Sébastien Chapuis (@sebluelion) est passionné par la tactique, et particulièrement par la Premier League (si, c’est possible). Grand suiveur de Chelsea, il entraîne également des équipes de jeunes et participe à l’émission « The Specialists » sur Canal+ depuis quelques mois. Le blog accueille aujourd’hui ses mots à propos d’un joueur qui intrigue.

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Installé dans un fauteuil depuis son arrivée au club, Juan Mata a vu son statut être remis en question par José Mourinho dans le processus de mise en place d’un plan de jeu qui se veut moins court-termiste que ceux de Roberto Di Matteo et Rafael Benitez, tout en prenant fondation sur des bases plus solides que le “projet” d’André Villas Boas. Élu deux fois de suite meilleur joueur d’un club qui a achevé les deux dernières saisons à 25 puis 14 points du champion, le petit espagnol est à la croisée des chemins entre ses limites et les ambitions retrouvées de son club. Après six mois de spéculation sur les choix de son manager et sur l’intérêt d’autres grands clubs européens – notamment le PSG de Laurent Blanc – il est temps de faire un point sur la situation de Juan Mata.

MÉTA-MATA

Juan Mata est certainement un joueur aussi génial qu’unique. Il est difficile d’apposer une étiquette à son style de jeu : meneur excentré ? Attaquant de soutien ? Central winger¹ ? Depuis deux saisons et demi, Mata plane à Londres, visite des musées ou lit Bukowski lorsqu’il ne dépose pas le ballon dans les pieds de ses attaquants empotés. Pas moins de 55 passes décisives en trois saisons toutes compétitions confondues sont venues garnir sa feuille de stats (dont 35 pour le seul exercice 2012/2013).

Le Special Juan n’est pas à ranger dans la catégorie des milieux offensifs meneurs, notamment de par sa propension à rechercher directement ses attaquants en déséquilibrant les défenses par une seule passe. Plus gênant cependant, Mata s’est régulièrement retrouvé en difficulté lorsque serré de près par ses gardes-chiourmes au cours des deux dernières saisons – et perdait souvent le ballon dos au but au profit d’illustres inconnus. Dès lors, cela mettait alors encore davantage en valeur ses décrochages vers les zones que les Anglais appellent « pockets of space » afin d’échapper à son adversaire direct.

Seulement, si ces premières touches latérales ou en retrait vers ces interstices permettent généralement aux adversaires de se replacer (ou de l’accompagner), elles n’empêchaient paradoxalement pas l’Espagnol de trouver en toute aise un coéquipier avec une précision chirurgicale même dans un espace encore plus dense. Mais en fuyant la ligne directe de pression adverse, il s’éloignait ainsi automatiquement du coéquipier qu’il isolait en lui transmettant le ballon, le laissant seul.

OSCARISÉ

Ces deux aspects expliquent en partie pourquoi le plus conservateur Silva lui est préféré dans le jeu de possession défensif de l’Espagne. La titularisation du meneur brésilien Oscar ou de Willian à ses dépends depuis le début de saison traduit une volonté de disposer d’un « nœud » dans les trois zones centrales (demi-espaces et zone 14²), capable de recevoir le ballon – et de ne pas le perdre – dans toutes les configurations. Le registre de déplacement de Mata s’inscrit davantage sur la largeur – et fragmente dans une certaine mesure la structure offensive (si les ballons ne lui arrivent pas, il ne peut pas aller les chercher). A l’inverse, les mouvements expansifs d’Oscar facilitent les permutations et les fameuses « rotations » dans un milieu à trois.

Le rôle de second attaquant excentré d’Eden Hazard qui déplace le barycentre des attaques vers la gauche renforce la fonction du joueur déployé dans l’axe : il s’agit alors d’une véritable nécessité pour l’axial que d’alimenter les joueurs en mesure de poursuivre les attaques à défaut d’être le seul à catalyser celles-ci. Monté en puissance lors du mois de décembre, Willian fait d’ailleurs étalage d’une qualité dont ne dispose pas Mata, à savoir celle d’ancrer le bloc équipe lorsque celui-ci se rééquilibre avec ou sans ballon. Le Brésilien peut ainsi faire remonter le bloc en conservant le cuir qu’il perd rarement, en fournissant des angles de passe simple à ses deux milieux. Par ailleurs, sa position de faux troisième milieu de terrain permet à un de ces derniers de réaliser une course vers l’avant (ou de sortir au pressing) sans crainte de libérer une brèche.

Ballons reçus par Juan Mata (victoire 2-0 face à West Ham, 17/03/2013) et Oscar (victoire 2-1 face à Aston Villa, 21/08/2013). L’Espagnol reçoit le ballon plus bas qu’Oscar, dans les espaces entre les milieux adverses, ou s'excentre de façon à combiner dans le demi-espace à droite. Le Brésilien négocie quant à lui davantage de ballons au contact de la dernière ligne adverse et vient permuter avec ses milieux dans le rond central pour fluidifier la préparation des attaques. (via StatsZone)

Juan Mata n’a participé qu’à trois des six premiers matchs de championnat cette saison. Il est possible que ce laps de temps ait été mis à contribution afin de de se mettre au niveau des nouvelles demandes athlétiques du plan de jeu de Mourinho.

Le schéma de Mourinho repose sur un pressing offensif afin de récupérer le ballon et d’enchaîner le plus rapidement possible vers le but. Une mise en place incompatible avec la répartition des tâches bancale pratiquée lors des deux dernières saisons. Il était en effet fréquent de retrouver Ramires ou Luiz balayer des zones immenses derrière leurs partenaires, jusqu’à ce que ce l’intérimaire Benitez ne sacrifie deux offensifs dans des tâches structurelles au profit de Mata. Un prisme déformant dont il convient de tenir compte, remarquait Mourinho en septembre en pointant du doigt la comparaison impossible entre un « numéro 10 et un joueur qui traque le latéral adverse pendant 90 minutes » au sujet de Mata et Oscar.

Les performances abouties de Juan Mata dans toutes les phases de jeu lors du mois de décembre expliquent pourquoi l’Espagnol a débuté neuf des quatorze dernières rencontres du club en Championnat. Non sans rappeler par ailleurs et pour la première fois la même impression de puissance sur ses appuis dont avait fait preuve Florent Malouda après quelques mois d’adaptation à l’intensité des duels outre-manche.

Son temps de jeu plus réduit que lors des saisons précédentes est tout simplement le corollaire d’une utilisation plus raisonnable par José Mourinho, ce afin d’exploiter au mieux les qualités de l’ancien valencian et ne plus faire reposer l’efficacité toute relative d’une animation offensive en ruine sur les exploits hebdomadaires d’une individualité cache-misère.

CHELSEA, C’EST LE BRÉSIL

Pour autant, l’Espagnol n’apparait plus comme un premier choix lorsque Mourinho souhaite que son équipe mette de l’intensité pour s’opposer à son adversaire, comme cela a été le cas face aux Reds. Pire, il a cédé sa place à Oscar au retour des vestiaires à Southampton. Ce dernier, qui, en compagnie de Willian, fut à l’origine de l’impressionnante dernière demi-heure des Blues. Si Mata constitue toujours un parfait ouvre-boîte face aux équipes organisées en « double decker » à Stamford Bridge, il réalise assez régulièrement et bien malgré lui des tours de magie d’un autre type en disparaissant lors des visites du Brittania Stadium et autres St James’ Park.

L’Ibérique paye le prix de ses limites athlétiques, que ce soit pour s’intercaler efficacement entre l’adversaire et le ballon ou répéter les courses. D’autant plus qu’il fait partie de ces joueurs hyper-décisifs à tout instant, même avec un poids tout relatif dans le jeu ou la construction des attaques. Ces différents paramètres n’avaient pas freiné André Villas Boas ou Rafael Benitez au moment d’en faire l’unique détenteur d’une carte blanche dans leurs mises en place. Deux techniciens  aspirés sciemment ou non dans la spirale du résultat immédiat, en attendant l’exploit jusqu’à la dernière minute de chaque match deux fois par semaine³. Un paramètre « fatigue » trop souvent occulté ou caché par la feuille de statistiques de l’Espagnol, bien que cette dernière ne dépeigne que la moitié du tableau.

Jusque là, la position de Mata a été obstruée par la confiance accordée à Oscar dans l’axe ainsi que par la titularisation d’un « shutter » (littéralement : volet) sur le côté droit. Ce volet, dans la lignée d’Angel Di Maria dans le Real de Mourinho, permet un équilibrage par l’asymétrie dans une équipe qui n’est distancée que de deux longueurs par le leader. Il est cependant encore temps d’envisager que Mourinho puisse redistribuer les cartes, à charge d’une confirmation du plan de jeu par les résultats (à travers une meilleure maîtrise des rencontres) ; Mata n’étant jamais plus à l’aise que lorsqu’il parcourt le demi-espace entre latéral et milieu axial avec son pied gauche ouvert sur le jeu.

Sébastien Chapuis

¹ Michael Cox (auteur de chroniques tactiques sur Zonal Marking ou le Guardian) donne une définition du « central winger » dont voici un extrait : « Plutôt que de rester dans l’axe et rechercher l’espace entre les lignes, ils s’excentrent et viennent combiner dans les couloirs. »
² En découpant la largeur du terrain en quatre, ce qui correspond à la répartition des zones défensives en 4-4-2 pour les défenseur et milieux ; les demi-espaces sont situés à cheval entre deux zones. Concrètement, ceux-ci se situent à proximité des angles de surface, et ont pour visée d’exploiter le temps d’ajustement nécessaire à deux adversaires à égale distance (latéral et milieu axial) pour se passer les consignes de marquage. Voir cet article d’Adin Osmanbasic.
La « zone 14 » correspond à la zone située hors de la surface sur un découpage du terrain en 18 zones (trois couloirs, chaque moitié divisée en trois bandes).
³ Le compatriote d’Oriol Romeu a ainsi disputé 43 matchs en 2010/2011, 52 en 2011/2012 et 64 lors de l’exercice précédent lors de trois saisons ponctuées par ses participations à l’Euro U21 2011, l’Euro 2012, les J.O. 2012 ainsi que la Coupe des Confédérations 2013.

14 commentaires

  1. Mendy85 dit :

    Quand vous dîtes que son poids est relatif, dans la construction du jeu, ne peut-on pas dire la même chose de Clément Grenier, toutes proportions gardées bien sûr?Sinon, très belle analyse.

  2. troisième jambe dit :

    Franchement les mecs merci pour tous vos articles, je comprends pas tout mais ça fait du bien de réfléchir un peu sur le foot…

  3. Stelio Kontos dit :

    Superbe. Le fond est extrêmement intéressant, aussi je n’ai rien à y redire, mais peut-être les précisions apportées en notes de fin d’article auraient-elles mérité d’être directement incorporées à l’article, image à l’appui ? Enfin je chipote un max hein, c’est super bien rédigé et déjà très clair comme ça.

  4. KDurant dit :

    Qu’est ce que tu entends par un joueur « shutter » dans le couloir ? En l’occurrence, c’est un Schürrle, donc un ailier qui va au charbon ?

  5. TrueBlue dit :

    Je verrais bien un joueur dont la mission est d’amener, suite à une récupération et donc lors d’un contre, la balle très haut dans le camp adverse pour définir le fameux « shutter ».

    Attendons quand même la réponse de l’intéressé.

    Article génial. Merci.

  6. Sébastien dit :

    Mendy85: je ne regarde pas assez l’OL jouer. Grenier est certainement bien plus irrégulier que Mata et perd bien plus de ballons de par des mauvais choix. Mata n’est pas irrégulier. Il est très régulier et précis, mais dans ses limites: ce qui fait que dans un contexte donné (exemple: un 6 qui le malmène, une équipe de PL qui reçoit Chelsea et joue le joueur et non le ballon)
    troisième jambe: merci de ton feedback 🙂

    Stelio Kontos: l’article est déjà suffisamment chargé d’informations au point de masquer parfois le fil directeur, j’ai préféré les indiquer à la fin de l’article.
    La base de cet article est un extrait d’un article récapitulatif sur la mise en place de Mourinho à Chelsea daté de Septembre:
    http://mypremierleague.wordpress.com/2013/09/15/quel-visage-pour-le-chelsea-de-jose-mourinho/

    KDurant: l’image du volet c’est le joueur de côté qui va se rapprocher de ses milieux pour équilibrer.
    Dans un 4231 animé avec un joueur très offensif sur le côté gauche (exemple de Ronaldo avec le Real, dont le jeu est basé sur des courses derrière la défense), l’apport d’un « shutter » sur le côté droit va permettre de disposer d’un troisième milieu. Dans l’animation, on peut donc retrouver Ronaldo qui fait un appel, avec trois milieux derrière lui (et non plus seulement deux): ce qui offre une plus grande sécurité en cas de perte de balle et de contre-attaque.

    C’est là où la position relative du joueur par rapport au ballon est intéressante: à Chelsea, Hazard évolue quasiment exclusivement dans les 30 derniers mètres adverse et n’est jamais derrière le ballon avant cela. Willian quant à lui évolue essentiellement jusqu’au trente derniers mètres et se situera systématiquement derrière le ballon. Donc effectivement TRUE BLUE, le « shutter » aura des tâches de type remontées de balle et recherche de décalages.

    Forcément c’est un rôle qui correspond à un profil de joueur: Di Maria ou Willian peuvent répéter les courses, ont une bonne conduite de balle, qualité de passe, gagnent leurs duels défensifs, pressent sans faire de fautes… donc oui, par conséquent ils « travaillent ».
    Mais l’aspect important c’est la position relative du joueur par rapport au ballon, c’est ce qui fait d’un joueur un attaquant de côté ou un « shutter ».

  7. Blingice dit :

    Analyse intéressante, quoiqu’un peu complexe. J’ai pas tout compris mais ça reste cool.
    Est-ce que vous voyez une sorte de parallèle avec Ozil (style de jeu, influence sur les résultats …) ?

  8. the teacha dit :

    Je pensais à Ozil aussi, Mourinho à bien réussi à intégrer Ozil au real qui à les mêmes caractérisques que Mata et qui défend encore moins que Mata d’ailleurs, bizarre.
    Je pense maintenant qu’il est toujours possible d’intégrer Mata sur la 2eme partie de saison mais plus dans un 4-3-3 en faux ailier droit. Oscar et Ramires vu leurs conditions physiques seront plus des milieux axiaux capables de se projeter.
    Maintenant, Mata n’a pas une endurance extraordinaire, c’est vrai mais il faut dire aussi que Chelsea défend plutôt bas pour avoir vu une dizaine de matchs d’eux. Leur bloc est plutot bas, ce qui fait que Mata ou Hazard ont peu de soutiens quand ils defendent sur le latéral adverse.
    Vous voyez où je veux en venir ? Si on aide pas plus Mata que ca à défendre en restant loin de lui, il est normal qu’avec son endurance moyenne, ses défauts soient mis en lumière, c’est logique. Il faut donc qu’ivanovic ou Azpi voir un milieu def soit plus proche que lui dans le pressing et on aurait surement pas ce débat.

  9. SeBlueLion dit :

    On ne peut pas dire que Chelsea défend bas, c’est le problème des constats généralistes qui ne tiennent pas compte des phases de jeu ou du contexte du match.

    Chelsea alterne les séquences de pressing haut et séquences de bloc très bas. La première tend à gagner en importance pendant que la seconde traduit un statut transitionnaire lié à l’incapacité de l’équipe à convertir ses moments forts (après avoir dépensé de l’énergie à vendanger occasion sur occasion, il vaut mieux se replier pour 20mn).

    L’autre aspect relève de la nature du jeu pratiqué en Angleterre. Spécialement « away », les équipes auront la capacité d’appliquer au moins 20mn de grosse pression et acculer n’importe quel adversaire. Il convient donc de disposer de joueurs capables de reformer le bloc bas et exploser en contre.

    Je ne suis pas d’accord du tout sur ce que tu évoques au sujet des seconds et troisième rideaux que tu supposes trop peu réactifs. Ramires a eu une zone immense à couvrir depuis deux ans: dans le dos d’A. Cole et derrière les offensifs. Idem pour Luiz derrière les deux milieux souvent dépassés (3v2 face aux milieux renforcés adverses)

    En partant du haut, CHelsea presse en 2-3-3-2
    …….Oscar-Torres
    ….Hazard-Ramires-Willian
    ……Cole-Mikel-Ivanovic
    ………Terry-Cahill

    Les latéraux sont second rideau de pressing avec Mourinho (ballon repoussé vers l’extérieur, à l’inverse de ce qui était pratiqué avec Benitez)

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