Faire payer plus pour gagner plus ?
Dans l'espoir d'améliorer la compétitivité des clubs français, l'idée d'augmenter le prix des places de stade fait son chemin... Et se trompe de route.
En matière de football, une habitude tenace consiste à prôner la solution la plus immédiate à tous les problèmes qui se présentent. L’arbitrage pêche? Il faut faire appel sine die à la vidéo. L’équipe de France est en manque de résultats? C’est la faute du sélectionneur. Les clubs français ont une billetterie moins lucrative que leurs adversaires européens majeurs? Haussons le prix des places!
Inflation vertueuse
S’appuyant sur une étude du cabinet Simon Kucher and Partners (SKP), L'Équipe a lancé le débat sur l’augmentation des prix des billets en soulignant "qu'il existerait une vraie corrélation entre un prix de billet élevé et les performances des équipes" (1). En commentant les résultats de l’étude SKP et en donnant la parole au président de ce cabinet, l'article immisce le doute dans l’esprit des lecteurs: les clubs français auraient-ils donc tout intérêt à augmenter le droit d’entrée au stade pour acheter puis rémunérer de meilleurs joueurs, renforçant au passage leur compétitivité?
Garantir au football français de rester un spectacle populaire ne semble toutefois pas être l’objectif majeur des consultants en charge de cette étude. Car si le diagnostic est bon, le remède est mauvais: dans l’attente de nouveaux stades, d’autres solutions existent.
La différence française
Le constat est là: les recettes "billetterie" des clubs français sont largement inférieures à celles de leurs homologues européens des marchés de taille équivalente (Angleterre, Allemagne, Espagne et Italie). Certes, les clubs hexagonaux n’engrangent que 17,5 euros de recettes de billetterie moyenne par spectateurs contre 32,5 euros pour le "Big Four". Certes, ces recettes ne procurent que 14% du chiffre d’affaires des SASP tricolores, contre 35% aux teams anglaises et 24% aux Mannschaften allemandes.
Certes encore, le prix moyen du billet français, s’élevant à 26 euros, et bien que supérieur d’un euro à la moyenne européenne, est à la traîne des tarifs pratiqués en Angleterre (43 euros) et Espagne (40 euros), et se situe dans un second peloton avec l’Italie (27 euros) et l’Allemagne (25 euros). Certes enfin, la courbe du prix des places ne suit pas les vertigineuses hausses anglaise (+52%) ou allemande (+42%).
Comment perdre des spectateurs ?
Pourtant, une augmentation brutale du ticket d’entrée, telle que préconisée par SKP, aurait plusieurs effets néfastes. En effet, si l’image d’Épinal d’un supporter issu des classes populaires semble avoir vécu, remplacée peu à peu par le stéréotype des CSP au plus grand pouvoir d’achat (2), une hausse tarifaire aurait surtout pour conséquence de distendre définitivement le lien entre football et classe moyenne.
Faire peser sur la majorité la hausse des charges est une idée dans l’air du temps... Mais il conviendrait de se demander – plutôt que de lancer en l’air des réponses toutes faites – comment la demande réagira à cette augmentation injustifiée du prix des places. Il n’y a en effet aucune certitude que le public français, qui n’a pas la culture supportariale des socios ou des tifosi, et ne bénéficie pas du confort des stade anglo-germaniques (voir plus bas), continuent à se rendre dans des stades obsolètes.
Il semblerait même que le prix des places soit l’un des principaux points décourageant la venue du public (3). Public se déclarant prêt, par ailleurs, à dépenser jusqu’à dix euros en restauration ou produits dérivés... (4)
Comme à l'hôtel
La corrélation "manque de ressources global / augmentation du prix unitaire" semble une préconisation d’un autre âge. En tout cas pas en adéquation avec l’âge technologique actuel. Pour parler comme les économistes, une place de stade est un bien périssable non stockable. Il y a donc tout intérêt à l’écouler avant qu’elle ne se soit perdue.
Il semblerait que les compagnies aériennes ou hôtelières, dont le cœur de métier est justement la gestion de biens périssables non stockable (les sièges dans l’avion et les chambres dans l’hôtel), ne misent pas sur l’augmentation du prix du ticket. Mais plutôt sur une stratégie dénommée Yield Management, consistant à adapter le montant à la demande, afin de vendre malgré tout la prestation.
Tout le monde a ainsi fait l’expérience de tarifs moins chers longtemps en amont de la date de réservation, ou au contraire de prix bradés plus l’heure de "péremption" approche. Il ne serait pas étonnant que certains clubs se donnent la peine d’investir dans ce type d’outil à l’avenir (5).
L'équation de Manchester
Un autre outil d’actualité, à même de renforcer largement le revenu moyen par place du football français, est les loges. Or, si la France semble à la traîne de ses rivaux, c’est peut-être parce que de trop nombreux stades français sont dépourvus de ce type de prestations. Cinq clubs de L1 – Le Havre AC, l’OGC Nice, le LOSC-Lille Métropole, l’AJ Auxerre et le Valenciennes AFC – ne disposent pas de ces prestations privatives largement rémunératrices.
Pourtant, l’essentiel de l'économie du jour de match se fait désormais sur ces places à prestations, et non sur les places grand public, comme le confirme la désormais proverbiale équation de Manchester United: les champions d’Europe réalisent 43% de leur chiffre d’affaires billetterie "match-day" avec les 9% de places les plus chères… Et quand les clubs français disposent de sièges à prestations, ils sont en quantité insuffisante au regard de la concurrence, comme le montre la comparaison France-Allemagne.
Moyenne par stade. Source: Sportfive
Nouveaux stades: l’effet d’expérience
Mais disposer de sièges à prestations implique préalablement d'avoir investi dans des stades nouvelle génération. L’Allemagne a ainsi profité de la Coupe du monde 2006 pour remettre à niveau son parc d’enceintes. Si, dans le sillage des rapports Besson et Seguin, les acteurs du football français appellent de leurs vœux de nouveaux équipements, c’est parce qu’ils savent qu’il est plus simple, comme le prouve le nouveau Stade des Alpes, d’attirer des (nouveaux) spectateurs dans des conditions de confort optimales. Sans forcément les rançonner, Puisque, jusqu’à preuve du contraire, 2 fois 6 rapporte plus d’argent que 1 fois 10.
Source: LFP, traitement CdF
Source: LFP, traitement CdF
(1) L’Equipe, 25 novembre 2008.
(2) Voir l’enquête IPSOS-LFP, publiée lors de la conférence "Stades: de la conception à l’exploitation" des 18 et 19 novembre 2008.
(3) Ibid.
(4) Sans trouver toujours des conditions de "consommation" (restauration, boutique, interactivité) sur place répondant à cette demande. Le développement de ces recettes annexes n’est bizarrement pas proposé comme une solution par SKP. Pourtant, une augmentation de 4,5 euros de la recette moyenne par spectateur, d’après l’étude Eurostaf-Les Echos "L’exploitation des enceintes sportives" rapporterait ainsi autant que des stades pleins, sans toucher au prix du billet.
(5) Comme le hasard fait bien les choses, l’un des leaders pour la création de logiciels de Yield Management à destination de l’hôtellerie est la Cegid, la société de… Jean-Michel Aulas.