Crimes d'honneur
Invité : When Saturday Comes. Les footballeurs actuels n'ont pas inventé l'infidélité envers leur(s) club(s). La tentation a toujours existé.
Après "L'éthique de la victoire" et "Remontées en blog", troisième épisode de notre partenariat avec le magazine britannique When Saturday Comes.
Le cirque médiatique qui a accompagné le départ de Fernando Torres pour Chelsea a une nouvelle fois mis en lumière une question de plus en plus critique dans le football moderne: la loyauté du joueur envers son club. La consternation des supporters de Liverpool fut totale lorsque, pour sa première conférence de presse à Stamford Bridge, leur idole nouvellement transférée balaya froidement d’un revers de micro toute accusation de trahison et justifia son changement de camp en déclarant "qu’il n’y a plus de romance dans le football". Il ajouta même que s’il avait certes passé trois bonnes saisons à Liverpool, il tenait désormais à jouer dans un club ayant remporté des titres. D’ailleurs, précisa-t-il, il n’avait jamais été supporter des Reds (même si, à son crédit, il fut assez sincère pour admettre qu’il n’était pas non plus un inconditionnel de Chelsea). Il n’y a pas de loyauté qui tienne quand il s’agit de remporter des titres.
L'exemple de Rooney
Il serait aisé de penser que ce phénomène est nouveau et qu’il s’agit ainsi d’un symptôme des temps modernes. En somme, le produit d’une époque où chaque professionnel, surprotégé et choyé, vit coupé du monde réel dans l’opulence la plus totale, et habite de vastes propriétés. Entouré d’un aréopage d’agents et de coiffeurs personnels. Une impression d’ensemble qui n’est guère de nature à changer la perception commune selon laquelle l’univers du football est peuplé de joueurs aux ego démesurés à qui, corollaire naturel, tout est dû.
Prenons l’exemple de Wayne Rooney, autrefois fier Evertonien arborant un t-shirt: "Bleu un jour, Bleu toujours". Tout à coup, on apprend qu’il souhaite quitter Manchester United pour un club aux ambitions financières supérieures, avant se laisser convaincre par son employeur d’accepter un nouveau contrat dont le montant suffirait à maintenir à flot l’économie de plusieurs petits pays européens. Ou bien l’exemple de Manchester City, club vers lequel les joueurs se pressent pour traire la vache à lait. Ou même John Terry, souvent cité comme un remarquable exemple de monogamie (footballistique, s’entend) car il est resté attaché à son club de toujours... C’est vite oublier son silence assourdissant durant l’interminable saga de son possible transfert vers Man City en 2009, épisode qui ne baissa d’intensité que lorsque sa loyauté fut cimentée par la promesse d’une forte revalorisation salariale.
"La loyauté n’existe pas dans le football"
Toutefois, cette notion d’allégeance fragile au club est un aspect du football qui n’est pas propre à l’ère moderne, loin s’en faut. Un constat illustré par cette remarque d’Harry Redknapp à propos du limogeage de Chris Hutton par Newcastle: "Cela confirme simplement ce que je sais depuis des lustres, à savoir que la loyauté n’existe pas dans le football". Il est également révélateur que l’un des premiers à tenter de désamorcer la polémique Torres fut Kenny Dalglish, qui rappela à tous l’épisode du départ de Graeme Souness d’Anfield en 1984. C’est une question qui ne date pas d’aujourd’hui, argumenta-t-il, et qui n’est pas nécessairement conditionnée par la recherche de titres. "Les footballeurs trouveront toujours une bonne raison de partir, déclara Dalglish, Changer de club fait partie intégrante du football".
Contrairement à ce qu’on aime s’imaginer, l’ambition n’a été que très rarement sacrifiée au profit de la fidélité envers un club. Les supporters de Birmingham d’un certain âge se rappellent ce jour de février 1979 quand Trevor Francis – adulé par les fidèles de Saint Andrew’s depuis presque une décennie passée dans ce club, où il fut formé – rejoignit soudain le Nottingham Forest de Brian Clough pour la somme record d’un million de livres sterling. Francis répéta alors à l’envi que l’argent n’était pour rien dans son départ. Sa seule motivation, assura-t-il, était de "faire progresser sa carrière".
Intérêt sportif
De façon similaire, Malcolm Macdonald, alors depuis des années l’attaquant virevoltant et prolifique de Newcastle, quitta le club en 1976 alors qu’on le disait en froid avec le manager, Gordon Lee. "J’ai regardé la liste de tous les clubs de Première Division, et c’est sur Arsenal que j’ai jeté mon dévolu", expliqua-t-il, ajoutant: "J’avais bien plus de chance de remporter des titres là-bas et c’est ce qui m’intéressait".
Avoir de l’ambition n’est pas critiquable. Indépendamment de l’aspect financier, pourquoi un joueur devrait-il refuser de rejoindre une formation qui lui offre de meilleures perspectives sportives?
L’une des histoires les moins connues du grand public – et qui bat en brèche l’idée selon laquelle la loyauté envers le club était autrefois la caractéristique d’une époque, forcément révolue, plus respectable qu’aujourd’hui – concerne le grand Tom Finney, considéré depuis longtemps comme l’un des plus éblouissants exemples du joueur d’un seul club. En 1959, il admit ouvertement que même s’il adorait son club, Preston, et le considérait comme le plus grand de la planète, si Newcastle offrait de doubler son salaire "il signerait sûrement pour Newcastle".
En définitive, le joueur possède une liberté que le supporter n’a pas. Ce dernier doit fidélité à son club, lié qu’il est à son institution où le dévouement est quasi familial et n’a d’autre choix que de soutenir son équipe contre vents et marées (et elles sont souvent fortes). En revanche, n’importe quel joueur de bon niveau peut, lui, changer et choisir ses allégeances comme bon lui semble. La seule loyauté réelle est celle du supporter. Cela explique pourquoi, même si elle demeure mal comprise, cette notion revêt tant de valeur à nos yeux. Et je suis bien placé pour le savoir, je supporte Liverpool.
Lancé en 1986, When Saturday Comes est le meilleur magazine de football du monde (hors période 2003-2009). WSC cherche à offrir une vue à la fois sérieuse et humoristique du football, avec une intelligence jamais démentie. Pour un rapide historique du magazine, c'est ici et pour s'abonner, c'est par là et c'est un ordre