Ni buts ni soumises » C’est qui la meilleure ?

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C’est qui la meilleure ?

Pour la troisième saison consécutive, la FFF organise le « Trophée de la Meilleure Joueuse de D1 Féminine ». L’initiative est louable pour faire parler de ce championnat, mais le mode de calcul choisi est pour le moins scabreux. C’est actuellement la Guingampaise Julie Morel qui est en tête de ce classement.

Les récompenses individuelles dans un sport collectif comme le football sont sans doute aussi vieilles que le football lui-même. Elles visent sans doute à réussir l’impossible distinction de l’apport de l’individu dans l’équipe. Mais elles sont surtout des outils de communication : le « Ballon d’Or » a été inventé par France Football pour soutenir ses ventes à une période de l’année alors peu mouvementée. Les trophées de l’UNFP sont l’occasion de faire parler du syndicat des joueurs une fois l’an1.

Depuis 2001, ils font une petite place au football féminin en désignant la meilleure joueuse de l’année, d’abord comme étant la meilleure joueuse française puis comme meilleure joueuse du championnat. D’Anne Zenoni en 2001 à Élise Bussaglia en 2011 le palmarès est tout à fait cohérent. Comme pour ces messieurs, l’élection se fait par un vote des pairs, en l’occurrence donc les joueuses de D1.

Mais cette élection ne permet qu’une communication limitée pour la FFF : au moment de l’annonce des trois joueuses finalistes puis le jour de la remise du trophée. Et encore, cette communication est phagocytée par celle sur les récompenses des garçons.

Un classement au fil de la saison

Parallèlement, la FFF a donc mis en place depuis 2009 un classement de la meilleure joueuse de D1 basé sur les performances match après match. Il est donc plus proche dans le principe des notes de l’Equipe ou de l’Étoile d’Or de France Football2. Ainsi la FFF communique régulièrement sur l’évolution du classement, la dernière news nous apprend que c’est la Guingampaise Julie Morel qui est en tête du classement3.

Le Moustic Production)

Julie Morel face à Élise Bussaglia (photo : Le Moustic Production)

Mais ce trophée souffre d’un défaut de naissance rédhibitoire : son mode de calcul est grotesque. Sans doute pour palier le manque d’observateurs neutres sur chaque terrain de D1, et considérant que le délégué du match n’est pas là pour juger des qualités des footballeuses, la fédération s’en remet aux entraîneurs pour noter les joueuses. Pour ne pas leur compliquer trop la tâche, on ne leur demande de distinguer que deux joueuses et pour éviter toute partialité, uniquement dans l’équipe adverse. C’est là que commencent les ennuis : ce système implique que pour chaque match les meilleurs joueuses de chaque équipe vont recevoir le même nombre de points.

FFF, la créativité mathématique

Lors de la 6e journéee, Lyon a battu Muret 11-0. Pourtant la meilleure joueuse de Muret, Audrey Monicolle a obtenu autant de points que la meilleure joueuse de l’OL Louisa Necib. Et quand Juvisy bat Hénin-Beaumont 9-0 lors de la 3e journée, Gwendoline Rossi marque autant de points que Julie Machart pourtant auteuse d’un quadruplé. Bref ce classement ne récompense pas la meilleure joueuse mais la meilleure borgne dans une équipe d’aveugles.

Un palmarès miraculeux

Lors de la première édition, la FFF a eu un énorme coup de chance avec Eugénie Le Sommer qui était à la fois tout à fait crédible comme meilleure joueuse du championnat4 et suffisamment nettement au dessus de ses coéquipières Briochines pour remporter haut la main le titre.

La saison dernière, c’est Élise Bussaglia qui est arrivée en tête, faisant elle aussi le doublé avec les Trophées UNFP. Les mauvaises langues diront que telles les notes de l’Equipe, le classement est suffisamment éditorialisé pour éviter des aberrations trop voyantes en têtes. De fait, soit qu’il y ait un effet de mise en lumière sur la joueuse en tête, soit que les deux premières vainqueuses aient vraiment été au dessus des autres, le palmarès est jusque là relativement cohérent.

Par contre, autant les « nominations » des trophées UNFP (c’est-à-dire les joueuses arrivées juste après lors de l’élection) font assez bonne figure au palmarès, autant les cinq premières de la FFF pour les deux précédentes éditions ressemblent plutôt à un classement des joueuses qui ont surnagé dans des équipes de bas de tableau.

En 2011, on avait :

  1. Élise Bussaglia (PSG)
  2. Julie Morel (Saint-Brieuc)
  3. Cynthia Guého-Djetou (Yzeure)
  4. Claire Guillard (La Roche)
  5. Rose Lavaud (Tououse)

Et en 2010 :

  1. Eugénie Le Sommer (Saint-Brieuc)
  2. Claire Guillard (La Roche)
  3. Madeleine Michèle Ngono Mani (Soyaux)
  4. Delphine Chatelain (Toulouse)
  5. Hoda Lattaf (Montpellier)

Certes ce classement permet de distinguer des joueuses « de club » régulières au fil des saisons comme Claire Guillard ou Julie Morel (cette dernière ayant été barrée la première saison par la présence d’Eugénie Le Sommer dans son équipe), mais il n’est pas du tout pertinent pour obtenir un classement des joueuses de D1 tant il surestime par son calcul les équipes les plus faibles.

Gaëtane Thiney devrait succéder à Élise Bussaglia au palmarès (photo William Morice/Le Moustic Production)

Gaëtane Thiney devrait succéder à Élise Bussaglia au palmarès (photo William Morice/Le Moustic Production)

D’ailleurs, Gaëtane Thiney qui va remporter le titre cette année dit la même chose (elle était à ce moment là en tête du classement) : « Concernant le challenge de la meilleure joueuse de la FFF, je ne suis pas là pour critiquer, mais je pense que le moyen de notation n’est peut-être pas totalement objectif parce que dans ce cas pour qu’une joueuse de Lyon soit élue meilleure joueuse du championnat, il faut qu’elle soit meilleure que toutes les autres joueuses de Lyon à chaque match. Donc je suis contente mais je ne suis pas sûre que ça reflète vraiment le championnat. »

Le classement ni bête ni soumis

C’est pourquoi, je propose un classement alternatif basé uniquement sur des observations objectives : on comptera donc 1pt par titularisation et 2pts par tranche de 90 minutes jouées, cela pour récompenser la régularité en considérant que l’entraîneur connaît son travail et fait jouer les meilleures. On ajoutera 1pt par but et ½pt par passe décisive, on retranchera 1pt par carton jaune et 3pts par carton rouge. Enfin, à chaque match sans but encaissé, on ajoutera 4pts à la gardienne, 2 aux défenseuses et 1 aux milieux.

Bien sûr, quoi que calculé sur la base d’éléments purement factuels, ce classement est totalement arbitraire : le barème est arbitraire, le poste des joueuses est arbitraire, le choix de juger la défense uniquement sur le fait de ne pas prendre de but au cours d’un match l’est aussi. Mais enfin, il faut bien faire des choix.

À l’usage, on verra que le classement avantage plutôt les buteuses et les gardiennes. Si l’on applique ce calcul pour les deux dernières saison, on obtient les classements suivants :

2009-2010

  1. Bérangère Sapowicz (PSG) : 126
  2. Eugénie Le Sommer (Saint-Brieuc) : 122.32
  3. Lara Dickenmann (Lyon) : 118.41
  4. Gaëtane Thiney (Juvisy) : 110.96
  5. Sonia Bompastor (PSG) : 108.03
  6. Audrey Malet (Juvisy) : 107.5
  7. Marie-Laure Delie (Montpellier) : 107.14
  8. Wendie Renard (Lyon) : 103
  9. Katia Cilene Teixeira Da Silva (Lyon) : 102.8
  10. Laure Boulleau (PSG) : 102

2010-2011

  1. Laetitia Tonazzi (Juvisy) : 131.87
  2. Eugénie Le Sommer (Lyon) : 113.87
  3. Louisa Necib (Lyon) : 112.96
  4. Elise Bussaglia (PSG) : 112.67
  5. Marie-Laure Delie (Montpellier) : 110.82
  6. Méline Gérard (Saint-Etienne) : 110
  7. Amélie Coquet (Juvisy) : 109.91
  8. Camille Abily (Lyon) : 107.59
  9. Sabrina Delannoy (PSG) : 104
  10. Gaëtane Thiney (Juvisy) : 101.8
  11. Bérangère Sapowicz (PSG) : 99

On le voit avec les classements d’Eugénie Le Sommer, le fait de jouer à Lyon plutôt qu’à Saint-Brieuc est nettement moins pénalisant.

Et pour l’année en cours, le classement est le suivant :

  1. Gaëtane Thiney (Juvisy) : 79.9
  2. Eugénie Le Sommer (Lyon) : 78.64
  3. Lotta Schelin (Lyon) : 76.08
  4. Camille Abily (Lyon) : 70.73
  5. Kelly Gadea (Montpellier) : 67
  6. Nelly Guilbert (Juvisy) : 67
  7. Laëtitia Philippe (Montpellier) : 64
  8. Amélie Coquet (Juvisy) : 63.08
  9. Sarah Bouhaddi (Lyon) : 63
  10. Kenza Dali (PSG) : 62.31
  1. L’autre apparition de l’UNFP dans l’actualité étant son équipe de footballeurs au chômage qui cherchent à se recaser.
  2. Son mode de calcul est d’ailleurs assez proche du système historique de FF pour les divisions inférieures.
  3. Julie Morel vire en tête sur le site de la FFF.
  4. Même si l’impact de Camille Abily et de Sonia Bompastor sur les résultats du PSG avant leur retour aux Amériques en faisaient sans doute des candidates tout aussi crédibles. Mais leur absence était certainement plus aberrantes lors des trophées UNFP que d’un classement basé sur la régularité.


8 commentaires pour “C’est qui la meilleure ?”

  1. Se taper tout le calcul fastidieux de votre système de points pour les saisons passées… Bravo !
    Plus sérieusement, c’est quand même à la fois très arbitraire et uniquement mathématique. Une autre idée serait de faire après chaque journée un vote similaire à celui annuel de l’UNFP : à partir de là, soit qu’on ait un système de points, soit que l’on compte simplement les mentions, on peut faire les comptes à la fin de l’année.

  2. Bonjour (et bonnes fêtes)!
    Vos classements sont très intéressants, même si quels que soient les critères que vous choisissiez, ils porteront toujours à discussion.
    Je remarque que dans vos trois classements, Eugénie est à chaque fois 2ème. C’est donc la plus régulière au plus haut niveau, ce qui montre bien qu’un classement annuel n’élève à la première place qu’une joueuse dans son « année de grâce », au détriment des valeurs sûres.
    Un « prix de régularité » ou « de constance » serait peut-être plus juste, plus consistant (moins léger) : il demanderait qu’on prenne un certain recul, ce qui ne cadrerait peut-être pas avec la philosophie de ces classements.

  3. Vincent > le problème reste de trouver un corps électoral qui a vu le match et qu’on peut mobiliser à chaque fois. Je pense que c’est ce qui explique en premier lieu le mode de calcul de la FFF. Sinon, ce n’est pas fastidieux de calculer pour les années antérieures, c’est la machine qui travaille.

    rana > la régularité des performances d’Eugénie Le Sommer est effectivement au coeur de ma critique du trophée de la FFF : sa saison 2011 n’est certainement pas inférieure à sa saison 2010 au point de justifier de passer de meilleure joueuse de la saison à un rang au delà de la 50e place.

  4. Même si je suis d’accord avec le système de classement grotesque on ne peut pas nier l’exceptionnel saison de Bussaglia la saison dernière qui fut l’une des joueuses les plus en vues pendant la Coupe du Monde bien loin devant les Lyonnaises Abily ou Thomis par exemple .

    On en parle pas beaucoup mais le travail effectué par cette milieu de terrain que j’ai la chance d’apercevoir tous les week-end est à souligner !

  5. LOUISA NECIB LA MILLEURE !!!!

  6. J’aime bien l’idée du classement alternatif, parce qu’effectivement celui de la FFF est particulièrement inadéquat même s’il part d’une bonne intention et qu’il faut bien reconnaître qu’il est effectivement compliqué de noter des matchs bien moins exposés que ceux de leurs homologues masculins.

    Mais si ton idée est bonne CHR$, permets moi juste de donner mon avis – forcément intéressant :
    – J’aime bcp le point pour la titularisation et les 2 points pour les 90 min jouées.
    – J’aime moins qu’il y ait une différence de points entre les buts marqués et les passes décisives. J’ai toujours trouvé ces 2 « éléments » d’un but aussi importants l’un que l’autre (évidemment, parfois, c’est la buteuse qui fait tout après une passe facile, et parfois la buteuses a juste à pousser la balle dans le but vide après un magnifique travail de son ailier, mais globalement, j’aurais du mal à dire ce qui est le plus important). Donc 2 points chacun. J’imagine qu’on n’a pas les stats pour l’avant dernière passe décisive (qui mériterait la moitié de ces points) ?
    – J’aime très très peu les points retranchés pour les cartons. A la limite, pour un rouge, c’est acceptable parce que dans la gde majorité des cas, ça met l’équipe en difficulté (même s’il ne faut pas en arriver à l’extrémité de France Football qui met(tait ?) 0 aux joueurs expulsés). Par contre le carton jaune ne mérite pas vraiment de retrait de point. Il peut être du à tellement de choses différentes (une vraie faute vilaine, un gain de temps, un belle faute tactique, une erreur d’arbitrage, etc…) que j’ai du mal à considérer forcément le carton jaune comme une mauvaise chose.
    – Très bonne idée également pour les matchs sans but encaissé, même si j’irais un peu plus loin en incluant les attaquants dedans pour avoir toute l’équipe (genre 4 points pour la gardienne, 3 pour les défenseuses, 2 pour les mil.défs et 1 pt pour les mil.offs, ailières et attaquantes).
    – Du coup il manque quand même les points pour les buts marqués : 4 pour les mil.offs, ailières et attaquantes, 3 pour les mil. défs et défenseuses, 2 pour les défenseuses et 1 pour la gardienne. Ainsi, en cas de victoire 1-0 toute l’équipe aurait exactement le même nb de points : 5 (ce qui pénalise moins les milieux que dans ton classement). Avec évidemment donc le bonus pour la passeuse et la buteuse.

    – Enfin et surtout, le vrai truc qu’il manque dans ton classement, c’est les bonus pour les victoires : tous les titulaires marquent 4 points par victoire et les remplaçantes 2 points par exemple. Et 2 point par match nul (1 pt pour les remplaçantes). Parce que le but quand même d’un match pour chaque joueuse c’est que ton équipe gagne. Et ce que tu fais pour rendre cela possible ne se voit pas forcément dans les stats (fatiguer l’attaquante adverse, faire la récupération de balle qui permettra le contre victorieux à la 90ème, provoquer le corner qui amènera l’égalisation inespérée, etc….). On peut donc estimer qu’une joueuse qui participe à la victoire de son équipe a « réussi » son match et mérite donc des points.

    Bon désolé, pour le pavé, mais c’est un sujet qui me passionne et j’en profite au passage pour te remercier CHR$ pour tout ce que tu m’as fait découvrir au sujet du foot féminin. Le fil Marinette… était ouvert en permanence pendant la dernière coupe du monde et je me suis enflammé en partie grâce à toi et ton travail pour nous faire aimer ces filles. Donc merci !

  7. Le classement FFF est très critiquable, comme tu l’as expliqué, mais au moins il permet de mettre en valeur des joueuses et des équipes moins reconnues. Les 11 joueuses de ton classement appartiennent à 5 clubs différents (et même 7 joueuses de Lyon et Juvisy), tandis que le classement FFF fait apparaître 5 joueuses de 5 clubs différents. Cela me fait un peu penser au débat entourant le Ballon d’Or, avec certains qui regrettent de retrouver 3 barcelonais aux 4 premières places.

    Tu écris « Lors de la première édition, la FFF a eu un énorme coup de chance avec Eugénie Le Sommer ». Peut-être au contraire que les entraîneurs ont reconnu des vertues mentales et charismatiques (que ton calcul ne me semble pas prendre en compte), et plébiscité une joueuse qui était capable d’élever le niveau de son équipe. C’est peut-être aussi cela qui pousse les entraîneurs à choisir aujourd’hui Julie Morel, comme une meneuse qui parvient à maintenir dans l’élite un effectif limité.

    Enfin, le calcul que tu proposes me semble faire la part belle aux statistiques et aux buteuses.
    Dans un championnat comprenant de tels écarts de niveaux, où une seule équipe est professionnelle, il me semble louable que la FFF cherche à valoriser le championnat et non une équipe…
    …L’OL a marqué 71 buts au bout de 12 journées alors que la moitié des autres équipes n’en ont pas marqué 17.

    Merci pour ton blog

  8. coco > je n’avais pas vu, mais je ne suis pas du tout d’accord : on peut vouloir « mettre en valeur des joueuses et des clubs moins reconnues », mais on n’appelle pas son trophée « meilleure joueuse de D1 ». On l’appelle « trophée de la joueuse valeureuse » (ou « prix de la combativité », ou autre).
    Et certes mon calcul est tout à fait arbitraire (et le message précédent propose d’autres pistes de calculs) mais je persiste à trouver plus logique et cohérent que le haut du classement de la meilleure joueuse soit squatté par les joueuses des équipes qui gagnent des matchs plutôt que par des joueuses des équipes qui les perdent.
    D’ailleurs si mon classement a une faiblesse, c’est n’est sans doute pas de valoriser les 71 buts marqués par l’OL que de ne pas valoriser assez les 3 buts encaissés seulement.
    Mais le fait de préférer un trophée de la meilleure joueuse qui récompense la meilleure joueuse (et qui globalement met les meilleures en tête) n’est pas incompatible avec l’envie de valoriser aussi d’autres joueuses moins connues et tout aussi valeureuses. Il ne s’agit simplement pas de la même chose. Le Ballon d’Or n’est pas le Ballon d’eau fraîche.