de la première liste avant que leur sort ne dépende de leur temps de jeu. Mais la question sensible sera le sort de certaines joueuses dont on peut douter de la capacité à tenir jusqu’à 2019 : la présence ou non d’Élise Bussaglia, Laura Georges, Sabrina Delannoy et surtout Camille Abily sera scrutée. Tout comme celle de Gaëtane Thiney, écartée par Philippe Bergerôo mais dont la récente interview à L’Équipe montrait qu’elle se replaçait en candidate à la sélection en prévision du changement d’ère.

L'équipe de France des moins de 19 ans constitiue la relève à court terme.

L'équipe de France des moins de 19 ans constitiue la relève à court terme.

De jeunes joueuses qui faisaient déjà partie du groupe comme Claire Lavogez ou Sandie Toletti devraient sans doute monter en grade mais jusque là elles n’ont pas réussi à bousculer à la régulières leurs aînées.

Chez les moins de 19 ans, Olivier Echouafni pourrait rappeler Delphine Cascarino et Perle Morroni qui ont déjà côtoyé les Bleues et donner leur chance à des joueuses comme Clara Matéo ou Marie-Antoinette Katoto. Par contre la présence de joueuses plus âgées et pas encore vues comme Sarah Palacin, Solène Barbance ou Tatiana Solanet serait une vraie surprise parce qu’elle indiquerait une meilleure connaissance que prévu des joueuses par le sélectionneur (ou de meilleurs conseils) qui n’aura eu entre sa nomination et sa première liste la possibilité de ne voir qu’un seul match de championnat.



3 commentaires pour “Bergerôo, clap de fin”

  1. Super article, comme d’habitude. Merci pour cet éclairage qui confirme les doutes pressentis et la navigation à vue de la fédé.

  2. Espérons qu’Echouafni lise au minimum cet article !

    Je vous trouve sévère avec Le Sommer (mais c’est peut-être le fan qui parle). Elle n’est certes plus la buteuse en chef de l’OL mais a énormément pesé sur la saison et Hegerberg – avec qui elle s’entend comme larrones (?) en foire – lui doit un nombre incalculable de buts. C’est un peu injuste de laisser tout le mérite à Hegerberg et Kumagai (même s’il faut avouer que le replacement de cette dernière en 6 après les blessures de Henry a été stupéfiant).

    Pour le reste, c’est vrai que le bilan post coupe du monde de Bergeroo reste très bon – même si dans le jeu il reste un tacticien très limité. C’est surtout la (non-) gestion du cas Thiney qui semble avoir flingué la dynamique de l’équipe. Je vais pas tout mettre sur le dos de Bini mais il aura décidément bien fait du mal à cette génération dorée… On pourra toujours rêver de ce que Patrice Lair aurait pu faire de cette équipe. (Hâte de voir « son » PSG d’ailleurs)

    Enfin, sur l’histoire du mental des filles françaises, je pense qu’il suffit de regarder le palmarès de l’OL sur ces 5 dernières années pour comprendre que c’est un faux problème (une excuse ?) créé de toute pièce.

  3. Très bon article. Par vos mots et réflexions, Vous contribuez assurément à rendre le football féminin crédible. Un seul pour ma part: continuez.

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