L'Olympiakos rafle la crise
L'Olympiakos Le Pirée profite du marasme grec pour renforcer encore sa mainmise sur un championnat de moins en moins concurrentiel.
Alors que les clubs de Thessalonique et d’Athènes tombent de leur Olympe face à la crise (lire "Football de crise en Grèce"), l’Olympiakos Le Pirée reste debout. Le club du port d’Athènes caracole une nouvelle fois seul en tête de classement, et sa quinzaine de points d’avance sur ses poursuivants les moins éloignés lui a assuré son quarantième titre national cinq journées avant le terme, avec un énième doublé Coupe-Championnat en vue. Il faut dire qu’avec ses 18 millions d’euros de budget – deux fois celui du Panathinaïkos – et les substantielles rentrées de liquidités grâce aux qualifications récurrentes pour la phase de poules du premier tour en C1, il serait anormal qu’il en soit autrement.
Marinakis, la fée du logis
Cela n’empêche pas le club du Pirée d’animer sa saison à sa façon, par exemple en limogeant en janvier dernier son entraîneur portugais Leonardo Jardim. Pourtant, celui-ci n’avait pas démérité côté résultats, avec une première place en Super League conquise dès la deuxième journée et jamais lâchée depuis, une invincibilité qui a duré tant qu’il a été en poste, et trois succès en Ligue des champions qui ont valu au club d’être reversé en Europa League. Le tout malgré les départs à l’été 2012 du Suédois Olof Mellberg et du meilleur joueur/top-buteur belge Kevin Mirallas. Certains supporters n’appréciaient pas le jeu développé par l’équipe, et ils l’ont fait savoir à son tout-puissant président-propriétaire Evangelos Marinakis, qui a appuyé sur le bouton du siège éjectable. Ce n’était pas la première fois que l’Olympiakos virait son coach alors qu’il dominait la Super League. On peut parier que ce ne sera pas la dernière…
(photo : cc rg33 / Flickr)
Singulier personnage, Marinakis. Un richissime armateur grec, à la réputation suffisamment sulfureuse pour avoir été impliqué dans des affaires de pots-de-vin dans le but d’acquérir de lucratifs marchés. Pas de quoi l'empêcher de prendre le contrôle de l’Olympiakos en 2010. Son prédécesseur, de 1993 à 2010, Sokratis Kokkalis, était lui aussi un prospère businessman au passé encore plus trouble: soupçons de pots-de-vin, fraudes, détournements de fonds, blanchiment... À quoi s'ajoute l'accusation d'avoir été un informateur de la redoutable Stasi – la police politique de feue la RDA –, qui lui aurait permis de monter son business dans les télécoms dès les années 1960, tandis que les Est-Allemands récupéraient des informations sur la Grèce et ses alliés de l’OTAN. Avant Kokkalis, le président du club piréen en 1987-88 avait été Giorgos Koskotas, un banquier impliqué dans un scandale politico-financier qui lui avait valu une condamnation à vingt-cinq ans de prison pour corruption et détournements de fonds. Les années passent, les (mauvaises) habitudes restent.
Intouchable, mais à quel prix ?
Marinakis a fait fort lui aussi, en cumulant un temps ses fonctions d’homme d’affaires et de président de l‘Olympiakos avec celles de président de la Ligue et de vice-président de la fédération grecque. Vous avez dit "conflit d’intérêts"? Depuis qu’il s’est mis en avant sur la scène footballistique, Marinakis ne s’est pas fait que des amis: les irrégularités se sont multipliées. Des six matches initialement considérés comme douteux par l’UEFA, on est passé à plusieurs dizaines. Parmi les équipes soupçonnées, l’Olympiakos figure en bonne place. Si ces scandales ont causé la relégation de certains clubs (Volos, Kavala [1]), Le Pirée bénéficie lui d’une mansuétude certaine de la part des instances et reste intouchable malgré les suspicions, particulièrement lors de matches décisifs contre le club du Panathinaïkos. Le club est ainsi sorti blanc comme neige d’une procédure l’opposant à son rival, après un match en 2011 au terme duquel les Verts du Panathinaïkos avaient été agressés par des fans de l’Olympiakos entrés sur le terrain – un match qui avait conduit Djibril Cissé à porter plainte contre Marinakis et à quitter la Grèce l’été suivant.
Marinakis étend sa toile en faisant participer la diaspora soutenant l’Olympiakos à divers jeux d'influence politiques. S’il n’est plus président de la Ligue grecque, il n’en tire pas moins toujours les ficelles dans les coulisses, puisque son successeur est Yiannis Moralis, ancien porte-parole de l’Olympiakos. Qui a beau jeu de se réjouir de la chance donnée par certains clubs aux jeunes joueurs du pays (vive la crise!), quand son ancien club – toujours pas concerné par les limitations de recrutement à des jeunes du pays imposées par la Ligue grecque à certaines équipes – est l’un de ceux où la légion étrangère est la plus fournie [2].
L’Olympiakos a tout en sa faveur: l'argent, la gloire, les titres, une participation régulière à la C1… et la bienveillance des autorités. Ce cumul conduit à un déséquilibre d’autant plus insupportable que les habituels rivaux du Pirée, heurtés de plein fouet par la crise, ne peuvent même plus opposer un semblant de concurrence. La Super League pourrait avoir du mal à s’en relever, si ses affluences continuent à décroître, faute d’intérêt réel. Mais qu’importe pour les dirigeants du foot grec: l’essentiel n’est-il pas que Le Pirée reste le meilleur?
[1] Reléguée elle aussi en première instance en 2011, l’Asteras Tripolis a sauvé sa place dans l‘élite en appel.
[2] Quelques anciens du championnat de France présents à l’Olympiakos: Djamel Abdoun, Pablo Contreras, Paulo Machado, François Modesto, Marko Pantelic.