Requiem pour Robert
Allons-y de notre hommage à Robert Pires... On aurait préféré voir venir la Coupe du monde sous d\'autres augures, mais il ne faut pas pour autant nourrir de déraisonnables espoirs de retour du Gunner, ni se laisser abattre prématurément.
Un coup très dur
Un peu comme dans les instants qui avaient suivi son débordement et son centre décisif en finale de l'Euro 2000, Robert Pires est apparu singulièrement distant envers le verdict qui le condamne non à deux semaines, mais à six mois d'interruption. C'est peut-être un mode de protection, ou alors la déception deviendra douloureuse plus tardivement que la blessure, mais on a l'air d'être plus malheureux que lui, à essayer de mesurer le poids de son absence en juin et son effet sur nos chances de médailles.
Il est vrai que le parcours accompli par l'ex-Messin en 2001 et 2002 est impressionnant, tant sur le terrain que dans les esprits. Au cours d'une période mi-figue mi-raisin pour les Bleus, il a été le moteur de la sélection, brillant aussi bien en milieu défensif lors de la Coupe des confédérations qu'en ailier à la mode Lemerre sur les deux flancs. Il semblait pouvoir apporter un surcroît de technicité et de maîtrise au milieu de terrain, en soulageant Zidane et en étant capable de déclencher des actions décisives vers l'avant. Et de manière plus symbolique, il s'est inscrit dans l'histoire de l'équipe de France avec l'image évoquée en introduction.
Spéculations sur le plan B
La peine est double, puisque l'ironie veut que ce soit notre mascotte Youri Djorkaeff qui soit rappelée pour France-Ecosse, après un doublé dont il a le secret (incluant un coup franc détourné). Mais ce n'est pas la peine d'en rajouter sur le Snake, qui aurait de toute façon été du voyage en Corée si Pires ne s'était pas blessé. Le regret c'est encore une fois le peu de crédit qui semble accordé à une solution alternative pour un joueur dans ce registre (sinon dans ce style). Micoud a certes raté sa saison, mais Carrière est bien présent dans les 19, et s'il n'a pas réussi à transcender l'OL, il aligne les performances avec régularité. Il a pour lui une technique hors pair, un coup d'œil à l'avenant et une certaine polyvalence. Si son impact physique limité lui vaudra toujours des détracteurs catégoriques, son expression singulière aurait le mérite de surprendre des adversaires qui connaissent les Bleus un peu trop par cœur. Et son apport serait difficilement moins concluant que celui du tueur de Bolton ces deux dernières saisons, à moins de croire qu'on a encore besoin de ce dernier pour marquer des buts "décisifs".
D'autre part, sans aller jusqu'à défendre à toute force cette expérience, il faut tout de même considérer que les joueurs capables de prendre ces positions de milieux (très) offensifs excentrés sont nombreux : Dugarry, Wiltord, et même Henry sont les trois qui ont le plus souvent permuté dans la 4-2-3-1 de Lemerre, sans compter Djorkaeff. Ils présentent évidemment tous des profils d'attaquants plus marqués que Pires, ce qui implique Lemerre doive revoir l'équilibre général de ses dispositifs de base. La partie d'échec virtuelle se complique alors, mais il est difficile de croire qu'il n'y a pas de solution avec un tel effectif.
L'espoir fait vivre qui ?
Jean-Marcel Ferret — relayé par un Lemerre qui devrait se calmer sur le mystique s'il ne veut pas finir comme Hoddle et ses voyantes — semble vouloir relancer un espoir que le Gunner participe quand même au tournoi asiatique, aussi mince soit-il de son propre aveu. On comprend mal la démarche. Ce n'est pas que nous ne voulons pas croire aux miracles, mais la solution consistant à ne pas opérer revient clairement à faire jouer Pires avec un genou en mauvais état — c'est-à-dire un Pires diminué — avec les conséquences éventuelles pour sa santé et la suite de sa carrière. L'argument selon lequel il est possible de jouer avec des ligaments en moins est assez peu convaincant…
L'éthique médicale est étrangement adaptée au sport de haut niveau. On ne tranchera donc pas cette controverse entre deux Diafoirus (l'un qui veut amputer, l'autre qui veut laisser pourrir). Si le joueur lui-même veut courir cette chance aléatoire, son choix lui appartient. Mais cet espoir ne présente-t-il pas infiniment plus de chances d'être totalement vain et de perturber le groupe? Sans minimiser l'importance potentielle de Pires lors de la Coupe du monde, il ne faut pas non plus se focaliser sur son absence et partir avec le moral en berne. Cela ressemblerait trop à une recherche prématurée d'excuse.
En fait, la sélection nationale devait s'attendre à connaître ce genre de coup dur, c'était une question de probabilité — d'autres n'étant d'ailleurs pas exclus d'ici au match d'ouverture de la CM. Les internationaux sont beaucoup sollicités dans leurs clubs d'élite pour que l'intégralité d'entre eux arrivent au rendez-vous. Autant en prendre son parti, tourner la page et faire avec ceux que l'on a.