Dans les cartons des Dé-Managers : #17
Le tranchant de l'Athletic Bilbao, le cas Moura, Schalke acculé, l'épopée chilienne, le football féminin belge... et une nouveauté avec l'allégorie de la semaine.
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les quatre Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur.
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Bilbao, Blitzkrieg par les airs
Christophe Kuchly (@CKuchly) – Le passage de Marcelo Bielsa au Pays Basque a laissé des traces. Dans les têtes – pour le meilleur et pour le pire –, mais aussi sur le terrain. Parfois géniale sous la coupe de l’Argentin, l’équipe est ensuite partie dans tous les sens, mais une idée est restée: l’Athletic Bilbao a les éléments pour proposer un football de grande qualité. Ernesto Valverde, qui a pris la suite, réussit pour l’instant à trouver le juste milieu entre beau jeu et résultats. Et la victoire face à Grenade vendredi (4-0) confirme que le style Valverde peut être létal.
S’ils ont dominé en possession, les Basques n'ont pas squatté pas le camp adverse. La majorité du temps, ils étaient dans l’axe, dans leurs quarante mètres (24 %). Au tiki-taka, ils préfèrent le blitz. S’ils font parfois quelques redoublements au milieu, les actions sont construites de manière directe et par les airs. Le double pivot du milieu – Mikel Rico-Iturraspe et les défenseurs Laporte et Gurpegi – balance de la transversale précise à tout-va dans la course des ailiers Susaeta et Muniain. Rapides et techniques, ces derniers n’éliminent pas leur vis-à-vis par le dribble, mais par le jeu sans ballon, et profitent du moindre espace dans le dos des latéraux pour se mettre en position de centre.
Vendredi, l’Athletic en a envoyé trente-six, un chiffre certes loin du récent record de Manchester, mais qui reste impressionnant. Surtout, ceux-ci étaient déclenchés sur du jeu rapide, avec une défense en mouvement et donc plus facilement hors de position. Neuf ont trouvé preneur et trois ont abouti à un but. Le jeu aérien d’Aritz Aduriz y est forcément pour beaucoup, le buteur espagnol compensant une taille ordinaire (1,82 m) par une détente et une précision bien au-dessus de la moyenne. Pas maladroit avec ses pieds, il est l’élément parfait pour évoluer dans un 4-2-3-1 avec des ailiers techniques et le remplaçant qu’il fallait à Fernando Llorente.
La grande force de l’Athletic, qui reste toujours limité par un banc très léger, est de pouvoir compter sur Ander Herrera en faux meneur de jeu. Pourquoi faux? Pas pour la formule, mais parce qu’il ne dicte pas le tempo de son équipe. Les offensives partent généralement du quatuor axial derrière lui, ainsi que de l’excellent latéral droit Andoni Iraola, et elles sautent les lignes sans qu’il ne soit impliqué. Son travail est alors d’offrir une solution dans l’axe à l’ailier, ce qui permet de mobiliser un défenseur mais aussi d’être un relais lorsque son équipe passe par l’axe. Par le sol ou par les airs, une constante: ne jamais laisser sa défense exposée car Bilbao attaque vite.
De l’inutilité du footballeur en football
Philippe Gargov (@footalitaire) – Plus que jamais auparavant, Lucas a, dimanche soir, éclaboussé le Parc de son talent brut… mais aussi de son manque d’efficacité persistant. À l’instar de Jérémy Ménez, et dans une moindre mesure du duo Ezequiel Lavezzi-Javier Pastore, le Brésilien continue de diviser supporters et spectateurs, plus d’un an après son arrivée.
Le bilan comptable, aux deux-tiers de la saison de Ligue 1, est pourtant plus que correct. Avec trois buts et surtout huit passes décisives en “seulement” treize titularisations (et douze remplacements), Lucas contribue grandement à l’armada offensive du Paris Saint-Germain. Mais au-delà des chiffres, c’est la manière qui est critiquée. Lucas ne sait vraiment faire qu’une ou deux choses (courir vite et crocheter les défenseurs), mais il le fait très bien… du moins, très efficacement.
Sa chevauchée fantastique contre Marseille, ponctuée d’un ravissant piqué en fin de course, témoigne parfaitement de cette facilité à percer les défenses sans forcer. À l’inverse, son ridicule tour de passe-passe contre Jérémy Morel aura souligné les excès de ladite facilité.
Le problème avec Lucas est qu’il ne semble pas “sentir” le jeu. Mais est-ce bien le plus important? Un effectif, même parisien, n’a pas nécessairement besoin de onze joueurs capables de faire les gestes, les tirs ou les passes que d’autres n’osent même pas imaginer. Paris a déjà Ibrahimovic, Cavani, Thiago Motta ou Verratti pour ça. Au contraire, la sagesse impose de répartir les tâches: et Lucas, qui fait tâche parmi ces génies fous, mérite sa place d’agitateur très policé. On ne lui demande rien d’autre que de bien le faire – et il serait injuste de l’en blâmer.
On a aimé
Karim Benzema en Ligue des champions. En long, en large et en travers. Dans son pressing, ses passes, son jeu en pivot. Et dans son sens du but, jamais perdu mais toujours retrouvé. Le plus grand attaquant français depuis David Trezeguet, tout simplement.
La protection de balle stéatopyge de Cristiano Ronaldo contre Schalke 04, qui offre à Karim Benzema un deuxième but sur un plateau d’argent. Un modèle à suivre pour tous les Gomis, Gignac et Brandao.
Le scénario fou de Francfort-Porto en Europa League. Une succession de rebondissements, depuis le match aller, qui font le piment des rencontres à élimination directe. Les défenses allemande et portugaise n’ont pas été irréprochables, loin de là, mais les émotions suscitées sont telles qu’il est parfois bon de ne pas s’attarder sur les approximations tactiques et de simplement apprécier le spectacle.
Radja Nainggolan, l’une des rares satisfactions romaines face à l’Inter. Il n’a certes pas la capacité à créer des décalages offensifs à la manière d’un Pjanic – dont l’absence au coup d’envoi a pesé –, mais il oriente le jeu et sait se défaire du pressing adverse pour s’offrir du temps et des solutions. À son poste, c’est un vrai luxe.
Les centres de David Alaba face à Schalke, dont la beauté permanente devraient alerter l’UNESCO pour être classé patrimoine mondial de l’humanité. Même peu en réussite, Mario Mandzukic se devait de convertir l’une de ces multiples offrandes.
On n'a pas aimé
La piteuse prestation de Manchester United à l’Olympiakos (2-0). Outre l’absence de pressing et un Carrick aussi exposé que passif en sentinelle, le manque d’imagination offensive, d’intensité et de rythme était en complet décalage avec l’objectif annoncé de sauver sa saison en remportant la Ligue des champions. D’autant plus inquiétant que David Moyes est apparu incapable d’infléchir la tendance tactiquement, se contentant d’empiler les attaquants en seconde période.
La témérité de Felipe Santana, qui refuse de dégager le ballon alors que Karim Benzema rode dans les parages. Il n’en fallait pas plus pour que le Français, auteur d’un excellent pressing, récupère la balle le long de la touche et serve Gareth Bale à l'orée de la surface.
Freddy Guarin qui semble parfois atteint du syndrôme de Gilles de la Tourette version choix douteux. Si certaines relances très audacieuses peuvent se comprendre par une envie de ne pas balancer devant sans réfléchir, il est plus difficile de comprendre cette tendance à envoyer des tirs surpuissants sans regarder autour et peu importe la position.
Bojan Krkic, une nouvelle fois à la rue en position d’ailier gauche face à Feyenoord. Et comme si la médiocrité de sa prestation n’était pas suffisante, son remplaçant Kolbeinn Sigþórsson a marqué sur l’une de ses premières touches de balle...
Les défenses ajaccienne et lilloise. La première, dans un système à cinq derrière, est parvenue à oublier complètement Salomon Kalou dans la surface par un déni collectif de la responsabilité du marquage de l’Ivoirien. La seconde, étrangement passive sur le doublé de Tallo, et systématiquement prise de court sur de longs ballons basiques dans son dos. Bien loin de ses standards de la première partie de saison.
L’excès d’engagement de Pepe, Ramos et Xabi Alonso face à l'Atlético, qui rappelle les heures les plus sombres et intenses des Clasicos mourihnesques.
L'infographie de la semaine
La localisation des interceptions de Schalke et du Bayern. Où l’on voit que les Bavarois récupèrent le ballon très haut et peuvent donc rapidement se projeter devant, alors que les hommes de Jens Keller sont uniquement dans une logique défensive pour ne pas prendre de buts (Via Squawka / Cliquer sur l'image pour agrandir).
Les déclas
“Pendant les sessions tactiques, je ne m’énerve pas si des erreurs sont faites. Je préfère leur montrer ce qu’ils ont fait de positif. Et si c’était seulement pendant dix minutes (pendant un match)? Fantastique. Cela pourra devenir vingt, puis trente, et à la fin une rencontre complète. Il faut toujours commencer par ce qui marche.” Clarence Seedorf, dont l’AC Milan n’est pas encore arrivé au dernier stade.
“Claudio Marchisio bouge très bien en tant que deep-lying playmaker. On savait déjà qu’il pouvait tout faire au milieu de terrain: il peut être entre les lignes et se projeter vers l’avant ou être l’homme qui dicte le tempo.” Arturo Vidal, grand fan de celui qui pâtit le plus de l’explosion de Paul Pogba cette saison.
La vidéo de la semaine
Le trailer de El Sueño De Todos, documentaire sur l'aventure du Chili sur la route de la Coupe du monde 2014 qui sortira le mois prochain.
L'allégorie de la semaine
Analyse du derby madrilène (2 Maccabés 6:30 / Production Footballallegorie).
L'anecdote
Le derby à venir entre le Betis et le FC Séville en Ligue Europa sera le sixième duel de l’histoire des coupes européennes entre des équipes d’une même ville. Les deux premiers remontent à très longtemps puisqu’il s’agissait de matches entre l’Atlético et le Real en Coupe des clubs champions 1959 puis entre le FC et l’Espanyol Barcelone lors de la Coupe des villes de foire 1996. Le phénomène a ensuite connu une improbable explosion puisque se sont succédés AC Milan-Inter (C1 2003), Chelsea-Arsenal (C1 2004), AC Milan-Inter (C1 2005) et Rapid-Steaua Bucarest (C3 2005), tous au stade des quarts ou demi-finales. Hormis en 2005, année où Milan a largement dominé son rival, jamais une équipe n’a remporté une seule rencontre par plus d’un but d’écart.
Le bonus belge
Pendant ce temps, la Belgique nous prouve qu’il n’y pas de besoin de pelouse pour jouer au football. Un reportage aux accents grolandais, où même les interviews de joueuses et coaches maculés de boue sont assez surréalistes.
La revue de presse anglophone
Jonathan Wilson analyse le nul entre Galatasaray et Chelsea et souligne l’erreur tactique initiale de Roberto Mancini.
Un glossaire tactique qui explique en quelques phrases les rôles clés utilisés par les différentes équipes.
Carlo Ancelotti a-t-il (enfin) trouvé son équilibre dans le 4-3-3?
On était passé à côté à l’époque: StatsBomb classe les buteurs des quatre dernières années en fonction du temps passé sur le terrain et sans compter les penalties. Et les cartes sont un peu redistribuées.
Une sélection doit-elle doubler les postes dans une grande compétition? Ou comment tant que défenseurs se retrouvent à suivre l’action en spectateurs.
Un extrait de l’article sur Jean-Pierre Adams à paraître dans le numéro 12 de The Blizzard (dont on recommande à nouveau la lecture).