La couleur du carton
La reprise en main de la discipline par un corps arbitral très motivé avec le soutien inhabituel de la Ligue provoque autant d'incompréhension et de résistances que de cartons rouges. L'occasion est pourtant belle de changer les mentalités et les comportements…
Auteur : Pierre Martini
le 26 Sept 2002
Le déluge de cartons qui s'abat sur le championnat de France alimente les éternelles polémiques sur l'arbitral, et il pourrait n'être qu'une énième tentative de début de saison pour durcir le ton. Mais le soutien sans ambiguïté accordé par les instances au corps arbitral, pour la première fois depuis des lustres, constitue une réelle nouveauté et donne quelques chances à l'opération de n'être pas sans lendemain. Frédéric Thiriez a en effet clairement placé l'éthique au centre de sa reprise en main de la Ligue professionnelle et il s'applique à montrer qu'il ne s'agit pas d'un simple gadget managérial. Après des années de laxisme (voir Une faillite bien organisée (1) et (2), février 2000), et de longs mois de dérive sous l'ère Bourgoin (voir Banale violence et L'arbitre aussi rage, janvier 2001, A tort l'arbitre), la LFP semble décidée à assumer sa mission disciplinaire au lieu d'enfoncer les arbitres dans leur isolement et leur impuissance. Le président n'a pas dérogé à cette ligne et il est encore récemment intervenu pour condamner fermement les incidents du Parc des Princes dimanche dernier. Il a surtout réussi l'exploit d'obtenir des dirigeants un devoir de réserve bien observé jusque-là. Cela doit faire très mal à certains de tenir leur langue et d'abandonner l'arme de la pression psychologique sur les hommes au sifflet (voir La méthode JMA (1) et (2)). Mais de toute évidence la réussite ne peut être envisagée qu'avec une coordination complète des efforts, entre ceux qui officient sur les terrains d'abord, mais également de la part des instances. Les commissions de discipline, et particulièrement la commission d'appel, jusqu'à présent habituée à alléger et à décrédibiliser les sanctions prises en première instance, devront se montrer à la hauteur. Quant au conseil de l'éthique présidé par Dominique Rocheteau, il doit s'inventer un vrai pouvoir (voir la Gazette 79). Une transition délicate Ces tentatives pour placer la barre un peu plus haut en matière disciplinaire rencontrent toujours les mêmes oppositions et les mêmes difficultés. Toute la profession, habituée à des normes plutôt confortables, fait de la résistance et se scandalise de la sévérité disproportionnée des sanctions, sans remarquer qu'il s'agit simplement d'une application de la règle. De leur côté, les médias accordent une place disproportionnée à ce qu'il est convenu de désigner comme des erreurs (pourtant beaucoup plus rares qu'on ne veut le croire) et insistent sur l'incompréhension suscitée. Il est vrai que les conditions ne sont pas réunies pour permettre un arbitrage serein et surtout plus efficace qu'aujourd'hui, pour des raisons qui tiennent à l'état du débat et aux moyens donnés aux juges du jeu (voir les quatre volets de notre "dossier arbitrage" dans la colonne de droite). Il en faudrait effectivement beaucoup plus pour le sortir de sa faiblesse statutaire, et la reprise en main actuelle présente l'inconvénient de souligner les lacunes actuelles. Pourtant, il est évident qu'aucun assainissement durable ne peut être obtenu sans cette douloureuse période de transition durant laquelle les nouvelles limites doivent êtres assimilés, incorporées même, par les joueurs. On note ainsi que les contestations les plus virulentes résultent en fait de divergences d'interprétation du "degré" des fautes et de la sanction à leur appliquer, à l'image de l'expulsion de Pochettino à Lille. Il est révélateur que des arguments souvent entendus sont "ces fautes ne sont jamais sifflées", ou "les arbitres ne mettent jamais de rouge là-dessus". Ils transforment en fait une application correcte de la règle en injustice (autre exemple, l'expulsion de Thierry Henry contre l'Uruguay). La question est bien d'appliquer plus strictement et systématiquement la règle, et non de normaliser le laxisme. Bien sûr, un problème quasi-insoluble concerne la subjectivité inévitable du décisionnaire, d'autant plus que l'éventail des sanctions est très étroit dans le football (jaune ou rouge, on est très vite dans le drame). On dit que chaque arbitre a son propre style et sa propre interprétation du jeu, mais franchement, une harmonisation serait la bienvenue dans ce domaine — même si chaque geste peut être interprété différemment (ce qui nourrit des polémiques éternelles). La révolution disciplinaire reste à faire Les difficultés d'assimilation et surtout l'état dramatique de la situation sont bien illustrées par les comportements lamentables des joueurs qui pètent les plombs dès que le match se tend ou lorsque l'arbitre prend une décision lourde de conséquences, aussi justifiée soit-elle. On touche même au grotesque lorsque les joueurs réagissent dans l'ignorance totale des règles, comme à la fin de Metz-Saint-Étienne, ou lorsque le trio arbitral ne peut même pas prendre des décisions justifiées sans que cela prenne dix minutes (Lille-Guigamp). L'ignorance frappe encore lorsque les capitaines se révèlent incapables de déposer une réserve technique. Mais le plus grave est aussi le plus banal, et tient dans les contestations incessantes et dans l'agressivité incroyable que doivent subir les arbitres, littéralement assaillis par les joueurs à chaque coup de sifflet important. Les gesticulations, protestations et autres jérémiades sont même devenues des activités réflexes chez nos professionnels. Une situation totalement impensable dans la totalité des autres disciplines sportives, mais inexplicablement tolérée dans le football. Il y a des traditions dont on se passerait bien, et l'on ne dénaturerait pas ce sport si l'on parvenait à imposer un respect inspiré du rugby, dans lequel le capitaine seul écoute sagement l'arbitre, les mains dans le dos. Et pourtant, la différence ne s'explique pas par le caractère incontestable des sanctions arbitrales dans le monde du ballon ovale… On conclura au risque de se répéter qu'un des moyens les plus efficaces pour obtenir un profond changement des comportements et un resserrement de la discipline consiste à élargir le champ d'application des sanctions en faisant usage de la vidéo pour sanctionner rétrospectivement les actes d'antijeu les plus nuisibles (simulations et violences). En armant ainsi les politiques de dissuasion, on obtiendrait dans des délais réduits des résultats spectaculaires. Mais le courage politique manque à nos instances sportives pour imposer cette idée maintes fois caressée (voir Vidéo à bon escient) mais qui reste toujours au stade des intentions (cf. Rivaldo au Mondial 2002). Bien qu'alertés par le point de vue de Franck d'Embas (voir Arbitre, simple flic), notre prise de position en faveur d'une politique répressive ne souffre aucun état d'âme.