L'image de la saison
Des fous furieux postillonnant sur l'arbitre devant les caméras: le football français a encore livré des scènes totalement impensables dans les autres sports.
Auteur : Jérôme Latta
le 18 Mai 2010
Les célébrations du titre marseillais? Un but lillois au bout d'une superbe action collective? L'émotion d'un joueur saluant une dernière fois le public pour l'ultime match de sa carrière? Non, l'image de la saison, la plus marquante et la plus récurrente, ne peut être que celle d'un hystérique quelconque – dirigeant, entraîneur ou joueur – éructant dans les couloirs du stade sa haine d'un arbitre pourchassé jusqu'à la porte de son vestiaire. Jean-Michel Aulas, chef de file historique de ce mouvement (1), a ainsi entraîné dans son sillage Henri Legarda (Le Mans) ou Jacques Wattez (Boulogne), et l'on a vu des récidivistes soigner leurs propres numéros, comme Pablo Correa lors de cette dernière journée.
Spectacle
Des images prises à la dérobée par un téléphone portable, à la façon de celles qui émaillent désormais les controverses politiques via Internet? Que nenni, ces séquences sont très ouvertement filmées par les diffuseurs officiels de la Ligue 1, et sont devenues aussi rituelles (et pas moins obscènes) que celles des joueurs vagissant une demande de double prime dans leur vestiaire. Elles font partie du spectacle. Sont-elles accompagnées de condamnations, ou tout au moins de moues réprobatrices de la part de ceux qui les présentent? Vous plaisantez: au nom de cette pseudo-neutralité qui accorde l'asile aux pires insanités, elles sont diffusées et rediffusées avec toute la bienveillance requise. "Du sang, de la chique et du mollard", disait-on jadis dans des cours de récréation plus policées que celles du football professionnel contemporain.
Défoulement
Et puis quand même, les premiers responsables, hein, ce sont quand même ces incompétents d'arbitres et ça, tout le monde est d'accord. Morale: en définitive, ce ne sont que de saintes colères (2), chacun disposant du droit fondamental de se défouler sur l'arbitre et de l'accuser de tous les torts.
Évolution logique : quand les dirigeants donnent de tels exemples, il ne faut pas s'étonner que certains entraîneurs ou joueurs se sentent légitimés à fondre leurs propres fusibles, à l'image d'Éric Roy secouant le quatrième arbitre ou de Youssouf Hadji, à la limite du coup de tête samedi dernier. En attendant que des supporters, ainsi inspirés, ne viennent finir le travail en donnant une dimension concrète à ce lynchage symbolique.
La vérité des motivations de cette vindicte est sortie de la bouche d'un enfant en colère: Jean-Michel Aulas, qui a craché le morceau au milieu de sa diatribe contre Stéphane Bré: "Et à l'arrivée, c'est vingt millions d'écart". Le raccourci entre un résultat sportif (entièrement imputé à l'arbitre – 3) et ses conséquences économiques (les revenus de la Ligue des champions) démontre la perversion d'une logique économique qui ne peut plus tolérer l'aléa sportif. Alors, si personne ne vous en empêche, il est tentant de hurler sur l'aléa sportif.
(1) Après Valenciennes-Lyon, il expliquait que dans "dans le doute on s'abstient", ce qu'il fallait traduire par "Dans le doute, on s'abstient de prendre des décisions contraires aux intérêts de l'OL". Au cours de cette même saynète, il a fait la démonstration de la puissance de son humour involontaire en ajoutant qu'il avait "toujours défendu" les arbitres (voir le Replay 10).
(2) Quant aux sanctions des instances disciplinaires, nulles ou symboliques, elles font à peine deux lignes dans les gazettes.
(3) Autre exemple avec Jean-Louis Triaud: "Il y a des faits de match et des décisions arbitrales douteuses qui nous coûtent notre parcours [en C1]" (eurosport.fr, 17 mai).