Naranjito 1982, l'orange du marchand
Espana 82, avec sa sympathique mascotte rondouillarde, marque l'entrée définitive de la Coupe du monde dans l'ère du marketing.
Le principe de la mascotte a été adopté en 1966 à l'occasion de la Coupe du monde en Angleterre. Il s'agit d'un personnage qui se veut représentatif du pays organisateur, déployant pour la cause un visage sympathique et universel. Willie le Lion est le premier d'une grande lignée. Il est la première mascotte de l'histoire de la Coupe du monde, mais aussi de l'ensemble des épreuves sportives.
Les Jeux olympiques ont créé leur première mascotte en 1968 à l'occasion des épreuves d'hiver de Grenoble, avec Schuss le skieur. La première mascotte des Jeux d'été fut Waldi le teckel à Munich en 1972.
Avant l'émergence du marketing et du design, la presse s'est souvent chargée elle-même de créer un symbole représentatif d'un tournoi pour ses publications. Ce n'est qu'en 1970 que la Coupe du monde s'est dotée d'un emblème officiel : un ballon stylisé posé sur un logotype "Mexico 70" inscrit avec une police de caractères créée pour les Jeux de 1968.

Un fruit ou légume par Coupe du monde
Naranjito est la mascotte de la Coupe du monde 1982. Alors que les trois éditions précédentes avaient privilégié la figure d'un jeune garçon, les organisateurs espagnols ont choisi un personnage qui a la forme d'une orange. Naranjito est une création d'une couple de publicitaires sévillans, María Dolores Salto et José Maria Martin Pacheco.
Leur personnage a une forme ronde, il est doté d'yeux rieurs, d'un sourire large qui s'étend jusqu'au rouge des joues, de tout petits bras dont le gauche tient un ballon, et de petites jambes dont les pieds portent des chaussures à crampons. On distingue qu'il porte le maillot rouge et le short bleu de l'équipe d'Espagne de même que les chaussettes aux couleurs du pays.
L'orange Naranjito a été préférée à deux autres personnages proposés au comité d'organisation : un jeune toréador et un taureau. Les votants ont sans doute pensé qu'il aurait été dommage de réduire l'Espagne, aux yeux du monde, à sa culture tauromachique.
Outre son aspect éminemment sympathique, Naranjito doit son succès au dessin animé dont il est le héros, Futbol en accion, connu en France sous le titre Onze pour une Coupe. Il s'agit d'une série de 26 épisodes diffusés sur la plupart des télévisions du monde dans les mois qui précèdent le tournoi.
Le héros et ses amis parcourent les pays qui ont organisé la Coupe du monde pour se procurer les archives filmées de la compétition. Le dessin animé est ainsi entrecoupé de séquences réelles des onze précédentes phases finales, incitant le jeune téléspectateur à découvrir l'histoire de la Coupe du monde, puis l'histoire du football, sans imaginer qu'il serait amené à transmettre celle-ci quarante ans plus tard.
En 1986, le Mexique suivra le sillage des fruits et légumes avec Pique, un personnage en forme de piment portant un sombrero. L'Italie de 1990 présentera une sorte de figure arty composée de cubes.
Les animaux deviendront ensuite la norme à partir des années 1990 avec le chien Striker, le coq Footix, le lion Goleo, le léopard Zakumi, le tatou Fuleco, le loup Zabivaka... Seul le Mondial 2002 organisé en Corée du Sud et au Japon a fait preuve d'originalité (à défaut d'esthétisme) avec des extraterrestres translucides d'inspiration manga.

Produits dérivés et sponsors
L'emblème du tournoi représente quant à lui un ballon sous la forme d'une comète laissant dans son sillage les couleurs sang et or du drapeau espagnol. Le but des deux éléments est d'être reproduits sur différents supports (t-shirts, porte-clés, cartes postales, etc.) afin de générer des revenus en exploitation des droits d'utilisation.
On retrouve aussi la mascotte ou l'emblème sur les emballages de produits de consommation dont les fabricants ont payé (cher) les mêmes droits. Willie le Lion a notamment fait l'objet en 1966 d'une bande dessinée et d'une chanson à sa gloire. Naranjito et l'emblème du Mundial 1982 sont pris en charge par Ibermundial, une société créée en mars 1981 et destinée à disparaître en décembre 1982.
Elle a été mise sur pied par la fédération espagnole de football et la société West-Nally, une multinationale britannique chargée de gérer les sponsors de l'épreuve. Fondée par Peter West et Patrick Nally, la société anglaise est partenaire de la FIFA depuis l'arrivée de leur ami Joao Havelange à la tête de l'institution.
À l'occasion du Mondial 1982, elle façonne le concept des sponsors exclusifs dont on verra la marque sur tous les stades. Celles-ci ont dû débourser l'équivalent de 400 millions de francs (environ 60 millions d'euros) pour apparaître sur les panneaux au bord des terrains. Elles ont pour nom Coca-Cola, Canon, Ellesse, Fuji, Gillette, Iveco, JVC, Metaxa, Reynolds, Seiko et quelques autres.

Beaucoup plus ancienne que celles de la mascotte et de l'emblème, la tradition de l'affiche officielle de la Coupe du monde a vu le jour dès sa première édition en 1930. Depuis le gardien de but de l'Uruguayen Guillermo Laborde, chaque édition de la Coupe du monde propose une affiche fidèle à l'esprit de son époque. L'édition espagnole va sublimer le principe.
C'est le peintre surréaliste Joan Miro qui réalise l'affiche du Mondial 1982. Une œuvre que l'intéressé intitule "La fiesta" et qui deviendra un élément très fort de l'identité espagnole. Le lettrage du mot "ESPANA" figurant en haut de l'affiche sera ensuite repris tel quel par l'Office du tourisme espagnol, qui pérennisera l'esprit du Mondial 1982 (et de Miro) dans ses communications futures.
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Ce texte est extrait du livre Espagne 82 La Coupe d'un monde nouveau (éd. Solar), de Bruno Colombari et Richard Coudrais, collaborateurs des Cahiers du football. Le livre est disponible en librairie et dans notre boutique en ligne.
