La Gazette, numéro 83
Les sélections remboursent aux clubs les joueurs qu'elles cassent, mais pas l'inverse — Aimé Jacquet is Love — Les droits télé restent au frais — Les clubs français restent froids — Les poètes aiment le foot.
le 29 Nov 2002
Une inquiétante jurisprudence L'information est passée un peu inaperçue en France, mais elle fait écho à un débat récurrent sur nos pages cette saison concernant la mise à disposition des internationaux et le rapport de force de plus en plus tendu entre les clubs et les sélections nationales (voir Qui veut la peau des internationaux?). La Fédération allemande (DFB) a récemment accepté d'indemniser le Bayern de Munich pour la blessure de Sebastian Deisler, survenue le 18 mai dernier lors du match amical Allemagne-Autriche (6-2). L'espoir du Hertha Berlin, que le Bayern venait d'acquérir pour 9,2M€, avait été victime d'une rupture des ligaments croisés du genou, ratant ainsi la Coupe du monde et déclenchant la sainte colère du club bavarois. Le joueur revenait en effet d'une longue blessure, et sa sélection avait été considérée comme une imprudence. 550.000M€ iront donc dans les caisses du Bayern, qui réclamait une somme quatre fois supérieure, mais a estimé par la voix de Karl-Heinz Rumenigge que ce règlement de la crise était équitable. Le président de la DFB, Gerhard Mayer-Vorfelder, a déclaré que cette affaire, considérée comme singulière, ne ferait pas jurisprudence. On reste même un peu perplexe devant le commentaire du secrétaire général de la fédération, Horst Schmidt, évoquant comme motif le "rôle essentiel joué par le Bayern depuis des années pour la sélection nationale" (Der Spiegel, 10/10). Malgré cette exception culturelle bavaroise un peu surréaliste (la consanguinité du foot allemand et du Bayern n'est pas nouvelle), on a le sentiment que les instances ont mis le doigt dans un engrenage. Qu'est-ce qui empêcherait désormais un club de se retourner systématiquement contre elles à la prochaine blessure grave en match international? Devançant les appels, la DFB a d'ailleurs créé un groupe de travail chargé de trouver des solutions assurantielles pour indemniser les clubs… La morale de cette histoire, larirette, larirette, c'est que seuls les clubs ont le droit de blesser les joueurs, ce dont ils ne se privent d'ailleurs pas. Personne n'aurait l'idée de demander à Arsenal d'indemniser l'équipe de France pour l'absence de Pires (exemple pris au hasard). On ne reviendra pas là-dessus, mais la conception restrictive du football comme industrie, du club comme entreprise et du footballeur comme salarié conduit à faire du foot de sélection un élément subsidiaire, voire un contresens économique. Sur ce plan-là pourtant, les sélections contribuent pourtant à la "création de valeur" d'un "capital joueurs" dont les clubs seuls tirent des profits (voir Anathème… moi non plus). We love Aimé Aimé Jacquet: "Si l'on continue à construire, je suis persuadé qu'un jour viendra où les clubs français passeront devant les autres clubs européens et qu'ils s'installeront au sommet pour longtemps. Ils réussiront comme l'équipe de France a réussi" (Le Monde, 21/11). Le DTN est bien le seul à tenir ce genre de discours positif qui tranche avec le défaitisme national et incite le football français à croire en son "modèle" au lieu de courir après les mêmes chimères que nos (plus) riches voisins. Le prochain accroissement de la manne télévisuelle est une opportunité pour renforcer nos atouts et de recueillir les fruits à moyen terme de la gestion raisonnée de la plupart des clubs. Car dans le même temps, le changement brutal de conjoncture auquel nous assistons en Europe a de fortes chances de changer les règles du jeu (comme au travers de l'allègement de la Ligue des champions), en favorisant à nouveau une logique plus sportive. De quoi donner raison à notre prophète national, avec un peu de chance. Mal barrés Pour la confirmation, on attendra, parce qu'à moins qu'ils ne nous préparent déjà des exploits dans quinze jours, les clubs français n'ont visiblement pas entendu notre appel solennel en faveur d'une rafle sur la Coupe de l'UEFA (voir la Gazette 82) Les matches aller des 16e de finale n'ont en effet pas raffermi nos ambitions, avec une qualité de jeu aussi médiocre que les scores obtenus.
Parfois, les clubs français donnent l'impression de se tromper de sport. |